Abram, et les neuf rois

Abram, et les neuf rois

Ashram, les neuf rois et Melchisédech.

1 À cette époque, les rois Amrafel de Mésopotamie, Ariok d'Ellasar, Kedor-Laomer d'Élam et Tidal de Goïm 2 firent la guerre aux rois Béra de Sodome, Bircha de Gomorrhe, Chinab d'Adma, Chéméber de Seboïm et au roi de Béla, c'est-à-dire de Soar. 3 Ces derniers se rassemblèrent dans la vallée de Siddim, recouverte aujourd'hui par la mer Morte. 4 Pendant douze ans, ils avaient été soumis à Kedor-Laomer mais, la treizième année, ils s'étaient révoltés. 5 La quatorzième année, Kedor-Laomer sortit pour le combat avec les rois ses alliés. Ils battirent les Refaïtes à Achetaroth-Carnaïm, les Zouzites à Ham, les Émites dans la plaine de Quiriataïm. 6 Quant aux Horites, ils les battirent chez eux, dans leurs montagnes, au pays de Séir, les poursuivant jusqu'à El-Paran qui est près du désert. 7 Puis ils revinrent vers En-Michepath, c'est-à-dire Cadesh. Ils ravagèrent toute la campagne amalécite et battirent aussi les Amorites qui habitaient Hassasson-Tamar. 8 Les rois des villes de Sodome, Gomorrhe, Adma, Seboïm et de Béla, c'est-à-dire de Soar, firent sortir leurs troupes ; ils livrèrent bataille dans la vallée de Siddim 9 aux rois Kedor-Laomer d'Élam, Tidal de Goïm, Amrafel de Mésopotamie, Ariok d'Ellasar, cinq rois contre quatre. 10 Il y avait de nombreux puits de goudron dans la vallée de Siddim. Les rois de Sodome et Gomorrhe s'enfuirent et ils y tombèrent ; le reste des survivants se réfugia dans la montagne. 11 Les vainqueurs s'emparèrent de tous les biens de Sodome et Gomorrhe et de toutes les réserves de nourriture, puis ils s'en allèrent. 12 Loth, le neveu d'Abram, habitait Sodome ; ils l'emmenèrent aussi avec tous ses biens.

13 Un fuyard vint annoncer cette nouvelle à Abram l'Hébreu qui s'était installé aux chênes de l'Amorite Mamré. Mamré était frère d'Èchekol et d'Aner ; tous trois étaient les alliés d'Abram. 14 Quand Abram apprit que son neveu avait été fait prisonnier, il mobilisa des gens entraînés, 318 hommes de son clan, et se lança à la poursuite de l'ennemi jusqu'à Dan. 15 Abram répartit ses serviteurs en plusieurs groupes et attaqua de nuit. Il battit les rois et les poursuivit jusqu'à Hoba, au nord de Damas. 16 Il récupéra tous leurs biens, ainsi que Loth son neveu avec ses biens, les femmes et les autres prisonniers.

17 Quand Abram revint après sa victoire sur Kedor-Laomer et les rois ses alliés, le roi de Sodome sortit à sa rencontre dans la vallée de Chavé, c'est-à-dire la vallée du Roi.

18 Melchisédech, qui était roi de Salem et prêtre du Dieu Très Haut, fit apporter du pain et du vin. 19 Il bénit Abram en disant : « Béni soit Abram par le Dieu Très Haut qui a créé les cieux et la terre ! 20 Merci au Dieu Très Haut qui a livré tes ennemis en ton pouvoir ! » Alors Abram lui donna un dixième de tout ce qui lui appartenait.

21 Le roi de Sodome dit à Abram : « Donne-moi les gens et garde les biens matériels. » 22 Abram lui répondit : « Je lève ma main vers le Seigneur, le Dieu Très Haut qui a créé les cieux et la terre. 23 Je fais le serment que je ne prendrai rien de ce qui t'appartient, pas même un fil ou une lanière de sandale. Ainsi tu ne pourras pas dire : “J'ai enrichi Abram.” 24 Je ne garderai rien pour moi. J'accepte seulement ce que mes jeunes gens ont mangé et la part de mes alliés, Aner, Èchekol et Mamré, qui ont droit à cette part. »

Que nous dit le texte hébraïque :

Il faut de la patience pour lire ces noms de lieux et tous ces noms peuvent sembler inutiles à un lecteur superficiel. C’est une erreur de penser cela : car tout fait sens dans la Torah. Ici, ces noms sont le support d’un remez (allusion). Le rédacteur nous vient en aide, il signale que Bèla, c’est Soar, qu’Ein-Mishpat est un autre nom de Cadesh, et que la vallée de Siddim est en fait la mer Salée – c’est-à-dire la Mer morte. Il aurait pu ajouter que Shinear est Babylone. Dans ces remarques, nous reconnaissons des notations étiologiques.

En revanche, il est extrêmement difficile d’identifier les rois évoqués. On ne connaît aucun roi Kedor-Laomer en Élam alors que le texte biblique paraît lui accorder une certaine stature. Quant à Amraphel, on a évoqué le grand roi Hammurabi, fondateur de l’empire babylonien vers le XVIIIe s. avant Jésus Christ. Il faudrait plutôt penser à un des nombreux rois Hammurabi ou Hammurapi d’Ugarit, peut-être le dernier de la dynastie, vers le dernier tiers du XIIIe siècle avant Jésus Christ. Mais la tradition midrashique nous dit qu’il s’agit de Nimrod.

La Mer Morte ou Mer salée

À 392 m au-dessous du niveau de la mer, elle est tellement salée que même les poissons ne peuvent y vivre et que les hommes y flottent sans avoir besoin de nager ! Irriguée par le Jourdain et nombre de torrents, son évaporation intense cause sa concentration en sel. On la nomme donc aussi Mer du sel, à moins qu’on ne préfère dire Mer d’asphalte parce qu’elle comporte des ressources en bitume, utilisées autrefois par les marins pour calfater leurs navires.

Elle fut sans doute le théâtre de bouleversements sismiques et il n’est donc pas étonnant que le chapitre 14 du livre de la Genèse la nomme aussi vallée de Siddim : elle devait être au sud-est de la mer et 5 villes y étaient bâties : Sodome, Gomorrhe, Adma, Cevoim, Soar, sans doute englouties par les eaux lors d’un tremblement de terre.

Guerre ou coup de main ?

Les cinq rois de Sodome, Gomorrhe, Adma, Tseboïm, Soar sont vaincus par les rois d’Élam, Ellasar et Gojim. Et Abraham viendra défaire les vainqueurs avec ses 318 de ses hommes. Au regard des textes du Proche-Orient ancien, ces chiffres ne sont pas ridicules.

Faut-il parler de « guerre » pour autant ? Sans doute s’agit-il davantage de coups de main rapides qui aboutissent au pillage des hommes et des biens.

Étymologie des noms royaux :

- Amraphel, roi de Shinear : Annonceur de ténèbres, qui parle d’une manière sombre, roi du pays des deux fleuves la Bible le connaît aussi sous le nom de Nimrod.

- Aryok, roi d'Ellasar : Comme un lion, le serviteur du dieu lune, roi du dieu qui châtie

- Kedor-Laomer, roi d'Élam : Poignée de gerbes, roi du haut pays

- Tideal, roi de Goyim : Le grand fils, roi des nations

- Béra, roi de Sodome : Fils du mal, qui brille en science, roi de ce qui brûle

- Birsha, roi de Gomorrhe : Avec iniquité, roi de Submersion

- Shineab, roi d'Adma : Splendeur du père, roi de la terre ou des terrasses

- Shémeéber, roi de Tseboïm : Vol fameux, roi des gazelles

Le roi de Béla, qui est Soar : le roi de Destruction, qui est insignifiant et dans la petitesse.

Aux versets 5, 6 et 7, on nous dit qu’avant de mettre en fuite le camp de Béra, Kedor-Laomer avait emporté d’autres guerres contre :

- Les géants (Rephaïm) à Ashteroth-Karnaïm, un lieu consacré à la déesse « Astarté des deux cornes ou sommets ».

- Les Zouzim c’est-à-dire « les créatures qui rôdent » à Ham (chaud, qui brûle).

- les Émim à Shaveh-Qiryathayim, c’est-à-dire « les terreurs » qui étaient dans la « plaine des villes jumelles ».

- Les Horiens (ceux qui demeurent dans les cavernes) dans leur montagne de Séir (velu, broussailleux), jusqu'au chêne de Paran, qui est près du désert.

- Les Amalécites (le peuple qui lape) et les Amoréens (les diseurs, les montagnards) à des endroits nommés En-Mishpath ou Cadesh (source du jugement ; consacré, saint) et Hatsatson-Thamar (division du palmier).

Le succès de Kedor-Laomer s’explique par le haut degré qu’il avait atteint dans le monde occulte. En effet, pour venir à bout des géants, des créatures qui rôdent et des terreurs, il ne suffit pas d’avoir des gros muscles et une épée bien aiguisée. Bien entendu, les rois de l’alliance adverse n’étaient pas non plus des enfants de chœur.

אַמְרָפֶ֣ל מֶֽלֶךְ־שִׁנְעָ֔ר אַרְי֖וֹךְ מֶ֣לֶךְ אֶלָּסָ֑ר כְּדָרְלָעֹ֨מֶר֙ מֶ֣לֶךְ עֵילָ֔ם וְתִדְעָ֖ל מֶ֥לֶךְ גּוֹיִֽם׃ עָשׂ֣וּ

מִלְחָמָ֗ה..  (Béréchit 14,1)(Genèse 14,1)

« Et ce fut au temps d’Amrafèl roi de Shinhar, ... qu’ils firent la guerre ... ».

La paracha raconte que quatre rois mésopotamiens (Amraphèl de Chin’ar, Aryokh d'Ellasar, Kédorla’omèr de ‘Elam, et Tid’al de Goyim), joignirent leurs forces pour combattre cinq rois cananéens : Béra de Sédom, Bircha’ de ‘Amora (Gomorrhe), Chineab d'Adma, Chémeéber roi de Tséboyim et le roi de Béla’ (Soar).

Le mot וַיְהִ֗י  (wayéhi) annonce parfois des épisodes malheureux : ainsi en est-il avant le déluge :

וַיְהִ֧י הַמַּבּ֛וּל אַרְבָּעִ֥ים י֖וֹם עַל־הָאָ֑רֶץ  (Béréchit 7, 17).

Et il y aura un déluge de quarante jours sur la terre.

Les mots וַיְהִ֗י בִּימֵי֙ vayéhi bimey indiquent toujours des jours malheureux. Ainsi, les mots וַיְהִ֗י בִּימֵי֙ אַמְרָפֶ֣ל  (Béréchit 14,1) sont suivis de עָשׂ֣וּ מִלְחָמָ֗ה « il firent la guerre » (Béréchit  14,2) : c’est la guerre  dite des « quatre rois contre les cinq ». La bataille eut lieu dans la vallée des Calcaires (עֵ֖מֶק הַשִּׂדִּ֑ים) qui était située à l’emplacement de la mer Morte actuelle. Dans cette paracha, on voit une tentative des royaumes cananéens pour s’affranchir de la domination des royaumes orientaux. 

Le personnage important de cette coalition, c’est Amraphel c’est-à-dire Nimrod. En fait, Nimrod selon la tradition midrashique avait déjà affronté Abram et il semble que sa motivation (à l’origine de la guerre décrite ici) était de prendre le contrôle d’Abram qui, après avoir quitté Our Kasdim et ’Haran, s’était établi dans le pays que Kéna’an était en train de conquérir. Nimrod l’idolâtre ne pouvait tolérer qu’Abram continue à affirmer l’existence d’un Dieu unique. Devant ce conflit idéologique, Nimrod a une solution : éliminer Abram. De fait, sa coalition eut le dessus sur les rois de Kéna’an et il parvint à capturer un homme qui résidait à Sedom : Loth. Or, cet homme ressemblait à Abram (voir article précédent) et Nimrod crut avoir atteint son objectif. Abram se trouva confronté ici à quatre puissants royaumes victorieux, mais grâce à son Dieu, il l’emporta, préfigurant le futur d’Israël, rédempteur de l’humanité.

Ce même chapitre peut être lu à un autre niveau de sens, שְׁתֵּ֤ים עֶשְׂרֵה֙ שָׁנָ֔ה עָֽבְד֖וּ אֶת־כְּדָרְלָעֹ֑מֶר וּשְׁלֹשׁ־עֶשְׂרֵ֥ה שָׁנָ֖ה מָרָֽדוּ׃ « Pendant douze ans, ils servirent Kédorla-omèr. Et la treizième année, ils se révoltèrent » (Béréchit 14, 4).

Les cinq rois cananéens ont été assujettis à Kédorla‘omèr pendant 12 ans et se sont révoltés la 13ème  année.

La tradition enseigne que, pendant les douze premières années de l’enfant, le mauvais penchant est seul présent, comme il est dit : לַפֶּ֖תַח חַטָּ֣את רֹבֵ֑ץ  "au seuil de la porte le péché guette" (Béréchit 4, 7). Le penchant au bien n’apparaît qu’avec la treizième année. Cela ne veut pas dire que l’enfant est mauvais : le mauvais penchant n’ayant pas d’adversaire n’a aucun besoin d’apparaître. Ce n’est que lorsque les forces spirituelles de l’âme se développent que le mauvais penchant utilise ses armes, et la guerre éclate à partir de la quatorzième année. Il est précisé que la 14ème année, les rois mésopotamiens se sont mis en campagne, battant les Rephaïm à ‘Achtérot-Karnayim, les Zouzim à Ham, ainsi que les Émim à Chavé-Kiryatayim.

L’attaque du mauvais penchant.

1Genèse 4,5

וּבְאַרְבַּע עֶשְׂרֵה שָׁנָה בָּא כְדָרְלָעֹמֶר, וְהַמְּלָכִים אֲשֶׁר אִתּוֹ, וַיַּכּוּ אֶת-רְפָאִים בְּעַשְׁתְּרֹת קַרְנַיִם, וְאֶת-הַזּוּזִים בְּהָם; וְאֵת, הָאֵימִים, בְּשָׁוֵה, קִרְיָתָיִם. 

5, La quatorzième année, Kedorlaomer s'avança avec les rois ses alliés, et ils défirent les Refaïm à Achteroth-Karnayim, les Zouzim à Ham, les Emim à Chavé-Kiryathayim;

Ce commentaire s’appuie sur des enseignements de R’ Ya’akob Abouatsira זצוק"ל (guématria et autres déductions sur les noms utilisés par le texte). Le mauvais penchant (yétser hara’) s’attaque :

- Aux riches qui délaissent le culte divin : רְפָאִים֙ (réphaim) fait allusion à l’idée de faiblesse ; בְּעַשְׁתְּרֹ֣ת (Achteroth) fait allusion à richesse ;  קַרְנַ֔יִם  (Karnayim) fait allusion au capital financier – un mot de la famille de keren;

- aux pauvres (וְאֶת־הַזּוּזִ֖ים (u·ath - e·zuzim)  voir l’argent, zouz) les Zouzim : le mauvais penchant laisse entendre aux pauvres que, parce qu’ils sont préoccupés par la recherche d’argent, ils peuvent échapper à l’étude de la Torah et à l’obligation de la prière;

- aux orgueilleux « qui terrorisent »  (d’après « peur », sens  déduit de הָֽאֵימִ֔ים e·aimim) « les Emim » .

Les cinq rois cananéens font allusion au corps qui tombe au pouvoir du mauvais penchant :

Verset 2:

עָשׂוּ מִלְחָמָה, אֶת-בֶּרַע מֶלֶךְ סְדֹם, וְאֶת-בִּרְשַׁע, מֶלֶךְ עֲמֹרָה; שִׁנְאָב מֶלֶךְ אַדְמָה, וְשֶׁמְאֵבֶר מֶלֶךְ צְבֹיִים, וּמֶלֶךְ בֶּלַע, הִיא-צֹעַר. 

« Ils [les rois mésopotamiens] firent la guerre contre Béra, roi de Sédom, et contre Bircha’, roi de ’Amora, [contre] Chineab, roi d’Adma, et [contre] Chèm-Chémeéber roi de Tséboyim, et [contre] le roi de Béla’, qui est Tso’ar » (Béréchit 14, 2).

Sans entrer dans le détail des explications de R’ Ya’akob Abouatsira, indiquons qu’elles démontrent que les noms des cinq rois (ou royaumes) cananéens auxquels Abraham  apporta son soutien après leur attaque par les rois babyloniens font allusion à la tentation de l'être humain par le mauvais penchant.

Chaque nom fait allusion à l'un des sens: סְדֹ֔ם  Sédom (Sodome) c’est le cœur qui convoite ; עֲמֹרָ֑ה  ‘Amora (Gomorrhe) c’est l’œil qui voit ; צְבֹיִ֔ים  (Tséboyim) évoque la bouche ; בֶּ֖לַע (Béla) évoque les mains qui ont le pouvoir de détruire; אַדְמָ֗ה (Adma) renvoie aux oreilles.

Développons l'analyse pour ce nom: le ז tsadi révèle qu'il fait allusion à l'audition. Il utilise conjointement la méthode de permutation AB-GD puis la guématria. Dans un premier temps, אדמה (adma) est remplacé par בהנו (Bahnou) même valeur numérique. Dans un second temps, il considère la valeur numérique des lettres substituées : les lettres בהנו Bahnou correspondent à 63 ce qui est aussi la valeur du mot oreille.

Il est question ici des diverses portes d’entrées par où le mauvais penchant entre dans l’être humain. Ces coups frappent aux diverses portes ouvertes sur l’extérieur qui correspondent à l’un des sens (les sens). Le Midrash Tan’houma précise : « Le cœur et les yeux sont les explorateurs du corps et ils lui proposent des mauvaises actions : l'œil voit, le cœur désire, et le corps accomplit la faute ». La Torah insiste sur la pureté du cœur, car la pureté des yeux en découle. C’est pourquoi on prie : « Et purifie notre cœur… ». C’est pourquoi il convient de faire des efforts pour protéger ses yeux de visions malsaines toujours pernicieuses. Car, une fois que le cœur et les yeux sont tombés, les autres organes se rendent à la volonté du mauvais penchant.

Le Rav explique que le mauvais penchant s’approprie alors les mitsvot faites auparavant au moyen de tous les organes : וַ֠יִּקְחוּ אֶת־כָּל־רְכֻ֨שׁ (« ils prirent tout le bien » v11), ainsi que leur vitalité (וְאֶת־כָּל־אָכְלָ֖ם) (Génèse 14, 11). Alors, l’homme perd ses étincelles de sainteté et « c’est pourquoi les impies, dans leur vie, s’appellent morts ».

Ce chapitre commence par וַיְהִ֗י  (Béréchit 14, 1-2). La guémara dit : « partout où  est mentionné « et ce fut » [dans l’Écriture], il ne s’agit que de l’expression d’une tristesse ». R’ Ya’akob Abouatsira enseigne que ce mot annonce le malheur, à l’homme qui suit son mauvais penchant et se perd dans les vanités de ce monde. Ce fut le cas pour Loth fils qui, ayant choisi d’habiter Sédom, fut capturé et ses biens furent pillés.

Abram porta secours à Loth avec ses «318 guerriers nés dans sa maison » (Gn 14,12-16),  plus loin dans l’histoire d’Abraham, au chapitre 15, Dieu félicite Abraham, qui n'a pourtant pas l'air heureux, et s'en explique : pour héritier de sa maison, il n'a qu'Eliézer de Damas né dans sa maison. Ces deux textes semblent contradictoires. De plus, jamais on n'a entendu parler de cet Eliézer et il ne sera plus cité par la suite dans la vie d'Abraham. Mais la guématria nous donne une piste puisque la valeur numérale des lettres formant le nom "Eliézer" correspond au nombre 318, soit exactement le nombre des "guerriers nés dans la maison d'Abraham". Eliézer serait-il une "confirmation chiffrée" des 318 guerriers utilisés par Abraham ? Ou bien serait-il vraiment un personnage en chair et en os, le seul guerrier utilisé par Abraham pour vaincre les rois ennemis ? La question demeure.

Il poursuivit les ravisseurs jusqu’à Dan, au nord du pays, et fut victorieux. Abram était doublement concerné par cette guerre : il était concerné puisque son neveu avait été capturé ; mais il était concerné aussi, et au premier chef, car c’est lui qui selon le midrash que Kédorla’omèr = Nimrod voulait capturer, et pour cela qu'il a mené le combat. L’intention de Nimrod était de prendre Abram, le dissident qui avait tenté de répandre dans son royaume la foi en un Dieu unique. Capturant Loth, il crut détenir Abram à cause de leur ressemblance physique. Abram poursuivit les rois mésopotamiens et eut le dessus (Béréchit 14, 4-5).

Au-delà du sens littéral (pechat), une fois de plus, on trouve des allusions derrière les noms employés.

וַיִּקְחוּ אֶת-כָּל-רְכֻשׁ סְדֹם וַעֲמֹרָה, וְאֶת-כָּל-אָכְלָם--וַיֵּלֵכוּ. 

  «Ils [les rois mésopotamiens] prirent tout le bien de Sédom et de ‘Amora et toutes leurs nourritures et s’en allèrent » (Béréchit 14, 11).

Mais le bon penchant ayant convaincu les organes qu’ils devaient suivre ses conseils, les étincelles de sainteté (וּרְכֻשׁוֹ֙) réintègrent leur place. Les rois libérés par Abram renvoient à l’homme libéré par le yétser hatov.

וַיָּשֶׁב, אֵת כָּל-הָרְכֻשׁ; וְגַם אֶת-לוֹט אָחִיו וּרְכֻשׁוֹ הֵשִׁיב, וְגַם אֶת-הַנָּשִׁים וְאֶת-הָעָם.

« Il fit retourner tout l’acquis: il fit aussi retourner Loth, son frère, et son acquis avec aussi les femmes et le peuple » (Béréchit 14, 16).

וַיֵּצֵ֣א מֶֽלֶךְ־סְדֹם֮ לִקְרָאתוֹ֒ אַֽחֲרֵ֣י שׁוּב֗וֹ מֵֽהַכּוֹת֙ אֶת־כְּדָרְלָעֹ֔מֶר וְאֶת־הַמְּלָכִ֖ים אֲשֶׁ֣ר אִתּ֑וֹ אֶל־עֵ֣מֶק שָׁוֵ֔ה ה֖וּא עֵ֥מֶק הַמֶּֽלֶךְ׃ « Et après son retour, après avoir frappé Kédorla’omer et les rois qui étaient avec lui, le roi de Sédom sortit à sa rencontre dans la vallée de Chavé, qui est la vallée du roi » (Béréchit 14, 17).

À partir du moment où le cœur (Sédom) revient vers le yetser hatov (אַֽחֲרֵ֣י שׁוּב֗וֹ), les forces qui sont avec lui (וְאֶת־הַמְּלָכִ֖ים אֲשֶׁ֣ר אִתּ֑וֹ) suivent son exemple et marchent dans le chemin de Hachèm (עֵ֥מֶק הַמֶּֽלֶך « la vallée de Dieu » ). Il y a là une technique de téchouva : dompter les sens.

וַיֵּצֵא מֶלֶךְ-סְדֹם, לִקְרָאתוֹ, אַחֲרֵי שׁוּבוֹ מֵהַכּוֹת אֶת-כְּדָרְלָעֹמֶר, וְאֶת-הַמְּלָכִים אֲשֶׁר אִתּוֹ--אֶל-עֵמֶק שָׁוֵה, הוּא עֵמֶק הַמֶּלֶךְ. 

Le roi de Sodome sortit à sa rencontre, comme il revenait de défaire Kedorlaomer et les rois ses auxiliaires, vers la vallée de Chavé, qui est la vallée Royale.

וּמַלְכִּי-צֶדֶק מֶלֶךְ שָׁלֵם, הוֹצִיא לֶחֶם וָיָיִן; וְהוּא כֹהֵן, לְאֵל עֶלְיוֹן. 

Melchisédech, roi de Salem, apporta du pain et du vin: il était prêtre du Dieu suprême.

וַיְבָרְכֵהוּ, וַיֹּאמַר:  בָּרוּךְ אַבְרָם לְאֵל עֶלְיוֹן, קֹנֵה שָׁמַיִם וָאָרֶץ

Il le bénit, en disant: "Béni soit Abram de par le Dieu suprême, auteur des cieux et de la terre!

וּבָרוּךְ אֵל עֶלְיוֹן, אֲשֶׁר-מִגֵּן צָרֶיךָ בְּיָדֶךָ; וַיִּתֶּן-לוֹ מַעֲשֵׂר, מִכֹּל. 

Et béni le Dieu suprême d'avoir livré tes ennemis en ta main!" Et Abram lui donna la dîme de tout le butin.

Mais qui est ce Melchisédech ?

Melchisédech apparaît dans la natation subitement et sans crier gare. On pourrait supprimer ce passage en sortant les versets 18, 19, et 20 de la narration sans en altérer le sens. Il y a même continuité entre le verset 17 et le verset 21 avec la rencontre du roi de Sodome et les trois versets parlant de Melchisédech semble un ajout tombé là comme par hasard. Le personnage de Melchisédech est en effet mystérieux ; il apparaît brièvement en Genèse 14,v18, 19  20 où il est présenté comme roi de Salem, dont la localisation est inconnue. Certaines traditions juives et chrétiennes ont proposé d'identifier “Salem” à “Jérusalem” ; la racine est en effet la même, et fait référence au dieu Shalem (le nom “Jérusalem” signifie “Fondation du dieu Shalem”). 

En même temps, Melchisédech est présenté comme prêtre du dieu Élyôn, et non du dieu Shalem fondateur de Jérusalem. La tradition postérieure a associé ce dieu à Yhwh, le dieu des Israélites, de façon à confondre les deux noms. Ce double changement — de lieu et de dieu — fait de Melchisédech un prêtre du dieu Yhwh à Jérusalem.

Il y a plus. En Josué 10,1, le roi de Jérusalem s'appelle Adonisédeck, un nom qui peut être interprété “Seigneur de justice”. La sonorité et le sens sont proches de Melchisédech, qui peut être interprété “Roi de justice”. Les deux personnages ont donc été confondus dans certaines traditions, si bien que certains manuscrits de ce verset lisent Melchisédech au lieu de Adonisédeq.

Quant à Melchisédech, on le retrouve mentionné dans le Psaume 110 verset 4, où il est question d'être prêtre “à cause de (ou à la manière de) Melchisédech”. On a voulu faire de ce psaume un psaume messianique, puis qu’il évoque une prêtrise éternelle. On en vient à se demander si Melchisédech n'est pas un être hors du temps, peut-être même un être divin, à l'instar des anges, à qui une prêtrise éternelle aurait été confiée. Cela expliquerait son caractère mystérieux. 

Justement, à Qumrân, parmi les célèbres manuscrits de la mer Morte, on trouve deux personnages opposés : Melchisédech et Melkirésha (“Roi d’impiété”), qui représentent d'une certaine manière l'opposition entre les forces du bien et les forces du mal. (Voir notamment les manuscrits 4Q280, 4Q401, et surtout 11Q13.) Il semble que ce ne sont pas de simples êtres humains, mais des êtres divins.

Il n’est donc guère surprenant que, dans le Nouveau Testament, Jésus soit comparé à Melchisédech, dans l'épître aux Hébreux (chapitres 5 à 7). Cette épître fait la part belle aux êtres divins, notamment les anges, et s'intéresse donc à Melchisédech, ce prêtre à mi-chemin entre le monde humain et divin. Or, c'est précisément la vision que l'auteur de l'épître a de Jésus : il est lui-même prêtre et roi, non pas comme un humain (tel Aaron), mais comme un être divin (tel Melchisédech).

Au final, les traditions juives qui se sont développées autour du personnage mystérieux de Melchisédech ont contribué, dès les origines du christianisme, à la représentation de Jésus-Christ — tant sa nature que sa mission.

Je ne rentrerai pas ans la polémique entre Juifs et Chrétiens sur ce que figure ou qui représente ce Melchisédech. Le christianisme a fait de Melchisédech une figure ou image du Christ, en effet selon eux Melchisédech roi de Shalem (c'est-à-dire roi de Paix) est une figure du Christ offrant le pain de son corps et le vin de son sang pour la multitude. », Quoique intéressante d’un point de vue théologique cette affirmation ne fasse pas l’unanimité et ne repose selon moi sur aucun fondement sérieux.

Interprétation rabbinique classique.

Dans le Midrash, les rabbins ont identifié Melchisédech avec Shem fils de Noé. (Par exemple, Talmud babylonien Nedarim 32b ; Genèse Rabbah 46:7 ; Genèse Rabbah 56:10 ; Leviticus Rabbah 25:6 ; Nombres Rabbah 4:8.) Rabbin Isaac le Babylonien a indiqué que Melchisédech était né circoncis. (Genèse Rabbah 43:6.) Melchisédech a appelé Jérusalem « Salem. » (Genèse Rabbah 56:10.) Les rabbins ont dit que Melchisédech a instruit Abraham dans le Torah. (Genèse Rabbah 43:6.) Rabbin Eleazar a indiqué que l'école de Melchisédech était l'un de trois endroits où l'esprit saint s'est manifesté. (Talmud babylonien Makkot 23b.) les rabbins ont enseigné que Melchisédech a agi en tant que prêtre et ont remis en bas des robes longues d'Adam à Abraham. (Nombres Rabbah 4:8.) Rabbin Zechariah a indiqué sur l'autorité de Rabbin Ishmael que Dieu prévoyait la conduite du sacerdoce par les descendants de Melchisédech, mais parce que Melchisédech a béni Abraham avant qu'il ait béni Dieu (dans Genèse 14:19 - 20), Dieu a apporté le sacerdoce en avant des descendants d'Abraham. (Talmud babylonien Nedarim 32b ; voir également le Leviticus Rabbah 25:6 (créditant Rabbin Ishamel).)

Rabbin Judah a indiqué dans le nom de Rabbin Nehorai que la bénédiction de Melchisédech a rapporté la prospérité pour Abraham, Isaac, et Jacob. (Genèse Rabbah 43:8.) Ephraim Miksha'ah le disciple de Rabbin Meir a dit dans le dernier nom que Tamar est descendu de Melchisédech. (Genèse Rabbah 85:10.)

La citation Rabbin Simeon Hasida de Bizna de barre de Rabbin Hana a identifié Melchisédech en tant qu'un des quatre artisans desquels Zechariah a écrit dans Zechariah 2:3. (Talmud babylonien Sukkah 52b ; voir également la chanson des chansons Rabbah 2:33 (créditant Rabbin Berekiah au nom de Rabbin Isaac). Le Talmud enseigne que David a écrit le livre des psaumes, y incluant en son sein le travail des aînés, y compris Melchisédech (en psaume 110). (Baba babylonien Batra 14b-15a de Talmud.)

L'un au moins des écrivains du Livre des Hébreux crut comprendre la mission de Melchisédech, car il est écrit : " Ce Melchisédech, prêtre du Très Haut, était aussi roi de paix ; sans père, sans mère, sans généalogie, n'ayant ni commencement de jours ni fin de vie, mais créé semblable à un Fils de Dieu, il demeure prêtre à perpétuité. " Cet écrivain désignait Melchisédech comme un modèle de l'effusion ultérieure de Micaël, affirmant que Jésus était " un ministre pour toujours selon l'ordre de Melchisédech ".

Pour les chrétiens Jésus est le Messie "prêtre de pour toujours dans l'ordre de Melchisédech" (psaume. 110:4), et ainsi Jésus joue le rôle du haut prêtre une fois pour toutes. Jésus est considéré comme prêtre dans l'ordre de Melchisédech parce que, comme Melchisédech, Jésus n'était pas un Lévite, et ne qualifierait pas ainsi pour le sacerdoce de Levitical (Heb. 7:13-17) (Robinson et al, 1978, "The Nag Hammadi Library »).

En fait toutes ces spéculations sont là parce que l’on ne sait rien de ce Melchisédech. Je devrais peut-être dire parce que l’on ne sait plus en quoi ça présence est nécessaire à cet endroit dans le texte. Autrement dit, pourquoi l’a-t-on mis là en coupant la narration parlant du roi de Sodome ? Personnellement je crois que Melchisédech fut créé par les scribes comme une construction midrashique pour ouvrir un midrash. La réécriture des textes nous en a fait perdre la trace et le contenu de celui-ci.

Je crois qu'il est inutile d'essayer de lui trouver un nom propre dans l'histoire ou dans la Bible, car c'est une pure construction midrashique. De la sorte ce personnage n'a ni commencement ni fin, ni père ni mère, ni généalogie... C'est une personnalité morale perpétuelle, une « fiction » qui agit sans corps, qui ne parle que vérité et bonté, justice et sainteté ... C'est une figuration de l'ESPRIT SAINT Éternel tel qu'il nous apparaît dans les Écritures, et la bonne parole qui vient de cette entité inconnue, invisible, pour instruire les hommes sur sa spiritualité. Il est, pour tout le monde, ce VERBE qui parle par la bouche des prophètes. Melchisédech est le "Maître de Justice" des Esséniens,

Abram n'a peut-être pas rencontré Melchisédech en personne. Visiter St. Jacques a Compostelle ne veut pas dire rencontrer le Saint en personne. Offrir le pain et le vin fait partie d'une ancienne pratique des Phéniciens,(producteurs et commerçants de vin et de céréales) pour recevoir tout visiteur. Les pèlerins arrivant aux temples, de loin, assoiffés et affamés, en étaient servis. Ce n'est pas sûrement le Grand Prêtre, qui leur apporte mais les serveurs du temple. Cette pratique nous l'appliquons encore quand nous offrons dans nos maisons une boisson et des biscuits, à nos visiteurs. Deux versets plus loin, Abram a dit : "J'ai levé la main vers, Yhwh!!!, Dieu Très Haut, qui a créé le Ciel et la Terre..." Donc Abram a prêté serment devant El Aalyoun, a-t-il été initié en l'occasion ? Peut-être ! Mais "Yhwh" ??! Abram pouvait-il connaître ce nom qui n'a été révélé que bien plus tard à Moïse ?  Ce nom de Yhwh est soit une ajoute d’un scribe zélé tardif, soit que le texte lui-même fut rédigé bien après l’époque d’Abraham. Dieu Très Haut n'est pas un adjectif du dieu, c'est son nom , et Abram pouvait-il dire  et connaître Yhwh ? Après la révélation à Moise dans Exode, bien après, le narrateur ou le scribe ayant, par erreur compris "Yhwh", comme étant le nom du Dieu de leurs ancêtres, selon le dialogue rapporté, je conçois qu'il se mette à ajouter ce nom partout dans la version Elohiste et Yahwiste ou il s'agissait du dieu des ancêtres, mais mettre ce présumé nom de Dieu dans la bouche d'Abraham, des siècles avant que ce terme ne soit révélé et connu !!!? C'est difficile à accepter.

 

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