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Comment peut-on interpréter ce qui arrive à Adam et Ève ?
Déjà il y a un problème : c’est celui que Dieu les avertit que s’ils goûtent du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et mal, comme on l’a vu celui de connaître tout ou celui de connaître l’ambiguïté, ils mourront ! Or ils ne meurent pas ! Ils ne sont pas condamnés à mort, ils sont expulsés du jardin d’Éden donc ils sont condamnés à la souffrance, pas à la mort immédiate. Ève est condamné à enfanter dans la douleur, et qu’est-ce que l’enfantement ? Et bien quand on dit d’une femme qu’elle est en train d’accoucher ou qu’elle commence à accoucher on dit le travail a commencé. Lorsqu’on parle du travail qui vient du mot latin tripalium qui signifie l’instrument de torture, on parle bien d’une souffrance et l’enfantement est effectivement une souffrance c’est une souffrance physique, c’est une souffrance qui concerne le monde de la matérialité et cette souffrance elle est la condition de la reproduction du cycle vital sur la Terre. L’homme se reproduit mais c’est la femme qui met au monde, et en mettant au monde elle souffre la souffrance est le moyen de la perpétuation de l’espèce humaine dans le temps. L’homme lui doit travailler et gagner son pain à la sueur de son front. Ici le travail n’est pas un travail de reproduction mais un travail de production, c’est le travail du labeur, c’est le labour au sens de l’activité de la terre le travail de la terre et là aussi ce travail s’accomplit dans la souffrance, travailler à la sueur de son front, la sueur étant l’indicatif de la souffrance.
Pourquoi cette souffrance ?
Pour produire et pour extraire les ressources vitales, là encore il s’agit de perpétuer le cycle vital. Alors pourquoi est ce que l’Éternel a dit à Adam et Ève qu’ils mourraient s’ils goûtaient le fruit. Et bien en fait il n’a pas dit qu’ils mourraient instantanément mais il a voulu dire qu’alors ils feraient l’expérience d’un corps mortel donc sujet à la destruction. Pourquoi ? Parce qu’ils sont alors plongés dans une dimension matérielle, à l’intérieur de laquelle ils vont connaître la mort. Cette dimension c’est la dimension de la matière et du temps, celle que nous connaissons puisque la matière et le temps sont totalement reliés. Il n’y a pas de matière sans temps et le temps n’existe qu’à partir du moment où apparaît la matière et l’écoulement du temps signifie l’entropie donc la mort.
Quand est-ce qu’est né le temps ?
Le temps est né au moment du big bang nous dit la science ! C’est-à-dire au moment du jaillissement de la matière dans l’univers. Donc Adam et Ève ne meurent pas instantanément, ils sont expulsés du jardin d’Éden qui est un lieu en dehors du temps une sorte de dimension parallèle. Ils sont alors plongés dans la matière dans laquelle ils vont connaître l’expérience du temps et de la mort. Ils sont expulsés dans la matière donc ils sont condamnés à travailler pour survivre. Que ce soit par le travail de la terre qui va procurer leurs ressources alimentaires, ou que ce soit par le travail de l’accouchement qui permet à l’homme de se perpétuer non pas dans sa propre existence, mais dans les générations futures c’est donc la perpétuation de l’espèce à travers la reproduction comme les animaux. Donc les générations futures dépendent de la perpétuation de l’espèce à travers la reproduction. La Bible sur ce point reprend souvent cette condition menacée au travers des mythes de la femme stérile, et le besoin d’un secours divin. Adam et Ève sont donc condamnés à faire l’expérience des lois de la matière parmi lesquelles le principe de génération la loi de la reproduction travailler pour survivre, cultiver, produire etc. Adam et Ève sont propulsés dans la matière ils sont donc propulsés dans le temps. Si le temps n’existait pas il n’y aurait ni naissance ni mort ce serait l’éternité. D’ailleurs Dieu étant l’Éternel on comprend par là qu’il se situe hors du temps il ne naît pas, il ne meurt pas, il est, l’être qui est au-delà du devenir. Et c’est parce que la matière existe que le temps existe puisque ce qui existe dans le temps a forcément un commencement et une fin. C’est donc le temps qui l’entropie au fil du temps qui les tuera, c’est donc le temps qui tuera Adam et Ève c’est le temps également qui les fera souffrir. Il les fera souffrir puisque la survie dans le temps présuppose le travail pour la survie et donc la souffrance. Ici on peut faire une petite référence au poème de Charles Baudelaire qui a pour titre l’ennemi avec un E majuscule, et Baudelaire explique bien dans ce poème que l’ennemi c’est précisément le temps, que le temps nous fait souffrir. Il nous fait souffrir parce qu’il limite notre existence à l’intérieur de bornes temporelles dont nous ne pouvons pas sortir. Il nous fait souffrir parce que notre esprit est constamment obsédé par l’idée de la mort qui est l’idée de la fin. Il est également pris par le passé à travers la nostalgie et le regret et veut dire que l’existence matérielle est une existence nécessairement source d’angoisse. Elle est source d’angoisse dès lors qu’elle s’accompagne de la conscience puisque la conscience nous fait comprendre que nous ne sommes pas immortels. La mort étant la conséquence du temps. C'est toute la différence qu’il y a entre l’existence et la vie, on se souvient de cette distinction faite par Platon : l’existence est liée au monde sensible qui est lié au monde de la matière, tandis que la vie c’est le processus général qui est au-delà de la matière et qui traverse les individus. À nous donc d’apprendre à maîtriser au cours de notre vie, notre esprit pour sortir du cycle infernal de la souffrance, en sortant spirituellement du matérialisme.
Donc à quoi Adam et Ève sont-ils condamnés ?
Et bien ils sont condamnés à la chute, la chute dans la matière, la chute dans le monde sensible de Platon. Ce qui peut là aussi nous être confirmé par le fait qu’il nous dit leur donna des vêtements de peau. Des vêtements de peau cela signifie qu’avant ça ils n’avaient pas de peau donc s’ils n’avaient pas de peau c’est peut-être qu’ils n’avaient pas de corps. Ils se situaient donc dans un monde qui n’était pas lui-même matériel. Ils sont chassés du paradis, du jardin d’Éden. Le rapprochement entre le jardin d’Éden et le paradis peut être discuté mais on parle ici d’un lieu qui est hors du temps. D'un lieu dans lequel on est auprès du créateur et on ne connaît pas la souffrance ni la mort. On est donc bien au-delà du monde sensible, on est bien dans une dimension supérieure. L’image de la chute c’est donc l’image d’une dégradation de l’être une dégradation de l’homme générique qui d’un état originel de plénitude et de rapports immédiats à l’être d’immanence pure va tomber et va déchoir dans une dimension inférieure qui est la dimension du temps de la matière et de souffrance. Remarquons ce qu’il se passe lorsque Adam goûte le fruit ! Il se voit nu il en a honte, qu’est-ce que cela veut dire ? Et bien ça veut peut-être dire que la honte c’est l’entrée dans le monde de la représentation. C’est entrer dans le monde de l’image, de l’image de soi, puisque avoir honte de sa nudité cela suppose d’adopter le regard extérieur de celui qui nous voit nu. On n’a pas honte d’être nu lorsqu’on est tout seul, on n’a pas honte d’être nu lorsque personne ne regarde, on a honte d’être nu à partir du moment où l’on sait que quelqu’un d’autre peut nous voir nu et que l’on ne souhaite pas que ce soit le cas. Il y a donc une préoccupation du regard d’autrui, du regard qui est porté sur nous qui va faire qu’on va éprouver un sentiment de honte. Ce qui veut dire qu’il ne peut y avoir de honte qu’à partir du moment où il y a représentation de soi à travers le regard d’autrui, à partir du moment où il y a une dissociation de soi vis-à-vis de soi. C’est pour cela qu’on peut parler d’une sortie de l’immanence de l’être et d’un processus de distanciation vis-à-vis de soi et de divisions intérieures. C’est le moment de la conscience de soi, c’est le moment où l’on commence à s’appréhender soi-même du point de vue d’autrui. Cela n’était pas le cas avant qu’Adam goûte le fruit il était dans un rapport immédiat à l’être et à partir du moment où il s’éveille à la connaissance, c’est là qu’il prend conscience de la division, c’est là qu’il opère cette séparation vis-à-vis de lui-même qui est à la fois un acte de conscience mais aussi un acte de représentation et de culpabilité. La Genèse nous dit : « Ils goûtèrent le fruit et alors ils connurent qu’ils étaient nus, » et l’Éternel dit à Adam : « Qui t’a appris que tu étais nu ? » Alors Adam n’est pas aveugle il n’est pas totalement stupide, il voit bien qu’il est nu, donc ça veut dire qu’il avait peut-être les yeux fermés et avoir les yeux fermés, c’est peut-être ce qui veut dire qu’il était dans l’ignorance du bien et mal donc de ce qui est ambigu, il a précisément accédé à la connaissance de l’ambiguïté. Mais le fait est que même s’il voyait qu’il était nu cela signifie qu’il ignorait jusqu’alors la signification de la nudité. Quand je parle de la signification je parle de la signification morale, mentale du fait d’être nu. Il ignorait tout simplement la distinction entre la chair et l’esprit, et cela peut se comprendre puisque si on admet l’hypothèse selon laquelle le jardin d’Éden n’est pas un monde soumis à la matérialité, eh bien Adam et Ève ne vivaient tout simplement pas dans la matière ils ont pris conscience de la dimension matérielle, lorsqu’ils ont goûté le fruit et c’est avec cette prise de conscience qu’est apparu le phénomène de la dissociation et de la représentation. Et d’ailleurs, rappelez-vous dans la Bible le Christ dit : « Heureux les simples en esprit » et cela peut en donner une interprétation en rapport avec le péché originel. Le simple en esprit ce n’est pas l’idiot ce n’est pas l’imbécile, quoique le mot imbécile, étymologiquement celui qui est sans béquilles, la béquille étant l’allégorie de la connaissance sur laquelle on peut s’appuyer pour évoluer pour avancer. Ainsi le futur serait la béquille de l’être. Et si la connaissance c’est la béquille de l’être, l’imbécile c’est celui qui n’a pas cette béquille. C’est peut-être celui qui n’a pas besoin de la connaissance pour être dans un rapport immanent à l’être. Si vous préférez le simple en esprit c’est celui qui ne se pose pas la question ; puisqu’il est dans un rapport immédiat à l’être et la nudité ne lui pose pas de problème au simple en esprit parce que pour lui, il n’y a pas de honte à avoir d’une situation naturelle. Il n’y a pas de honte à avoir d’une sorte d’évidence de l’être, puisque la nudité c’est l’évidence de l’être on ne naît pas habillé. Avoir honte de sa nudité c’est ne plus être dans l’unité de l’être, c’est être passé du côté de la dualité. De ce qui est le processus de séparation, d’où naît l’image, la représentation.
Mais alors on peut se poser la question pourquoi avoir goûté le fruit ?
Si Adam et Ève étaient dans ce rapport immédiat et spontané à l’être qu’est ce qui a fait qu’ils ont éprouvé le besoin et le désir de goûter immédiatement de ce fruit comme s’il y avait une insatisfaction qui était à l’origine de cette curiosité ? Pourquoi aller vers quelque chose si rien ne leur manquait pourquoi désirer quelque chose quand on a tout ce qu’on veut. C’est peut-être qu’il y avait une insatisfaction de cette évidence, que l’évidence est que l’immanence pure ne leur suffisait pas et qu’il y avait un désir d’en savoir plus, qu’il y avait un désir d’aller au-delà de cette évidence. Ce besoin ce désir était présent chez Adam et Ève, bien qu’ils n’eussent pas conscience qu’à ce moment-là ils commettaient quelque chose de mal. Pour eux la curiosité n’était pas quelque chose de mal. Tout simplement parce qu’ils ignoraient encore ce qu’était le mal, ce qu’était la notion de mal. Et à partir du moment où il n’y a pas distinction entre bien et mal où tout est dans l’immanence et l’évidence pure la question ne repose même pas il n’y a pas d’ambiguïté. Ici on a un parallèle très net avec l’état de nature chez Jean Jacques Rousseau où l’homme nous dit Rousseau dans l’état de nature n’est ni bon ni mauvais puisqu’il ne se pose même pas la question il est dans l’obéissance spontanée aux lois naturelles. Et c’est seulement quand ils entrent dans l’état civil, dans l’état social, c’est-à-dire quand il se met à vivre en société avec ses semblables, qu’apparaît l’ambiguïté du bien et du mal, et qu’apparaît le monde de la représentation lorsque l’on pose à l’état social. On est plus seul on n’est plus donc dans l’état naturel et originel de notre condition on n’est plus dans la nudité, on est dans l’apparence, la comparaison la concurrence. La représentation et ce à partir de ce moment-là que va naître l’ambiguïté. Donc je disais la phrase du Christ « heureux les simples en esprit », confirme cette idée puisque simple en esprit ça veut dire qu’ils ne se posent pas de questions inutiles. Simple, ça veut dire qui n’est composé que d’un seul élément par opposition à compliquer, compliqué c’est ce qui est composé de plusieurs éléments, c’est le fait d’être ambigu. Adam est simple en esprit lorsqu’il ne se pose pas la question de la signification de son état et de sa nudité par exemple, il n’est simple en esprit quand il est dans un rapport direct et immédiat à l’être sans ambiguïté. Il est simple en esprit quand il n’a pas besoin de se poser la question du regard d’autrui pour savoir ce qu’il est et par opposition il devient compliqué, son esprit se complexifie, à partir où il se dissocie lui-même : à partir du moment où s’opère une sorte de bifurcation et à partir du moment où il se pose la question de l’image qu’il renvoie et où il entre dans le monde du mental.
Alors quel péché si péché il y a fut-il commis par Adam et Ève ?
Ils ont commis le péché d’avoir rompu l’unité ils ont commis le péché d’avoir rompu cette fusion originelle avec l’être dans le jardin d’Éden qui ne connaissait ni division ni dualité qui n’était pas ambigu. Si le serpent représente le mental ou l’ego, c’est-à-dire s’il représente la division, la séparation, la représentation, il a été placé dans le jardin d’Éden pour qu’Adam et Ève le connaissent. Il a donc été placé là pour qu’Adam et Ève puissent faire l’expérience de la division. Leur péché a donc été de rompre l’unité. On ne se pose pas de questions quand tout va de soi, on ne se pose pas de question dans l’unité, On se pose des questions à partir du moment où il y a séparation où il y a distance entre le sujet et l’objet, mais s’il n’y a pas d’objet il n’y a pas de sujet, s’il n’y a pas d’objet pensé il n’y a pas de pensées donc on ne se pose pas de questions on commence à s’interroger, quand il y a matière à s’interroger quand il y a ambiguïté. La pensée commence par la dualité, la loi qui pense et la chose qui est pensée ce qui veut dire que la dualité c’est une perte au sens où c’est une perte de l’unité par définition. Lorsqu’on a besoin par exemple de formuler quelque chose, de le matérialiser avec des mots, ça veut dire qu’il ne relève plus d’une évidence, ça veut dire qu’on a perdu l’évidence et l’immédiateté de la chose qu’on exprime. Exprimer quelque chose c’est la faire sortir de nous. Si on la fait sortir de nous ça veut dire qu’on a besoin de l’avoir exprimé, qu’on a besoin de l’avoir formulé, donc que s’est opérée une fragmentation à l’intérieur. La dualité est une perte et pourtant c’est aussi un gain, est-ce que c’est le gain de l’intelligence qui peut saisir rétrospectivement ce qui est contenu dans l’unité ?
Vous voyez que l’on peut avoir une lecture qui ne soit pas axiologique, qui ne soit pas basée sur un jugement de valeur de ce passage de l’unité à la dualité. L’unité est un état d’immanence pure qu’on peut considérer comme étant une sorte d’âge d’or, idéal mais d’un certain point de vue le monde de la dualité c’est le monde de ce qui permet de faire retour sur l’unité pour la saisir, la comprendre et la réinscrire dans un schéma général. La dualité n’est pas le contraire de l’unité, elle est ce que contient l’unité et lorsque le serpent dit : « si vous goûtez le fruit vous serez comme les dieux, connaissez et vous serez comme des dieux ». Ça signifie bien que la connaissance des dieux ne se limite pas à cette immédiateté du rapport à l’être mais que cette connaissance contient bien la dimension mentale c’est-à-dire la forme divisée de cette unité. Le propre de la dualité c’est de rompre l’évidence et la dualité c’est ce qui donne naissance au possible. Le possible c’est ce qui peut être fait par distinction de ce qui est de matière immédiate et évidente à partir du moment où il y a dualité il y a possibilité. Il y a possibilité de ne plus suivre ce qui paraissait évident ce qui paraissait normal ou naturel et dès lors qu’il y a possibilité, il y a possibilité du mal. En fait le mal n’est rien d’autre que la possibilité du mal. Et qu’est ce qui fait la différence qu’est ce qui fait que l’on puisse passer de la possibilité du mal au mal lui-même et bien c’est le libre arbitre. C’est le choix fait par tout à chacun, d’envisager cette possibilité et de la concrétiser. Par exemple lorsque l’Éternel dit à Adam et Ève : « vous pouvez goûter tous les fruits sauf celui de la connaissance de bien et mal » il établit une dualité, une dualité entre ce qui est interdit, c’est-à-dire le fruit de l’ambiguïté. Et ce qui est autorisé, c’est-à-dire tout le reste, il crée une séparation, il crée donc une division interne. Et nécessairement de manière négative, il met en valeur ce qui est interdit puisque ce qui est interdit, c’est ce qui ressort c’est ce qui est mis en relief par rapport à tout le reste qui n’est pas interdit. L’interdit est quelque chose qui nous attire nécessairement puisque c’est ce qui ressort du champ de tout ce qui est permis et Adam et Ève ne pouvaient qu’être attirés par l’arbre de la connaissance du bien et mal, puisque cet arbre c’était ce qui ressortait au centre du reste. Cet arbre c’est la flèche qui pointe l’endroit où on n’a pas le droit de regarder et qui fait que précisément on va regarder. C’est comme si je vous disais : essayez de ne pas penser un cheval blanc, et bien là, la plupart d’entre vous avez pensé un cheval blanc, à partir du moment où je vous dis de ne pas faire quelque chose et que cette interdiction ressort d’un, de tout un champ de permissions et bien c’est cette interdiction-là qui va vous attirer. Ce qui pose la question : est-ce que le mal d’un point de vue biblique ce ne serait pas la possibilité elle-même ?
La connaissance telle qu’on en parle depuis tout à l’heure c’est-à-dire la connaissance comme cessation de l’évidence pure. Cette connaissance peut servir aussi bien le bien que le mal, la connaissance peut donner lieu à la fois à la médecine, et aux armes. Qu’est ce qui fait la différence entre ces deux usages de la connaissance ? Et bien là encore c’est le libre arbitre. La connaissance n’est donc pas le mal par essence elle est le mal dans ses conséquences possibles, nous reviendrons toujours à la question de la possibilité qui chez l’homme correspond au libre arbitre. Sauf que ce libre arbitre n’est pas un mouvement purement aléatoire de la décision, dans le mot libre arbitre il n’y a pas seulement le mot liberté, il y a aussi le mot d’arbitrage et l’arbitrage c’est là la possibilité de juger d’une chose, à partir de son examen et à partir de l’examen de ses conséquences. Il est difficile d’apporter un jugement sur une chose ambiguë. Les conséquences ne sont pas indépendantes de nos choix, on produit les conséquences de nos actes et l'on fait le choix de produire ses conséquences. Mais si nos actes sont ambigus il est difficile d’en prévoir les conséquences. Par exemple si je vais voir quelqu’un dans la rue et puis que je me mets à l’insulter, alors je dois m’attendre à ce que s’il me met un coup de poing, ça faisait partie des conséquences prévisibles de mon choix, et c’est ce qu’on appelle tout simplement la responsabilité. Être responsable c’est s’attendre à ce que le réel répond à nos choix, et les conséquences de nos choix. Ce sont simplement les réactions du monde matériel à nos décisions. La responsabilité est donc une loi, c’est une loi humaine qui va de pair avec la liberté, à partir du moment où je choisis de faire quelque chose, j’engage ma responsabilité, j’assume les conséquences de mon choix, je les assume nécessairement puisque je suis libre de mes choix. Ce qui veut dire que lorsque Adam et Ève ont goûté le fruit interdit, ils ont fait le choix de la liberté. Puisqu’ils ont fait le choix de la transgression, ils ont fait le choix de ne pas obéir à l’interdiction et du même coup ils ont fait le choix de la responsabilité. Ils ont fait le choix de répondre de leurs actes et de faire l’expérience des lois de la causalité, de faire l’expérience de la responsabilité dans le rapport à la matière. Schopenhauer explique très bien d’ailleurs que le monde de la représentation c’est le monde qui est soumis aux lois de la causalité et aux lois de la matière et du temps. Le monde de la causalité cela signifie que chaque cause produit un effet, je suis donc libre d’agir comme je le souhaite, d’être la cause de ce que je souhaite. Mais la conséquence en revanche je ne décide pas elle est le prolongement nécessaire et logique de mes choix. En expérimentant la liberté j’expérimente les lois de la causalité. J’expérimente les effets que ma liberté aura sur le monde et donc j’accepte ses conséquences comme étant l’effet nécessaire de ma liberté. Le libre arbitre n’existe pas sans la loi de la causalité, il n’y a pas de libre arbitre si je n’ai pas de critère de jugement de mon action, et le critère de jugement de mon action ce sont les conséquences de mes actions sur le monde, la liberté est donc rivée intégralement au principe de causalité.
D'ailleurs Jésus nous met en garde Matthieu 5:37 : « Que votre parole soit oui, oui, non, non; ce qu'on y ajoute vient de la division. » Ici c’est bien une attitude ambiguë qui est jugée source de division.
Je disais donc du point de vue biblique, la possibilité de l’ambiguïté est déjà le mal, puisque l’ambiguïté signifie la possibilité de mal agir, et cela par ignorance. Le diable « celui qui divise » c’est celui qui offre la possibilité du mal en le cachant ou en l’habillant de bien, c’est le tentateur autrement dit notre ego qui nous persuade d’agir pour notre bien, alors que nos actions peuvent être néfastes pour nos semblables et même pour nous sur le long terme. Mais considérer que la possibilité du mal est déjà le mal, c’est faire abstraction du principe de libre arbitre, qui nous permet de vérifier par l’expérience ce que seront les effets de notre action si elle est mauvaise. C’est donc nier la possibilité de l’humain d’apprendre de ses erreurs et d’évoluer, de s’améliorer et de progresser. Ce que je veux dire c’est qu’on ne peut pas condamner la liberté sous prétexte que la liberté peut conduire au mal. Alors que précisément la liberté est rodée à la responsabilité et que la responsabilité que nous pouvons réorienter notre liberté de manière à ne plus être dans le mal, à moins de considérer que l’on puisse faire le mal en toute impunité. Il faut accepter le fait que si on fait le mal et bien on en subira les conséquences.
Donc finalement, on peut se demander : qu’à apporter le serpent à Adam et Ève ?
Si le serpent est l’ego c’est celui qui divise, il est aussi l’adversaire, il est ce qui est adverse, c’est ce qui fait obstacle, c’est ce qui s’intercale. Notre ego c’est ce qui s’intercale entre nous et la lumière, la lumière divine, la lumière de l’Éternel. C’est ce qui s’intercale entre Dieu et l’homme pour produire l’ombre de Dieu. Voilà pourquoi on parle souvent d’un égoïste comme d’une inversion des valeurs, c’est celui qui produit l’ombre de Dieu, c’est-à-dire sur un versant négatif, les ténèbres, les ténèbres étant le versant négatif de la lumière. Là encore on peut faire le parallèle avec Platon puisque le monde sensible chez Platon c’est la copie du monde intelligible et c’est une copie où qui participent du monde intelligible tout en étant la version dégradée et corrompue. Mais l’ego c’est aussi celui qui apporte la liberté et c’est celui qui apporte la liberté dans la souffrance puisque la liberté n’est accessible que par la souffrance c’est le prix de la liberté à travers la responsabilité, et en effet certaines personnes ont un ego si fort qu’elle en souffre elle-même. Le serpent ou l’ego c’est le tentateur, c’est celui qui éveille la curiosité, la curiosité c’est l’attirance pour ce qu’on ne connaît pas, c’est l’attirance pour ce qu’on n’a pas en soi et que l’on veut avoir, pour ce qui est séparé de nous, et ramener à moi, c’est l’ego centrisme, donc la curiosité c’est un mouvement perpétuel de sortie hors du soi. Il éveille cette curiosité mais il ne l’a créé pas, la curiosité est déjà en Adam et Ève avant qu’ils ne rencontrent le serpent « ego ». Le serpent dans le jardin d’Éden savait qu’Adam et Ève possédaient en eux la curiosité, et cette curiosité c’est un élan, c’est un mouvement de sortir hors de soi, c’est quelque chose de l’ordre de la dynamique, c’est quelque chose qui matérialise l’entrée d’Adam et Ève dans l’histoire, dans le monde de la temporalité. Le jardin d’Éden pouvant être considéré comme un monde fixe le monde de l’Éternel dans lequel il n’y a pas d’histoire. La rencontre avec le serpent va impulser l’entrée dans l’histoire, l’entrée dans la matière, il n’y a pas de matière sans l’ego. Le mouvement dynamique de l’homme qui après sa chute va chercher à remonter en prenant conscience de sa liberté en prenant conscience des conséquences de ses actes, en faisant l’expérience de la souffrance de la mort et de la responsabilité. L’existence matérielle est donc une leçon et pas seulement au sens de punition mais aussi au sens d’enseignement et donc celui de maîtriser son propre ego. L’Éternel a donné une leçon à Adam et Ève, il a plongé dans le monde de la matière en leur disant et bien puisque vous voulez être libre, vous allez comprendre ce qu’est le prix de la liberté. Vous allez pouvoir goûter votre liberté et vous allez pouvoir apprécier tout ce qu’elle implique. Elle implique toute la responsabilité, elle implique la souffrance, elle implique le travail. On apprend de l’existence puisqu’on apprend de la souffrance et du travail. On apprend en analysant les conséquences de nos actes, on apprend en comprenant le monde qui est autour de nous. Le péché originel c’est donc le premier choix de l’homme, c’est le premier acte de liberté de l’homme. Adam et Ève avaient le choix entre obéir ou transgresser, mais obéir à quoi ?
Ils ne pouvaient que désobéir puisqu’ils ignoraient à quoi ils obéissaient. On n’est pas dans un état d’obéissance quand on ignore ce qu’est la transgression. En transgressant Adam et Ève n’ont rien transgressé du tout, ils ont réalisé leur libre arbitre et ils doivent en assurer la responsabilité. Ils avaient été prévenus. Mais Adam et Ève ne sont ni coupables ni innocents, ils sont simplement ambigus tout comme cette histoire du jardin d’Éden est une histoire à l’interprétation ambiguë. Ils ont suivi ce mouvement intérieur celui de leur ego qui les portait à sortir pour aller faire l’expérience de cette liberté.
Je faisais le parallèle tout à l’heure entre le jardin d’Éden et l’état de nature chez Rousseau et là encore c’est exactement les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre dans le récit de ce passage que l’état de nature, à l’état civil chez Rousseau et du jardin d’Éden, au monde de la matière dans le mythe, Adam et Ève, et l’expulsion du jardin d’Éden c’est l’expulsion de l’état de nature puisque l’état de nature c’est l’état où tout est donné à l’homme et la chute dans l’état civil, où l’on doit cultiver la terre où l’on doit travailler où l’on doit se soucier de l’image et de la représentation, pour satisfaire notre ego, c’est exactement la même chose qui se produit pour Adam et Ève, le jardin d’Éden et en l’état de nature. L’état civil étant le monde temporel de la matière et la culture étant le moyen de recréer les conditions de l’état de nature. Par le travail, par la science, par la technique, ce qui veut dire que le travail c’est la condition du rachat et de celui des hommes après leurs chutes, il est préférable de parler de naissance. Dans le jardin d’Éden comme dans l’état de nature les hommes ont tout ce qu’ils veulent, ils n’ont besoin de rien, tout est à profusion. Et le travail difficile n’est pas nécessaire, le travailler dur ne sert à rien, dans le monde matériel comme dans l’état civil le travailler dur est nécessaire. Donc quoi qu’il arrive les hommes se rachètent par la vie, par la chute de l’état de nature, comme par le passage dans l’état civil l’homme fait son entrée dans l’histoire. Il lutte pour la survie, il lutte pour les ressources selon les principes de la rareté.
L’histoire étant l’histoire des luttes, la lutte c’est le moteur de l’histoire pour sortir de l’histoire et revenir à un âge d’or. J’ai fait un parallèle entre le jardin d’Éden et l’état de nature chez Rousseau mais on peut aussi faire le parallèle avec l’existence intra-utérine c’est-à-dire qu’Adam est semblable à un fœtus, il n’a pas conscience du corps, il est dans l’unité avec son environnement, il est dans la fusion immédiate avec sa mère, il ne connaît rien des divisions de la matière et pourtant il va tomber dans la matière, il va vivre une chute. Il va être séparé de l’unité, de l’unité maternelle, et à mesure qu’il va s’éloigner de cette origine et bien l’être humain va grandir, il va apprendre, il va acquérir de l’expérience. Il va se forger un libre arbitre, Il va exercer sa liberté à bon escient par l’analyse des causes et des effets et continuera malgré tout d’éprouver la nostalgie du paradis perdu. De la même façon que le premier souffle du bébé à la naissance est un cri, un cri de souffrance, eh bien la chute de la matière est une souffrance, mais elle est une souffrance qui va déboucher sur un apprentissage, et qui va déboucher sur l’acquisition de la conscience, le bébé qui sort du ventre de sa mère souffre mais personne ne s’émeut de cette souffrance, personne n’est triste, personne ne pleure et pourtant il souffre, mais personne ne pleure parce qu’on sait que c’est de ce souffle le primordial que va naître l’apprentissage, et au fond c’est tout ce que cette souffrance de la naissance est quelque chose de nécessaire, si on veut se donner les moyens d’évoluer. La souffrance d’Adam et Ève était nécessaire s’ils voulaient se donner les moyens d’évoluer. Adam et Ève sont-ils coupables d’avoir été corrompu par le serpent ? Bien je dirais que s’ils ont été corrompus c’est qu’ils étaient corruptibles, et que s’ils étaient corruptibles c’est qu’ils ont été créés corruptibles, si péché il y a, celui-ci était prévu, il était nécessaire. Pourquoi le serpent était-il là ? Comment a-t-il pu s’adresser à Ève, qui l’a laissé entrer ?
Toutes ces questions non aucune importance dans ce mythe, elles ne sont là que pour rendre celui-ci ambigu, et rendre l’interprétation difficile. Ce mythe est en quelque sorte un test de notre niveau spirituel. Quand l’interprétation et la compréhension sont possibles à celui qui l’étudie, cela signifie que l’on a atteint un niveau de compréhension suffisant pour comprendre toute l’écriture biblique.
Ce n'est pas pour rien qu’il est placé au tout début de la Bible.
Il est donc malhabile de parler du « péché originel » car il est plutôt originaire, donc constitutif, donc le péché originel c’est peut-être l’état structurel sur lequel se fonde l’humanité. Donc dans ce cas-là le péché n’est pas lié à une forme de culpabilité, le péché c’est l’acte qui précède l’apprentissage.
D’ailleurs je précise qu’il n’y a pas colère chez Dieu lorsqu’il chasse Adam et Ève du Jardin d’Éden, il n’y a pas d’affect, Dieu n’est pas en colère, Dieu ne leur en veut pas, ils sont expulsés parce qu’ils avaient été prévenus qu’ils seraient expulsés s’ils transgressaient l’interdit. « Si vous goûtez du fruit vous mourrez, » ce n’était pas une menace c’était un avertissement. Vous avez goûté le fruit vous avez donc ouvert la porte qui va vous mener à l’expérience de la matière. L’Éternel a mis le désir et la curiosité dans le cœur d’Adam et Ève, il a mis le libre arbitre,
La Genèse nous dit : La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence. Lorsque Adam et Ève mangent le fruit il nous est dit : Leurs yeux s’ouvrirent, cela veut dire qu’ils ont des yeux et que s’ils ont des yeux c’est pour s’en servir, La faute doit être comprise mais ne peut être comprise que par l’expérience de la souffrance puisque prévenir ne suffit pas. On ne comprend pas les choses les yeux fermés, il ne suffit pas de prévenir pour que l’on comprenne, il faut que l’on vive, il faut que l’on expérimente la faute, pour avoir conscience que c’est une faute, il faut que l’on vive et que l’on expérimente les choses pour comprendre ces choses. L’orgueil qui est la source du péché doit être confronté à lui-même et à ce qu’il engendre, et s’il y a orgueil dans cet acte de liberté, alors l’orgueil sera confronté à ses propres conséquences et c’est ainsi que l’individu pourra apprendre. Ce qui veut dire que si Adam et Ève sont coupables du péché d’orgueil et bien c’était un défaut intentionnel. L’orgueil a été placé en eux pour les marquer du sceau de la perfectibilité, ils peuvent s’améliorer, ils peuvent apprendre, ils peuvent évoluer parce qu’ils ont en eux ce qui va les pousser à l’expérience et à l’expérimentation.
Alors finalement est-ce que le serpent n’a pas rendu service à Adam et Ève ?
Directement non, mais indirectement peut-être et c’était peut-être un mal pour un bien, son acte reste ambigu, c’était peut-être une souffrance pour un enseignement, on sait que le serpent c’est le symbole de l’ambivalence. C’est à la fois le poison et le remède, d’ailleurs le serpent figure sur le symbole de la pharmacie, cela peut nous évoquer la phrase de Paracelse : Tout est poison rien n’est poison, on pourrait peut-être dire tout est poison tout est remède. De la même façon qu’on peut considérer que l’ambiguïté peut être un poison dans la mesure où elle nous fait sortir de notre rapport immédiat à l’être. Mais elle est peut-être aussi un remède, elle est peut-être aussi ce qui nous permet de comprendre et de revenir à cet état de fusion originelle, et unité avec ce qui est l’unité ne se comprend que lorsqu’elle se divise. Accéder au paradis suppose d’avoir connu l’enfer, et peut-être que nous sommes en enfer, et si nous sommes en enfer, ce n’est pas parce que nous l’avons mérité, ce n’est pas parce que nous sommes des pécheurs, mais c’est parce que nous sommes faits pour apprendre, et si nous sommes tous coupables et bien nous sommes coupables de la même chose qu’Adam et Ève, d’exercer notre libre arbitre.
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