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Du dualisme au monisme de Yahvé à travers la Bible.

 

Présentation.

Le Second Isaiah, au début de la période perse, a élaboré un discours qui présentait Yahvé comme l’unique divinité. Par conséquent, il dut intégrer à celui-ci des fonctions traditionnellement attribuées au paravent aux déesses et aux démons ou d’autres dieux maléfiques. Pourtant, cette tentative n’a pas complètement réussi. La déesse, dont l’élimination est probablement reflétée dans Zacharie 5, est revenue d’une certaine manière à travers la personnification de la Sagesse dans Proverbes 8. Les « côtés obscurs » des dieux se sont matérialisés dans la figure de Satan, qui a connu une carrière impressionnante dans les siècles suivants. La Bible hébraïque ne résolut pas la question du mal. Certains textes admettent l’autonomie du mal, alors qu’Isaïe 45 prétend que Yahvé lui-même figure à l’origine du mal. Cette diversité rend difficile la caractérisation de la Bible hébraïque comme le résultat d’une simple évolution du polythéisme au monothéisme.

Introduction.

Peut-on encore employer le terme « monothéisme » en parlant des discours théologiques de la Bible hébraïque. Le concept philosophique ou théologique du monothéisme reste une invention moderne de l’époque des Lumières. Il apparaît utilisé depuis pour démontrer la supériorité de la religion monothéiste sur le paganisme et le polythéisme. Cependant, un monothéisme strict ne demeure pas une chose aussi si facile qu’on pourrait croire. Si une seule divinité existe, celle-ci se retrouve-t-elle responsable du mal ? Alors, comment entrer en contact avec cette divinité transcendante ? L’enjeu d’une bonne compréhension reste primordial. Il n’apparaît pas étonnant que les trois grandes religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam, autorisent toutes une sorte de dualisme (en admettant un « Satan ») et aussi des « anges », intermédiaires entre Dieu et les hommes. Nous élaborerons ici les développements et les problèmes qui surviennent au le temps où la religion hébraïque traditionnelle s’est transformée en judaïsme et en monothéisme.

Aujourd’hui, la plupart des érudits s’accordent sur l’idée que le « judaïsme » n’est pas apparu avant l’époque perse, et peut-être même beaucoup plus tard. Il reste clair cependant que la destruction de Juda et de Jérusalem en 587 av. J.-C., ainsi que les réactions à cette crise dans les écrits de la période perse, constitue une césure majeure. Au temps des monarchies israélites et judéennes, le culte de Yahvé en tant que divinité nationale en Israël et de en Juda, ne différait pas beaucoup des conceptions religieuses de leurs voisins du Levant. La réforme que l’on nomme josianique a peut-être introduit quelques changements en essayant d’établir une sorte de monolatrisme, plus qu’un monothéisme, et cela probablement sans grand succès. L’abolition des symboles cultuels assyriens dans le temple de Jérusalem ne figurait pas nécessairement le signe d’une insurrection anti-assyrienne ; cela pourrait tout bonnement traduire la perte du pouvoir assyrien en Syrie et en Palestine à la fin du VIIe siècle. En effet, l’idée de centralisation peut simplement refléter la situation d’un État de Juda assez tronqué dans lequel Jérusalem demeurait l’unique ville importante et son temple le seul sanctuaire restant. La religion judéenne, au temps de la monarchie, était centrée sur un dieu national. Ce dernier avait priorité sur les autres dieux et dont le temple (et peut-être la statue) apparaissait le signe visible de sa présence parmi son peuple. Les médiateurs de cette présence étaient le roi et, par délégation, les prêtres. Des preuves bibliques et extrabibliques claires existent également et stipulant que jusqu’à la réforme josianique, Yahvé était associé à une déesse, nommée Ashérah, et dont le titre figurait peut-être celui de : « la reine du ciel ». Apparemment, ce titre pourrait se trouver employé pour différentes déesses : Ishtar en Mésopotamie, Astarté, Anat et Ashérah au Levant, Héra dans la mythologie grecque ; et dont on retrouve nos jours encore la trace dans « la Vierge Marie » de la religion catholique. L’effondrement de Juda s’expliquerait pour une partie de la population comme une punition de la Reine des Cieux dont le culte apparaissait négligé par les Judéens. En effet, Jérémie dépeint les Judéens qui ont fui en Égypte en se plaignant. (Jr 44:18) :

Mais du jour où nous avons cessé de brûler de l’encens à la Reine des cieux et de lui offrir des libations, nous avons manqué de tout, et nous avons été décimés par le glaive et par la famine.

Dans ce verset, la destruction de Jérusalem et la situation difficile après 587 av. J.-C. demeurent perçues comme ayant été provoquées par la Reine des Cieux, furieuse de ne plus être vénérée. La pensée que le désastre se produit parce qu’une divinité se fâche contre son peuple et l’abandonne est bien attestée dans le Proche-Orient ancien.

Yahvé, commandeur des nations étrangères.

L’idée que les dieux babyloniens auraient vaincu Yahvé offrait apparemment, pour une partie de la population de Judée, une explication possible des événements de 587 avant notre ère. L’affirmation du Deutéro-Isaïe selon laquelle « le bras de Yahvé n’est pas trop court pour sauver » (Is 50, 2 ; cf. Is 59, 1) peut être comprise comme une réaction contre ceux qui ne se trouvaient plus convaincus par la puissance de Yahvé. Et les auteurs deutéronomistes de 2 Rois 24-25 insistent sur le fait que les Babyloniens qui démolirent Jérusalem se trouvèrent envoyés par Yhwh lui-même pour frapper son peuple :

Yahvé envoya contre lui des bandes de Chaldéens, des bandes d’Araméens, des bandes de Moabites et des bandes d’Ammonites ; il les envoya contre Juda pour le détruire, selon la parole de Yahvé qu’il avait prononcée par ses serviteurs les prophètes… Cela arriva à Jérusalem et à Juda à cause de la colère de Yahvé et il les jeta loin de sa face. (2 R 24:2, 20a).

L’idée que Yahvé contrôlait les Babyloniens, qui devenaient son outil pour exécuter son jugement, fut reprise et développée dans le livre du Second Isaïe. Ce rouleau, conçu indépendamment du Proto-Isaïe, comprend également la chute de Jérusalem comme un signe de la colère divine ? Cela conduisit Yahvé à se cacher et à ne pas intervenir en faveur de son peuple : « J’étais en colère contre mon peuple, j’ai profané mon héritage » (Is 47, 6).

Par exemple, dans la stèle de Mesha, le poème d’Erra, et aussi dans l’inscription de Harran :

« Sîn, le roi de tous les dieux, se fâcha contre sa ville et son temple, et monta au ciel et la ville et les gens sont devenus désolés. » Ce texte figure appliqué à Yahvé dans l’histoire deutéronomiste, où la chute de Samarie et la destruction de Jérusalem apparaissent comme la punition de Yahvé contre les rois qui ne l’ont pas adoré de manière adéquate. Une autre façon d’expliquer les défaites militaires reste d’imaginer que le Dieu des vainqueurs a vaincu le(s) dieu(x) des ennemis. C'est un motif typique de la propagande assyrienne, qui est reflété dans la Bible hébraïque dans 2 Rois 18:31-35.

Par les Lévites, avec une bonne histoire de recherche, ou comme une continuation du rouleau de Jérémie. Ces vues demeurent préférables à l’idée traditionnelle selon laquelle le Deutéro-Isaïe fut conçu dès le début comme un complément au Proto-Isaïe ; beaucoup d’autres rédacteurs affirment également que la colère de Yahvé ne dure pas longtemps, mais que ce temps de colère est définitivement terminé.

Pendant un bref instant, je t’ai abandonné, mais avec une grande compassion je vais te rassembler. Dans une colère débordante, je t’ai un instant caché mon visage, mais avec un amour éternel j’aurai compassion de toi, dit Yahvé, ton Rédempteur. (Is 54:7-8).

Faits intéressants, l’attitude du ou des auteurs d’Isaïe 40-55 est de reprendre la rhétorique officielle du cylindre de Cyrus (voir tableau 1). Il proclame que le souverain perse, Cyrus apparaît comme le messie de Yahvé pour Israël et le monde.

TABLEAU 1 : Cyrus et Second Isaïe.

Cylindre de cyrus

Le second Isaïe présente Yahvé dans le même rôle que le dieu babylonien, Marduk, joue dans le cylindre de Cyrus.

Dans les deux cas, la divinité protectrice d’une ville vaincue aurait choisi le roi victorieux pour inaugurer une nouvelle ère de salut. Le Second Isaïe trahit-il donc une idéologie monothéiste ? En tout cas, Esaïe 40-55 montre une tendance à transférer à Yahvé des aspects et des fonctions qui, dans les religions polythéistes, sont assumées par différentes figures divines.

Yahvé en tant que déesse dans le livre du deuxième Isaïe.

Comme déjà mentionnés, les différents groupes qui ont édité les traditions du Pentateuque et les livres prophétiques à l’époque perse demeuraient hostiles au concept traditionnel d’un couple divin. La vision quelque peu étrange dans Zacharie 5:5-11 peut refléter cette hostilité. Le prophète voit une femme, appelée la méchanceté intronisée dans un panier. Celui-ci apparaît à son tour transporté par deux femmes ailées vers Shinar (Babylone) où une maison ou un temple demeure construit pour elle dans laquelle elle se tiendra sur un support. Plusieurs commentateurs ont soutenu avec raison que cette vision reflète l’expulsion de la déesse de Jérusalem vers une nation « païenne », et cela pourrait bien figurer le cas. Peut-être que le nom de la méchanceté reste de plus une allusion ironique à Ashérah. Même si la question reste encore contestée par certains savants, suffisamment d’éléments bibliques l’attestent. (1 R 15.13 ; 16,33 ; 2 R 13.6 ; 21,3 & 7 ; 23.6-7). Ainsi que des preuves bibliques du fait qu’Ashérah demeura vénérée en Israël et en Juda comme partenaire de Yahvé. L’argument selon lequel dans certaines citations bibliques Ashérah signifie un symbole religieux (par exemple 1 R 14.23 ; 2 R 17.10 ; 18,4), un arbre sacré et non la déesse, ne figure pas pertinent. En effet puisque les symboles d’une divinité demeurent toujours des « images » ou des représentations de cette divinité.

Le livre du Second Isaïe, ainsi que quelques divers textes de la période perse, révèle une stratégie pour surmonter la disparition de la « femme » de Yahvé, Ashérah. Second Isaïe affirme fréquemment que Yahvé est dieu, ou « El », et il ne se trouve personne d’autre que lui. La prétention à l’exclusivité pose la question de la gestion des rôles traditionnellement attribués à des déesses. De nombreux auteurs limitent la première version du second Isaïe à Isaïe les passages originaux inclus en 40-52 ;

Voir Esaïe 46 : 9 :

זִכְרוּ רִאשֹׁנוֹת מֵעוֹלָם כִּי אָנֹכִי אֵל וְאֵין עוֹד אֱלֹהִים וְאֶפֶס כָּמֽוֹנִי

Zihru rišonovt meovlam ki anohi el ve-ein ovd, elohim ve-efes kamovni.

Rappelez-vous le passé, les temps reculés, car je suis le Tout-Puissant, il n’en est pas d’autre, je suis Dieu, et nul n’est comme moi.

La solution dans le second Isaïe (et dans quelques autres textes de la même période) est de transférer les compétences de la déesse à Yahvé celui-ci est présenté en même temps comme père et mère d’Israël. Au verset 6, Yahvé apparaît appelé « père », et au verset 18 l’on dit qu’il est « le rocher qui t’a engendré et le Dieu (El) qui t’a enfanté dans les douleurs de l’accouchement » (Dt 32:18).

Dans le dernier chapitre du livre d’Osée, remanié à l’époque perse ou même né à cette époque, Yahvé reprend également les attributs d’Ashérah. Celui-ci est comparé à un cyprès à feuillage persistant qui assure la fertilité d’Israël. Peut-être peut-on suivre l’ingénieuse correction de Julius Wellhausen, selon laquelle la deuxième partie d’Osée14 : 9 :

אֶפְרַיִם, מַה-לִּי עוֹד לָעֲצַבִּים; אֲנִי עָנִיתִי וַאֲשׁוּרֶנּוּ, אֲנִי כִּבְרוֹשׁ רַעֲנָן--מִמֶּנִּי, פֶּרְיְךָ נִמְצָא

Efrajim mah li ovd la-asabim ani aniti va-ašurenu ani kivrovš ranan, mimeni perjeha nimsa.

Ephraïm, qu’ai-je donc de commun avec les idoles ? (J’ai répondu et nous répondrons) Moi seul j’exauce, je vois tout ; semblable à un cyprès toujours vert, je suis la source de tous tes biens.

Ce texte assez obscur dans sa version massorétique devrait être lu selon Wellhausen : אֲנִי עָנִיתִי וַאֲשׁוּרֶנּוּ ani aniti va-ašurenu ani “. Je suis votre Ashérah et votre Anat » une correction qui apparaît parfaitement logique, d’autant plus que la popularité d’Anat est bien attestée dans les documents de la communauté juive d’Éléphantine.

Dans le livre d’Osée, ainsi que dans Jérémie et Ézéchiel, une autre transformation peut être observée. Or Israël devient l’épouse adultère de Yahvé, qui est punie parce qu’elle cherche constamment d’autres amants, c’est-à-dire des dieux étrangers (Jr 2 ; Ez 16, 23). Dans Osée 1-3, le mariage du prophète avec une prostituée symbolise la relation de Yahvé avec Israël. Osée 1-3, qu’une érudition plus ancienne fut attribuée aux couches les plus anciennes des livres, se trouve maintenant considérée par de nombreux érudits comme un prologue. Celui-ci fut ajouté, au plus tôt, au temps de l’exil babylonien, ou au début de l’époque perse.

Pendant la période perse, apparemment des tentatives d’intégrer des aspects des déesses dans Yahvé, ont existé. Mais ces tentatives se sont limitées à un petit corpus de textes.

L’exclusiviste de Yahvé est resté masculin. Les déesses se sont alors transformées en nouvelles « partenaires » de Yahvé.

Les nouvelles « femmes » de Yahvé.

Une manière de présenter Yahvé comme époux après la disparition de la déesse se trouve le transfert du couple divin au couple, Yahvé-Israël, notamment dans les textes prophétiques. Israël joue ici le rôle de l’épouse adultère de Yahvé, qui le quitte pour d’autres dieux et qui figure donc répudiée, et finalement réhabilitée. Dans certains de ces textes prophétiques, Yahvé figure en outre bigame puisqu’il est marié à Israël et Juda, ou à Samarie et Jérusalem (Jr 3 ; Ez 16, 23).

Une autre évolution apparaît la personnification de la « sagesse » dans les premiers chapitres du livre des Proverbes. Dans Proverbes 8, חכמה (ḥakmah) est un mot hébreu qui signifie : sagesse. En Proverbe 8, celle-ci se présente de la même manière que Yahvé (et les autres dieux) au (verset 1) :

הֲלֹא-חָכְמָה תִקְרָא;    וּתְבוּנָה, תִּתֵּן קוֹלָהּ.

Halo hakemah tikra utevunah titen kovlah.

Voici la sagesse qui appelle, la raison qui élève la voix.

On dit qu’elle demeura créée par Yahvé au commencement (Pr 8:22),

 יְהוָה--קָנָנִי, רֵאשִׁית דַּרְכּוֹ:    קֶדֶם מִפְעָלָיו מֵאָז.

Yahvé kanani rešit darkov kedem mifalav meaz.

Yahvé me créa au début de son action, antérieurement à ses œuvres, dès l’origine des choses.

Mais elle précède la création du monde ; elle est même présentée comme l’artisane de Yahvé. (Proverbes 8 : 30) :

 וָאֶהְיֶה אֶצְלוֹ, אָמוֹן:    וָאֶהְיֶה שַׁעֲשׁוּעִים, יוֹם יוֹם; מְשַׂחֶקֶת לְפָנָיו בְּכָל-עֵת.

Vaehjeh eslov amovn vaehjeh ašuim jovm jovm mesaheket lefanav behol et.

Alors j’étais à ses côtés, habile ouvrière, dans un enchantement perpétuel, goûtant en sa présence des joies sans fin,

ceci est une traduction possible :

« J’étais à côté de lui comme un artisan ». Le fait que la vocalisation se trouve inhabituelle et que le mot demeure masculin a conduit à des variantes dans les manuscrits et les traductions, comme « petit enfant » ou « constamment ». Mais l’idée d’une déesse qui assiste le Dieu créateur, fait sens et rappelle le couple égyptien Raet Maât. חכמה (ḥakmah) se présente encore comme « se délectant de Yahvé tout temps », une activité qui fait également partie du devoir d’une femme envers son mari. Cela signifie que Proverbes 8 réassocie une figure féminine à Yahvé. De manière spéculative, on peut pareillement se demander si cette association explique le pluriel que le Dieu créateur utilise dans Genèse 1:26 : « Faisons l’humanité à notre image. » Cette humanité est alors créée mâle et femelle (Gn 1,27), ce qui suggère en quelque sorte que l’image reflète un dieu mâle et un dieu femelle.

Yahvé, créateur du « bien et du mal »

Dans les systèmes polythéistes, la présence du malheur et du mal n’apparaît pas problématique. On rencontre toujours des démons des divinités, ou d’autres dieux effrayants qui se trouvent responsables de mauvaises choses affectant les êtres humains. On doit lire אָמוֹן aw-mone  la vocalisation du texte massorétique correspond au nom d’un roi judéen Amon, qui pourrait se rapporter à la divinité égyptienne. Le problème se pose dans un système centré sur un seul dieu. Cela peut être observé dans la version biblique de l’histoire du déluge. Dans les récits mésopotamiens, on rencontre deux types de dieux différents : ceux qui choisissent d’exterminer l’humanité, et le dieu ami qui prévient le futur survivant. Dans Genèse 6-9, cependant, Yahvé doit jouer les deux rôles : il décide de détruire toutes les créatures et il alerte Noé afin de faire survivre les hommes et les animaux.

Le deuxième Isaïe (45, 6b-7) affirme également que Yahvé apparaît responsable du bien et du mal :

אֲנִי יְהוָה, וְאֵין עוֹד 7 יוֹצֵר אוֹר וּבוֹרֵא חֹשֶׁךְ, עֹשֶׂה שָׁלוֹם וּבוֹרֵא רָע; אֲנִי יְהוָה, עֹשֶׂה כָל-אֵלֶּה

ani Yahvé ve ein ovd 7 Jovser ovr uvovre hošeh, oseh šalom uvovre ra’ ani Yahvé oseh hol eleh. 

« 6 b Je suis Yahvé, et il n’y en a pas d’autre. 7 Je forme la lumière et je crée le mal. Je fais la paix ְet crée les ténèbres. Je suis Yahvé et je fais toutes ces choses. »

Cet oracle est lié à l’institution de Cyrus comme le messie de Yahvé à travers lequel il fera connaître au monde entier qu’il est le dieu « unique ». Une discussion existe sur la signification de שָׁלוֹם šalom « paix » et רָע ra’ « mal » fait-il référence au fait que Yahvé est responsable, non seulement de la paix, mais aussi de la guerre et des défaites ? Ce serait la continuation d’une sorte d’idéologie deutéronomiste, selon laquelle Yahvé provoque des cataclysmes afin de punir son peuple. La mention de Cyrus, qui est présenté comme l’outil par lequel Yahvé apportera la paix et la restauration à Israël, cadrerait en effet avec une telle compréhension historique de רָע ra' et שָׁלוֹם shalom. D’autre part, le parallèle avec la création de la « lumière » et des « ténèbres » suggère un sens plus général : Yahvé reste aussi responsable du mal, ou du chaos, dans le monde. שָׁלוֹם « Shalom » signifierait alors quelque chose comme le ma'at égyptien (l’ordre du monde) et רָע ra', le chaos. Le manuscrit d’Isaïe de Qumrân (1QIs a) a remplacé shalom par טָב tob, faisant de Yhwh le créateur du bien et du mal. Une affirmation similaire se produit également dans le prologue de Job, répond à sa femme (Job 2:10). :

וַיֹּאמֶר אֵלֶיהָ כְּדַבֵּר אַחַת הַנְּבָלוֹת תְּדַבֵּרִי גַּם אֶת-הַטּוֹב נְקַבֵּל מֵאֵת הָאֱלֹהִים וְאֶת-הָרָע לֹא נְקַבֵּל בְּכָל-זֹאת לֹא-חָטָא אִיּוֹב בִּשְׂפָתָיו

Vaijomer eleiha kedaber ahat hanevalovt tedaberi, gam et hatov nekabel me-et haelohim, ve-et hara lo nekabel behol zot lo hata ijov bisfatav.

Il lui répondit : « Tu parles comme ferait une femme aux sentiments bas. Quoi! Le bien nous l’acceptons de la main de Dieu, et le mal, nous ne l’accepterions pas ! » En dépit de tout, Job ne pécha pas avec ses lèvres.

גַּם אֶת-הַטּוֹב נְקַבֵּל מֵאֵת הָאֱלֹהִים וְאֶת-הָרָע לֹא נְקַבֵּל

gam et hatov nekabel me-et haelohim, ve-et hara lo nekabel

« Devrions-nous recevoir ce qui est bon, et ne pas recevoir aussi ce qui est mal » ? Isaiah 45:5-7 et Job 2 refléteraient alors une tentative de rendre Yahvé également responsable du chaos et du mal. S’il reste vrai que le Second Isaiah dépeint Yahvé pour le seul dieu en reprenant les discours sur d’autres dieux ; en particulier Marduk ; alors on peut se demander si l’accent mis sur la création du mal peut aussi être compris, au moins partiellement, comme une réaction face à la Perse, dualiste, selon lequel Ahura-mazda est « seulement » le dieu du « bien ». Quoi qu’il en soit, la tentative d’intégrer le « mal » en Yahvé reste cependant quelque peu marginale.

L’autonomie du chaos ou du mal dans les écrits de la période perse

Selon certains chercheurs, la racine ברא bará « créer, former » est une invention théologique du Second Isaïe, qui avait besoin d’un verbe spécifique pour la création divine. Dans ce cas, ion doit comprendre le récit sacerdotal de la création dans Genèse 1 comme réaction polémique à Isaïe 45. Selon P, lorsque Dieu crée le ciel et la terre, il commence par la création de la lumière, mais les ténèbres existent déjà et ne sont, contrairement à Isaïe 45, pas créées (Gn 1:1-3). Selon ְ (תהֹוםּ Tehowm) « âbime » (Genèse 1), le Dieu créateur ne crée pas tout : les ténèbres et les eaux primordiales sont intégrées au monde créé. La création figure ici une transformation d’une situation chaotique en un univers organisé, mais représente toujours, au moins virtuellement, une menace pour le monde ordonné. Cela peut aussi apparaître le cas à la fin du récit sacerdotal du déluge, où Dieu place son arc dans les nuées. L’arc divin peut être compris comme représentant le combat permanent du Dieu créateur contre le monstre aquatique, symbole du chaos.

Une autre stratégie pour entretenir le chaos ou le mal en dehors de Yahvé se trouve l’invention de la figure de Satan. Dans le prologue du livre de Job, les scènes où satan (« l’adversaire ») apparaît sont clairement insérées dans une histoire existante. Les arguments suivants confirment cette idée. Premièrement, « satan » n’apparaît qu’au chapitre 1 et non à la fin de la narration en prose. Deuxièmement, dans le texte actuel, on trouve une incohérence grammaticale. Job 1:12-13 se lit comme suit :

[12] Yahvé dit au Satan : « C’est bien, tout ce qu’il a est en ton pouvoir ; seulement, ne tends pas la main contre lui » ! Alors le Satan sortit de la présence de Yahvé.

[13] Un jour où ses fils et ses filles mangeaient et buvaient du vin dans la maison du frère aîné… Selon le contexte actuel, le pronom personnel « son » ferait référence au Satan ou Yahvé, ce qui bien sûr n’a aucun sens. La référence figure au verset 6 où Job se trouve mentionné pour la dernière fois, de sorte que dans le texte original le verset 6 figurait immédiatement suivi du verset 13 :

[6] Et quand les jours de fête avaient pris fin, Job les envoyait et les sanctifiait, et il se levait tôt le matin et offrait des holocaustes selon le nombre de tous ; car Job a dit : « Il se peut que mes enfants aient péché et maudit Dieu dans leur cœur ». C’est ce que Job a toujours fait.

[13] Un jour où ses fils et ses filles mangeaient et buvaient du vin dans la maison du frère aîné… (Job 1 : 6,13) La rencontre entre Yahvé et le Satan fut insérée dans ce contexte originel. L’histoire originale ne connaissait pas un satan. Il représentait un dieu arbitraire, qui, sans raison évidente, tourmente un homme pieux. (Job1 : 16).

אֵשׁ אֱלֹהִים נָפְלָה מִן-הַשָּׁמַיִם

eš elohim nafelah min-hašamajim,

Le feu de Dieu est tombé du ciel

L’expression suggère également que les calamités se trouvèrent envoyées par Dieu et non par un Satan ; et la réponse de Job, que l’on doit accepter le bien et le mal de Dieu, confirme l’idée de l’histoire originale.

Pour un rédacteur ultérieur, ce point de vue, figurait inacceptable. Il a donc réintroduit dans le récit le concept traditionnel d’une cour céleste dans laquelle Yahvé est entouré de ses « fils » ou êtres divins à qui appartient aussi satan. Certes, il n’est pas mis au même niveau que Yahvé. Le terme ne figure pas utilisé comme un nom propre, il désigne la fonction d’une sorte d’agent secret et il ne peut agir sans l’autorisation de Yahvé. Cependant, nous nous trouvons ici en présence d’une tentative d’extraire le mal de Yahvé. Il en ressort de même pour la réécriture de 2 Samuel 24 dans le livre des Chroniques. Selon 2 Samuel 24:1, Yahvé lui-même a manipulé David pour entreprendre un recensement, pour lequel il est alors lourdement puni :

La colère de Yahvé s’enflamma de nouveau contre Israël, et il excita David contre eux, en disant : « Va, comptent les peuples d’Israël et de Juda ». Dans le récit parallèle de 1 Chroniques 21, le récit commence ainsi : « Satan s’est dressé contre Israël et a incité David à compter le peuple d’Israël. » Pour le Chroniqueur, l’histoire telle que présentée dans le livre de Samuel apparaissait intenable, et il l’a modifié en introduisant Satan qui remplace la colère de Yahvé et reste donc responsable du mal qui arrive à David.

Ces textes de l’époque persane (voir hellénistique pour le livre des Chroniques) témoignent d’une tendance à créer une figure représentant le mal séparée de Yahvé. Quelques siècles plus tard, cette tendance se développera dans certains cercles vers une vision du monde dualiste, ce qui ne figure pas le cas dans la Bible hébraïque.

Conclusion

Au début de la période perse, Second Isaiah a élaboré un discours qui présentait Yahvé comme le seul dieu. Il devait donc intégrer à cette divinité des fonctions traditionnellement attribuées aux déesses et aux démons ou dieux maléfiques. Cependant, cette tentative n’a pas réussi. La déesse est revenue d’une certaine manière à travers la personnification de la Sagesse dans Proverbes 8. Ainsi les « côtés obscurs » des dieux se sont matérialisés dans la figure de Satan, qui a connu une carrière impressionnante dans les siècles suivants. Cette évolution rend difficile la caractérisation de la Bible hébraïque comme le résultat d’une simple évolution du polythéisme au monothéisme. Le dieu souverain Yahvé ne pouvait pas vraiment intégrer le féminin et le mal pour le bien et pour tous.

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