La rupture avec le judaïsme

Rupture

À travers ses épîtres et les lettres qui ont été ultérieurement placées sous son nom, à travers le rôle essentiel que lui donne le récit des Actes des apôtres, Paul occupe une place considérable à l’intérieur du Nouveau Testament. Après Jésus, il est l’autre grand homme de la littérature chrétienne. Si grand que pour certains, bien plus que Jésus, il peut être considéré comme le véritable fondateur du christianisme.

Je pense qu’au regard de l’histoire que Paul — involontairement peut-être — a fondé une nouvelle religion, ou a semé les graines d’une nouvelle religion. C’est cette religion qui s’est développée dans les décennies et dans les siècles qui ont suivi, et qui au début de deuxième siècle devient le christianisme. Si l’on décide que le christianisme ne devient une religion que lorsqu’il dispose de ses textes, si le christianisme est uniquement la religion qui les canonise, alors oui on peut dire qu’il n’existe qu’à partir des années 150 ou 160, date à laquelle les lettres de Paul apparaissent ou sont connues. Mais c’est Paul qui a fondé cette nouvelle religion, ce n’est pas Jésus ou Jacques ou encore Pierre. Paul fut le premier bien avant Jean l’auteur du quatrième évangile à en jeter les bases. Non seulement en théorie, mais aussi en pratique. C’est ce que j’appelle le protochristianisme sans vouloir jouer sur les mots.

Beaucoup de juifs prétendent qu’il y a une énorme différence entre la religion de Jésus et celle de Paul. Ils admettent que Jésus était l’un des leurs, tandis que Paul ne l’était pas. Il était un juif de la diaspora hellénistique, avec toutes sortes d’idées bizarres. Donc la religion chrétienne n’est pas la religion de Jésus. Ainsi les juifs marqueraient des points dans la compétition. En 1920, Joseph Klausner écrit sur Jésus puis sur Paul et comment les choses se sont gâtées. Il est évident que Jésus n’a pas pensé créer une nouvelle religion, on ne peut pas en dire autant de Paul. Il semble que pour l’historien à long terme c’est effectivement Paul qui a émis les bases de cette théologie qui est en quelque sorte les fondements de cette nouvelle religion. Celle-ci se démarquera très rapidement de la religion mère c’est-à-dire du judaïsme. Une secte juive au début et durant le premier siècle, et puis qui devient très rapidement une religion à part entière. On peut discuter de comment se fait le passage de cette secte à une religion, alors on constate que les fondations  du christianisme sont en grande partie instituées par Paul. Des fondements à la fois de croyances et de pratiques. C’elles-ci sont indéniablement instituées par Paul, et certainement par le texte et la théologie paulinienne, et par la façon dont les premiers chrétiens lisaient et comprenaient les textes de Paul.

Historiquement, la forme du christianisme qui va s’imposer est une forme de christianisme qui emprunte beaucoup à Paul et un tout petit peu à Pierre. Donc effectivement Paul a marqué d’une façon incommensurable la forme du christianisme qui va triompher dans l’histoire. Deuxième affirmation, au moment où l’on peut parler véritablement du christianisme à part, c’est-à-dire à partir du début du deuxième siècle, c’est à ce moment-là que l’on se saisit de la figure de Paul pour formuler cette identité chrétienne. Dit autrement, c’est au moment où le christianisme se cherche ou se réinvente hors du judaïsme que l’on cherche une autre théologie, une théologie pouvant se vivre hors du judaïsme, une théologie de rupture, et donc c’est là que l’on va chercher celle de Paul.

Mais l’inventeur le fondateur cela veut dire quoi ?

Inventeur du christianisme ! alors c’est quoi le christianisme ?

La foi en Jésus le Christ, c’est en Jésus le Messie, Jésus qui est mort et ressuscité pour le salut du monde. Est-ce que cela veut dire christianisme justement ? C’est-à-dire cette catégorie-là inconnu jusqu’à présent des chrétiens qui sont chrétiens au sens où ils ne sont pas juifs, c’est-à-dire des gentils qui vont recevoir la foi en Christ. Alors oui si Paul est l’inventeur du Christ ou de Jésus le Christ et ayant vu en Jésus de Nazareth le Christ, alors oui il est l’inventeur du christianisme. Justement, c’est au sens où ce serait lui qui aurait inventé cette profession de foi Jésus le Christ. Je crois que c’est assez difficile à dire.

Paul meurt dans les années 60 et en son temps il pensait ou il a la vision des possibilités d’un judaïsme que l’on pourrait appeler transformé, ou réformé, et qui permettent de faire connaître le judaïsme le monothéisme juif et tout ce qu’il véhicule de spiritualité au monde grec et de façon plus facile, large et commune. Je crois que vu ainsi cela a été un échec. Jésus lui-même avait proposé sa vision au sein de judaïsme de vivre celui-ci autrement de façon moins contraignante plus humaine en quelque sorte, là aussi ce fut un échec. La différence entre Jésus et Paul, c’est que Jésus voulait transformer le judaïsme pour le judaïsme lui-même tout en restant fidèle à la Torah qu’il réinterprète dans la façon où celle-ci devait être faite pour l’homme et non l’inverse.

Paul lui veut simplifier et pour exporter en quelque sorte le judaïsme, mais sa simplification rejette en second plan la Torah voir la rend inutile. Mais en tout les cas, la perspective a changé après Paul c’est-à-dire que les événements historiques ont contraint finalement le christianisme à sortir du judaïsme. Mais je pense que Paul voulait rompre avec le judaïsme du temple. La vision qu’il avait corrigé de la diaspora, les possibilités du judaïsme dans le monde romain, l’attachaient plus à la synagogue qu’à Jérusalem, et c’est à cela qu’il voulut établir.

Au début, Paul pensait que la foi en Jésus était le véritable judaïsme pour lui c’était la continuation de la religion d’Israël. Dans l’épître aux Galates, Paul met en opposition le Ἰουδαϊσμός Ioudaismos c’est-à-dire le zèle pour la Loi (la Torah) le respect strict des observances qu’ils sont partie intégrante de sa fois première avec sa foi en Jésus qu’il développera par la suite. Pourtant Paul ne pense pas que sa foi en Jésus l’exclue du judaïsme, pour Paul croire en Jésus c’est l’aboutissement de la révélation de Dieu à Israël. Les promesses que Dieu a faites à Israël se réalisent en Jésus. Évidemment, il s’agit d’une construction théologique, Paul interprète toute une série de textes comme les promesses qui renvoient à Jésus.

Selon les uns, Paul ne se comprend que dans la perspective du judaïsme de son temps. Selon les autres, il est au contraire le principal agent de la rupture avec le judaïsme. Pour les chrétiens Paul est un juif selon leur cœur, pour les juifs c’est un traître un apostat. Paradoxalement, la lecture des épîtres de Paul justifie ces deux interprétations.

Certes, Paul n’a pas volontairement rompu avec le judaïsme, mais peut-on dire qu’il n’a jamais eu l’intention de fonder une religion ? Que ce n’était pas son intention ? Cette idée ne peut être défendue que rétrospectivement, car c’est ce qui est arrivé. De son vivant, Paul attendait l’avènement du Seigneur dans un futur immédiat et même avant qu’il ne meurt lui-même, on l’oublie trop souvent. Apôtre de Jésus Christ il a choisi de lui-même d’aller prêcher la bonne nouvelle chez les gentils c’est-à-dire les non-juifs craignant Dieu. Dans l’épître aux Romains il écrit : « jusqu’à ce ceux que soit rentré la totalité des païens, à ce moment-là le Christ viendra et tout Israël sera sauvé. » Avec le recul, on voit que cela était impossible au premier siècle, le genre humain du monde connu ne représentait qu’une infime partie de l’humanité planétaire. Paul a toujours pensé que le royaume de Dieu était éminent ou à très court terme. Donc les communautés chrétiennes qu’il fondait n’étaient pas faites pour durer. Donc leur situation un petit peu précaire, ou mal définie à la limite du judaïsme était quelque chose de temporaire et n’était pas faite pour durer.

On ne peut pas pouvoir lire où que ce soit dans la correspondance paulinienne, une volonté de rompre avec le judaïsme, ce n’était pas dans son intention, mais sa doctrine ne pouvait que l’y conduire. Par contre ce qu’on lit, et en particulier au début de Romains chapitre 9 c’est le bilan un peu douloureux et même très douloureux que fait Paul de l’échec de sa prédication auprès d’Israël. Mais pouvait-il en être autrement ?

Épître aux Romains ch 9

« Je dis la vérité en Christ, je ne mens point, ma conscience m’en rend témoignage par le Saint-Esprit » on voit la construction un peu dramatique de la parole qui vient : « J’éprouve une grande tristesse, et j’ai dans le cœur un chagrin continuel. Car je voudrais moi-même être anathème et séparé de Christ pour mes frères, mes parents selon la chair, qui sont israélites, à qui appartiennent l’adoption, et la gloire, et les alliances, et la loi, et le culte, et les promesses, et les patriarches, et de qui est issu, selon la chair, le Christ, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni éternellement. Amen ! »

Paul ici dresse un constat dramatique et douloureux de la séparation entre l’Israël qui dit non à sa prédication autrement dit les communautés qu’il est en train de créer. Il y a là chez Paul, un constat qui est un constat d’échec. Ce constat va être surplombé par l’annonce de la conversion de tout Israël et du salut de tout Israël à la fin de l’histoire la fin qu’il croit, et il en ait persuadé, arriver prochainement ne l’oublions pas. Si Paul repousse à la fin de l’histoire l’affirmation du salut de tout Israël et qu’il affirme que ce salut n’interviendra que lorsque la totalité de l’humanité sera convertie, cela signifie que Paul a acquis là et l’on est dans les années 56 au fond une conviction de l’échec de sa mission envers Israël.

S’ils ont aligne (1) Thessaloniciens (1) et (2) Corinthiens, Galates, Philippiens, Romains, il y a effectivement une évolution de sa pensée, et sa capacité d’argumenter avec les catégories culturelles théologiques et spirituelles qui sont celles de ses destinataires celles aussi à coup sûr dans lesquelles il reformule le kérygme* pour eux.

* proclamation de la résurrection de Jésus-Christ.

Donc on est en présence de lettres qui véhiculent des conceptions très différentes, et donc on est en droit de se demander si la pensée de Paul a évoluée, et si elle a effectivement évoluée, et comment a-t-elle évoluée. Comment dans ce cas établir une chronologie, la plupart des auteurs pensant notamment que Romains est ultérieurs à Galates, mais ce n’est pas absolument certain ou évident. D’autres bons auteurs ont soutenu le contraire ; donc on a là une hypothèse d’évolution, hypothèse qui est récusée par un grand nombre d’experts qui pensent qu’en fait les différences sont surtout dues à des aspects de rhétorique, due au fait que Paul s’adresse à des communautés différentes. Il présente donc ses idées de façon différentes, en les exagérant ou les transformant de façon à pouvoir convaincre. Donc pour ces auteurs il y aurait une espèce de noyau de la pensée de Paul, mais qui pourrait prendre des formes différentes suivant les occasions et les opportunités ? Paul n’hésitant pas pour des raisons de rhétoriques, c’est-à-dire pour convaincre à tirer ses idées jusqu’à la limite à être de temps en temps de mauvaise foi, à utiliser des arguments assez douteux, en se disant qu’ils vont peut-être faire mouche. Donc à ce moment-là, on a un Paul extrêmement fluctuant, extrêmement difficile à cerner, un Paul qui est juif avec les juifs et un Paul gentil avec les gentils. Un Paul qui dit là je vous garantit que je dis la vérité. J’en fais serment, comme quoi peut-être il n’avait pas toujours la réputation d’être très sincère. Il faut certainement se méfier des gens qui n’arrêtent pas de clamer leur sincérité. Donc on a un personnage multiforme insaisissable qui est un véritable homme caméléon, comme Zélig pour reprendre le personnage de Woody Allen.

Paul se définit comme hébreu fils d’hébreu, de la tribu de Benjamin, mais ses épîtres témoignent de sa relation conflictuelle avec le judaïsme avec les observances qui fait que l’on est juif ou pas. Si vous me demandez : Paul a-t-il rompu avec le judaïsme ? La réponse est non pas vraiment. S’il avait fallu être en possession de sa carte de membre, ce qui n’était pas le cas, Paul n’aurait pas rendu la sienne. Il était né juif il était circoncis et il respectait sûrement la Loi juive. Il se définissait comme juif et devait en être assez fier. Néanmoins si j’identifie les principaux piliers qui dans l’Antiquité font que l’on est Juif ou pas, et si j’analyse ce qu’il en aurait pensé, tout comme Philon d’Alexandrie (13 - 54) on peut se demander si ses idées étaient ou non une menace.

Les trois piliers du judaïsme sont : l’importance du peuple juif, l’importance de la terre juive, et l’importance de la pratique juive. C’est trois éléments déterminaient qui était réellement des Ἰουδαῖος Ioudaios, des juifs. Paul a beaucoup dépensé d’énergie à commenté et a expliqué à ses lecteurs, et la plupart n’étaient pas juifs, pourquoi finalement ces trois éléments n’avaient que peu d’importance. Commençons par la terre juive : le concept de terre juive va de pair avec l’idée que Dieu a choisi une certaine partie du monde pour en faire sa résidence. À l’époque de Paul, il y avait dans la Bible la Maison de Dieu qui était le temple de Jérusalem, et tout autour la terre était sacrée. C’est ce qui a posé beaucoup de problèmes durant la période du second temple, car des puissances étrangères régnaient sur Israël. Le peuple les combattait, car pour lui il n’était pas normal que des Grecs, des Perses, ou des Romains, règnent sur cette partie du monde. Paul au contraire s’efforce de démontrer que cela n’est pas grave. Si vous prenez la première épître aux Corinthiens chapitre 6 et la deuxième, vous constatez que Paul insiste sur le peu d’importance du temple du vrai temple de Jérusalem, car d’autres choses s’y substituent. Il parle de ce que l’on a le droit de faire de son corps, et il dit : « 12 Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ; tout m’est permis, mais je ne me laisserai asservir par quoi que ce soit. 13 Les aliments sont pour le ventre, et le ventre pour les aliments ; et Dieu détruira l’un comme les autres. Mais le corps n’est pas pour l’impudicité. Il est pour le Seigneur, et le Seigneur pour le corps. Et Dieu, qui a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera aussi par sa puissance. Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres de Christ ? Prendrai-je donc les membres de Christ, pour en faire les membres d’une prostituée ? Loin de là ! Ne savez-vous pas que celui qui s’attache à la prostituée est un seul corps avec elle ? Car, est-il dit, les deux deviendront une seule chair. Mais celui qui s’attache au Seigneur est avec lui un seul esprit. Fuyez l’impudicité. Quelque autre péché qu’un homme commette, ce péché est hors du corps ; mais celui qui se livre à l’impudicité pèche contre son propre corps. Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit. »

Sa logique est la suivante le temple est l’endroit où Dieu séjourne donc s’il vit parmi nous, nous sommes le temple. C’est aussi vrai pour le corps c’est aussi vrai pour la communauté. Dans l’épître aux Éphésiens, Paul dit encore que la communauté chrétienne tout entière est un grand temple dont le Christ est la clef de voûte. Si cela est le cas, il n’est pas nécessaire d’habiter la terre sainte puisque le monde entier est potentiellement la terre sacrée. Paul va aller le prêcher un peu partout. Donc si l’un des piliers du judaïsme c’est d’être relié avec la Judée, le judaïsme dans l’Antiquité c’est d’être judéens et Paul prêche que cela n’est pas très important. Le deuxième pilier essentiel est la filiation juive. En d’autres termes, être Juif c’est être descendant d’Abraham. C’est une acceptation très répandue. Cela explique bien pourquoi il y a des juifs dans la diaspora ils ne sont pas attachés directement à la terre, (premier pilier), mais ils sont juifs parce qu’ils descendent d’Abraham. Étienne se définit lui-même dans le livre des Actes comme étant d’ascendance juive de Jérusalem. Paul passe beaucoup de temps à expliquer qu’Abraham est une métaphore. Dans l’épître aux Galates, il prétend que pour Abraham la foi sauve et que tous ceux qui ont la foi son enfant d’Abraham. Jean le baptiste avait déjà dit que Dieu pouvait changer les pierres en enfants d’Abraham. Mais Paul en fait un programme et déclare qu’être enfant d’Abraham d’un point de vue charnel n’a pas tellement d’importance. Ce qu’il faut c’est de l’être d’un point de vue spirituel. La chair n’a jamais beaucoup d’importance pour Paul, elle est même son gros problème, il en parle toujours de manière négative. Il crée un contraste permanent entre la chair qui agit et l’esprit qui croit. Croire en Abraham du côté de la chair consiste à dévaloriser son image, donc Paul prêche un évangile qui affaiblit beaucoup l’importance ethnique du judaïsme l’affiliation. Pour lui ce qui est important cela n’est pas qui sont vos parents, mais ce en quoi vous croyez. Donc chez Jean le baptiste, chez Jésus, chez Paul, l’importance des liens familiaux décroît. Tout ce qui reste c’est la pratique juive (le troisième pilier). À ce stade, l’on peut dire que les deux pas que nous venons de franchir en disant que la terre juive n’est finalement pas très importante, et que l’affiliation juive non plus, beaucoup de juifs à cette époque l’avaient déjà franchi. Dans la diaspora, mais aussi en Palestine et certainement beaucoup de juifs après la destruction du temple. Dans le judaïsme rabbinique, cette relativité de relativiser l’importance de la terre sainte a permis aux rabbins de quitter la Judée, et finalement de compiler le Talmud à Babylone. Ils avaient leurs propres espérances et ils acceptaient les prosélytes dans leurs communautés, ils reconnaissaient que beaucoup de juifs étaient devenus des chrétiens. Donc la notion de filiation n’était plus aussi importante qu’avant, et cela même à l’époque de Paul. Mais l’on conservait tout de même le troisième pilier qui est la Loi juive, la Torah donc la pratique juive. Or Paul passe beaucoup de temps à expliquer qu’elle non plus n’est plus très importante. Il va même jusque dire qu’elle est une source de malédiction et de mort. « Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi » (Galates ch v13). « le commandement qui mène à la vie se trouva pour moi mener à la mort » (Romains ch7 v10). Il le dit à des non-juifs dans l’épître aux Galates dans l’épître aux Romains, et ailleurs. Mais s’il le dit si souvent, c’est probablement qu’il pensait que cela était vrai. S’il pouvait dire cela à des gentils, j’aurais voulu l’entendre le dire à ses enfants ou à ses petits enfants s’il en avait eu. On ne peut pas taper sur la table dans l’épître aux Romains ou en Galates, en affirment qu’avec la Loi est venue la mort ou dans l’épître aux Galates qu’avec la Loi est venue la malédiction et continuer à dire à ses amis juifs ou à ses élèves, néanmoins continuer à l’observer. Cela n’est pas du tout convaincant. Donc si vous me demandez : Paul a-t-il rompu avec le judaïsme ? Je vous réponds : quand on dépense autant de temps à expliquer que les trois piliers du judaïsme n’ont pas d’importances, et qu’ils sont même des obstacles au salut, alors on a effectivement rompu avec le judaïsme. Peu importe si on le fait délibérément de soi même, ou même si l’on en est inconscient, ou encore si on le laisse faire à d’autres. Dans le christianisme, Paul aurait été excommunié. De nos jours beaucoup de juifs, beaucoup de chrétiens ne pratiquent pas ou plus, et ils sont devenus incrédules et ont abandonnée les préceptes et refusent de croire aux doctrines de leur religion ; peut-on dire qu’ils sont encore des juifs ou des chrétiens ? La réponse à : Paul a-t-il rompu avec le judaïsme est là.

Donc on a ici une situation étrange. Paul n’avait peut-être pas l’intention ou la conscience de rompre avec le judaïsme, mais son action sur le terrain et sa pensée a finalement conduit à la rupture ou tout au moins à sa non-pratique. On peut faire une analogie avec Martin Luther, il ne voulait pas rompre avec l’Église catholique de son temps, mais ce qu’il a fait a conduit à la rupture. Une autre analogie peut être faite avec John Wesley en Angleterre, Wesley ne voulait pas se séparer de l’Église anglicane, mais sa pratique était si radicale qu’une séparation est intervenue au XVIIIe siècle entre les églises méthodistes et anglicanes.

Quoi qu’il en soit de l’attitude personnelle de Paul, ses épîtres ont eu une influence déterminante dans cette rupture. Mais l’œuvre de Paul n’a pas occupé immédiatement la place capitale qui est désormais la sienne. La première chose à dire c’est que les épîtres de Paul ont circulé probablement, mais on ne sait pas très bien comment et jusqu’à quand entre certaines communautés proches les unes des autres. Celles-ci se disaient tiens on a reçu une lettre de Paul il nous a dit de vous l’envoyer. Puis les lettres ont pu ainsi être conservées dans les archives sans que ce soit recopier et immédiatement transmises à d’autres communautés comme on se l’imagine trop facilement du moins pendant une première période. Il est étrange de constater dans la littérature chrétienne que l’on rencontre un trou paulinien, disons en gros entre 70 et même un peu avant et les années 90. Comme si Paul était tombé en quelque sorte dans l’oubli. Il n’y a pas eu de verbe littéraire prenant la suite de Paul. Il n’y a pas eu de fortes pensées théologiques dans la lignée paulinienne dans les années qui ont suivi justement 70, et jusque 90 comme si le paulinisme avait disparu de la scène. Comme si cette théologie de Paul n’avait pas pris racine. Mais avec une lecture plus attentive, nous pouvons voir que Paul n’est pas complètement absent. Par exemple, les épîtres deutéropauliniennes, comme l’épître aux Éphésiens aux Colossiens, aux Hébreux, sont attribuées à Paul, mais ne sont pas de lui. Cela signifie qu’après la mort de Paul, certains ont ressenti le besoin de renforcer leurs prédications et leur magistère, en se plaçant sous son autorité. L’attribution de ces épîtres à Paul montre que dans certains milieux, son autorité était reconnue. Autrement on ne pourrait pas expliquer pourquoi on aurait voulu attribuer à Paul des lettres qu’il n’avait pas écrites. Cela n’aurait aucun sens. Dans l’épître aux Colossiens et aux Éphésiens qui ne sont pas probablement de Paul, on à déjà là des écrits qui se servent donc de la figure de Paul, du héros de l’Évangile comme du héros de la prédication, mais au fond il est le missionnaire il est le théologien qui va servir de source à une réflexion théologique nouvelle. C’est très clair dans l’épître aux Éphésiens qui reprend toutes sortes de termes que l’on retrouve dans les épîtres de Paul. Mais qui les développe de manière complètement différente. Donc la pensée de Paul est là, mais dans les épîtres pastorales il ne reste pratiquement plus rien de la théologie paulinienne, mais Paul reste l’autorité fondamentale de la tradition apostolique. Quand on regarde comment les épîtres d’Ignace d’Antioche entre 110 et 120 sites les épîtres de Paul on voit que la théologie propre à l’apôtre n’est jamais prise en compte, il y a toujours un certain nombre d’éléments qui sont sortis du contexte des lettres et intégrés dans une théologie complètement différente. Donc je dirais que le christianisme primitif reconnaît l’autorité ou l’importance de Paul pour en donner la légitimité ou pour fonder de nouveaux développements à la pensée chrétienne et qu’il faudra attendre les lectures de Saint-Augustin (350 -430) pour avoir quelqu’un qui se réintéresse à la pensée théologique de Paul elle-même. On a un petit passage de la deuxième épître de Pierre qui parle des lettres de Paul qui explique qu’elles sont compliquées. On voit que l’on transmet les lettres de Paul comme un trésor, mais en même temps on n’approfondit pas et l’on ne développe pas sa pensée.

Alors Paul est effectivement un personnage auquel la chrétienté à ses origines va constamment revenir, parce qu’il y a effectivement le Paul des épîtres avec toute l’évolution dans sa pensée, mais à partir de 70 une première ligne de réflexion de la pesée paulinienne, dans l’écriture de Colossiens et Éphésiens, nous observons une autre ligne de réflexion de la pensée de Paul dans la rédaction des pastorales dans les années plutôt 80 à 90. On a une troisième réflexion de la pensée de Paul dans l’écriture de Luc dans les Actes des apôtres. Ensuite à la fin du premier siècle intervient le rassemblement de ses épîtres où effectivement Paul commence à être une figure fondatrice, pour la mission paulinienne, mais aussi une figure fondatrice pour le christianisme.

Alors effectivement c’est un problème qu’il faut mettre en évidence c’est que nous lisons les épîtres de Paul comme si ces épîtres étaient celles qui ont été écrites par Paul, mais en fait nous lisons les épîtres de Paul dans l’état où elles ont été copiées dans des corpus du second siècle. Le premier corpus est attesté par Marcion (85 - 160) qui travaille dans une école à Rome vers 140. Il se brouille avec la communauté chrétienne peu de temps après, et lui atteste un corpus de dix épîtres.

Marcion ce nom inconnu pour beaucoup est alors celui d’un personnage clef de l’histoire du christianisme. Fils de l’évêque de Sinope en Asie Mineur, Marcion a vécu au début du deuxième siècle. Excommunié par la communauté chrétienne, il aurait fondé sa propre église dont l’influence restera très forte pendant plus de trois cents ans. Selon Tertulien, elle s’était répandue jusqu’aux extrémités de la Terre. Marcion est un personnage assez singulier d’une extrême importance pour le christianisme. C’est un riche armateur du Pont la région nord de l’Asie Mineure. Apparemment, il devient chrétien en lisant les épîtres de Paul. La théologie de Paul est pour lui la seule expression de l’identité chrétienne et de l’Évangile. On s’interroge à savoir si Marcion est l’éditeur de Paul. Marcion se trouve vers 140 à Rome, dans une école de théologie qui est une école chrétienne, mais ce n’est pas la seule école de théologie de Rome. Il se trouve une autre école de théologie qui est dirigée au même moment par Justin, et même une troisième qui est elle aussi dirigée au même moment par Valentin. Comment le christianisme qui est encore aussi petit peut-il avoir trois écoles différentes à Rome ? C’est trois écoles en fait sont un éclatement déjà de la synthèse de la réunion faite par Polycarpe de Smyrne (81-167) probablement vers 120 avec l’édition des évangiles, et probablement bien qu’il n’y ait pas de consensus entre les spécialistes de se point de vue là, les trois écoles vont chacune incarner d’une manière plus ou moins radicale un des courants du christianisme primitif. Les apôtres vont se retrouver dans l’école de Justin, les hellénistes dans l’école de Valentin, et c’est le courant paulinien qui est représenté dans l’école de Marcion. Mais Marcion n’est pas un paulinien comme l’Église sera paulinienne par la suite. Marcion est un paulinien qui refuse la divinité de Jésus. Pour Marcion le seul qui a véritablement compris le message de Jésus, c’est Paul. Marcion pensait que les apôtres n’avaient rien compris. Pour défendre sa thèse d’ailleurs il montre plusieurs fois dans les évangiles que Jésus traite Pierre et les autres d’abrutis, et dans ce cas il fait souligner qu’ils n’ont rien compris. Selon la doctrine de Marcion, lorsque les apôtres ont commencé à prêcher l’Évangile, et lorsqu’ils ont mis par écrit leurs prédications, ils ont trahi les volontés de Jésus. Toujours selon Marcion, certains juifs qui ont transmis le message de Jésus, l’ont fait de mauvaise fois. Ils ont effacé complètement sa nouveauté radicale. Dès lors, Jésus monté aux cieux n’a rien pu faire d’autre que de se révéler une deuxième fois en révélant son évangile à Paul. Marcion interprète la vocation de Paul à l’appel de Jésus qui révèle de nouveau à Paul tout son Évangile. Cette fois, Paul comprend complètement l’Évangile de Jésus et ce sera cet évangile qu’il aura pour mission d’annoncer en fondant sa communauté et en écrivant ses épîtres. Que se passe-t-il après la mort de Paul, selon Marcion ces mêmes chrétiens issus du judaïsme donc de faux chrétiens, ont interpoler les épîtres de Paul en toute mauvaise fois, ils ont inséré des ajouts dans le but d’assimiler Dieu dont parlait Paul au Dieu de l’Ancien Testament. Marcion considère que les épîtres de Paul utilisé par les églises à son époque sont des faux. Sa mission consiste à expurger du texte authentique de Paul les falsifications introduites par les chrétiens judaïsants. Alors Marcion réunit en un recueil les épîtres de Paul et l’évangile de Luc, donc il n’est pas l’éditeur des épîtres de Paul il est plutôt l’inventeur du Nouveau Testament, et il l’utilise pour réunir simplement un des évangiles, les évangiles étaient réunis ensemble, il en prend un et les dix épîtres de Paul. La présence de la théologie marcionite et surtout la présence de sa collection d’épîtres réduite aux épîtres de Paul et comme évangile celui de Luc, a été certainement un des éléments qui a amené les églises à se poser la question de savoir à quelles écritures elles devaient se référer. Des évangiles circulaient en plus des quatre, d’autres qui ne furent pas retenus dans le canon, donc il y avait une littérature assez nombreuse, alors qu’est-ce que l’on faisait de cette littérature alors qu’on n’avait pas jusque là eu l’idée de faire un canon. Marcion est le premier à dire que le message authentique de Jésus ne peut se trouver que dans l’évangile de Luc, et les dix épîtres de Paul. Ses paroles sont révolutionnaires. Jusque là, personne n’avait osé délimiter un corpus de textes, et affirmer qu’il était seul à contenir la véritable prédication de Jésus. Il faut ajouter que de toute façon qu’il s’agisse de l’évangile de Luc que des épîtres pauliniennes, Marcion n’allait pas de main morte dans la révision du texte, puisqu’il fallait évacuer tout ce qui était référence au Dieu de l’Ancien Testament. C’est-à-dire que Marcion et ses disciples ont passé leur vie à refaire un canon pur de Luc et de Paul. Purifié de toute référence au judaïsme.

Après la chute du temple en 70 quand les non-juifs deviennent plus nombreux à l’intérieur des communautés, la relation à la religion mère devient problématique. Pour une minorité, la foi chrétienne demeure l’une des expressions d’un judaïsme toujours en quête de perfection. Pour la majorité, le christianisme devient une religion nouvelle définitivement séparée du judaïsme, et pour Marcion le premier. Marcion pensait que Paul enseignait une religion entièrement nouvelle absolument distincte du judaïsme. Il croyait que le Dieu de l’Ancien Testament le Dieu du peuple d’Israël n’était pas le père de Jésus-Christ. Donc Marcion enseignait que les écritures d’Israël devaient être écartées que le disciple de Jésus ne devait plus s’y référer, car une nouvelle religion était née au moment du baptême de Jésus. Les chrétiens se sont demandé : qu’est-ce que cela signifie que d’êtres différant du judaïsme ? Étant différent des juifs doit-on se passer d’eux ou doit-on penser que l’alliance avec Israël a changé et que les chrétiens en sont les nouveaux bénéficiaires ? C’est la ligne de partage entre Marcion et ce qui est devenu l’Église. Pour Marcion, la voie a toujours été erronée. Au contraire, le christianisme soutient que c’était bien la voie de Dieu. Depuis Dieu avait changé d’avis et il suivait à présent un plan prémédité en ce cas l’Église descendait d’Israël, par la chair, ce que Marcion refusait absolument. Le rejet de la Bible juive, alors qu’elle est le noyau de l’Ancien Testament, est une idée qui n’a jamais été complètement étrangère au mouvement chrétien. Ces l’idée de Marcion de dire voilà, on a l’Évangile cela est suffisant. Dans l’Ancien Testament qu’est-ce que c’est ce Dieu des juifs jaloux, ce Dieu vengeur, non cela n’existe pas ou c’est contradictoire avec le Dieu du Nouveau Testament, le Dieu de Jésus, le Dieu d’amour. C’est complètement hérétique cela, il n’y a qu’un seul Dieu, mais pas un dans le nouveau et un dans l’ancien, il n’y a pas deux testaments donc deux dieux, il y a un seul testament un ancien et un nouveau, mais qui ne parle pas du même dieu ou alors ces une hérésie complète. Voilà comment raisonnait Marcion. Aucun théologien du christianisme primitif n’a aussi mal compris Paul que Marcion. En coupant le Dieu des chrétiens de l’Ancien Testament Marcion ne l’a compris qu’à moitié. Au fond, il a tué le vrai Paul.

Dans sont rejet définitif du judaïsme Marcion en fait n’était que le plus radical ou le plus conséquent des penseurs chrétiens du second siècle. Ses théories qu’on le veuille ou non, auront une influence déterminante sur l’évolution du christianisme, même si l’Église se définira contre Marcion et comme l’héritière de la tradition juive. Au point de se revendiquer comme le véritable Israël. Le greffon rejetait le cep pour le remplacer.

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