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La crucifixion expiatoire.

Comprendre l'Expiation

Comprendre l’Expiation

Une mort expiatoire ?

Pour quelles raisons Jésus-Christ a-t-il été assassiné par les autorités romaines à la demande des prêtres Juifs ? Est-ce, comme l’a pensé Anselme, de Cantorbéry un évêque du 12e siècle, parce qu’il fallait que Jésus meure dans d’atroces souffrances pour laver par son sang le manque de respect, l’affront que nous avions fait à Dieu en lui désobéissant ?

Que disent les évangélistes à ce sujet ?

En fait dans le détail, chacun des quatre évangélistes a donné sa propre réponse. Et il est fort de constater qu’aucun n’a eu la même à nous fournir. On en conclut donc qu’eux aussi se sont interrogés sur la question pour répondre aux interrogations de leur communauté.

Luc nous dit en gros que l’assassinat de Jésus résultait d’une erreur humaine, d’un mauvais calcul politique, d’une absence de compréhension du message de Jésus.

Matthieu quant à lui nous dit que Jésus avait simplement refusé de se dédire, de renier le message dont il avait été porteur pendant son ministère. Sa compréhension des Écritures avait révolté la lecture légaliste qu’en avaient les pharisiens et les sadducéens. C’est cette lecture qui leur donnait le pouvoir. Allaient — ils le perdre ?

Marc lui avance une certitude : si le Fils de Dieu reste sur la croix, c’est pour attester que celui qui veut sauver son âme la perdra. Faire don de sa vie dans la confiance c’est au contraire, sauver son âme.

Quant à Jean, lui, il va dans une tout autre direction. Pour lui, la mort de Jésus nous ouvre la libération. Jésus par sa mort et sa résurrection est retourné vers son Père et il nous montre ainsi le chemin pour vivre ici-bas une existence qui n’est pas déterminée par ce monde dans lequel nous vivons. La résurrection est davantage la cause du salut que la croix.

Les quatre modèles appellent donc au changement, à la conversion, à reconnaître par la foi dans la confiance en Dieu, le changement opéré par la venue du Christ.

Mais Paul dans tout ça ? Il faut reconnaître que chez Paul, nous achoppons sur de nombreux passages des épîtres qui lui sont attribuées. En effet, il répète souvent la formule selon laquelle Jésus est mort pour nos péchés. Cette raison n’est pas évoquée par aucun des quatre évangélistes. Autrement dit si vous lisez dans le Nouveau Testament les évangiles après avoir fréquenté assidûment les épîtres, vous, vous exposez à une certaine incompréhension, voire à une réelle déception. Car on n’y trouve pas, sinon de façon rare et isolée, un thème qui est devenu la pièce maîtresse de la doctrine chrétienne, l’affirmation du pardon des péchés acquis par le Christ mourant sur la Croix.

Si pour certains exégètes, Paul a inspiré les Pères de l’Église, Anselme dont je parlais plus avant, et même par la suite Luther et Calvin, d’autres ne les suivent pas. Pour ceux-ci, il ne s’agit pas d’un sacrifice, mais du libre don que Jésus a fait de sa vie pour nous libérer de l’emprise exercée sur nous par la puissance du péché. Donc d’un côté un sacrifice pour nos péchés de l’autre un don pour expier nos péchés. Dans les deux cas, Jésus est mort pour nos péchés.

Tout récemment, d’éminents spécialistes du Nouveau Testament ont fait remarquer que la piété juive dont Paul avait été imprégné était très attachée à la notion du sacrifice à offrir à Dieu pour obtenir son pardon. C’est bien à la vue du sang d’une brebis répandu sur les linteaux de leur porte que l’ange de l’Éternel a épargné les enfants d’Israël. Le jour du grand pardon, Yom Kippour, est aujourd’hui encore une fête importante chez les juifs. Il était tout à fait naturel que l’Église primitive assimile la brebis égorgée à Jésus.

Paul nous dit : « Quand nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils. » (Rm. 5, 10 D’un auteur johannique nous disent : « Dieu a envoyé son Fils en victime expiatoire pour nos péchés. » (1 Jn 4,10). Ces formules devenues classiques dans nos catéchismes trouvent comme je l’ai dit peu d’échos dans les textes des évangiles relatifs à la mort de Jésus. Il y a pourtant, mise dans sa bouche, sa déclaration « le Fils de l’homme venu pour donner sa vie en rançon » (Mc 10,45). Et aussi Mt. 26,28 : « Le sang de l’Alliance versé pour le pardon des péchés ». Heureusement, dira-t-on.

Mais ces déclarations vont-elles dans le même sans que ce qui est affirmé dans les épîtres de Paul ? Je n’en suis pas sûr.

Examinons donc si le thème sacrificiel appliqué à la mort du Christ figure déjà dans les couches les plus anciennes de la tradition évangélique, voire dans l’enseignement de Jésus lui-même.

Nous prendrons deux textes pour commencer celui de : Mc ch10, justement, dans le contexte de la discussion où Jacques et Jean, réclament, les premières places dans le Royaume, et alors la parole que Jésus leur oppose : « Si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mc 10,44-45)

Et l’autre texte, chez Paul en Philippiens 2, c’est l’hymne décrivant les étapes de l’abaissement du Christ jusqu’à la mort sur une croix, puis célébrant son élévation souveraine (Ph.2, 6-11).

« Jésus Christ, qui est de condition divine, n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes et, par son aspect, il était reconnu comme un homme ; il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la Terre et sous la terre, et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père. » (Ph 2, 6-11)

Ce passage à en croire généralement les exégètes ne peut être écrit directement par Paul pour renforcer l’exhortation à l’humilité qu’il adressait aux Philippiens. L’intérêt de ce texte est qu’il exprime une pensée chrétienne antérieure à la rédaction des premiers écrits pauliniens, qui datent du début des années 50. Ainsi nous sommes en présence d’une des plus anciennes réflexions de croyants relatives à la mort du Christ.

L’hymne, dans sa première partie, parcourt toutes les étapes de son abaissement, de la condition divine jusqu’à la mort infamante sur une croix.

Partageant le sort de tous les humains, qui est de devoir mourir, le Christ a poussé l’obéissance jusqu’à se soumettre à un supplice non seulement atroce, mais aussi, et surtout immérité et avilissant. Être pendu à une croix, c’est le comble de la honte. De la condition divine à partager le sort des droits communs, quelle chute !

Ce qui a amené le Christ jusqu’à ce dénouement, le texte le dit, c’est son obéissance. Obéissance à Dieu, ou à sa vocation. Mais l’hymne ne dit rien des éventuels bénéficiaires de ce don de soi. « Mort pour nous », la formule volontiers appliquée à la mort du Christ n’apparaît pas ici. C’est un acte gratuit dans toute l’acception du terme, en ce sens que personne n’est dit en profiter.

Dans ce cas, il ne peut être question de parler d’un sacrifice expiatoire. Car un sacrifice suppose des bénéficiaires, or ici ne sont en présence que le Christ et Dieu.

On trouve dans Colossiens 2, 13-15, un texte qui lui semble parallèle.

« Vous qui étiez morts à cause de vos fautes et de l’incirconcision de votre chair, Dieu vous a donné la vie avec lui : il nous a pardonné toutes nos fautes, il a annulé le document accusateur que les commandements retournaient contre nous, il l’a fait disparaître, il l’a cloué à la croix, il a dépouillé les autorités et les pouvoirs, il les a publiquement livrés en spectacle, il les a traînés dans le cortège triomphal de la croix. »

Encore, un hymne au Christ, centré sur la Croix, mais là le thème de la rédemption, absent de Ph 2, domine tout le développement.

Le cadre de pensée et le vocabulaire nous éloignent de Ph 2. Certes, la Croix est de nouveau au centre du discours, mais sous un autre éclairage. En Ph 2, elle avait été évoquée comme le lieu de l’humiliation suprême. Ici au contraire elle porte en elle le pouvoir d’un triomphe assuré. La condition de serviteur obéissant acceptée par le Christ n’est plus du tout exprimée.

Est-ce dû à la date plus tardive de cette épître, qui est soit de la captivité de l’apôtre Paul soit d’un disciple, toujours est-il que le glissement est manifeste ? Le rappel de la Passion n’a plus ici la force percutante que lui donnait la sobriété d’évocation de Ph 2.

Revenons au texte évangélique : le Fils de l’homme venu pour donner sa vie en rançon (Mc 10,45). Et étudions ensuite le récit de l’institution de la Cène, notamment la mention du corps donné et du sang versé pour la multitude (Mc 14, 22-24), avec les diverses versions parallèles en présence.

Mais un premier problème doit être abordé, celui du statut littéraire de ces textes.

Les évangélistes rassemblent dans leurs écrits des traditions de date et d’origine diverses. Puisque nous cherchons une attestation ancienne de la façon dont la mort du Christ a été comprise, nous sommes contraints d’examiner chaque verset et même chaque logion pour déterminer autant que possible l’ancienneté des éléments qu’il contient.

Le logion qui nous intéresse est la conclusion d’une remise en place par Jésus de ses disciples Jacques et Jean qui demandent de siéger tous les deux aux premières places lorsqu’il sera dans sa gloire. Jésus s’adresse à tout le groupe : « Vous le savez, ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il n’en est pas ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. Et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. »(Mc 10,42-45)

Examinons maintenant la cohérence de cette péricope.

Confronté à un espoir des deux disciples de partager sa gloire et son pouvoir futur, Jésus leur oppose un autre idéal, celui qui a cours parmi les valeurs du Royaume de Dieu, l’humilité. Les premières places seront pour ceux qui ne les recherchent pas. Si quelqu’un veut être grand, qu’il soit votre serviteur.

Alors Jésus illustre son propos par son propre exemple. Il a pris la place du serviteur.

Jusque-là, le logion présente une parfaite cohérence, sans interférence d’un élément étranger. Ensuite, c’est moins évident.

De l’idée de service, on passe à celle du don de sa vie. Certes, on ne s’éloigne pas du propos en cours, on le renforce. Ce n’est pas vraiment un élément étranger, mais sans cet ajout la mise en garde de Jésus était déjà claire et suffisante. On peut donc se demander si l’on n’est pas en présence d’un commentaire rédactionnel, d’une explicitation du thème du service par l’évocation de la mort de Jésus, qui a eu lieu quand l’Évangile fut rédigé. Mais ce n’est pas décisif, ne dramatisons rien.

Voyons maintenant le parallèle chez Luc : « Les rois des nations agissent avec elles en seigneurs, et ceux qui dominent sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel. Mais que le plus grand parmi vous prenne la place du plus jeune, et celui qui commande la place de celui qui sert. Lequel est en effet le plus grand, celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Or moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Lc 22,25-27).

Au début, le parallélisme avec les récits de Marc et Matthieu est bien marqué : convoitise des meilleures places, comparaison contrastée avec l’attitude des dominateurs humains, exemple de Jésus comme celui qui sert.

Mais chez Luc, le service s’illustre par une place modeste à la table du repas, non par la perspective du don de sa vie comme c’est le cas dans les deux autres évangiles.

Cette observation diminue les chances d’ancienneté de Mc 10,45 et Mt 20,28.

Et enfin, l’absence chez Luc des mots « donner sa vie en rançon » aggrave encore le doute. On pouvait encore considérer comme normal le passage de la notion de service à celle du don de sa vie, mais qualifier ce don comme un acte pour le rachat des péchés est un élément nouveau et hétérogène par rapport à ce qui précède. Là, Marc et Matthieu se singularisent de Luc.

Nous n’osons donc pas considérer Mc 10,45 comme l’expression originelle de la pensée de Jésus. Prenons-en bonne note et passons à l’institution de la Cène.

Le récit de la Cène se donne à nous en quatre versions : dans les trois synoptiques (Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,14-20), ainsi que chez Paul, au chapitre 11 de la première épître aux Corinthiens.

Nous cherchons une attestation très ancienne, antérieure aux épîtres pauliniennes, de l’affirmation que Jésus serait mort pour le pardon des péchés.

Il faut reconnaître que pour ce qui deviendra la fondation majeure du christianisme la récolte est plutôt modeste, et le résultat penche plutôt en faveur du négatif.

D’abord, en examinant l’hymne au Christ humilié jusqu’à la Croix, il ait à noter l’absence du thème sacrificiel. Ensuite, chez Matthieu et Marc, la parole de Jésus sur la valeur du service, nous en avions conclu que l’annonce de sa mort en rançon a peu de chance d’être authentique.

Revenons au récit de la dernière Cène. Sous les mots « Ceci est mon corps », « Ceci est mon sang » prononcés par Jésus à la veille de sa mort, trouverons-nous la preuve qu’il avait conscience de donner sa vie en sacrifice pour le pardon des péchés ?

Ici, attention. Ce récit, qui est devenu un élément de la liturgie des premières communautés, a circulé pendant plusieurs années et dû subir d’inévitables modifications. Nous ne pouvons donc plus honnêtement dire que nous possédons là sa teneur primitive.

Nos quatre versions du récit ne sont pas identiques. Celle de Paul (1 Co 11,17-34) est la plus ancienne dans sa rédaction ; l’apôtre avait déjà transmis ce récit à l’Église corinthienne, et lui-même dit l’avoir reçu, à Antioche pense-t-on. Les assemblées cultuelles écoutaient ou redisaient lors de chaque réunion eucharistique l’origine du rite ; des versions écrites ont commencé à circuler, que les évangélistes utiliseront. Ces transmissions diverses expliquent les différences entre nos quatre textes.

Pain et coupe, premières ramifications

Tout naturellement, lors de ce dernier repas, Jésus dirige les esprits des convives vers sa mort prochaine. Luc situe ce repas explicitement dans le cadre de la Pâque, où l’on sacrifiait un agneau. Ce rapprochement insinue que Jésus va être immolé en sacrifice. L’auteur du quatrième évangile, qui place la crucifixion à la date même de la Pâque, suggère que Jésus prend la place de l’agneau pascal, c’est donc encore plus net.

Quant à la parole sur la coupe — ou sur les coupes chez Luc —, elle a une portée eschatologique appuyée. Car la coupe, plus encore que le vin qu’elle contient, est en elle-même un symbole de fête partagée. Jésus la présente donc comme l’anticipation du festin dans le Royaume.

Mais la parole sur la coupe se rapporte aussi à la mort de Jésus,

avec ce commentaire chez Luc : « La nouvelle Alliance en mon sang versé pour vous ». Encore plus net chez Matthieu : « Le sang de l’Alliance versé pour le pardon des péchés ».

Une fausse idée l’expiation.

L’expiation vue par Anselme

Jésus, le fils de Dieu, serait donc mort pour payer le prix de notre péché ? Ce raisonnement qui correspond bien à l’idéologie d’une société moyenâgeuse particulièrement soucieuse de respecter le code de l’honneur trouve difficilement écho dans notre culture.

Depuis Paul, le créateur du christianisme majoritaire, la Passion et la mort de Jésus ont une valeur expiatoire et rédemptrice, que répètent à l’envi plusieurs textes néotestamentaires, malgré les efforts des théologiens libéraux pour ne pas en tenir compte. Cette euphémisation d’un sacrifice, pourtant marque objective d’un échec, est comme un tour de passe-passe, qui transforme, comme dit l’Apôtre invoquant la « Parole de la Croix », une « folie » en « sagesse ». C’est un scénario entièrement païen, renvoyant aux cultes à mystères antiques (Adonis, Osiris, Mithra, etc.), où un Dieu meurt et ressuscite pour le salut de ses fidèles. Pour les Juifs et les musulmans, ce christianisme-là est un paganisme.

Quand Platon a été bouleversé par la mort de Socrate, il ne l’a pas euphémisée. Il s’est contenté de transmettre l’enseignement de son Maître. D’autres versions du christianisme ont existé qui ont fait de même, comme le gnosticisme. Mais malheureusement, elles ne sont pas majoritaires. Encore aujourd’hui quand on touche du bois, ou qu’on croise les doigts pour se porter chance, ou simplement quand on porte en bijou une petite croix, on fait référence implicitement à la Croix salvatrice paulinienne.

Je sais bien que dans ce scénario fortement émotionnel certains trouvent consolation et espoir, même si je ne vois pas bien de quelle culpabilité il est nécessaire pour eux d’avoir un rachat.

Une certaine idée de la justice dans les sociétés archaïques est celle du donnant-donnant. Selon cette conception, quand quelqu’un a fait une faute, cette faute doit être payée d’une manière ou d’une autre, la faute doit être expiée, vengée. Parfois, cette logique est particulièrement cruelle, une simple offense étant punie de mort. L’équité est déjà un progrès par rapport à la vengeance, c’est ce que propose le principe « œil pour œil, dent pour dent » (Lévitique 24 : 20), c’est-à-dire que si quelqu’un crève un œil à un autre dans un accident, on lui crève un œil en échange, c’est déjà mieux que de le tuer pour ça. Cette équité qui a été la base de la justice à une certaine époque selon la Bible serait déjà un grand progrès dans les pays où l’on coupe une main à un voleur, ou quand une personne risque la peine de mort pour des questions religieuses.

Le Jésus-Christ propose un autre type de justice que l’équité, il propose la justice de l’amour, de la bienveillance et du service. (Matthieu ch5 v43 à 45) : « Mais moi, je vous dis : aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » À la place du principe « œil pour œil », Jésus nous propose d’aimer nos ennemis, de bénir et prier pour ceux qui nous font du mal. Et il ajoute que c’est comme ça que Dieu agit envers le coupable.

Notre péché contre Dieu n’est donc pas à expier. Dieu celui que nous enseigne Jésus-Christ, n’attend pas que quelqu’un paye pour la faute, il n’est pas dans cette logique-là du donnant-donnant. Le problème de la faute c’est qu’elle provoque des souffrances (que l’on doit essayer de consoler et guérir). Il faut aussi éviter qu’il y ait d’autres victimes. Le problème, enfin, c’est que la faute montre que son auteur a besoin de progresser. Avec Jésus-Christ, l’expiation d’une faute marche dans l’autre sens que dans l’Ancienne Alliance. Avant, il fallait que le coupable paye, loi du Talion (ou que quelqu’un paye pour lui sacrifice expiatoire). Dans Nouvelle Alliance selon Jésus, au contraire, il faut que le coupable soit aidé, on paye donc pour soigner le coupable. C’est ce que fait Dieu, en tout cas, il est prêt à tout donner pour qu’un seul homme progresse et devienne quelqu’un de vraiment bien. C’est ce qu’il montre en Jésus-Christ. Jésus poursuivra et ira jusqu’au bout de son enseignement pour venir en aide aux hommes et les femmes, bien qu’il sût que cela le condamnait à plus ou moyens termes à sa mort programmée.

L’expiation n’est donc pas pour acheter l’amour et le pardon de Dieu : de toute façon, il nous aime toujours. Mais l’expiation est donnée par Dieu pour que nous puissions enfin être guéris et aimer. (2 Corinthiens 5:14-20) :

14 car l’amour de Christ nous presse, parce que nous estimons que, si un seul est mort pour tous, tous donc sont morts ;

15 et qu’il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux.

16 Ainsi, dès maintenant, nous ne connaissons personne selon la chair ; et si nous avons connu Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette manière.

17 Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles.

18 Et tout cela vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par Christ, et qui nous a donné le ministère de la réconciliation.

19 Car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, en n’imputant point aux hommes leurs offenses, et il a mis en nous la parole de la réconciliation.

20 Nous faisons donc les fonctions d’ambassadeurs pour Christ, comme si Dieu exhortait par nous ; nous vous en supplions au nom de Christ : soyez réconciliés avec Dieu !

À partir de quelques rares textes du Nouveau Testament que nous avons étudié, des théologiens chrétiens ont tenté de rétablir l’ancienne expiation en disant que Dieu ne pouvait pas pardonner nos fautes sans que quelqu’un paye, et que Jésus-Christ en souffrant beaucoup sur la croix a ainsi acheté le pardon de Dieu pour l’humanité. C’est surtout un théologien du Moyen-Âge qui a bien présenté cette théorie au XIe siècle (Anselme de Cantorbéry). Cette théorie revient bien des siècles en arrière avant Jésus-Christ, à l’époque où l’on pensait qu’un sacrifice humain pouvait plaire aux dieux !

Au contraire, la bonne nouvelle de Jésus-Christ, l’Évangile, c’est que Dieu est amour, et que son amour, comme tout amour véritable, ne s’achète pas. Pour nous, le cœur même de l’Évangile c’est que le premier à aimer (même ses ennemis) : c’est Dieu. Il n’a nul besoin et nulle joie de voir un homme souffrir et être crucifié. Heureusement. Quand Jésus-Christ meurt sur la croix, ce n’est certainement pas à Dieu qu’il apprend à aimer et à pardonner, c’est à nous qu’il tente d’apprendre à aimer. Jésus-Christ nous montre combien il aime l’humanité malgré tout, et cela nous donne une idée de l’amour infini de Dieu pour nous.

Imaginons maintenant une communion sans rite sacrificiel

Du pain et du vin. Pourquoi ? Le pain, aliment des repas ordinaires. Le vin, boisson des jours de fête. Avec ses disciples pendant leur vie commune, Jésus a pratiqué ces deux sortes de repas. Au cours de celui-ci, les disciples portent dans leur mémoire, divers épisodes bibliques qui éclairent leur présent. J’ai évoqué, puisque c’est la Pâque, le souvenir de la délivrance d’Égypte. Ce repas pascal préparerait-il un nouvel Exode ?

Dans la version de Luc et de Paul, la parole prononcée ici est la reprise de l’oracle de Jr 31, 31-34 annonçant une nouvelle alliance qui remplacera celle conclue à l’Exode. L’oracle se réalise, cette alliance est inaugurée, et c’est la mort de Jésus qui va la sceller.

D’autres réminiscences bibliques sont aussi présentes à l’esprit de Jésus lorsqu’il préside ce repas de pain et de vin. Bibliques, ou du moins judaïques.

C’est celle : d’offrande cultuelle d’éléments végétaux.

Les Esséniens de Qumran célébraient un repas de communion composé de pain et de vin. Une communion qui équivalait à un sacrifice, mais sans mise à mort.

Ce rite a une origine assez ancienne. Déjà dans la couche sacerdotale du Pentateuque s’exprime l’idéal d’une humanité végétarienne. C’est ce qu’on lit dans le premier récit de la Création « Voici, je vous donne toute herbe verte qui porte sa semence, et tout arbre dont le fruit porte sa semence ; ce sera votre nourriture. » (Gn 1,29-30) Donc, les Esséniens, et d’autres groupes ou écrivains du judaïsme contemporain de Jésus puisaient leur inspiration cultuelle dans une tradition bien établie de repas de communion, autour du pain et de vin ne faisant intervenir aucun sacrifice.

Si Jésus, en instituant la Cène, a mis ces éléments végétaux en évidence, cela peut éclairer l’annonce de sa mort dans un sens non sacrificiel.

L’épisode des marchands du Temple donne une indication dans ce sens. Par cet éclat, Jésus ne purifiait pas seulement le sanctuaire de l’emprise de l’argent. Parce que les marchands dans la cour du temple et les changeurs étaient indispensables à l’économie du temple et ses sacrifices d’animaux. Il agissait dans le sens du texte de Zacharie : « Tous ceux qui viendront présenter un sacrifice s’en serviront pour cuire leur offrande. Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur en ce jour-là. » (Za 14,21) Plus de vendeurs d’animaux, le sacrifice est aboli, car les vendeurs d’animaux je le répète étaient indispensables pour effectuer des sacrifices.

Jésus n’avait-il pas souvent indiqué que par sa présence, par l’accueil qu’il offrait aux laissés pour compte, par ses guérisons, le monde nouveau se manifestait ? Sans faire intervenir un sacrifice expiatoire.

Après ces remarques, on peut dire que la parole « Ceci est mon corps » ne renvoie pas forcément à l’idée que Jésus meurt pour l’expiation des péchés. Cette idée domine bien sûr nos esprits. Nous pensons même que Jésus-Christ s’est sacrifié spontanément afin d’accomplir la volonté de Dieu pour notre salut. Non, Jésus-Christ a subi son arrestation et son supplice comme la conséquence prévisible, mais non voulue de l’hostilité des responsables religieux dont il avait souvent bravé les interdits. Comprenant qu’il va être éliminé, Jésus prépare ses disciples à la séparation et leur révèle le sens qu’il va donner à sa mort.

« Mon corps donné pour vous », c’est le sacrifice au sens profane du terme par lequel Jésus scelle le ministère d’amour qu’il a rempli jusque-là. Ma mort désormais inévitable, je l’assume pour que vous ne soyez pas déçus à mon sujet, que vous puissiez continuer à croire en moi. La vie que j’ai menée avec vous et pour mon peuple, je ne la contredirai pas, je ne la renierai pas.

Après le supplice, les disciples ne seront pas livrés à eux-mêmes. En leur donnant le pain, Jésus assure le passage du temps où il était physiquement présent et actif vers le temps où ils le trouveront dans le repas fraternel autour du pain et du vin partagés entre tous.

Ceci est mon corps : le pain et le vin seront maintenant le signe de ma présence, comme quand nous étions ensemble à table et qu’avec vous j’accueillais des gens de toutes sortes pour les associer, eux aussi, à la générosité étonnante de Dieu.

En comprenant ainsi les paroles prononcées au cours du dernier repas, on évite l’incohérence qui voit dans la mort de Jésus-Christ un sacrifice, notion que lui-même n’avait jamais évoquée quand il pardonnait les péchés au nom de Dieu et rétablissait avec les gens en perdition la communion brisée.

Regard sur l’ensemble

Nous avons ainsi repéré trois principaux thèmes présents, explicitement ou en arrière-plan, dans le récit du dernier repas où Jésus institue la Cène :

– L’annonce de son sacrifice rédempteur,

– L’institution proprement dite du repas de communion autour du pain et du vin,

– L’évocation de la nouvelle Pâque dans le Royaume de Dieu.

En ce qui concerne l’annonce du sacrifice rédempteur, je viens de noter ce qui me paraît une incongruité d’appliquer ce thème à la mort de jésus.

N’empêche qu’il faut reconnaître sa position dominante en théologie chrétienne, déjà dans le Nouveau Testament, même dans les épîtres de Paul. L’apôtre proclame qu’il n’a rien voulu savoir d’autre que le Christ crucifié. C’est malheureux pour lui, et cette carence nous affecte jusque dans le Symbole des apôtres, où la vie, le ministère et l’enseignement de Jésus sont ignorés. Personnellement, je déplore que cet élément de doctrine rejette dans l’ombre les autres conceptions relatives à la mort de Jésus-Christ.

À mon sens, l’institution de la Cène concerne les disciples à qui Jésus s’adresse, et nous-mêmes après eux. Il est pour moi plus pertinent de souligner le lien entre ce repas et les expériences de vie commune qui sont maintenant récapitulés dans l’ultime moment de communion terrestre offert à ce groupe.

Dans cette compréhension des paroles d’institution, Jésus-Christ se manifeste comme serviteur, à l’instar de toute sa pratique humaine durant ses quelques mois d’activité. Serviteur, mais chef responsable, attentif à chacun de ces hommes qu’il avait embarqués dans son aventure risquée et pour lui finalement mortelle.

Il y a enfin la perspective eschatologique, troisième thème en présence, ce rendez-vous que Jésus donne à ses disciples : il boira avec eux le vin nouveau dans le Royaume de son Père. Là, aucun problème de compréhension.

Nous avons affaire à des expressions imagées. Car personne d’entre les humains ne peut parler adéquatement de la vie dans l’au-delà. Avoir place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob, boire le vin nouveau du Royaume, ou bien pour les réprouvés être jetés dans les ténèbres du dehors, c’est toujours un langage symbolique. Se l’approprier littéralement est une entreprise incertaine car chaque génération, chaque culture se représente à sa manière le dénouement de la vie des personnes et du monde.

Conclusion

Quelle conclusion peut-on en tirer ?

Il me semble bien qu’au tout début de l’ère chrétienne, il existait déjà une réflexion théologique n’appliquant pas à la mort du Christ une valeur expiatoire. Son supplice, éclairé par ce qu’avait été sa vie, a de quoi susciter chez les chrétiens une ferveur proche de l’adoration. Nous l’avons vu dans l’hymne de Ph 2.

Cela n’invalide pas la construction doctrinale édifiée sur l’idée du sacrifice rédempteur, mais les croyants qui aujourd’hui sont allergiques à cette notion peuvent se sentir à l’aise. Une piété nourrie par l’admiration et la reconnaissance envers celui qui a accompli jusqu’au bout sa tâche pour lui-même, pour Dieu et pour les autres a sa place dans l’Église chrétienne.

L’interprétation sacrificielle de la mort de Jésus-Christ a hélas ! envahi très vite les esprits de l’Église. Pourquoi ? Peut-être que le christianisme n’aurait pu devenir une religion populaire et universelle s’il n’avait pas rejoint le grand courant religieux porté vers l’idée du sacrifice. Mais ce tournant ne s’imposait pas à tout le monde.

Notre étude a du moins fait apparaître la diversité légitime des points de vue concernant la mort de Jésus-Christ. Une leçon de pluralisme, comme toujours quand on se plonge dans la Bible.

Voici maintenant plusieurs réponses que nous pourrions donner aujourd’hui :

Aucune n’est rejetable bien sûr.

Dieu n’est pas du tout le responsable de la mort de Jésus. Car il est difficilement concevable de croire qu’un Dieu d’Amour ait voulu sacrifier son propre fils pour venger son honneur bafoué.

Mais à chacun de donner sa réponse :

Jésus est allé simplement au bout de sa mission. Son message était trop révolutionnaire pour laisser sereins ceux qui étaient visés.

Nombreux sont celles et ceux qui ont découvert qu’ils auraient pu être à l’image des bourreaux de Jésus-Christ, et se sentent pardonnés comme ses bourreaux l’ont été par Jésus-Christ en croix.

Le dolorisme est ce qui a conduit certains à s’identifier à Jésus-Christ au point d’accepter volontairement la souffrance et les épreuves.

C’est bien Jésus-Christ qui meurt et non pas Dieu. Mais Dieu sans la volonté des hommes et des femmes dans le monde, est faible, sans pouvoir. Il accompagne Jésus comme il accompagne celles et ceux qui sont aujourd’hui même en souffrance. Cela inspire les théologiens de la révolution.

Jésus-Christ a enseigné en allant jusqu’à la mort sur la croix, qu’au-delà de nous, une part de nous est éternelle et que nous ne devons pas craindre ceux qui tuent le corps, car l’âme est immortelle. En cela, Dieu le ressuscitant crédite son enseignement aux yeux de tous et lui donne raison.

Ses bourreaux croyaient que sa mort le réduirait définitivement au silence. Il n’en a rien été.

D.R

Commentaires

  • Louys Jacques

    1 Louys Jacques Le 18/11/2020

    Merci pour ce texte fraternel !

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