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Le fondamentalisme chrétien

 

Ou le suicide de la raison

Les métamorphoses d’un mot

Le « fondamentaliste » dérive de « fondements » et en principe ce mot devrait désigner toutes personnes qui font référence à quelque chose ou à quelqu’un, à partir duquel ils fondent leurs pensées, leur vie et leur foi. Ainsi par ce mot « fondement », on désigne, et on précise ce sur quoi et à partir de quoi on construit une pensée intellectuelle, spirituel ou existentiel. Ainsi l'Évangile désigné comme le Nouveau Testament qui nous parle du Christ, de ses paroles, ou de la prédication des prophètes et apôtres peut être considéré comme le fondement du christianisme.

Ainsi compris, l'ensemble des chrétiens peuvent se dire fondamentalistes, puisque tous prétendent se fonder sur la personne, l’œuvre et l’enseignement de Jésus. Mais, dans son usage le plus courant, ce mot ne nous renvoie pas à l’ensemble des chrétiens, mais à un courant spécifique du christianisme, courant qui est plutôt une nébuleuse de courants voisins et apparentés. Il est en effet fort de constater que le fondamentalisme, comme d’ailleurs le libéralisme, ne forme pas un bloc unifié. Ces divers courants ont cependant une chose en commun et c'est de voir dans la Bible un livre dicté par Dieu, aux sentences quasi infaillibles.

Caricature liberaux 1

L’origine du mouvement est apparue aux États-Unis entre les années : 1910 à 1915, sous le titre général The Fundamentals une série de douze brochures qui entendaient réagir contre les thèses libérales (entre autres, mais pas seulement, contre l’exégèse historique et critique) accusées de détruire ou de pervertir le christianisme en cherchant à le moderniser.

Ainsi on a qualifié de « fondamentalistes » les positions qui y étaient soutenues et ceux qui les approuvaient.

Les médias ont depuis élargi et modifié le sens de ce mot et il est aujourd’hui donné à tous les extrémistes de diverses religions et idéologies. Ce généralise entraîne une imprécision de vocabulaire. Ainsi on ne distingue pas assez le fondamentalisme de tendances proches, mais différentes telles que le littéralisme, l’intégrisme, le révivalisme ou le créationnisme. On l’associe trop volontiers avec le fanatisme, voire le terrorisme. Du même coup, il évoque, encore plus qu’autrefois, non seulement une rigidité religieuse, une fermeture et une étroitesse d’esprit, mais surtout aussi une dangerosité sociale.

Qu’est-ce qui les caractérise ?

On peut distinguer en général deux fondamentalismes.

D’abord, on rencontre un fondamentalisme que je désignerais comme « inconscient », c’est celui qui n’est pas polémique et qui spontanément prend les textes bibliques à la lettre, sans porter une forme d’interrogation ni se questionner sur la véracité des récits. La réflexion intellectuelle, la maturation de la foi, l’éducation et l’étude le dissipent, parfois, mais pas toujours à travers des crises religieuses.

Mais on distingue aussi un fondamentalisme réactionnaire en ce sens qu’il est une réaction contre des tendances jugées par lui nocives. Ce fondamentalisme-là naît d’un rejet et d’un refus. Il s’oppose avec un « non » catégorique à tous ceux dont il pense qu’ils dénaturent la foi chrétienne tout en s’en réclamant. Nous pouvons le juger, non sans raison, comme agressif, mais pour sa part, il s’estime défensif ; il entend et prétend lutter contre des dérives ou des menaces graves. Il se méfie, en général, de la théologie universitaire encline, selon lui, à altérer le message évangélique. Il soupçonne les chrétiens qui ne partagent pas ses vues de n’être pas vraiment convertis et de n’être pas véritablement des chrétiens, lui seul peut se dire « chrétien véritable ». Il est absolument contre toutes formes d’œcuménisme qui ne peut conduire selon lui qu’à des compromissions insidieuses et détourne de la vérité évangélique.

En général, les fondamentalistes n’aiment guère, cette appellation, mais pas seulement à cause de ses connotations dépréciatives. Ils préfèrent, de beaucoup se qualifier d’« évangéliques » cependant tous les évangéliques ne sont pas des fondamentalistes. Mais ils estiment, en effet, qu’ils sont les seuls dans le vrai et qu’ils professent et maintiennent la vérité évangélique de manière complète et cohérente. Ils se refusent de porter une étiquette qui laisserait entendre qu’ils constituent une option parmi un éventail de positions possibles au sein de christianisme eux seuls sont véritablement des chrétiens authentiques. Ils sont convaincus que dans d’autres communautés chrétiennes la prédication de Jésus et des apôtres est, peu ou prou, méconnue, déformée, abâtardie, voire trahie. Comme je l’ai dit, aucune forme d’œcuménisme n’est pour eux envisageable.

Toutefois, il y a peu de fondamentalistes purs et durs, conformes en tout point à la description que je viens de proposer. Mais on rencontre, dans les milieux protestants, surtout dans le milieu évangélique, plus qu’ailleurs, beaucoup de gens qui subissent plus ou moins l’influence du fondamentalisme ; on trouve chez eux tel ou tel des traits que j’ai relevés sous une forme tantôt forte, tantôt atténuée. On les rencontre le plus souvent dans les églises non alignées, c’est à dirent les églises qui se disent « libres », non regroupées à une fédération comme la FECE, ou le CNEF, ou au FPF. En général, ces églises à tendance « fondamentalistes » rechignent à fédérer avec d’autres églises par crainte toujours de s’associer avec des églises qui trahissent l’enseignement de l’Évangile. Dans ces milieux en général les femmes n’ont pas accès au ministère et à la prédication, ni à l’enseignement des adultes, pour beaucoup d’entre elles (conditionnées) elles se doivent de se couvrir la tête lors du culte et de la prière. On enseigne dans les écoles du dimanche le créationnisme littéralement comme il est écrit dans le livre de la Genèse Dieu à créer le monde en six jours de 24 heures. On apprend aux enfants que la théorie de l’évolution est une invention des non-croyants « un piège diabolique » que l’histoire de Noé, c’est passé comme elle est écrite dans le livre de la genèse… etc.

Principes du fondamentalisme

On décèle en fait dans le fondamentalisme la recherche d’un besoin de sécurité spirituelle et de confiance existentielle : la Bible est totalement fiable, elle donne une assurance inébranlable, elle délivre de l’inquiétude, elle fournit la bonne réponse à toutes les interrogations et élimine les inquiétudes. Elle vient de Dieu ; même quand on la conçoit comme témoignage rendu par des hommes, on n’admet pas d’écart ou de distance entre l’écriture humaine et la parole divine. On distingue trois principes interdépendants, qui découlent plus d’un profond et puissant désir de certitude que d’une élaboration méthodique et d’une réflexion rigoureuse, commandent la lecture et l’interprétation fondamentalistes de la Bible.

En premier lieu, on rencontre celui de l’inerrance, autrement dit, l’absence de toute erreur dans quelque domaine que ce soit (histoire, géographie, sciences naturelles, etc.). L’absence d’erreurs consiste dans la correspondance exacte du texte avec les faits ; elle implique la coïncidence parfaite du discours et de la réalité (au sens de res, la chose ou l’objet). Les fondamentalistes « néo-évangéliques », à la différence des radicaux, tiennent bien compte du genre littéraire, de la situation culturelle et de l’intention de l’auteur humain ; mais ils répugnent toutefois, à dissocier comme le fait souvent l’exégèse critique, la « fonction expressive » d’un texte (l’enseignement ou le message qu’il entend délivrer) de sa « fonction représentative » (la description factuelle des choses ou des événements).

Exemple d’une confession de foi d’une église fondamentaliste : 

La Bible, constituée des 66 livres de l’Ancien et du Nouveau Testament et totalement exempte d’erreur dans sa rédaction originale, est la seule Parole écrite de Dieu. Elle nous révèle son plan de salut en Jésus-Christ. Par le Saint-Esprit, Dieu a conduit les écrivains sacrés dans toute la vérité. Par conséquent, la Bible, elle seule, est revêtue de l’autorité divine, et l’Église doit s’y soumettre en matière de foi et de vie. Le secours de l’Esprit est indispensable pour étudier, comprendre et mettre en pratique la Parole de Dieu.

Trump et la bible

 

Viens ensuite, celui de l’harmonie. Selon le fondamentalisme, il n’y a ni contradictions ni divergences entre les énoncés bibliques. Ils se concilient, se complètent, se confortent les uns les autres et concordent parfaitement. Il faut rejeter cette idée qu’ils puissent refléter des débats ou des conflits entre divers courants en Israël ou dans l’Église primitive. On radicalise des idées classiques, celle de l’analogie fidei ou celle de la Bible « interprète d’elle-même », qui tendent à unifier les discours bibliques, alors que l’exégèse historico-critique insiste plutôt sur leur diversité.

Enfin vient celui de la solidarité. Les fondamentalistes ne mettent pas forcément tous les écrits ou tous les textes sur le même plan. Ils n’accordent pas à chacun d’eux une valeur ou une importance identique. Ils jugent par exemple l’évangile de Jean beaucoup plus central et fondamental pour la foi que les Nombres ou qu’Esther. Cependant, tout se tient. Si un des livres de la Bible apparaît plus humain que divin, cela touche l’ensemble et porte atteinte à son statut de Parole révélée. Si l’on y trouve un seul élément douteux, tout devient contestable. Si l’on y rencontre une erreur minime sur un point de détail, elle perd sa crédibilité. Le fondamentalisme rechigne à la critique, au sens propre du mot, c’est-à-dire à la distinction, au discernement, au tri.

Ces principes sont plus faciles à formuler qu’à mettre en œuvre. On multiplierait sans peine les exemples d’acrobaties et de contorsions exégétiques auxquelles ils conduisent ceux qui veulent les suivre : jeu sur les mots (ainsi les « jours » de la création dans le livre de la Genèse sont bien six jours de 24 heures, au mieux ils deviennent des périodes géologiques, ou « père » est compris comme « ancêtre » pour éviter des difficultés de chronologie), manipulation des événements (ainsi on dit que Jésus a chassé deux fois les marchands du temple ou qu’il y a eu plusieurs ascensions, afin d’accorder des récits néotestamentaires différents), etc. On aboutit à un paradoxe : les fondamentalistes rendent un très grand hommage à la Bible et, pourtant, ne la respectent pas vraiment ; constamment, ils en tordent le texte et lui font violence.

La Bible est-elle fondamentaliste ?

On peut adresser bien des critiques au fondamentalisme. Comme celui de mettre en jeu une logique intenable du « tout ou rien ». De ne pas prendre en compte l’histoire ou les découvertes scientifiques. Il repose sur une conception assez simpliste et plutôt positiviste de la vérité. Il impose aux écrits bibliques des catégories qui leur sont extérieures et en faussent la nature (faisant exactement ce qu’il reproche à l’exégèse historico-critique).

La plus grande faiblesse du fondamentalisme réside, à mon sens, dans une contradiction interne : l’impossibilité de fonder bibliquement ses affirmations sur la Bible. Aucun texte dans les Écritures ne justifie sa position. La Bible ne parle pas d’elle-même. Elle ne donne aucune indication sur son propre statut. Elle ne proclame jamais sa propre infaillibilité. Les fondamentalistes citent volontiers 2 Timothée 3/16 : « Toute l’écriture est inspirée par Dieu et utile pour enseigner ». On ne sait pas très bien de quelle écriture il s’agit (en tout cas pas du canon de l’Ancien et du Nouveau Testament, tel que nous le connaissons). De toute manière, « inspiré » n’équivaut pas à « inerrant » et « utile » ne signifie pas « exempt d’erreurs ». Quand ils le commentent, les fondamentalistes font dire à ce verset autre chose que ce qu’il dit. Je peux dire la même chose des « Fables de Jean de la Fontaine » ; « elles sont utiles à l’enseignement dans les écoles, car elles ont une réelle fonction pédagogique », cela n’implique pas que les corbeaux et les renards doivent savoir impérativement parler ! 

Le problème du fondamentalisme

Théologiquement, le fondamentalisme ne présente aucun intérêt. Son apport à la réflexion sur le statut de la Bible et sur l’herméneutique des textes est pratiquement nul et ne mérite pas qu’on s’y attarde. Par contre, sur le plan pastoral et ecclésial, il importe de lui accorder de l’attention. Il traduit souvent le malaise et l’incompréhension de gens qui se sentent largués et dédaignés par les spécialistes. Il soulève des interrogations sur le passage d’une foi affectivement puissante et intellectuellement fruste (telle qu’on la cultive fréquemment dans le piétisme et le révivalisme) à une foi informée et pensée (ce qui n’empêche nullement la ferveur et l’émotion).

Si le fondamentalisme en tant que construction doctrinale est négligeable, en tant que personnes les fondamentalistes ne le sont pas. Leur système ne vaut rien ; par contre, comment ne pas reconnaître et honorer l’intention qui les anime (se mettre à l’écoute de la Bible) ? À cause de cette intention, nous devons tenter de développer un dialogue et de tisser une communion avec eux, en sachant qu’il y aura à panser, de leur côté comme du nôtre, des blessures parfois vives et à surmonter des incompréhensions fortes. On peut espérer, peut-être naïvement, susciter ainsi une réflexion en profondeur sur la manière dont Dieu se révèle à nous et nous parle.

D.R

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