Créer un site internet

Les noms divins dans la Bible.

Progression des noms divins dans la Bible.

Dieu est-il représentable ? Peut-on représenter l’Irreprésentable par excellence ? Si oui, par quoi ? – Dans cette question, il faut convoquer tous les sens de la représentation : signe, symbole, concept. La question se réfracte alors dans plusieurs directions et devient : – peut-on nommer Dieu (le représenter par un son vocal) ? – peut-on l’atteindre par des images (le représenter par un ordre symbolique, par des espèces sensibles, un langage métaphorique) ? – peut-on l’appréhender dans un concept ? Jésus avait répondu au problème dans une filiation en le nommant « mon Père » et demandait d'en faire de même : « Notre Père ».

La théologie des noms divins s’est développée dans le néoplatonisme. Les noms divins sont un langage symbolique, qui imite la nature divine et fonde toute mystique : expressions de l’invisible en des formes visibles, médiations dans le retour de l’âme vers son principe, au-delà de l’intellect, ils reconduisent l’intellect qui les pense vers une ressemblance unitive. Le lecteur attentif  constate que l’Ancien Testament donne à la divinité hébraïque une multitude de noms, selon ses attributs, et on se demande en quel sens cette nomination est légitime. La Bible est-elle tout entière métaphorique et impropre à le désigner ? Nommer la divinité nous rapproche-t-elle d'elle ou (de lui) ? Dans ce cas, chaque nom donné a-t-il une valeur propre, ou bien ceux-ci se confondent-ils tous dans une unité absolue …

Le mot « dieu », employé dans les bibles françaises, vient du latin deus. Mais à travers les Ecritures, la personne divine " La divinité " (Colossiens 2:9) n'est pas désignée sous un seul nom ; un grand nombre de noms et de titres lui sont donnés dans les écritures. Les noms hébreux décrivaient toute la personne - son caractère, sa nature, ses œuvres. - C'est ainsi qu'Abraham qui signifie « Père d'une multitude » : lsmäel « Dieu entend ». La divinité est désignée dans les écritures sous plusieurs noms. Ces noms décrivent la nature et les œuvres qu'on lui attribuait. Celui que l'on rencontre le plus souvent dans l'Ancien Testament est " YHWH ". On ne sait avec certitude comment celui-ci se prononce.

Ce nom vient probablement du verbe être et signifiait « Je suis celui qui suis », ou encore « Je suis celui qui est ». (Ex. 3:14).

Ce nom évoque donc sont éternelle existence.

Le Tétragramme (YHWH).

Le nom le plus important de la divinité du judaïsme est le Tétragramme (YHWH), le nom divin à quatre lettres, Youd-Heh-Waw-Heh, יהוה (l'hébreu se lisant de droite à gauche). Ce nom apparaît dans le second chapitre de Genèse et est habituellement rendu par אֲדֹנָי Adonaï « mon Maître ». Le judaïsme interdisant de prononcer ce nom en dehors de l'enceinte du Temple, l'hébreu n'utilisant pas de voyelles la prononciation correcte du nom fut perdue. Si certains biblistes pensent qu'il se prononçait Yahweh, l'hébraïste Joel M. Hoffman suggère qu'il n'eut jamais de prononciation. En effet, certains textes antiques, notamment les Manuscrits de Qumran, portent le Tétragramme en caractères paléo-hébraïques, contrastant avec le reste du texte, écrit en caractères carrés, et on pense que, même à cette période, on le lisait Adonaï, « mon Maître » ou « mon Seigneur ».

Il s'agit du cas le plus connu de qeri-ketiv (« lu-écrit », différence flagrante entre l'écrit et la prononciation), YHWH se lisant Adonaï. Le plus souvent, les religieux disent הַשֵּׁם (haShem) ce qui veut dire en français « le Nom » pour éviter de prononcer ce qui selon le judaïsme est interdit : « le nom divin ».

YHWH contenant les lettres de WeHaYaH, HoWeH, YHYeH (le Waw et le Yod étant interchangeables) : Il fut, Il est, Il sera. En un mot, l'Éternel.

Selon une autre tradition, YHWH serait la troisième personne du singulier de la forme imparfaite du verbe être — YHWH signifierait donc « le divin est », « le divin sera », ou peut-être « le divin est », au sens de vit. Cette tradition s'accorde avec le fait que, dans le verset Ex 3,14, Dieu parle, se référant à lui-même à la première personne - « Je Suis ». Le Tétragramme signifierait alors « Lui qui Est par Lui-même », ou simplement « Lui qui Est », le principe d'existence étant étranger à la pensée juive classique. YHWH serait donc l'expression de la conception hébraïque du monothéisme : Le Divin Est par Lui-même, Créateur incréé dont l'Existence (ou l'Essence) ne dépend de rien ni de personne, et sa réponse à Moïse, « Je suis Celui que Je suis » ou encore « Je serai Celui qui sera » (Ehye asher Ehye) serait la définition du Divin par Lui-même.

Une hypothèse, savante mais non traditionnelle, est rapportée par Martin Buber dans son Moïse : YHWH serait une emphase de la troisième personne du singulier, Hou en hébreu -- "Ô Lui", Ya Hou, le Wah (Ya HouWah) étant une emphase de majesté.

L'idée de vie a été liée au Tétragramme depuis le Haut Moyen Âge. La divinité est présentée comme le « Divin Vivant », ce qui ne signifie pas « qu'Il vit comme nous », mais qu'Il Est non-mort, par opposition aux divinités païennes, sans vie et inanimées.

Le Divin, sous Son Nom en quatre lettres, est présenté dans la Bible elle-même comme la source et l'auteur de la vie.

Recomposé en français comme Yahweh (plus rarement Yawho ou Yawha), parfois inconsidérément Jéhovah, (qui ne veut rien dire) puisque la translittération en « Jéhovah » datant du XIIIe siècle est due à  Raimond Martin, dans son ouvrage Pugio Fidei, « certains chrétiens qui lisaient la Bible dans sa version originale ont lu YHWH en lui appliquant la vocalisation du terme Adonaï, c’est-à-dire en intercalant ses trois voyelles « ĕ », « ō » et « ā », et obtenu ainsi le nom Jéhovah » qui ne figure nulle part dans les versions grecques ou hébraïques de l'Ancien Testament. Le Tétragramme est vraisemblablement à l'origine du Yao des gnostiques et, peut-être, du dieu Yaw mentionné dans les sources ugaritiques. En effet, si on suppose que les lettres Heh (H) du Tétragramme servent d'augmentation sacrée au Nom, comme le Heh d'Abram devenant AbraHam et de Saraï devenant SaraH, l'association devient évidente. Et, bien que le Heh final de YHWH ait sûrement été muet en hébreu classique, le Heh entre le Yod et le Waw était, lui, presque certainement prononcé.

Verbaliser le Tétragramme

L'interdiction de blasphémer, c'est-à-dire de prononcer le nom Divin en vain, crime passible de la peine capitale dans la loi juive, ne se rapporte qu'au Tétragramme (traité Soferim iv.; cf. Sanh. 66a).

Tous les courants actuels du judaïsme enseignent que le Tétragramme, nom de la Divinité en quatre lettres, ne peut être prononcé que par le Grand Prêtre dans le Temple. Selon une tradition, celui-ci ne le prononçait généralement qu'à Yom Kippour, et l'orchestre liturgique jouait plus fort à ce moment, de sorte que le Grand Prêtre ne soit pas entendu.

Le Temple de Jérusalem ayant été détruit, ce nom n'est jamais prononcé par les Juifs lors de rituels religieux, ni lors de conversations privées. Certains Juifs réformés le prononcent parfois, à titre éducatif uniquement, et avec grand respect.

Dans la prière, et les Lectures, nous l'avons dit, le Tétragramme est remplacé par «אֲדֹנָי» Adonaï, (Mon Seigneur) et dans la conversation courante par Hashem (le Nom).

Certains passages bibliques, comme Rt 2,4, tendent tout de même à indiquer que, fut un temps où ce nom était d'usage courant. De même, le fait que beaucoup de noms hébraïques comportent une partie des lettres du Tétragramme, mais pas toutes, sauf «יְהוּדָה» Yehoudah (YHWDH), qui suggère que les gens connaissaient la verbalisation du Tétragramme, afin de pouvoir établir la connexion avec ces noms.

Dans certaines traductions de la Bible, le Tétragramme est remplacé par « le SEIGNEUR ».

Dans la Bible le Tétagramme n'était pas connu des patriarches hébreux, mais il le fut plus tard car il apparaît dans les textes dans le récit de l'exode d'Égypte (Exode 6:4-8). Il est essentiellement employé dans l'Ancien Testament pour parler des rapports entre la Divinité et Israël. (cf. Deutéronome 522-3).

On retrouve nous l'avons dit le Tétragramme associé à un verbe ou un adjectif pour former d'autres noms divins :

YHWH-Jiré : Signifie « le Divin pourvoira » (Genèse 22 :14). C’est le nom utilisé par Abraham lorsque YHWH (le Divin) pourvut un bélier à la place de son fils pour être sacrifié.

YHWH-Rapha : Signifie « l'Éternel guérit » (Exode 15 :26).

YHWH-Nissi : Signifie « l'Éternel ma bannière » (Exode 17 :15), Ce nom commémore la victoire dans le désert contre les Amalécites dans Exode 17.

YHWH-M’Kaddesh : Signifie « l'Éternel qui te sanctifie, qui rend saint » (Lévitique 20 :8 ).

YHWH-Shalom : Signifie « l l'Éternel notre paix » (Juges 6 :24). Ce nom fut donné par Gédéon à l’autel qu’il a construit après que l’Ange de l’Éternel lui ait assuré qu’il ne mourrait pas après l’avoir vu, contrairement à ce qu’il le pensait.

YHWH-Tsidkenu : Signifie « l'Éternel notre justice » (Jérémie 33 :16). Comme avec YHWH-M’Kaddesh, c’est l'Éternel seul qui pourvoit la justice à l’homme.

YHWH-Rohi : Signifie « l'Éternel notre berger » (Psaume 23 :1). (Psaume 23:1) : exemple : «YHWH Rohi est mon berger. Je ne manquerai de rien ».

YHWH-Shamma : Signifie « l'Éternel est ici » (Ezéchiel 48 :35). C’est le nom donné à Jérusalem et à son temple, indiquant que la gloire de YHWH, qui l’avait quitté dans le passé était revenue (Ezéchiel 44 :1-4).

YHWH-Sabaoth : Signifie « l'Éternel des armées » (Esaïe 1 :24). Ce nom exprime la majesté, la puissance et l’autorité de YHWH et montre qu’il est capable d’accomplir ce qu’Il a promis de faire.

Un autre nom courant que l'on rencontre est celui d'Elohim.

2. Elohim אֱלוֹהִים Est le nom l'hébreu biblique de divinité et le titre de dieu Israël dans l'ancien Testament. Le terme est l'objet du litige relatif à l'interprétation et sur sa cohérence grammatical Il est considéré par de nombreux auteurs, un terme pluriel.

Le mot hébreu qui nomme l’entité première de la Bible est composé de cinq lettres : aleph, lamed, hé, yod, mem. Après interversion du sens de lecture et transcription en caractères latins, cela donne :

Elohim Ce nom, de divinité, est plus ancien que celui du Tétragramme. Il vient d'une racine sémitique qui, en hébreu est rendue par אֵל " ilu " ou " El " et qui signifie « force » ou « puissance » en sous-entendue divine. Exode 6:3 montre l'antériorité de Elohim (et " EL ") sur le Tétragramme : « Je suis YHWH, (l'Éternel) je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme EL, mais je n'ai pas été connu d'eux sous mon nom  YHWH (de l'Éternel) »

La particularité du nom Elohim c'est qu'il s'agit d'un pluriel, on parlerait donc des forces ou des puissances divines : Genèse 1:1.

Cependant on constate que même si à l'origine élohim est un pluriel, ce nom est employé avec des verbes ou des adjectifs qui eux sont au singulier.

Genèse 1 - 1 Elohim (pluriel) créa (singulier) Genèse 50 : 2-4 Elohim (pluriel) vous visitera (singulier) Deutéronome 32:39 « Sachez donc que c'est moi (singulier) qui suis Elohim (pluriel) et qu'il n'y a point d'autre Elohim près de moi. » Le nom Elohim, tel qu'il est employé à travers les Écritures atteste ainsi un pluriel et un nom à partir de la racine " EL " d'autres noms sont employés pour décrire la divinité dans Bible.

El (אֵל) est un terme sémitique ancien, construit sur la racine ʾ-L, et se retrouvant dans l’ilū akkadien, l’El ou Il ougaritique et l’ʾIlāh arabe ; il dénote la puissance (cf. Genèse 31:29 :

יֶשׁ-לְאֵל יָדִי, (yesh lè-el yadi) « Il est au pouvoir de ma main de vous faire du mal » et, par extension, la divinité. Contrairement aux textes ougaritiques où El (אֵל) est le nom du dieu suprême de leur panthéon, la Bible emploie le plus souvent el comme nom commun pour « un dieu », tant le dieu (Psaumes 18:31, 33 & 48 ; 57:3) qu’« un dieu étrange » (Psaumes 44:21; 81:10) ou « étranger » (Deutéronome 32:12, Malachie 2:11) voire « les dieux » (Exode 15:11). Lorsqu’El est employé seul, il s’agit donc le plus souvent d’un terme générique pour mettre par exemple le divin et l’humain en contraste (Nombres 23:19; Isaïe 31:3; Ézéchiel 28:9; Osée 11:9; Job 25:4) ; il ne désigne que rarement, et le plus souvent dans les livres et passages poétiques, le Dieu d’Israël (Genèse 33:20 « El, l’Elohim d’Israël » & Psaumes 146:5). En revanche, à l’état construit, c’est-à-dire modifié par une épithète ou combiné à un autre titre, il est préféré à Elohim et il en est de même lorsqu’il apparaît comme élément de noms théophores (Elihou, Eliyahou, Elkana et Ishmaël, Israël, Samuel, Emmanuel).

par exemple :

El - Shaddai «Dieu Tout-Puissant». On trouve le mot Shaddai 48 fois dans l'Ancien Testament et traduit : « Tout- Puissant » Les traducteurs hébreux des LXX ont, à plusieurs reprises, traduit « Shaddai » par le grec ikanos  (qui se suffit à lui-même) : « Qu'El Shaddai te rende fécond et te multiplie afin que tu deviennes une multitude de peuples » (Genèse 28:3) Voyez aussi Genèse 48:3-4, 49:25).

EL - Elijon « Dieu Très-Haut » (Genèse 14:18). (Deutéronome 32:8) (Genèse 14:18). El. Adonaï, Comme Elohim, Adonaï est un nom pluriel et il signifie Maîtres, Seigneurs. On trouve ce nom environ 300 fois dans l’Ancien Testament, appliqué à la divinité. Les traducteurs ont rendu dans la septante l'hébreu « Adonaï » par le grec " Kurios. (cf. Esaie 54.5, Josué 3:3, Psa. 97:5).

El-Elohé : Signifie « Dieu prééminent » (Esaïe 9 :6). El semble signifier « pouvoir, puissance », comme dans le verset « ma main est assez forte pour vous faire du mal » (Genèse 31 :29).

EL- Roï : Signifie « Dieu me voit» (Genèse 16 :13). Ce nom fut donné à la divinité par Agar, seule et désespérée dans le désert, après avoir été chassée par Sarah (Genèse 16 :1-14).

El-Olam : Signifie « Dieu de l’Eternité » (Psaume 90 :1-3).

El-Gibhor :  Signifie « Dieu puissant » (Esaïe 9:5).

Vers le monothéiste proto-judaïque

Contrairement à ce qu'il est donné à croire, la croyance en une divinité unique au sein du peuple hébreu est tardive. Au IIIe millénaire avant notre ère, dans le pays de Canaan en gros l'actuel territoire d'Israël, lue la Palestine, et du Liban, le Tétragramme YHWH est tout à fait inconnu, car les populations encore polythéistes, vénéraient plusieurs divinités comme Baal, « le dieu de l'orage » ou « la puissance de l'orage » représenté par un taureau cher aux peuples d'origine sémitique ou phénicienne (cf. le livre d'Osée qui décrit le culte de Baal).

Vers le IIe millénaire et selon la tradition, on entrevoit dans la Genèse et en particulier dans l'histoire des patriarches dont celle de Jacob יעקב, Ya`aqob, « celui qui prend par le talon » ou « qui supplante » (versets 12 à 50), la vénération de la divinité El sous différentes formes, cette divinité est un allier de Jacob et de ses serviteurs, au point que ce El lui demande de changer son nom en יִשְׂרָאֵל « Israël » (Genèse 12-50) nom dans lequel on retrouve le nom de la divinité El et qui signifie : « celui qui a lutté avec El ». Jacob lui érige également un autel sacré près de Sichem (Genèse 33:20).

L'étude des textes nous montre que dans le chapitre 14 de la Genèse où celui qui s'appelle encore Abram « le Père exalté » qui se lance dans une bataille contre des roitelets du pays, est un ajout tardif. En effet Abram prête serment à cette nouvelle divinité en disant :

הֲרִמֹתִי יָדִי אֶל-יְהוָה אֵל עֶלְיוֹן, קֹנֵה שָׁמַיִם וָאָרֶץ. 

"je lève ma main vers El-[YHWH], El Elyon, créateur des cieux et de la terre" (Genèse 14:22).

Ce verset est plus tardif dans la narration puisque l'on trouve le nom de la divinité El associé au Tétragramme.

Notons que le Tétragramme יְהוָה YHWH n'apparaît dans aucun texte (ni dans la Septante ni dans les textes syriaques ou les manuscrits de Qumrân) mais le bibliste Thomas Römer « L'Invention de Dieu» (2014) du Collège de France suppose que pour conserver la cohérence du texte, un copiste l'aurait mentionné pour marquer l'identité de YHWH avec El Elyon. Les bibles contemporaines ont remplacé ces noms propres par celui de leur doctrine ( Le Seigneur le Dieu Très-Haut dans la Biblle catholique et l'Éternel le Dieu Très-Haut dans la Bible protestante de Segond). « le SEIGNEUR, Dieu Très-Haut » pour la Tob.

Mais on ignore totalement si à l'origine, El et Elyon sont une seule et même divinité ou deux divinités distinctes car dans un texte araméen d'une stèle découverte à Sfiré, (Nord Liban) se trouve un texte en Araméen, recto-verso, datée du VIII s. environ avant notre ère. La stèle de basalte de 1,30 cm comptait environ 120 lignes, dont 105 exploitables. Elle a été conservée au Musée de Damas.

Il s'agit de pactes que le roi de KTK a imposé au roi de Arpad. (KTK correspond probablement à Kitakki de Uriangi, une petite dynastie sud lac Ourmia, près des frontières Turquie - Irak - Iran) (Arpad serait localisé en Syrie, au nord d'Alep).

Le texte de la stèle énumère les Dieux témoins du Pacte : une vingtaine de dieux principaux. Parmi eux sont nommés El et Elyôn. Dupont-Sommer, orientaliste renommé, précise qu'il s'agit bien de divinités distinctes de l'époque : « deux divinités suprêmes du panthéon ouest-sémitique  » (1) (p. 230)

Je laisse de côté les considérations relatives aux pactes eux-mêmes. Le texte est composé de plusieurs parties. Il liste toutes les parties prenantes, qui s'étendent même à toute personne qui entrerait dans le palais royal. Vient ensuite la liste de tous les dieux témoins des Pactes. Suit une longue liste de toutes les malédictions contre le roi d'Arpad si celui-ci venait à trahir les Pactes. Enfin sont énumérées d'autres malédictions accompagnant les rites.

Le chiffre 7 est souvent utilisé dans nombre de malédictions énoncées. (… Et que, sept ans, dévorent les sauterelles ! Et que, sept ans , dévorent les vers ! ...)

Extrait de la traduction du texte de la Stèle proposé par André Dupont-Sommer, pour la seule partie « Les dieux Témoins » des Pactes (les parties endommagées de la stèle sont mentionnées par des pointillés) :

« Et cette stèle, avec cette inscription-ci , il l'a posée , ainsi que ces pactes-ci.

Et ces pactes-ci ce sont ceux qu'a conclus Bar-ga'ayah : devant ..... et MLS, et devant Marduk et Zarpanit, et devant Nebo et Tasmet, et devant Irra et Nusku, et devant Nergal et Las , et devant Samas et Ner, et devant ..........., et devant Nakar et Kadiah, et devant tous les dieux de Rahbah et d'Adam et de ..... , et devant Hadad d'Alep, et devant Sïbitti, et devant El et Elyôn, et devant le Ciel et la Terre , et devant l'Abîme et les Sources, et devant le Jour et la Nuit, qui sont témoins.

Ô vous, tous les dieux de KTK et dieux d'Arpad , ouvrez vos yeux pour voir les pactes de Bar-ga'ayah avec Matiel, roi d'Arpad. »

Mais certains biblistes ont souligné l'utilisation de la conjonction (ו) "waw" mais que l'on retrouve  que sur la face A de la stèle, la phrase selon eux pourrait se traduire alors par : « devant El, c'est-à-dire Elyon».

Cependant, la même formule est utilisée à plusieurs reprises, sur l'extrait ci-dessus de la même face de la stèle, pour désigner un dieu et sa parèdre, ou deux dieux distincts.

Dans la Bible hébraïque, les auteurs insistent sur l'identité entre YHWH et les autres divinités, notamment certains psaumes : comme (Psaume 97:9)

כִּי-אַתָּה יְהוָה עֶלְיוֹן עַל-כָּל-הָאָרֶץ

מְאֹד נַעֲלֵיתָ, עַל-כָּל-אֱלֹהִים

"Car toi, YHWH, tu es Elyon sur toute la terre, tu es souverainement élevé au-dessus de tous les élohïm" ( Les bibles chrétiennes ont remplacé ces noms propres par Dieu et le Très-Haut dans la bible catholique et l'Éternel et le Très-Haut dans la bible protestante de Segond. « Car toi, Éternel, tu es le souverain de toute la terre, infiniment élevé au-dessus de tous les dieux. » Dans d'autres textes bibliques, on fait toujours la distinction entre les paroles d'El et les conseils d'Elyon (Psaume 107:11), y compris dans le livre des Nombres 24:16 :

נְאֻם שֹׁמֵעַ אִמְרֵי-אֵל, וְיֹדֵעַ, דַּעַת עֶלְיוֹן מַחֲזֵה שַׁדַּי יֶחֱזֶה, נֹפֵל וּגְלוּי עֵינָיִם

Traduction littérale d'André Chouraqui :  « harangue de l’entendeur des dires d’Él, Le connaisseur de la connaissance du Suprême. Il contemple en contemplation de Shadaï. Tombant, il découvre de ses yeux. » (Nombres 24:16).

La tradition chrétienne en traduisant ce texte a traduit El par Dieu, Elyon (suprême) par le Très-Haut, et Shadday par Tout-Puissant et on obtient : « Parole de celui qui entend les paroles de Dieu, de celui qui connaît les desseins du Très Haut, de celui qui voit la vision du Tout Puissant, de celui qui se prosterne et dont les yeux s'ouvrent » (LOUIS SEGOND 1910).

La Genèse cite également d'autres références au dieu El associé au Tétragramme. Il y a אל ראי El Roï ("El me voit") qui se manifeste à Hagar, la servante de Sarah (Genèse 16) et lui demande d'appeler son fils ישׁמעאל Ismaël signifiant "Dieu écoute" pour bien signifier que El est identique Tétragramme. De même, Abraham associe אל עוֹלָם El Olam signifiant "Dieu d'éternité" à YHWH : "il planta un tamaris à Beer-Sheva et il appela là le nom de YHWH אל עוֹלָם El Olam" (Genèse 21). Même chose pour אל שדי El Shadday cité dans la Genèse comme épithète du Tétragramme utilisé à l'époque perse par des auteurs sacerdotaux ou encore אל בְּרִית El-Berith (signifiant "El du Contrat") cité dans les Juges 9:46 mais qui est nommé originellement בָּעַל Baal dans la version qui servit de base au texte grec (cf. Juges 8:33 et 9:4).

Bref, pour les Hébreux, l'acronyme divin אל "El" n'était pas encore synonyme d'Adonaï ou du Tétragramme. Et quand bien même certains Hébreux y pensaient, le dieu de la tribu d'Israël comprenait le dieu guerrier YHWH mais également d'autres dieux d'origines assyriennes. YHWH n'était donc pas encore le seul Dieu à régner au ciel et sur la terre. Nous sommes encore à des siècles au sens propre du culte judaïque. De plus, ce dieu des Hébreux n'avait pas son sanctuaire dans le temple de Jérusalem, un concept très tardif, mais dans les régions du sud, au pays de Madian.

L'origine du Tétragramme.

« Au commencement, ĕlōhîm créa le ciel et la terre. »

C’est ainsi que s’ouvre le récit de la Genèse, le premier livre de la Bible. Le texte indique que dès l’origine, ĕlōhîm est seul et omnipotent. Il n’est même pas la peine de lui donner un nom propre : c’est Dieu la Divinité. Pourtant, ‘ĕlōhîm, le mot hébreu qui est utilisé dans ce verset pour nommer Dieu, est particulier. Il peut être compris comme un terme générique pour qualifier un dieu en général. Mais sa caractéristique première est d’être un mot à la fois singulier et pluriel (seul le contexte peut le déterminer) ! On retrouve sans doute, avec l’utilisation de ce mot, l’idée d’un syncrétisme, d’une fusion de plusieurs divinités en une seule. En effet, au début de l’âge du Fer, au IIe millénaire avant notre ère, lorsque les Hébreux apparaissent sur la scène de l’orient méditerranéen, ils sont polythéistes, comme tous leurs voisins… D’ailleurs, la Tanakh, la Bible hébraïque, qui correspond pour les chrétiens à l’Ancien Testament, garde de très nombreuses traces de ce polythéisme. Par exemple, (et nous venons de le voir) plusieurs théonymes, c’est-à-dire des qualificatifs attribués à une divinité, émaillent le texte : El ‘Elyôn (le « dieu très haut » ; Nb 24,16), El Shaddaï (le « dieu de la montagne » ; Gn 17,1), El Béthel (le « dieu qui est apparu » ; Gn 31,13) ou encore Baal Berît (Jg 8,33). À l’exception de ce dernier, ces noms sont tous rattachés à la divinité qui sera liée plus tard au Tétragramme YHWH le Dieu unique. Mais il s’agit probablement au départ de plusieurs divinités distinctes du panthéon hébraïque confondues lors de la rédaction des textes bibliques – assez tard dans l’histoire des Hébreux – en une seule  Divinité, YHWH.

Par ailleurs, plusieurs textes de la Tanakh présentent Dieu comme faisant partie d’une assemblée de dieux. Citons par exemple le premier verset du psaume 82 :

« Elōhîm [Dieu] s’est dressé dans l’assemblée divine, Au milieu des dieux élōhîm, il juge. »

Ou encore les versets 6 à 8 du psaume 89 :

וְיוֹדוּ שָׁמַיִם פִּלְאֲךָ יְהוָה אַף-אֱמוּנָתְךָ בִּקְהַל קְדֹשִׁים.

כִּי מִי בַשַּׁחַק יַעֲרֹךְ לַיהוָה יִדְמֶה לַיהוָה בִּבְנֵי אֵלִים.

אֵל נַעֲרָץ בְּסוֹד-קְדֹשִׁים רַבָּה וְנוֹרָא עַל-כָּל-סְבִיבָיו.

« Et les cieux célèbrent tes merveilles, ô Seigneur, [יְהוָה] (YHWH) l’assemblée des saints ta fidélité. ! Car qui, au-dessus des, nuages, rivalise avec l’ternel, [לַיהוָה ](l'YHWH) égale le Seigneur [לַיהוָה] (YHWH) parmi les fils des dieux [אֵלִים] (élōhîm) ? Dieu [אֵל] (El) est infiniment révéré dans la réunion des saints, redoutable à tout ce qui l’entoure. »

Il ne s’agira pas de décrire ici comment les Hébreux sont devenus monothéistes, que ce soit à l’époque de Moïse, comme le dit la Bible, ou sans doute bien plus tard, au VIIe siècle avant notre ère. Notre enquête va s’intéresser aux origines de ce dieu qui s’impose finalement à tous les autres, et qui paraît être étranger aux Hébreux ! Son nom n’apparaît en effet jamais dans les sources hébraïques du IIe millénaire avant notre ère.

La signification du Tétragramme

Le nom hébreu de cette Divinité est étrange. Il est composé de quatre lettres, : יהוה (yod-heh-vav-heh). Il ne s’agit que de consonnes, puisque l’alphabet hébreu, comme l’alphabet arabe, ne possède pas de voyelles. Ce nom est d’autant plus mystérieux que, dès le IIIe siècle avant notre ère, il n’est plus prononcé lors de la lecture de la Torah ! En effet, dans une religion monothéiste, il ne convenait pas que la Divinité possède un nom propre, qui aurait suggéré un besoin de le distinguer d’autres divinités. Et d’autre part, il était interdit de prononcer « en vain » le nom de l'Eternel, d’après les Dix commandements, et le meilleur moyen pour cela était de ne plus le prononcer du tout !

Pourtant, cette Divinité a un nom ! Et nous possédons quelques indices sur la façon dont ce nom était vocalisé à l’origine. La première syllabe devait se prononcer « Yah », comme dans les prénoms Yirmĕyāhû (Jérémie), Yĕša’yāhû (Esaïe), ou encore dans l’exclamation hallĕlû-yāh (« louez Yāh »). Quant à la deuxième syllabe, il est probable qu’elle ait été au départ prononcée « û » ou « ô », donc « Yahû » ou « Yahô » avant de glisser vers une prononciation plus tardive en « vé ». Ce glissement a sans doute eu pour but de rapprocher le nom Divin de la racine hébraïque היה (heh-yod-heh), qui signifie « être ». YHWH devient ainsi « celui qui fait être », celui qui crée. C’est comme cela par exemple que le chapitre 3 de l’Exode, que nous lirons plus loin, explique le nom de la Divinité.

Mais était-ce la signification première du nom ? Le débat existe chez les spécialistes. Thomas Römer, déjà cité, propose une piste pour traquer l’origine du Tétragramme qui compose le nom de la Divinité. Ces quatre lettres peuvent être mises en rapport avec la racine sud-sémitique, הוי (heh-vav-yod), qui a trois significations : « désirer », « tomber » et « souffler ». Les sens de « désirer » et « tomber » sont d’ailleurs attestés dans l’hébreu biblique. Seul la troisième ne l’est pas. Peut-être car il est réservé au seul nom Divin. En effet, dans tout l’Ancien Testament, les interventions de YHWH sont rattachées à des phénomènes météorologiques violents (le déluge, les nuées, le feu qui tombe du ciel). Par ailleurs, les références au « souffle de dieu » sont légion dans la Bible. Par exemple, en Ez 37,9-10 :

וַיֹּאמֶר אֵלַי, הִנָּבֵא אֶל-הָרוּחַ; הִנָּבֵא בֶן-אָדָם וְאָמַרְתָּ אֶל-הָרוּחַ כֹּה-אָמַר אֲדֹנָי יְהוִה, מֵאַרְבַּע רוּחוֹת בֹּאִי הָרוּחַ, וּפְחִי בַּהֲרוּגִים הָאֵלֶּה, וְיִחְיוּ. 

וְהִנַּבֵּאתִי, כַּאֲשֶׁר צִוָּנִי; וַתָּבוֹא בָהֶם הָרוּחַ וַיִּחְיוּ, וַיַּעַמְדוּ עַל-רַגְלֵיהֶם--חַיִל, גָּדוֹל מְאֹד-מְאֹד. 

Traduction littérale André Chouraqui :

9. Il me dit: « Sois inspiré pour le souffle, sois inspiré, fils d’humain !

Dis au souffle: Ainsi dit Adonaï IHVH-Elohîms:

Des quatre souffles, viens, souffle ! Gonfle ces tués, et qu’ils vivent ! »

10. Je suis inspiré comme il me l’ordonne.

Le souffle vient en eux, et ils vivent.

Ils se dressent sur leurs pieds, une armée forte, fort grande !

Le terme hébreu רוּחַ (Roua'h) est traduit soit par souffle soit par Esprit. Un autre mot synonyme du mot Hébreu Souffle est נִשְׁמַת (Nishmat) qui signifie souffle de vie, on peut aussi traduire par respiration ou aussi par âme. Mais pour le mot âme nous avons plus souvent le mot נֶפֶשׁ Néfesh qui signifie la vie.

On voit ici que le souffle est intimement lié à El ou Elohim et à son nom YHWH. Cette explication semble la meilleure en l’état actuel de nos connaissances. Cependant, elle pose encore quelques problèmes, comme la rareté des noms divins formés sur une conjugaison dans le monde sémitique ancien. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’existent pas…

Selon cette étymologie d’origine sud-sémitique, Yhwh serait donc au départ une divinité du sud du Levant. D’ailleurs, le seul texte de la Bible qui donne une sorte d’explication du nom de la Divinité se déroule dans cette région, précisément en un territoire nommé Madiân. Il s’agit de l’épisode de la vocation de Moïse, au chapitre 3 de l’Exode. Replaçons-le dans son contexte. Moïse a été chassé d’Égypte après avoir commis un meurtre. Il trouve alors refuge chez les Madianites. Un jour qu’il garde le troupeau de Jethro, son beau-père, prêtre de Madiân, Moïse est appelé par « l’ange du Seigneur » sous la forme d’une « flamme de feu, du milieu d’un buisson » (3,2). Étonné car le buisson ne se consume pas, Moïse s’approche et c’est alors la Divinité elle-même qui l’interpelle « du milieu du buisson », tout en lui recommandant de garder ses distances (3,4-5). La Divinité lui intime ensuite l’ordre de retourner en Égypte, pour en libérer son peuple (3,11 à 15). Lisons la suite du texte en traduction littérale :

11. Moshè dit à l’Elohîms: « Qui suis-je, moi-même, oui, pour aller vers Pharaon,

oui, pour faire sortir les Benéi Israël de Misraîm ? »

12. Il dit: « Oui, je serai avec toi. Et ceci est pour toi le signe, que moi-même je t’ai envoyé: quand tu feras sortir le peuple de Misraîm, vous servirez l’Elohîms sur ce mont. »

13. Moshè dit à l’Elohîms: « Voici, moi-même, je viens vers les Benéi Israël, je leur dis: ‹ L’Elohîms de vos pères m’a envoyé vers vous. › Ils me disent: ‹ Quel est son nom ? › Que leur dirai-je ? »

14. Elohîms dit à Moshè: « Èhiè ashèr èhiè ! ­ Je serai qui je serai » Il dit: « Ainsi diras-tu aux Benéi Israël: ‹ Je serai, Èhiè, m’a envoyé vers vous ›. »

15. Elohîms dit encore à Moshè: « Tu diras ainsi aux Benéi Israël: ‹ YHWH-Adonaï, l’Elohîms de vos pères, l’Elohîms d’Abrahâm, l’Elohîms d’Is’hac et l’Elohîms de Ia‘acob, m’a envoyé vers vous. › Voilà mon nom en pérennité, voilà ma mémoration de cycle en cycle.Ce texte est énigmatique, notamment car Yhwh, qui dévoile ici pour la première fois son nom, semble être bien implanté dans la région de Madiân. Et même s’il se revendique le dieu des Israélites, il éprouve le besoin de se présenter à nouveau, comme si son culte avait été oublié ! À moins que Yhwh ne fut au départ un dieu étranger aux premiers hébreux, avant que ceux-ci ne l’incluent dans leur panthéon et finalement en fassent un dieu absolu. La question est donc de savoir où se situe exactement Madiân, le territoire qui semble être la demeure de Yhwh…

L’origine géographique

Plusieurs chercheurs se sont penchés sur les origines géographiques de YHWH. Certains ont cru la trouver en Syrie, mais les preuves ne sont pas convaincantes et, si l’on suit la piste étymologique ainsi que la Bible, YHWH vient plutôt du Sud…

La piste de Séïr

C’est en Égypte que notre enquête se poursuit… Un exemplaire du Livre des morts daté d’entre 1330 et 1230 avant J.-C. pourrait évoquer la forme abrégée de YHWH, Yah, ce qui serait alors la plus ancienne mention de la Divinité. Ce nom, Yah, qui est par ailleurs le nom du défunt à qui appartenait ce papyrus, pourrait être un toponyme (le lieu d’origine de cette personne serait devenu son nom propre). On retrouve en effet le nom Yah sur les listes de deux temples égyptiens, Amara et Soleb, qui recensent des peuples étrangers. Et parmi ces peuples, les Shasou, des Bédouins qui vivaient à l’est de l’Égypte. Plusieurs territoires sont mentionnés pour ces Shasou, et l’un attire particulièrement l’attention : « Terres des Sahsou de Yhwa(h) » ou « Yhwa(h) dans le territoire des Shasou ».

Yhwa(h) semble être ici un terme géographique, sans doute une montagne, mais potentiellement aussi un nom divin. Il est difficile de déterminer avec précision les limites du territoire des Shasou, et donc la localisation de ce lieu lié à Yhwa(h)/YHWH mais dans la même liste, un territoire bien connu des lecteurs de la Bible est aussi mentionné : « le territoire shasou de Séïr ». Or ce mont Séïr apparaît dans d’autres documents égyptiens en tant que territoire d’origine des Shasou, et certains de ces textes permettent de préciser sa localisation. En effet, on y trouve le terme « les crêtes », qui feraient partie du paysage du territoire Shasou. Pour Alexandre Vassiliev, dans un article paru en 2006, ce terme fait référence aux dunes que l’on trouve dans la région du Wadi Arabah, en Jordanie actuelle.

Ainsi, les attestations épigraphiques égyptiennes font apparaître ce peuple Shasou dans le nord de la péninsule arabique, au nord-est du Sinaï, au début de l’âge du Fer, ce que confirme l’archéologie. Mais il est également probable, nous y reviendrons plus loin, que leur territoire s’étendait également plus au sud, le long de la côte orientale du Golfe d’Aqaba. Il faut en effet bien considérer que le terme « Shasou » ne désigne pas un peuple unique et organisé. Il s’agit plutôt d’une appellation générique par les Égyptiens de tribus nomades vivant dans ces régions. Et c’est probablement parmi ces Shasou que se trouvait un groupe dont le dieu tutélaire était YHWH.

Plusieurs textes de la Bible, en plus de l’extrait de l’Exode que nous avons lu plus haut, attestent de cette origine sudiste de YHWH. Tout d’abord, dans le Deutéronome (33,1-2), un psaume attribué à Moïse dit dans la version littérale de Chouraqui :

« 1. Voici la, bénédiction dont Moshé, l'homme d'Elohim, bénit les Benei Israël, face à sa mort.

2. Il dit: "IHVH-Adonaï vient du Sinaï il brille sur eux de Sé'ir, il apparaît du Mont Parane, il arrive des myriades saintes, à sa droite un verbe de feu,»

La fin du verset est complexe et les traductions diffèrent largement. Le terme peut être en tout cas mis en relation avec les sources égyptiennes qui font mention des (« les crêtes ») en territoire Shasou, comme nous l’avons vu plus haut.

Dans le chapitre 5 du livre des Juges, aux versets 4 et 5, on trouve :

« 4.  IHVH-Adonaï, à ta sortie de Sé‘ir, à ton défilé au camp d’Edôm, la terre a trépidé, les ciels ont aussi dégouliné, les nuages même ont dégouliné d’eaux.

5. Les montagnes se sont liquéfiées en face de IHVH-Adonaï; le Sinaï ruisselle en face de IHVH-Adonaï, l’Elohîms d’Israël. » (André Chouraqui)

Un texte à peu près similaire figure au psaume 68,8-9 et 18 et dans le livre d’Habaquq au chapitre 3,3 et 10a. Tous indiquent une « sortie » de YHWH en Séïr, qui serait donc son lieu d’origine.

Essayons de localiser plus précisément ce territoire… La région de Séïr se situe à l’est du Sinaï, au nord de la péninsule arabique, en territoire que les Égyptiens attribuent aux Shasou, et qui se situerait aujourd’hui en Jordanie. Le mot hébreu séïr signifie « poilu » et s’applique, en tant que terme géographique, à une région forestière d’un territoire plus vaste nommé Édom. Plus précisément, Séïr désigne la montagne qui va du Wadi el-Hasa (au sud-est de la mer Morte), jusqu’au golfe d’Aqaba (Eilat). Le territoire d’Édom, lui s’étendrait du sud du Néguev jusqu’au désert jordanien. Cependant, dans la Bible, les termes Séïr et Édom sont souvent utilisés comme synonymes.

Une autre source peut nous aider à y voir plus clair quant à la localisation de Séïr/Édom. À Kuntillet Ajrud, dans l’ancien royaume de Juda (le plus au sud des deux royaumes hébreux), un site d’occupation remontant probablement au règne de Jéroboam II (786-746 a.C.) a été identifié. Si certains y voient un caravansérail, d’autres préfèrent interpréter le bâtiment comme un sanctuaire à cause des images, des prières et des inscriptions qui y ont été relevées. Un fragment d’inscription écrite sur un mur en plâtre y a été découvert à l’entrée de la cour centrale. Le texte est en hébreu et transcrit en écriture phénicienne. Mais il est malheureusement assez lacunaire :

« (n°4.1.1.) 1 [Qu’il (dieu)] bénisse leurs jours pour qu’ils puissent avoir [suffisamment] à manger [et . . . ] récitent (des prières) à Yhwh du Témân et Asherat. 2 Yhwh du Té[mân] a bien fait [. . . .], planté la vigne [et le figuie]r??. Yh[wh] du Té[mân] a [. . . .]  »

Dans cette inscription, le terme « Témân » signifie le « sud ». La racine טמן (tet-mem-nun) désigne en effet le sud en général et s’emploie également comme nom géographique (« pays du sud »). Le texte semble donc indiquer que YHWH était vénéré dans un territoire situé au sud du royaume de Juda, c’est-à-dire en Édom. Notons que, selon le Livre des Juges 5.5, le mont Sinaï est englobé dans ce territoire. YHWH y est en effet qualifié de zeh sînay, que l’on peut traduire par « celui du Sinaï ». YHWH deviendrait alors la divinité du Sinaï. Mais un problème se pose… La localisation originelle du Sinaï demeure un mystère. Même les auteurs bibliques semblent ne pas être très sûrs de l’emplacement du mont ! Le livre des Juges le situe en Édom, donc plus à l’est que la péninsule du Sinaï actuelle, même si le texte de Dt 33,2, lui, n’exclut pas entièrement cette deuxième possibilité. Mais dans tous les cas, YHWH est un dieu du sud. Et il était peut-être même vénéré plus au sud encore…

La piste madianite

En effet, c’est chez les Madianites que Moïse rencontre YHWH dans le chapitre 3 de l’Exode. Ces Madianites font très probablement partie du groupe des Shasou mentionnés par les Égyptiens. Le culte de YHWH a pu passer d’Édom à Madiân par des échanges commerciaux et culturels, mais il est vraisemblable que les Madianites et les Édomites fassent en réalité partie du même groupe culturel – tout en gardant des particularismes tribaux – ce qui fait du berceau de YHWH un territoire qui s’étend bien plus au sud de Canaan, dans la péninsule arabique.

Localisation du territoire madianite

Nous savons très peu de choses sur les Madianites en dehors de ce que la Bible nous apprend. La signification du nom Madiân n’est pas claire. Wolfram von Soden, suivit par Ernst Axel Knauf, traduit le nom « Madiân » par « l’étendue ». Cela ferait allusion au fait que son territoire se compose surtout de vallées étendues.

Dans la Tanakh, le Premier livre des Rois mentionne un pays de Madiân (11,17-18) :

« 17 Hadad s’était enfui avec des Edomites qui faisaient partie des serviteurs de son père pour aller en Egypte ; Hadad était alors un tout jeune homme. 18 Ils étaient partis de Madiân et étaient arrivés à Parân ; ils avaient entraîné avec eux des hommes de Parân et étaient parvenus en Egypte auprès du Pharaon, roi d’Egypte. Celui-ci donna une maison à Hadad, lui assura sa nourriture et lui donna une terre. »

D’après ce texte, le pays de Madiân se trouve au sud et à l’est d’Édom, puisqu’il faut traverser ce territoire pour se rendre en Égypte. Or Thomas Römer mentionne l’existence dans des sources antiques et médiévales d’une ville du nom de Midama/Madyan, (aujourd’hui al-Bad’ en Arabie Saoudite, à l’est du golfe d’Aqaba). Le pays de Madiân pourrait donc être la région entourant cette ville, qui en serait le centre. Des éléments archéologiques découverts dans cette région établissent une chronologie d’occupation allant du XIIIe siècle avant notre ère à l’époque nabatéenne (à la fin de l’Antiquité).

À côté d’al-Bad’, le Wadi Šarma constitue un deuxième centre de la présence des Madianites. On y a découvert de la poterie de Kourraya, dite aussi madianite. On en retrouve la trace dans le Hedjaz (le nord-ouest de l’Arabie), dans le sud de la Jordanie, dans le Néguev et le Sinaï pendant la fin du second et le début du premier millénaire avant notre ère.

Ces éléments montrent qu’il existait vraisemblablement un groupe culturel commun (que les Égyptiens nomment Shasou) rassemblant les peuples édomites et madianites, et d’une manière générale les différentes tribus vivant entre le nord de l’Arabie et le sud du Levant. Un groupe qui vénérait un dieu YHWH…

Mais qui était alors cette Divinité adorée par ces peuples bédouins ? Il devait certainement posséder des fonctions plus restreintes que celles que la Bible lui assigne plus tard.

YHWH : dieu de la guerre, de l’orage et des steppes

Les caractères anciens de YHWH transparaissent dans les textes de l’Ancien Testament. En Jg 5, Ps 68, et aussi d’une certaine manière en Ha 3, l’intervention de YHWH est toujours décrite dans un contexte guerrier. YHWH y apparaît comme un dieu qui vient en aide à son peuple en guerre.

En même temps, ces textes utilisent un vocabulaire qui évoque les activités d’une divinité de l’orage et de la fertilité. Relisons le verset 4 du chapitre 5 du Livre des Juges :

« La terre trembla, les cieux ont déversé, les nuées ont déversé de l’eau. »

De même, le verset 9 du Ps 68 :

« La terre trembla, les cieux mêmes ont ruisselé. »

Ha 3,8 semble même faire allusion au mythe sumérien du combat de Baal, dieu de l’orage, contre la mer (Yam) et ses alliés, que l’on retrouve dans les textes d’Ougarit en Mésopotamie :

« Le Seigneur (YHWH) s’est-il enflammé contre des rivières ? Ta colère s’adresse-t-elle aux rivières, ta fureur à la mer, lorsque tu montes sur tes chevaux, sur tes chars victorieux ? »

La venue de YHWH s’accompagne encore dans ces trois textes de tremblements de terre et d’un affaissement des montagnes, phénomènes typiques lors de l’intervention d’un dieu de l’orage dans de nombreuses traditions. Par exemple, dans un hymne à Hadad inscrit sur une stèle de victoire datant d’environ 1780 avant J.-C. et consacrée au roi Dâduša d’Ešnunna (entre l’Iran et l’Irak actuels), on lit :

i.1Adad, le héros fils d’Anum, 2à qui les grands dieux 5-6ont donné de manière prééminente 2l’accomplissement 3de la force : un rugissement puissant, 4qui fait trembler le ciel 5et la terre ; 7à la tête haute ; dont l’intensité 8de ses éclairs effrayants ii.1fait pleuvoir violemment i.9des grêlons dévastateurs 10sur le pays ennemi ; ii.2le seigneur sur l’ordre de qui 4la prospérité est donnée (au pays) 3depuis son orient jusqu’à son   occident ; 6qui fait abonder 5une crue inépuisable pour le pays.

Toutes ces références soulignent deux aspects de YHWH : il est à la fois un dieu de la guerre et de l’orage, resplendissant sur les terres qui lui sont consacrées. On comprend alors facilement que cette divinité ait été vénérée par des habitants de régions arides, se trouvant en conflit militaire avec d’autres peuples, notamment avec les Égyptiens.

Il est également possible que YHWH ait possédé des caractéristiques d’un dieu des steppes. Des sceaux en forme de scarabées, découverts dans le Néguev et en Juda, peuvent sans doute être mis en rapport avec un tel dieu des steppes. Ils datent pour la plupart d’entre eux des Xe et IXe siècles avant notre ère et figurent un personnage, probablement une divinité, domptant des autruches. Pour Othmar Keel et Christoph Uehlinger, dans une publication de 2001, il pourrait s’agir de représentations de YHWH. Et si cette interprétation est juste, on aurait alors une indication sur le fait que YHWH n’a pas été seulement vénéré comme un dieu de l’orage, mais aussi comme une divinité des steppes, des régions arides.

Enfin, YHWH n’était pas seul. Il était entouré d’autres dieux, mais surtout, il possédait une parèdre, une épouse divine ! L’inscription de Kuntillet Ajrud, parmi d’autres documents, fait mention אשרה d’Ashérat, qui est placée aux côtés de YHWH dans un culte commun. YHWH était vraisemblablement une déesse de la fécondité et de la fertilité, et on comprend alors son lien avec le dieu de l’orage.

Les ostraca de Kuntillet Ajrud1 datant du VIIIe siècle avant notre ère, dans le désert du Sinaï, portent ainsi l'inscription « Je vous ai bénis par YHWH de Samarie et Son Ashera » ou « Je vous ai bénis par YHVH notre gardien et Son Ashera », selon qu'on lise Shomron : Samarie ou Shomrenou : notre gardien). On trouve aussi la mention « YHWH et son Ashera » sur une inscription datant de la monarchie tardive (vers 600 avant notre ère) dans la région de la Shefelah (royaume de Juda).

Le Pentateuque en parle quatre fois comme des idoles à détruire. Et le roi Josias, vers 630 avant notre ère., « ordonna [...] de retirer du sanctuaire de Yahvé tous les objets de culte qui avaient été faits pour Baal, pour Ashera et pour toute l'armée du ciel [...]. Il supprima les faux prêtres que les rois de Juda avaient installés et qui sacrifiaient [...] à Baal, au soleil, à la lune, aux constellations et à toute l'armée du ciel. [...] Il démolit la demeure des prostituées sacrées, (Rois II 23 7).

Le prophète Jérémie, en exil à Babylone, reproche aux Hébreux exilés de vouer un culte à Ashera, représentée sur des statuettes comme une femme aux seins nus. Les juifs lui affirment que Ashera est généreuse et leur offre du pain en grande quantité. Et pour étayer leurs dires, ils ne manquent pas de lui rappeler que d’autres avant lui leur avaient fait abandonner le culte d’Ashera et que le résultat fut « le glaive et la famine » (Jérémie 44, 17-19).

Il y a un certain consensus au sein de la recherche pour voir en Ashera la version cananéenne de la déesse Athirat (ou ʼAṯirat) — une importante déesse-mère au culte répandu au Moyen-Orient connue depuis le deuxième millénaire dans les textes ougaritiques qui l'associent à El — quoique certains chercheurs modèrent cette assimilation voire la contestent. Cette divinité apparaît dans des sources akkadiennes sous les noms de Ashratum/Ashratu, et dans des sources hittites sous celui de Asherdu(s) ou Ashertu(s) ou Aserdu(s) ou Asertu(s)

Conclusion

Le chapitre 3 de l’Exode, montre une divinité qui paraît étrangère à Moïse. Une divinité qui, d’après le nom qu’il dévoile pour la première fois, serait originairement vénérée par des peuples du sud du Levant ou du nord de la péninsule arabique : les Édomites et les Madianites. Les sources textuelles et archéologiques confirment l’existence de ces peuples, que les Égyptiens regroupent sous le terme de Shasou. Mais le Yhawoh qu’ils vénéraient, comme dieu de l’orage, de la guerre et des steppes, résidant sur une montagne, était très différent du YHWH de la Bible.

Que ce soit par le biais de Moïse ou plus prosaïquement par des échanges commerciaux et culturels avec les peuples bédouins, c’est lorsque les Hébreux se sont approprié ce Yhawoh qu’il est devenu la Divinité unique et universelle. Dès lors, tous les autres dieux ne s’avèrent être pour les Hébreux que des faux dieux ou des formes partielles de leur Divinité, qu’il convient d’abandonner puisqu’il s’est désormais révélé lui-même. Mais ce processus de transition entre le polythéisme et le monothéisme ne s’est toutefois pas fait en un jour, comme les nombreuses références bibliques au « passé » de YHWH le montrent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ajouter un commentaire

Anti-spam
 
×