Cet homme nommé Jésus.

 

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Qui était donc Jésus ? Qu’a-t-il vraiment dit ? Qu’a-t-il vraiment fait ? Que peut-on savoir d’historiquement vrai sur lui ? Telle est les questions que notre raison est en droit de se poser.

Est-il possible que Jésus-Christ n’ait jamais existé ? Quelques sceptiques défendent cette opinion avec véhémence, mais pas les savants, notamment les archéologues. « Je ne connais aucun chercheur important qui doute du personnage historique de Jésus, affirme Eric Meyers, archéologue et professeur émérite à l’université Duke. On pinaille sur des détails depuis des siècles, mais nulle personne sérieuse ne met en doute son existence. »

Une thèse, dite « mythiste », existe, notamment défendue par Michel Onfray, qui affirme que Jésus n’a pas de réalité historique et est une stricte invention mythologique. Cette thèse si nous l'étudions de près, ne peut être que rejeté car elle est aujourd’hui entièrement impraticable et aucun historien, à quelque courant de pensée qu’il appartienne, ne saurait désormais s’y rallier. Laissons donc les sceptiques à leur lubie.

Jésus n’a pas écrit son message, il n’a pas été enregistré sur cassettes… Ce qu’il a dit et fait a été transmis de bouche-à-oreille pendant plusieurs décennies, amplifié, déformé, modifié selon la compréhension de chacun. Des copistes, des catéchistes, des responsables de communautés chrétiennes en ont rajouté de leur propre plume pour les besoins de leur apostolat ou de leur autorité, pour étayer leurs doctrines. Est venu ensuite la Religion Chrétienne d'État, l'Église Romaine qui a accumulé les obstacles sur le chemin de la foi : l'alliance du trône et de l'autel, l'ère constantinienne, la prétention des papes à être les successeurs de Pierre, les dogmes idéologiques. Quand l’Église se mêle de politique dans une quête de pouvoir, comme dans l’Espagne de Franco, elle erre. L’idéologie surajoutée au message, qui tourne souvent au verbiage théologique, constitue un obstacle à la foi. La thèse du péché originel, n’est mentionnée nulle part dans les évangiles, et la thèse concomitante selon laquelle Jésus serait mort pour racheter nos péchés, dans un sacrifice humain cruel pourtant indigne de la miséricorde divine, est aujourd'hui indéfendable. Le Christ n’est pas venu pour mourir, mais pour dire et pour attester.

La mariologie, la prétention de l'Église à l'infaillibilité, les Encycliques, la prêtrise conçue comme la fonction de « préposés » pour la distribution de « sacrements magiques », la confession auriculaire afin d'obtenir le pardon de ses pêchés, Etc.…, Etc.… Mais, trahissant et retrahissant la Parole des Évangiles que le christianisme avait mission de répandre, l'Institution chrétienne, en même temps, conserva intacte ces Paroles de Jésus qui la condamnait.

L'exploration exégétique du Nouveau Testament doit nous conduire des légendes à l’histoire. Nous nous devons de faire ressortir les contradictions entre les évangiles, souligner les incohérences, mais une fois ce travail fait,  nous remarquons que les convergences l’emportent, et de beaucoup, sur les divergences, et la moisson reste considérable de ce qui, dans nos évangiles, sur la vie, l’enseignement et la mort de Jésus, revêt une valeur historique. Le Jésus que j'aime et en qui je crois, est celui que cette moisson nous permet de découvrir.

Quant à la résurrection, je dois reconnaître l’impossibilité d’établir son caractère factuel. Mais une question toute simple doit trouver réponse : comment une poignée d'hommes et de femmes - le petit groupe des disciples de Jésus - a-t-il pu avoir l'impact que nous connaissons sur leur entourage, alors que Jésus venait d'être mis à mort en public ? Ils ont tout perdu, leur maître est mort, ils ont peur, se cachent, sont déprimés, ne comprennent plus rien et tous leurs espoirs sont ruinés. Cependant, quelques jours plus tard, ils retournent toute la ville de Jérusalem et convainquent des milliers de juifs, qui se mettent à proclamer partout au prix de leur vie, la résurrection de Jésus de Nazareth !

Il n’est pas possible d’expliquer la métamorphose des disciples hier écrasés, éperdus, et soudain fous de joie et d’élan, qu’il est impossible d’expliquer ce fait irrécusable sans recourir à l’intervention de cet autre fait, irrécusable, qu’une certitude les emplissait et les jetait en avant : la certitude d’avoir retrouvé, vivant, celui qu’ils avaient vu mourir. Et pour citer Pascal : « Je ne crois que les témoins qui sont prêts à se faire égorger ». Ces disciples sont allés jusqu’à mourir pour affirmer la résurrection de leur Maître. Je peux concevoir de mourir pour ce que l'on est certain d'être une vérité, mais on ne va pas à la mort pour ce que l'on sait être un mensonge, ou un canular.

Qu’en est-il des miracles et du merveilleux qui remplissent les évangiles.

À l'époque de la rédaction des évangiles, divination, magie et médecine allaient ensemble et elles étaient habituellement l’apanage des prêtres. La maladie était le fait d’un ou plusieurs démons ; chacun avait sa spécialité ! Elle était d’ailleurs en partie liée au péché. Jésus croyait-il en tout cela ? Il est difficile de répondre à une telle question mais une chose est certaine, il n’était pas le seul à guérir, à chasser les démons ! Ses disciples, les prophètes de jadis (Moïse, Élie, Élisée), les faux prophètes eux-mêmes et jusqu’à des inconnus (Mc 9,38-41) pouvaient faire des miracles. Dire que Jésus a fait des miracles montre simplement qu’il était un homme religieux important de son époque. Souvent, c’est en cherchant un sens symbolique aux miracles que l’on peut mieux les accepter de nos jours. Il est d’ailleurs très probable que ce sens était voulu par les rédacteurs, et déjà perçu ainsi par les premiers lecteurs.

Il est vrai que les évangiles en particulier, attribuant un grand nombre de miracles à Jésus, il est difficile de faire comme s’ils n’étaient pas dans les textes. Il faut donc bien s’interroger sur leur signification.

Ce que l’on peut d’abord remarquer, c’est que dans les évangiles, la très grande majorité des miracles sont des guérisons. C’est donc avant tout de celles-là qu’il faut rendre compte.

La première remarque évidente que cela inspire, c’est que Jésus a été vu de son temps comme quelqu’un qui accomplissait des guérisons. Cela en soi n’est pas très extraordinaire. Jésus était donc un guérisseur, et il n’y a pas en soi de nécessité d’invoquer là une puissance divine extraordinaire.

Mais cela n’est pas sans importance pour autant. Cela montre que Jésus n’était pas seulement prédicateur, mais qu’il jouait aussi ce rôle de guérisseur auprès des gens qu’il rencontrait. S’il avait vécu en France aujourd’hui, il ne se serait pas contenté d’être pasteur, il aurait été aussi médecin.

Cela en soi est déjà un message théologique : cela démontre bien l’attention qu’il a portée à la vie concrète de ses contemporains, l’énergie qu’il a dépensée pour les soulager matériellement de leurs maux, montre qu’il ne méprisait pas la dimension matérielle de notre existence, et surtout qu’il ne considérait pas que le corps n’est rien, que notre vie physique n’a aucune importance. Il s’en préoccupait, sans la négliger. Le chrétien n’a donc pas à se retirer ou à se détacher totalement du monde, il peut et doit donner une certaine importance au monde matériel, de vivre dans le monde et être de ce monde, même si ce n’est pas le plus important (le spirituel est plus important).

Les trois livrets grecs appelés Évangiles et attribués à Matthieu, Marc et Luc ont été écrits entre la destruction du Temple de Jérusalem et les premières années du second siècle, disons entre 70 et 100 de notre ère, plus de 40 ans après la mort de Jésus. Malgré le caractère tardif de la rédaction de ces textes, on peut affirmer, - comme je l'ai déjà dit - que les thèses  récurrentes sur le fait que l'existence de Jésus ne serait qu'un mythe, n'est plus aujourd'hui soutenable. Mais alors comment procéder pour remonter des Évangiles à Jésus lui-même ?

En 1835, l’Allemand Karl Lachmann avait démontré que le plus ancien des évangiles était celui de Marc. Trois ans plus tard, en 1838, un professeur de l’université de Leipzig, Christian Hermann Weisse, énonce la théorie « des deux sources » : Matthieu et Luc auraient chacun puisé dans deux traditions pour composer leur œuvre. D’une part, l’Évangile de Marc ; et d’autre part, dans une mystérieuse collection de sentences de Jésus, qui aurait été perdue sous sa forme initiale. Le professeur Weisse appelle cette dernière « die Quelle », en français « la source ». Après lui, bien d’autres passionnés vont se pencher sur la source perdue, que l’on ne désigne bientôt plus que par son initiale « Q ». Provocatrice il y a un siècle, car teintée de scientisme, l’hypothèse des deux sources est aujourd’hui acceptée par la quasi-totalité des spécialistes du Nouveau testament, et enseignée dans toutes les bonnes facultés de théologie, catholiques ou protestantes. Quelques exégètes - et c'est là ce qui nous intéresse - sont même parvenus à reconstituer la source Q, à rebours des siècles. De nombreux scientifiques affirment aujourd'hui qu’il a existé assez vite après la mort de Jésus, des recueils de paroles de Jésus, qu’ils appellent des « logia », et ceux-ci furent rassemblés pour former la source Q.

D'un autre côté, et selon Pierre Nautin dans son ouvrage « l'Évangile retrouvé » un Évangile primitif (EP), fut écrit en Galilée, en langue grecque, entre 30 et 35, c’est-à-dire peu après la mort de Jésus, et dont nous n’avons pas le texte. C’était une collection de dits de Jésus issus probablement de deux auteurs différents, A et B, dont le second connaît les dits du premier, il les reproduit et leur ajoute des dits nouveaux destinés à les développer, les compléter et quelquefois leur apporter un contrepoids pour atténuer leur portée. L’auteur “ A ” de cette source, probablement orale, a connu Jésus. Il insiste sur la recherche par Jésus de l’intériorité (« le Royaume de Dieu est au-dedans de vous »). L’auteur de l’EP (“ B ”), développe déjà un Jésus devenu personnage céleste, et ajoute ses propres dits à ceux rapportés par la source émanant de “ A ”. Il reste quinze dits dans la source quand on a éliminé ceux ajoutés par B. Ces Dits sont groupés par thèmes dans un ordre logique.

Mais il paraît difficile d'admettre l'existence d'un évangile rédigé en grec dès les années 30-35, jouissant d'une assez grande autorité pour avoir été utilisé ultérieurement par les trois auteurs synoptiques à des dizaines d'années d'intervalle ; Paul qui écrit dans les années 50 soit 20 après la mort de jésus l'aurait nécessairement connu, utilisé ou cité dans ses Epîtres.

L’Évangile de Marc (Mc), est écrit plusieurs décennies après la mort de Jésus, entre 70 et 80. C’est une histoire merveilleuse de Jésus – devenu le Christ (l’Oint, le Messie) - Marc incorpore dans le texte beaucoup de miracles pour démontrer que Jésus est bien le Messie annoncé par les prophètes. C’est le style littéraire de l’époque, qui durera jusqu’au Moyen Âge, avec les légendes des saints martyrs qui ramassent leur tête coupée, jusqu’à saint Nicolas qui ressuscite les trois enfants mis au saloir.

On sait qu’aucun Évangile n’a été écrit selon notre conception moderne historico-scientifique de la réalité. En voici, s’il en est besoin, une illustration :

La naissance et l’enfance de Jésus :

Matthieu suivant la source Q et Marc, veut démontrer que Jésus est fils d’Abraham et lui construit - comme Luc d'ailleurs une généalogie théologique qui est une construction théologique plutôt qu'un récit factuel. Il emprunte quelques noms à la Bible et improvise le reste. Il applique à Jésus l’oracle d’Isaïe annonçant, selon la version grecque de la Bible, la Septante, qu’une vierge concevra et enfantera un fils.

Dans Isaïe  (7,14) il est dit « Aussi Dieu vous donnera-t-il lui-même un signe : Voici que la jeune femme עלמה "Almah" est devenue enceinte et va enfanter un fils  qu’elle appellera Emmanuel ». ‘Almah’עלמה en hébreu biblique signifie jeune femme sans présumer de son état de virginité. On retrouve ce mot :

- Dans la Genèse (24,43) :  «que la jeune fille (Rebecca) עלמה "Almah" qui sortira pour puiser de l’eau et à qui je dirai : laisse-moi boire un peu d’eau de ta cruche et qui me répondra… »:

 -Dans les Proverbes (30,19)  « il y a trois choses qui sont trop merveilleuses pour moi, même quatre que je ne parviens pas à connaître : la trace de l’aigle dans le ciel, la trace du serpent sur le rocher, la trace du bateau au milieu de la mer et la trace de l’homme chez la jeune femme עלמה "Almah". 

Dans le Cantique des Cantiques (6,8) où il est dit : « il y a  60 reines,80 concubines et des jeunes filles עלמות "Alamot" innombrables, mais unique est ma colombe, ma parfaite … ».

Dans la traduction grecque de la Septante, le mot retenu pour traduire עלמה  "Almah" est parthénos c’est-à-dire  spécifiquement une vierge. Retenant cet équivalent grec, le premier évangile (Mathieu 1,23) applique la prophétie d’Isaïe à la naissance virginale de Jésus. « La Vierge sera enceinte, elle mettra au monde un fils et on l’appellera Emmanuel , ce qui signifie Dieu est avec nous. »

Bien sûr la traduction de la Vulgate en latin utilise également le mot virgo pour désigner le terme hébreu עלמה  "Alma".

 Si le rédacteur d’Isaïe avait voulu insister sur la virginité de la jeune femme enceinte, il n’aurait certainement pas utilisé le mot hébreu עלמה  "Almah" qui signifie jeune femme mais celui beaucoup plus spécifique de בתולה "Bétoulah" qui lui signifie vierge en hébreu.

On mesure ici tout ce qu’une erreur de traduction dans l’histoire du judaïsme a pu avoir comme conséquence dans l’histoire du christianisme.

Le verset dit : « “elle” appellera son nom Emmanuel », et non : « “on” appellera ».

Indépendamment de ces inexactitudes, la simple lecture du septième chapitre d’Isaïe, d’où est extrait ce verset, suffit à établir à l’évidence que les Chrétiens l’ont sorti de son contexte.

Ce chapitre parle d’une prophétie transmise à Ahaz, roi de Juda, pour apaiser ses craintes devant les projets des rois de Damas et de Samarie qui se préparaient à envahir Jérusalem, environ six cents ans avant la naissance de Jésus. Isaïe présente ces événements comme imminents, et non, ainsi que le prétend le  christianisme, comme devant avoir lieu six siècles plus tard. Cette imminence est soulignée de façon extrêmement claire dans le verset 16 : « Or, avant même que l’enfant sache repousser le mal et choisir le bien, la région dont les deux rois te causent des angoisses sera devenue une solitude. »

En fait, cette prophétie s’est réalisée au chapitre suivant. Ainsi qu’il est écrit : « Car l’enfant ne saura pas encore dire : “Mon père, ma mère” que déjà on emportera devant le roi d’Assyrie les richesses de Damas et les dépouilles de Samarie » (Isaïe 8:4). Ce verset écarte entièrement tout lien avec Jésus, dont la naissance n’aura lieu que six cents ans plus tard.
 

Matthieu fait naître Jésus à Bethléem pour être conforme à la prophétie de Michée, ( 5, 3 &4) : « Et toi, Bethléhem Ephrata, Petite entre les milliers de Juda, De toi sortira pour moi Celui qui dominera sur Israël, Et dont l'origine remonte aux temps anciens, Aux jours de l'éternité. C'est pourquoi il les livrera Jusqu'au temps où enfantera celle qui doit enfanter, Et le reste de ses frères Reviendra auprès des enfants d'Israël ».

En suite il écrit la visite des mages pour le faire fuir en Egypte, puis revenir à Nazareth. Le massacre des enfants de moins de deux ans est aussi une création de Matthieu, qui ne repose sur aucun fondement historique et totalement ignoré par les auteurs contemporains comme Flavius Joseph qui n'est pourtant pas avare d'anecdote historique de ce genre.

Composé peu après la destruction du temple de Jérusalem en 70, l’Évangile de Matthieu s’adressait à un lectorat juif, accoutumé aux récits exégétiques qui, dans la tradition judaïque, interprètent le texte biblique par des anecdotes et relient entre eux des passages et des versets différents par construction midrashique. L’auteur du premier évangile semble ainsi avoir réactualisé un midrash antérieur sur la naissance de Moïse et donné toute sa portée théologique à sa narration en faisant le lien avec les motifs vétérotestamentaires : il met ainsi en parallèle Hérode et Pharaon et rattache la naissance de Jésus à la figure de Moïse par des prophéties ainsi que par l’analogie entre la Fuite en Égypte et l’Exode. Nouveau Moïse, Jésus est sauvé du massacre des enfants de Bethléem par l’ange du Seigneur comme Moïse fut sauvé par Dieu du massacre des enfants des Hébreux.

Luc, pour présenter la naissance de Jésus à Bethléem, fait intervenir un recensement des gens dans le pays de leurs ancêtres, une supposition peu vraisemblable. Les recensements romains n’avaient pas pour objectif de connaître le nombre d’habitants, mais servaient à établir l’impôt. La déclaration devait donc avoir lieu dans la localité où chacun habitait, travaillait, et avait ses biens et non pas celui de ses ancêtres que très peu connaissaient et qui n’intéressait aucunement les Romains.

La présentation de Jésus au Temple et l’épisode de Jésus enfant au milieu des docteurs de la Loi sont des ajouts de Luc, pour combler le temps vide chez Marc entre la naissance et le début du ministère. Pour Luc, le Fils de Dieu ne pouvait être qu’un enfant prodige…

En réalité, l’historicité des Évangiles de l’enfance est extrêmement mince. On est ici plutôt dans l’ordre du mystère et de la foi. Luc et Matthieu ne sont pas des historiens au sens moderne du terme. Selon un genre littéraire bien connu de l’Antiquité, leurs récits n’ont d’autre fonction que d’anticiper sur ce qui va suivre, de résumer par avance, et symboliquement, le destin de Jésus. Sa naissance à Bethléem en fait un être royal de la dépendance de David. La visite des bergers à la crèche précède son enseignement majeur sur l’amour dû aux pauvres. Celle des mages d’Orient signifie que le message du nouveau né s’adresse aussi au monde païen. L’évocation des massacres du roi Hérode en fait un nouveau Moïse, dans un parallèle saisissant avec le massacre des enfants hébreux sous Pharaon. De telles règles d’écriture symbolique fondent une croyance dans un homme-Dieu sans équivalent avant Jésus et qui se perpétue après lui depuis vingt siècles.

La vie publique de Jésus :

Le récit du baptême de Jésus tel que Marc l’a conçu et écrit répond à une intention apologétique : prouver aux disciples de Jean Baptiste que Jésus était supérieur au Baptiste et le baptême en son nom d’une efficacité plus grande que le leur. Alors que l’Évangile primitif ne parlait pas d’un baptême conférant l’Esprit Saint, Marc fait dire à Jean-Baptiste que Jésus  « vous baptisera dans l’Esprit Saint », fait entendre la voix de Dieu à la sortie du Jourdain et invente le séjour de Jésus au désert et sa confrontation avec Satan faisant de Jésus le nouvel Adam. L’épisode de la Transfiguration, où Dieu parle encore en direct, est bien sûr lui aussi inventé.

 12, apôtres figurent dans l’Évangile de Marc pour faire référence aux douze tribus d’Israël, et crée ainsi un midrash et l’institution des Douze apôtres. La création d’un clergé ne remonte pas à Jésus pour qui la Révélation était destinée aux « tout-petits ». Marc, moins sensible aux dits de Jésus qu’à l’établissement d’une Église, ignore le discours des Béatitudes.

Jésus compare la connaissance qu’il a de Dieu à celle qu’un fils a de son père, mais jamais il ne se proclame le Fils de Dieu.

L’auteur des dits de la Source Q employait l’expression fils de l’homme dans son sens banal (un humain, quelqu’un, ou je), tandis que l’auteur de l’Évangile primitif en fait un titre christologique (le Fils de l’Homme, le personnage céleste vu par Daniel). Or dans le judaïsme le livre de Daniel n'est pas considéré comme un livre prophétique.

Des passages nombreux sont probablement de très anciennes traditions de dires de Jésus : l’efficacité des exorcismes, le discours sur l’hypocrisie et le reniement, l’attitude à tenir en cas de persécution, le discours sur les signes du temps, sur la porte étroite, la parabole des invités au festin remplacés par les pauvres, la parabole du sel, celle de la brebis perdue, malheur à qui scandalise, pardonner sept fois par jour.

La parabole du bon Samaritain est une composition de Luc.

La guérison d’un homme paralysé d’une main : cette guérison était faite non pas pour prouver la puissance ou la compassion de Jésus, mais pour affirmer simplement que l’homme passe avant les exigences de la règle religieuse. C’est Marc qui crée le midrash de la tempête apaisée, celui de la multiplication des pains, la résurrection de la fille de Jaïre. Matthieu y ajoute la résurrection du serviteur d’un centurion romain. Luc y ajoutera la résurrection du fils de la veuve de Naïm. Au total, Marc introduit dix-sept miracles du même ordre que ceux de la Bible, repris par Matthieu et Luc, qui auront désormais autorité de… « parole d’évangile ».

La mort de Jésus :

Les paroles de Jésus « Ceci est mon corps, ceci est mon sang, faites ceci en mémoire de moi » pendant le dernier repas avant sa mort correspondent à la liturgie de l’Eucharistie telle qu’elle était pratiquée dans la communauté de Marc. Celui-ci a voulu justifier cette liturgie en la faisant pratiquer par Jésus lui-même.

Les rites théophaniques sont totalement étrangers à la tradition juive ils ont été empruntés par les premiers chrétiens à d’autres religions de l’époque.

La mort de Jésus s’inscrivant dans un plan divin de salut des hommes, le juste s’offrant à Dieu (en « victime propitiatoire », « mort pour nos péchés » dira Paul) pour remplacer les sacrifices d’animaux, est une théologie de l'apôtre Paul par la question que la mort de Jésus posait à son entourage chrétien : Si Jésus était le Messie, pourquoi donc est-il mort ?

Le peuple n’était pas contre Jésus mais pour lui, à tel point que lorsque les Anciens ont formé le dessein de supprimer Jésus, ils craignaient le peuple. L’intervention de la foule demandant à Pilate de crucifier Jésus et de libérer Barabbas est une création de Marc.

Le reniement de Pierre est une innovation de Marc. La remise en place de l’oreille tranchée au serviteur du grand prêtre est une addition de Luc. Les deux malfaiteurs et le partage des vêtements sont très probablement des reprises d’Isaïe et du psaume 22. Le vin mêlé de myrrhe, la troisième heure, l’écriteau de la croix sont de Marc. Le vinaigre est une reprise par Luc du psaume 69. Marc retouche aussi l’épisode du centurion et lui fait affirmer que Jésus n’était pas seulement un juste, comme dans Luc, mais « le Fils de Dieu ». Les ténèbres sur la terre sont une reprise par Luc du prophète Amos (on sait par ailleurs qu’il n’y a pas eu d’éclipse du Soleil à cette date), le voile du Temple qui se déchire une reprise de l’Ancien  Testament, etc.

La résurrection :

Le récit de la Résurrection est construit sur l’idée que la survie spirituelle de Jésus et la pérennité de son action étaient conditionnées par le retour de son corps physique à la vie, retour qui pouvait être prouvé par la constatation que ce corps n’était plus dans le tombeau où il avait été déposé. Il fallait donc qu’il n’ait pas été abandonné aux chiens ou aux vautours - comme il était de règle pour les criminels condamnés à mort -, mais qu’il ait été enseveli.

La phrase de Jésus « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit » est de Matthieu pour asseoir l’autorité des chefs et enseignants de la communauté des chrétiens des années 80-90 et pour introduire le Saint-Esprit comme acteur et garant de l’efficacité du baptême chrétien.

De même l’institution d’une Église et la désignation de Pierre comme celui sur qui elle est établie sont une création de Matthieu.

Les traits dominants du message de Jésus :

La prévalence réservée aux petits, des gens du tout-venant, qui ne savaient probablement ni lire ni écrire, par opposition aux « savants », les docteurs de la Loi, et aux « intelligents », férus de culture grecque : ce qu’il enseignait, ce n’était pas un dogme, mais une sagesse, une pratique. La « révélation » se manifeste dans des circonstances fort diverses. La fibre intime de l’homme ainsi atteinte existe comme une manifestation du divin. Jésus n’évoque pas le Dieu des Juifs (le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui fait alliance avec le peuple élu), mais le Père du ciel et de la terre, c’est-à-dire de tous les hommes et de tous les êtres. Connaître Dieu ne passe pas par une tradition religieuse ou une pensée organisée en concepts : il faut s’intégrer au courant de la vie, faire monter le monde avec les forces qui poussent vers le haut.

L’intériorisation du règne de Dieu : 

Il ne s’agit pas d’attendre un Royaume de Dieu qui va s’installer avec fracas, mais d’accomplir le désir de Dieu en soi : « le règne de Dieu est à l’intérieur de vous », en grec : εντος υμων εστιν : « il est à l'intérieur de vous ».

Jésus ne pouvait être plus précis. Lorsqu'on lui demande à quels signes l'avènement du Royaume de Dieu sera reconnaissable, il répond qu'il se loge au plus intime de chacun. Tel est le sens de la préposition grecque « εντος », qui désigne non seulement l'intérieur mais l'intimité la plus profonde de l'être.

Cette localisation du Royaume de Dieu au cœur de l'homme a tellement surpris sinon choqué les théologiens et traducteurs chrétiens de ce texte de Luc, qu'ils ont purement et simplement « oublié » le sens de la préposition « εντος » pour proposer les versions suivantes : « au milieu de vous », ou encore « parmi vous ». Ainsi laissaient-ils planer un doute sur l'endroit du Royaume, car « au milieu » peut signifier à la fois « parmi » ou « au centre de ».

Les traducteurs qui ont rendu la préposition « εντος » par la formule « au milieu de vous » voulaient évidemment suggérer que Jésus et son groupe de douze disciples formaient le Royaume de Dieu, c'est-à-dire que l'Église était déjà là, et que le « divin » allait être désormais contrôlé par l'Église.

Le Royaume de Dieu est « au-dedans de vous » ou « au milieu de vous », voilà deux interprétations différentes, très lourdes de conséquences. Soit le Royaume de Dieu est une réalité intérieure, une dimension verticale qui renvoie chacun à lui-même, soit une réalité centrée sur la personne de Jésus, de ses disciples, de l'Église, privilégiant alors une dimension horizontale.

C'est une étude rigoureuse de l'emploi du mot « εντος » dans le Nouveau Testament qui va nous éclairer. Pour signifier « au milieu de vous » ou « parmi vous », les quatre évangiles utilisent, sans jamais prêter à confusion, non pas « εντος » mais « εν μεσω ». Cette expression est employée 31 fois dans ce sens. Exemples:

« Que deux ou trois soient réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Mt.18, 20)

« (Jésus) assis au milieu des docteurs » (Lc.2, 46)

« Une autre est tombée au milieu des épines » (Lc.8, 7)

« Comme des agneaux au milieu des loups » (Lc.10, 3)

Il apparaît clairement que l'expression « au milieu de », (εν μεσω) ne désigne pas une dimension verticale mais horizontale, sociale parfois, se référant à une certaine spatialité, à une extériorité.

Ce passage de Luc : « le Royaume de Dieu est au-dedans de vous » est une version manifestement ancienne et originale de Jésus que l'on retrouve dans le logions 3 de l'Évangile de Thomas : « mais le Royaume est au-dedans de vous et il est au dehors de vous ». La seconde partie est sans doute un ajouté gnostique. Jésus s'adresse à des pharisiens, supposés être ses ennemis. Or, c'est à eux qu'il déclare : « le Royaume de Dieu est à l'intérieur de vous ». Étant donné le contexte, Jésus indique à ses interlocuteurs soucieux de localiser de manière sensible le royaume de Dieu, qu'il est de nature spirituelle, à l'intérieur de l'être humain. L'intérieur de l'homme, son cœur, son intimité secrète est l'endroit où « règne » Dieu. On sort d’un mythe eschatologique pour s’occuper d’une réalité spirituelle. Le règne de Dieu ne vient pas tout seul, c’est à chacun et à tout ensemble de le construire. Cette intériorisation rend inutiles non seulement le mythe du jugement proche, mais aussi la sacralisation d’un Livre, et tout sacrement qui fait attendre le progrès spirituel d’un geste ou d’une pratique corporelle.

L’amour des autres et le pardon. Dans une partie du judaïsme, l’amour ne pouvait s’adresser qu’au frère de race. Jésus brise cette restriction en déclarant la Loi et les prophètes abolis.

Le détachement.

Jésus n’avait pas la naïveté de croire que l’on doit tout attendre de Dieu sans rien faire. Mais il ne faut pas s’inquiéter, c’est-à-dire se laisser obséder au point d’oublier ce qui est à ses yeux l’essentiel : la vie spirituelle. Au contraire, on peut faire confiance en Dieu, avoir la certitude d’être aimé inconditionnellement, être reconnu comme unique et autonome.

Son attitude à l’égard des institutions religieuses.

Jésus ne partage pas l’idée d’alliance de Dieu avec un peuple. Le livre, les rites détournent de l’essentiel. Jésus ne baptise pas, il condamne le commerce des offrandes et il en montre l’inefficacité dans les processus de réconciliation. Il s’insurge contre la religion sacrificielle en faisant fuir du Temple les bêtes destinées au sacrifice et en renversant les comptoirs des marchands qui versaient une partie de leurs bénéfices aux prêtres sadducéens. Il était inévitable qu’il soit rejeté par l’institution et par les clercs dont il remettait en question les attitudes de pensée, le pouvoir et les revenus.

Pour Jésus, il ne s’agit plus de placer la perfection dans une observation scrupuleuse de toutes les règles cultuelles prescrites par la Bible, auxquelles les Pharisiens en ajoutaient encore d’autres, il s’agit maintenant, pour chacun, d’entrer dans le règne de Dieu par une conversion  effective de son regard et de sa vie. Le règne de Dieu est une réalité intérieure à l’homme, une « graine de sénevé » qui grandit peu à peu jusqu’à prendre toute la place.

Le ministère de Jésus était le résultat de son évolution spirituelle personnelle qui ne pouvait se faire sans un grand effort d’authenticité et de générosité. Sa prédication, fruit de son expérience personnelle, était confortée par l’exemple de sa vie et correspondait à ce qu’attendaient les hommes, parce qu’elle atteignait chez eux un aspect authentique et profond, comme elle le fera plus tard sur ceux qui l’écoutent.

Jésus est conscient de sa mission : proclamer les Béatitudes (des logia la plupart du temps mal traduites, si l’on en croit Eric Edelman), une voie pour trouver le bonheur ici-bas. Il est venu « jeter un feu sur la terre » : ce mot décrit non l’objet de sa mission, mais la manière dont le message se propagera. Il a mis au service de sa recherche du « royaume de Dieu »  tout ce qu’il avait, au fur et à mesure qu’il le fallait. Il en ressentait une paix et une joie profondes comme cette femme qui, après avoir retrouvé sa drachme perdue, éprouve le besoin d’aller le dire à ses voisines. Il l’a dit d’abord autour de lui, probablement dans la synagogue de Nazareth, puis à d’autres, et cela s’est transmis de proche en proche. Puis des hommes se sont mis à son école.

On peut tenir pour certain que Jésus ne s’est pas présenté lui-même comme le Messie-Roi et fils de Dieu dont parlaient plusieurs oracles bibliques, ou comme le Fils de l’Homme décrit par Daniel, qui est monté au ciel et qui en reviendra bientôt pour juger les hommes et installer un Royaume de justes. Rien ne permet de supposer que, lorsque Jésus s’est mis à prêcher, il se soit présenté aux gens comme chargé d’une mission divine. Mais il avait confiance que ce qu’il avait considéré comme une mission, ce feu, cette ferveur qu’il avait allumé dans les foules, continueraient à s’étendre de proche en proche, par l’action d’autres que lui.

L’activité missionnaire de Jésus se caractérise par son succès auprès du peuple et des gens simples. Il ne baptisait pas. Il récusait le miracle, le merveilleux comme signe pour croire. Il a opéré des exorcismes, c’est-à-dire qu’il guérissait des personnes atteintes de troubles neuropsychiques ou de paralysies par une parole pacifiante et déculpabilisante et en les touchant. Dans une moindre mesure, chacun de nous peut expérimenter l’efficacité d’une parole juste, c’est-à-dire ajustée, envers quelqu’un qui est dans la souffrance, dans le désarroi, dans la haine, dans l’hésitation.

Comme l’écrit Pierre Nautin, « cette modestie et cet oubli de soi, cette préférence accordée aux petits, cette estime pour les gens simples chez lesquels il reconnaissait des cœurs plus aptes à saisir les valeurs essentielles de la vie, tout cela le rendait sûrement très attachant ». L’auteur relève aussi chez Jésus le bon sens, l’humour, l’initiative.

On peut ajouter l’importance accordée par Jésus aux femmes, ce qui était à l’époque totalement nouveau, et la recherche du bonheur dans la simplicité du quotidien : la rencontre vraie des gens, l’attrait pour la fraîcheur et la liberté d’esprit des enfants, portes d’accès à une vraie vie spirituelle, la contemplation de la nature. N’oublions pas non plus son amour de la vie. Il ne dédaignait pas la bonne chère et le bon vin, et certains l’appelaient « le glouton et l’ivrogne ».

Instruit par l’exemple de Jean-Baptiste, Jésus ne pouvait pas ignorer que sa critique du caractère aliénant d’une forme de religion légaliste et terrifiante lui attirerait la haine des grands prêtres, que son succès auprès des foules alarmerait les pouvoirs publics, et qu’il serait liquidé par les uns, les autres ou les deux à la fois. Il ne savait pas quand ce serait, ni comment : d’un coup net ou après de terribles souffrances ? Cette pensée ne le quittait probablement pas : « J’ai un baptême à recevoir, et comme je suis anxieux jusqu’à ce qu’il soit célébré ».

L’idée que Jésus est Dieu, - ou plutôt n’est pas Dieu au sens propre, mais tient du Père son être et tout ce qu’il a, monothéisme oblige - s’est développée avec Paul, puis avec les Pères de l’Église. Quant au Saint-Esprit, devenu dans le dogme chrétien une personne à part entière de la Trinité, André Chouraqui le traduit par « le souffle sacré » de l’homme en quête de Dieu, ou souffle sacré de Dieu qui inspire à l’homme de devenir vraiment humain.

Frédéric Amsler, dans L’Évangile inconnu, va dans le même sens que Pierre Nautin : « Les auteurs de Q connaissent les circonstances de la mort tragique de Jésus, mais celle-ci ne fait pas l’objet d’une interprétation théologique. La Bonne Nouvelle ne repose pas sur le binôme croix-résurrection, mais sur l’annonce de l’irruption du royaume de Dieu, par un maître de sagesse prêchant et vivant lui-même l’abandon de toutes les sécurités de l’existence. Le royaume court-circuite notre rationalité, transperce nos mécanismes de défense ». Il est pour ceux qui se sont dépouillés des sécurités matérielles, affectives, philosophiques. La source Q est la charte radicale d’utopistes qui veulent, à la suite de Jésus, prophète dérangeant, changer le monde. Au risque d'agresser pharisiens et légistes de Jérusalem.

Aide-mémoire, sans doute, pour les prédicateurs-évangélisateurs de Galilée, le document ne survivra pas dans son état brut, en raison sans doute de l’échec missionnaire de ses promoteurs.(…) Reste l’essentiel pour Amsler : la source Q prouverait que la théologie de la mort et de la résurrection de Jésus n’a pas été la pensée unique des premières générations chrétiennes, comme l’œuvre de Paul le laisse entendre. Dans la source Q, l’homme Jésus prêche un mode de vie plutôt qu’une doctrine. Rien d’étonnant, selon lui, puisque « le Jésus des évangiles ne demande pas que nous croyions en lui, mais que nous mettions en pratique ses paroles ».

Ma conviction est que les premiers chrétiens, et peut-être même les disciples, ont déifié Jésus dont la parole et le témoignage avaient tellement marqué ses contemporains.  Ils ont peut-être pensé qu’un tel message ne pouvait être répandu à travers le monde que s’il était habillé (affublé…) des mythes, de la poésie, des symboles, de la magie des religions dominantes de l’époque. Plus probablement, la nouveauté et le caractère libérateur de ce message étaient tels que les premiers chrétiens, pour en parler, n’ont pu utiliser que le langage du mythe et du symbole.

L'apôtre Paul, qui n’a pas connu Jésus, et qui était imprégné des mythologies des religions « païennes » du bassin  méditerranéen, a joué un rôle déterminant pour réinterpréter les récits qu’il a entendus. Beaucoup de théologiens le considèrent, à juste titre, comme le fondateur du christianisme.

Dès lors, quantité d’actes et de paroles de Jésus ont été retraités à la mode magique et symbolique pour construire des midrashim en relation aux prophéties et personnages mythiques de l'Ancien Testament, et transformés en « miracles » : ainsi, Jésus change l’eau en vin (il transforme une religion culpabilisante, moralisatrice, dogmatique et ritualiste en relation libre et profonde avec un Dieu d’amour). Il réanime les morts, Lazare, la fille de la veuve de Naïm (il redonne goût de vivre à des personnes atteintes de fatalisme, de désespoir, de mort spirituelle). Il multiplie les pains et les poissons (il annonce une nourriture spirituelle et appelle au partage : les gens avaient bien sûr amené à manger puisqu’ils avaient des corbeilles…). Il calme la tempête (il calme l’angoisse existentielle de l’homme en révélant un Dieu de pardon et de tendresse : le phénomène de tempêtes très violentes et très courtes est bien connu sur le lac de Tibériade). Le troupeau de porcs se précipite dans la mer (les pulsions profondes de l’homme peuvent être vaincues, canalisées au service du bien), etc.

Toujours  dans le mode symbolique, le rideau du Temple se déchire en deux après la mort de Jésus (Dieu n’est pas un juge tout-puissant, il n’y a  plus de séparation entre Dieu et l’homme). Jésus apparaît à ses disciples en traversant les murs et les portes (malgré sa mort, il reste proche de nous). Il marche sur l’eau (il est plus fort que les forces de la peur et du mal, il est la vraie sécurité). Une langue de feu brûle sur la tête des disciples à la Pentecôte ils ne sont plus désespérés et abattus, ils ont… La flamme,  ils vont témoigner du message auquel ils croient, etc.

Qui a dit que l'histoire de Jésus était écrite, une fois pour toutes, aux siècles des siècles ? Certainement pas l'archéologie et les théologiens qui se sont penchés sur une stupéfiante découverte faite il y a un peu plus de soixante-dix ans à Nag Hammadi, en Haute Égypte par des paysans qui ont déterré par hasard une jarre dont le contenu plongea les chrétiens dans une certaine perplexité. Parmis les 1200 pages de textes très anciens qui y ont été enfermés, il figurait une copie en langue copte de l'Évangile perdu de Thomas. Ce texte (faisant référence au disciple sceptique) était utilisé au IV siècle de notre ère par des communautés en marge de l'Église officielle, les gnostiques. Si l'existence de cet Évangile apocryphe était connue des théologiens, on en avait complètement perdu la trace depuis le IV siècle. La découverte de cet Évangile comporte un enjeu théologique et historique énorme. Comme la chrétienté se fonde largement sur l'enseignement de Jésus, la découverte de 114 paroles de Jésus sous forme « d'interview » dont on aurait perdu les questions, a bouleversé la face du christianisme, d'autant que la majorité d'entre elles paraissent absolument authentiques. Il n’en fallait pas plus pour ouvrir de multiples interrogations qui agitent toujours les milieux scientifiques : que faut-il penser de ces « révélations », qui, de surcroît, s'appelaient vraiment «Paroles cachées de Jésus écrites par Thomas » ? Nous aurait-on caché certains enseignements de Jésus ? Et pourquoi ?

Mais ici ce qui est caché, c'est le sens profond, c'est une invitation à l'interprétation des paroles de Jésus qui recèlent, au-delà du sens manifeste, un sens mystérieux.  Mais ces paroles pas toujours authentiques, reflète la conviction d'une communauté chrétienne, sans doute proche des gnostiques, qui  vénérait Thomas. Des scènes sont de pures fictions, inventées par cette communauté qui, comme c'était l'usage, les ont mise dans la bouche de Jésus ; C'est un phénomène typique des premiers siècles chrétiens. Les communautés chrétiennes se réclamant d'un apôtre produisaient un évangile sur mesure qui fondait leur croyance. Certains chercheurs affirment que cet évangile serait antérieur aux quatre évangiles canoniques et leur avait servi de source.

Il est vrai que de l'avis général des scientifiques, l'Évangile de Thomas se rattache à des traditions fort anciennes, et que certaines paroles ont de bonnes chances, d'avoir été prononcées par Jésus. Mais la démonstration de l'antériorité de l'Évangile de Thomas sur ceux les quatre canoniques, n'a jamais pu être faite.

L'Évangile de Thomas a été d'une grande utilité pour les sciences bibliques. Il a donné crédit à une hypothèse échafaudée par les exégèses afin de rendre compte des nombreuses similitudes, ceci bien qu'ils aient été rédigés à des époques et en des lieux différents. Les savants postulaient l'existence d'une source commune la source Q, sous la forme d'un recueil de paroles de Jésus circulant à l'époque de la rédaction des évangiles de Matthieu et de Luc et ayant servi de référence; Avec l'Évangile de Thomas, l'hypothèse est devenue quasi-certitude. Cette «source Q » irrigue les évangiles de Matthieu, Luc et Thomas, ainsi que d'autres textes anciens.

Le grand désir des historiens théologiens est de remonter aux sources. Les exégèses  affirment que l'enseignement de Jésus a été dénaturé ; ils veulent admettent même, que l'historicité des évangiles est problématique en raison des options théologiques des quatre évangélistes. Ils ont un besoin absolu que ces textes présentent quelque chose d'indiscutable, c'est celle de l'existence de Jésus mais aujourd'hui la majeure partie des scientifiques reconnaissent l'existence historique de Jésus, mais son enseignement ? Celui-ci aurait-il fait l'objet d'interprétations dans les communautés apostoliques elles-mêmes ?  Le message évangélique a absolument besoin d'un noyau dur qui ne peut être fourni que par l'histoire, selon l'historiographie chrétienne.

Depuis l'antiquité jusqu'au XIXème siècle, l'histoire de l'Église avait considéré que le premier des évangélistes étaient Matthieu. Un premier doute s'élève à ce sujet en 1801 avec Herbert Marsh qui fait l'hypothèse d'une source perdue à laquelle il donne le nom de beth (deuxième lettre de l'alphabet hébreu), hypothèse reprise par Schleiermacher en 1832, puis en 1838 par Christian Hermann Weisse qui émet l'idée que le premier évangile serait celui de Marc, donnant naissance à la théorie dite des deux sources. Luc et Matthieu auraient recopié des passages de Marc et auraient puisé dans un second document des passages qui leur sont communs et ne se trouvent pas dans Luc, tandis qu'enfin chacun des deux aurait produit quelques surplus qui leur seraient particuliers.

On observera déjà que cette théorie ne prend en compte ni l'Évangile johannique, ni l'Évangile selon Thomas (qui ne sera connu qu'après 1945), ni aucun autre évangile apocryphe. C'est donc, non pas la formation des évangiles, mais uniquement le problème synoptique avec le constant que les convergences sont aussi nombreuses que les divergences, qui cherchent sa solution dans une longue et intense succession de travaux de recherche où jamais aucun accord n'a pu se réaliser.

Cependant, pour en arriver immédiatement à l'époque actuelle, en 2001, intitulée L'Évangile inconnu sous la direction de Frédéric Amssler paraît une traduction  d'une reconstitution de la Source Q, faite par des scholars du Jésus Seminar. Quelques années plus tard, vient au jour  un nouveau document sous la direction d'Andreas Dettwiller et Daniel Marguerat : d'après les éditeurs, ce document sur la source des paroles de Jésus, aujourd'hui perdue mais recomposée "nous restitue la théologie de Jésus à un stade archaïque. Il nous fait accéder à une époque où le christianisme n'est encore qu'une variété du judaïsme ".

On sait que cet évangile « source Q » qui serait un évangile perdu, ayant servi à l'élaboration du selon Matthieu et du selon Luc, peut être reconstitué avec une vraisemblance réelle à partir des paroles communes à Matthieu et Luc, absentes de Marc. On admet aussi que c'était un document écrit, le premier des évangiles. Sa reconstitution a été rendue possible grâce au travail d'une équipe de chercheurs internationale qui a travaillé pendant une vingtaine d'années.

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