Pierre chef de l’Église.

Persuadé peut-être que le royaume de Dieu ce manifesterait de son vivant Jésus n’a pas organisé sa succession. La question se pose uniquement après sa mort, et c’est Pierre au sein des disciples, qui semblent désignés pour succéder à son maître. Mais l’évangile de Matthieu apparaît le seul à soutenir sa cause. À l’inverse, le livre des Actes des apôtres témoin de la première communauté fait ressortir la famille de Jésus au premier plan, et parmi celles-ci Jacques le frère du Seigneur. Dans la liste des disciples auquel Jésus est apparu Paul emploi le terme Christ parce que cette apparition dans ce contexte c’est Jésus le ressusciter. Ce que je cite là c’est l’avis des auteurs et ce sont les termes qu’ils utilisent. S’il y a eu d’un point de vue historique apparition ou pas, cela est autre chose. L’historien ne peut pas se prononcer sur des faits hors du champ naturel des événements. Ainsi l’histoire ne peut pas affirmer que cela est vrai ou que cela ne l’est pas ; elle ne peut dire seulement ce que disent les auteurs du Nouveau Testament et c’est tout. Nous demeurons donc en présence d’une liste qui associe toutes sortes de gens. Alors maintenant est-ce tout simplement un constat de qui se trouvait là ou qui ne s’y trouvait pas ! sommes-nous en présence d’une liste officielle ? Si oui, qui l’aurait décidé ainsi ? L’apôtre Paul ? Or le paradoxe, c’est que des textes aussi importants que les Actes des Apôtres ou les lettres de Paul, quand ils parlent de la résurrection du Christ, ne mentionnent pas le rôle fondamental des femmes comme témoins originels du Ressuscité !

Pourquoi ? Sans doute pour Paul et Luc par souci de produire des témoins acceptables dans la culture antique cela pourrait expliquer leur réserve. Dans le Moyen-Orient de l’époque de Jésus, un témoignage féminin ne figurait pas recevable et il risquait de faire perdre en crédibilité…

Au contraire, les évangiles, comme celui de Matthieu, nous présentent ce témoignage féminin. Dans un tel contexte culturel, il se trouve invraisemblable que l’on soit face à une invention faite au cours de la transmission orale de la mémoire sur Jésus. En effet pourquoi aurait-on choisi pour témoins des femmes qui suscitaient incrédulité et suspicion ?

Le fait que leur témoignage soit conservé en dépit des préjugés culturels de l’époque, indique que nous, ne sommes pas en présence d’une invention de la part d’auteurs qui auraient cherché à convaincre par leurs arguments. Cela renforce peut-être la vraisemblance de ces textes. Donc l’on voit bien qu’à travers la pluralité des textes que nous ne demeurons aucunement en présence d’une liste officielle. Nous sommes en fait en présence d’une liste qui essaye d’additionner les autorités crédibles qui auraient été témoins de l’événement de Pâque. Comme autoritaire on donne Pierre, les douze, Jacques, etc.. Et cela pour posséder un argument quantitatif et qualitatif quant aux gens qui se trouvaient là. Évidemment une des grandes énigmes historiques c’est de se dire qu’est ce qui s’est réellement passé ? Qu’est-ce que cela veut dire cette formule « aux frères, il s’est fait voir » alors on se pose la question ! personne ne sait ! ce que l’on peut simplement constater ce sont les effets ; à savoir le fait que cet événement ou cette expérience est représenté d’une part, par cette confession de foi, mais ensuite par presque l’ensemble du Nouveau Testament comme le point de départ du christianisme. Sur ce qui s’est passé, je crois qu’on ne peut pas dire grand-chose. Mais visiblement le fait réside en ce que le christianisme est constitué par cet événement il repose sur cette théologie paulinienne c’est indiscutable. Sans cette théologie paulinienne d’expiation, le christianisme n’existe pas, il perd ces fondements. On peut donc affirmer que Paul établit alors les fondements du christianisme, certes pas ceux de l’Église, mais du christianisme en tant que religion.

Cet événement, ou cette expérience, c’est-à-dire la première apparition du ressuscité dont ils auraient été les témoins, distingue Pierre de tous les autres disciples. Dès lors, celui-ci semble intronisé comme le successeur de Jésus et le chef de l’Église.

En Matthieu 16, 13 on nous dit : « Jésus se rendit dans la région de Césarée de Philippe. Il interrogea ses disciples : Que disent les gens au sujet du Fils de l’homme ? Qui est-il d’après eux ? Ils répondirent : Pour les uns, c’est Jean-Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou un autre prophète. Et vous, leur demanda-t-il, qui dites-vous que je suis ? Simon Pierre lui répondit : Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. Jésus lui dit alors : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas de toi-même que tu as trouvé cela. C’est mon Père céleste qui te l’a révélé. Et moi, je te déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, contre laquelle la mort elle-même ne pourra rien. Je te donnerai les clés du royaume des cieux : tout ce que tu interdiras sur la Terre sera interdit aux yeux de Dieu et tout ce que tu autoriseras sur la Terre sera autorisé aux yeux de Dieu. »

Il reste à démontrer que ces paroles demeurent un fait historique ! je n’en suis pas totalement convaincu. Pour ma part, elles pourraient aussi remonter au tout premier temps des disciples de Jérusalem et à un moment où Pierre est effectivement le représentant par excellence de la communauté, et cela n’a pas toujours été le cas et pour tous les groupes. Si Jésus prononça de telles paroles, peut-on imaginer que Marc et Luc l’aient passer sous silence ! c’est absolument impensable. Simplement, le récit de Matthieu 16, 18, suppose que la communauté à un seul fondement et en l’occurrence c’est Pierre. Si elles figurent véridiques, et dès lors quand Jésus dit à Pierre « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon (ecclésia) » « mon assemblée » il fait référence selon moi à des représentations juives. Celles-ci sont bien attestées au terme de laquelle le temple de Jérusalem reposait sur une pierre qui était une pierre cosmique que l’on appelle L’Even hashtiya אבן השתייה « La pierre d’assise » du Saint des saints des temples de Jérusalem. Lieu le plus saint du judaïsme vers lequel sont orientées les prières. Il figure identifié par le midrash au site de la ligature d’Isaac et est considéré comme le point de jonction spirituelle entre les Cieux et la Terre. La Pierre de Fondation, cette pierre cosmique était supposée représenter le lieu où était mise en communication, une pierre qui liait en quelque sorte le Ciel et la Terre ; dans la mesure où le temple était le lieu où Dieu était censé habiter sur Terre et venant du Ciel, il venait visiter là celle-ci, et donc cette pierre était située à la jonction entre les mondes. En disant à Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon ecclésia » Jésus recours à une symbolique qui était associé au temple et l’associât à Pierre. L’évangile de Matthieu a consacré l’image de Pierre recevant les clés du royaume or dans les autres évangiles, son portrait n’apparaît pas toujours aussi flatteur. Le portrait qui en est brossé tant dans les évangiles que dans les actes, ou encore dans l’épître aux Galates, demeure un portrait relativement homogène. C’est-à-dire que l’on a affaire à un personnage qui se trouve à la fois un fonceur et un gaffeur ; et à la fois quelqu’un qui figure prêt au plus grand élan et qui après peut se tromper assez lourdement, et ce à tout moment et cela est très frappant. Le personnage de Pierre est le porte-parole des 12 disciples, mais il n’est pas mieux traité qu’eux. C’est même le modèle de celui qui a du mal à appréhender le mystère de Jésus. Pierre ne comprend ni les paroles de Jésus ni les annonces de la passion. Annonces qui évidemment font partie du travail rédactionnel de l’évangéliste Marc. Donc je ne dis pas que cela est historique, mais l’important c’est que Pierre soit montré comme incapable de les comprendre. Pierre est même celui qui renie trois fois Jésus, ce qui ensuite pose le problème de sa légitimité. Le problème est résolu différemment selon les sources. Dans l’évangile de Jean, par exemple au chapitre 21 par trois fois Jésus lui demande si Pierre l’aime, et par trois fois Pierre affirme que oui il l’aime. C’est une manière de récupérer la figure de Pierre qui a renié trois fois son maître. Là, c’est extrêmement curieux puisque Pierre est à la fois le disciple qui renie Jésus, ou à qui l’on fait renier Jésus, la chose est parfaitement possible ; il est le personnage qui doute, le personnage impétueux qui se fait remettre en place par Jésus, et dans Matthieu le personnage à qui Jésus attribue les clés du royaume. Autrement dit, un personnage complexe qui est à la fois un humain impulsif et enthousiaste et mal adroit et d’autre part celui à qui une tâche spéciale et fondamentale est confiée. Pierre a été utilisé comme cela par la tradition et cela n’a pas gêné celle-ci ; et d’ailleurs, la tradition n’idéalise pas les figures des disciples. Je pense que Pierre a illustré une personnalité qui a un comportement tout à fait commun des croyants et qui est une force des évangiles. Celle d’offrir à l’identification des lecteurs des personnages qui n’apparaissent pas toujours tout juste et idéals. Pierre est un personnage qui à certains moments échoue lamentablement. Donc on possède toute une série de portraits de Pierre et parfois il se trouve pratique de détenir plusieurs portraits d’une personne, parce que cela permet d’avoir une vision plus générale de qui était cette personne. Mais pour brosser un portrait unique de Pierre, c’est beaucoup plus difficile. La vie de Pierre on ne sait pas l’écrire, on peut rédiger éventuellement une vie de Paul, car on dispose de ses lettres, et encore cela n’est pas facile ; mais pour Pierre, c’est impossible. Si l’on voulait unifier toutes les images que les textes néotestamentaires de Pierre nous ont laissées, on arriverait certainement à une espèce de portrait psychologique de bas étage, et en tout cas de très mauvaise qualité. Nous devons éviter de le faire, et je crois qu’il faut prendre les textes pour ce qu’ils sont, les uns à côté des autres ; et non faire un empilage qui tirerait un portrait psychologique d’un Pierre qui serait à la fois impulsif et inconstant ; qui serait celui qui reconnaîtrait comme dans Matthieu au chapitre 16 que Jésus est le Christ le fils de Dieu vivant, à qui sont attribués les pouvoirs de lier et délier et donc de délivrer ou non les péchés. Celui qui en même temps quelques versets plus loin remet Jésus en place à propos de l’annonce de sa mort et à qui Jésus est obligé de dire « marche dernière moi Satan ». On arriverait ainsi effectivement à ce type de personnage qu’on présente assez facilement sous cette forme-là. C’est-à-dire qu’on effectue presque une psychologie de Pierre comme l’on réalise une théologie du Nouveau Testament. Or si l’on adopte tous les personnages vraiment représentatifs du Nouveau Testament, l’on constate que Pierre, que Paul, que Jacques, que Jacques le frère de Jésus, que Jean sont des personnages, emblématiques. Mais ceux-ci ne demeurent pas d’équivalente façon, selon qu’il s’agit de l’évangile selon Matthieu, ou des Actes ou selon une épître paulinienne en revanche. Si l’on prenait un par un ces textes, l’on s’apercevrait très vraisemblablement que ce qu’on prend par exemple pour une apparence positive de la psychologie de Pierre ou un aspect négatif de cette même psychologie, ce serait en réalité une prise de position par rapport à un pouvoir qu’aurait Pierre qui est reconnu par les uns et contesté par d’autres. Ainsi l’on brosserait inévitablement un portrait antagoniste du personnage. Nous sommes donc en présence ici de personnages symboliques, nous possédons des figures de pouvoirs, des figures d’identifications. Je ne crois pas que Pierre n’ait jamais possédé un pouvoir quelconque dans le christianisme primitif. Avec Pierre, je crois qu’on détient plutôt une figure chargée de toute une symbolique en ce sens que Pierre était probablement un des associés proches de la mission de Jésus. Il va d’abord continuer l’œuvre de Jésus, en premier lieu en Palestine, puis partir visiblement du côté de Corinthe peut-être du côté de la Turquie actuelle, et éventuellement à Rome ; mais je dirais que Pierre est une figure symbolique du christianisme primitif plutôt qu’une figure de pouvoir et de dirigeant. Aussi je ne suis pas persuadé que Jésus ait désigné Pierre comme l’unique chef de ses disciples encore moins d’une quelconque Église. Ce qui en ferait si l’on veut le successeur de Jésus. Il est vrai que l’évangile de Matthieu veut communiquer cette impression, et c’est sur cette seule base, que le christianisme traditionnel et, notamment le christianisme catholique et romain, a été construit. Mais si on lit attentivement l’évangile, de Matthieu nous remarquons que le pouvoir donné à Pierre au chapitre 16 est également donné aux autres disciples au chapitre 18. Donc même dans l’évangile de Matthieu, Pierre n’est pas distingué ni placé sur une sorte de piédestal. Cela reste un contre sens de le représenter ainsi, c’est une interprétation erronée de l’évangile selon Matthieu, mais c’est aussi un contre sens qui a influé, l’histoire de l’Église pendant 2000 ans. Depuis 2000 ans l’histoire de l’Église repose sur Saint-Pierre, et Saint-Paul, mais dans les années 30 à 40 à Jérusalem rien de cette histoire n’est concevable. À cette époque la communauté lutte pour sa survie et au groupe des disciples, dont Pierre est la figure majeure, s’oppose la famille de Jésus mené par Jacques le frère de Jésus, c’est ce qui resort d’une lecture attentive du Nouveau Testament.

Ajouter un commentaire

Anti-spam
 
×