Si Jésus n'avait pas été crucifié, il aurait cependant été le Christ.

Jésus sans la croix

 

La tradition chrétienne et les églises n’ont-elles pas accordé plus d’importance à la personne de Jésus qu’à son enseignement ? Et qu’avons-nous dans ce cas véritablement compris de celui-ci ?

L’enchaînement du second article du symbole dit des apôtres, qui parle du Christ, est à cet égard significatif il nous enseigne ceci : « il a été conçu du Saint-Esprit, il est né de la Vierge Marie, il a souffert sous Ponce Pilate, il a été crucifié, il est mort, il est descendu aux enfers ; le troisième jour, il est ressuscité… »

Seul un intérêt est mis sur sa conception et sa naissance, et d’autre part sa mort et sa résurrection, et il est fait silence sur ce qui s’est passé entre-temps, c’est-à-dire sa vie et son enseignement. Cela m’a toujours profondément choqué, que l’on puisse réduire l’œuvre de Jésus à cela. Ne croyant pas aux enfers déjà un bon morceau du symbole des apôtres m’est étranger.

Pourquoi le christianisme s’attache-t-il autant à la crucifixion expiatoire, au point de la rendre nécessaire pour la foi ?

Un cantique (protestant) en parle ainsi : « attaché à la croix pour moi », proclame-t-il. Nous humains du XXI siècle comment et pourquoi peut-on admettre ceci ? Qu’ai-je à voir avec cette crucifixion d’il y a plus de deux mille ans ? Pouvons nous admettre que Dieu est besoin d’un bouc émissaire qui plus est son fils pour écarter de l’humanité son courroux alors que celui-ci proclame haut et fort que Dieu son Père est Amour ?

Le besoin d’un bouc émissaire me fait penser au populisme, au nazisme, au fascisme ! Le christianisme (en tant qu’institution) reposerait-il sur les mêmes fondements que ce populisme qui a besoin pour se maintenir dans l’opinion de boucs émissaires, fut-ce celui-ci sacré ? La résurrection ne voudrait-elle pas justement prouver et nous enseigner que justement Dieu refuse le sacrifice, d’un bouc émissaire ?

Ne sommes-nous pas devant un midrash de l’offrande de Caïn auquel Dieu ne porta pas un regard favorable ? Même si Abraham croyait répondre à une demande de Dieu et être agréable à Dieu, Dieu refuse le sacrifice humain offert par Abraham. Ai-je le droit de dire à Dieu je réclame ta grâce, car ton fils Jésus a payé pour moi c’est mon « bouc émissaire » ?

Pour bon nombre de protestants libéraux, il est incongru de se contenter, comme le symbole dit des apôtres, de déclarer que Jésus est né et qu’il est mort ; sa naissance et sa mort n’ont d’intérêt qu’à cause de ce qu’il dit, et a enseigné, bref de ce qu’il a été entre ces deux limites. L’essentiel de l’Évangile se trouve dans ce que Jésus a dit, dans la manière dont il présente l’action et la présence de Dieu, dans sa conception de l’existence humaine, dans ce que signifie pour lui la foi, dans ce qu’il demande à ses disciples de faire, dans la manière dont lui-même agit et se comporte. Le message doit compter plus que le messager. Jésus est le doigt qui montre la Lune, soyons intelligents et ne nous focalisons pas sur le doigt.

Une autre question me brûle les lèvres ! Jésus-Christ n’était-il pas tout simplement un humanisme fort développé égaré dans cette période de l’Antiquité ?

Peut-on dire que l’enseignement du Christ est un humanisme sécularisé, et doit-on ramener l’humanisme dans les eaux du christianisme épuré du sacrifice expiatoire ? S’y refuser selon moi c’est courir le risque, de voir la foi chrétienne vite s’enfermer dans le communautarisme qui la rend incapable de communiquer aujourd’hui avec le monde moderne, et ce christianisme déshumanisé en quelque sorte est incapable de remplir sa mission celle qu’a confiée Jésus-Christ à ses disciples. Je plaide donc pour une réconciliation de la foi avec la raison, seul moyen aujourd’hui d’éviter le choc des civilisations.

En effet, l’incarnation, ou humanisation de la Parole de Dieu en Jésus, qui singularise le christianisme entre toutes les religions, le prédétermine, à tenir un discours humaniste de portée universelle : l’Évangile en est le témoignage et le langage toujours nouveau. Se disposer à transmettre son message, c’est la chance, pour les chrétiens de ces temps d’incertitudes, de découvrir une nouvelle manière d’être ensemble et d’être au monde, à l’abri du sectarisme, et de travailler au salut de l’histoire, dans le temps, et l’espace de ses évolutions, alors qu’elle paraît menacée de tragiques errements. Il faut impérativement suivre cette voie celle d’associer Évangile et humanisme sous peine de voir le christianisme disparaître.

Cependant, placer l’homme au centre ne suffit pas selon moi à fonder un véritable humanisme. Encore faut-il posséder une idée élevée de l’homme, et en avoir la raison à cela. Ce qui n’est pas ce qu’enseignent les courants fondamentalistes comme les courants évangéliques. On peut décider que l’homme est la mesure de toute chose, et le voir cependant tout petit. Dès lors, c’est toute la réalité qui devient chétive…

Qu’en est-il du christianisme sur ce sujet ? Il est certain que la religion initiée par le Christ place Dieu à la première place. Le christianisme est un monothéisme, héritier du judaïsme. En tant que Créateur et Sauveur la primauté revient à Dieu. Mais cela signifie-t-il que l’homme en soit rabaissé en proportion de l’élévation de Dieu ? Je pense que l’homme sous l’emprise de son ego le croit. Mais pour répondre à cette question, il est nécessaire de s’informer, sur l’idée de l’homme que véhicule le théocentrisme du christianisme. En effet, il ne suffit pas de placer l’homme au centre : encore faut-il avoir de lui une conception assez élevée, pour prétendre être un véritable humanisme. Or comment peut-on avoir ou obtenir cette conception élevée de l’humain sans faire appelle à notre ego ?

Il ne suffit donc pas de placer l’homme au centre pour établir sa grandeur. Il est nécessaire d’étayer en quoi consiste celle-ci. En laissant de côté notre ego qui nous pousse à le faire de façon spontanée.

La foi chrétienne a répondu. Selon elle, non seulement nous sommes créés à l’image et ressemblance de celui qui est infini en lui-même, mais de plus l’Être absolu s’est fait l’un de nous en Son Fils.

Mais n’assistons-nous pas actuellement à un phénomène (encore inaperçu), à savoir celui de la remise en cause de l’humanisme en sa légitimité même ? Je me pose cette question, car depuis plusieurs années maintenant l’Europe et même les États-Unis et en gros toutes les démocraties, sont le théâtre d’une résurgence des populismes. Un terme compliqué à appréhender et donc porteur d’ambiguïté. Mais une chose est certaine le populisme n’est pas un humanisme, mais sont opposition. Il est bon de se souvenir de ce que Montesquieu écrivait : « Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime ».

Ce mot d’humanisme traduit les espérances d’une humanité libre et respectueuse d’elle-même, éclairée par la raison tandis que le populisme me semble ne vouloir que répandre les odeurs nauséabondes de l’enfermement dans les réduits identitaires du rejet des différences et de la peur de l’autre et du nouveau. Chercher un bouc émissaire n’est pas de l’humanisme. L’humanisme pense que les hommes ont leur destin en main, qu’ils doivent construire par eux-mêmes le monde dans lequel ils vivent, tout en étant tolérants avec les autres, mais aussi libres de leurs actes, sans se référer à une puissance extérieure, religieuse, ou politique. C’est tout le contraire du populisme. L’humanisme c’est : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, au moment de la Révolution française, qui commence par cette phrase : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Le populisme dit lui : « les vrais Français naissent, etc. » Le populisme est un courant politique qui est celui qui prêche la haine et le rejet des autres, surtout des étrangers. Et hélas ! il semble bien que ce soit comme cela qu’on est élu, maintenant. Aujourd’hui, les élections se gagnent avec des slogans et des injures, mais pas avec une pensée construite, c’est bien là le problème. C’est la politique spectacle et c’est aujourd’hui devenu la règle. Il faudrait peut-être revoir la façon dont on diffuse l’information et la connaissance, notamment pendant une élection, ne pas se contenter des sondages et des petites phrases sur les réseaux sociaux. On en revient à la question de l’humanisme : renouer avec la pensée au lieu du slogan, avec la raison au lieu de l’instinct, avec l’argumentation au lieu du sophisme…

Mais où sont ces humanistes aujourd’hui ? Quand on voit des « fous de Dieu » qui font des attentats à cause de leur religion, quand on voit que le plus grand pays du monde fut dirigé par un maboul, qu’une dame qui rejette les étrangers est à la tête du premier parti politique de la France ? Ils sont où les humanistes ?

— Ils existent, ils sont nombreux, mais le problème c’est qu’on ne les entend plus.

Mais pour revenir à Jésus-Christ le fils de Dieu lui-même ne fut-il pas la victime innocente d’un populisme « inconscient » qui cherchait un bouc émissaire ? Une victime innocente est automatiquement un bouc émissaire. C’est pourtant comme cela qu’il est présenté par l’orthodoxie chrétienne. Alors me vient une question : qui a choisi le fils de Dieu Jésus comme bouc émissaire, et surtout pourquoi fallait-il un bouc émissaire.

Le Christ, bouc émissaire ?

Le choix du bouc émissaire est-il toujours absolument aléatoire ? La violence qui fait ainsi irruption est-elle due à des motifs objectifs, ou plus simplement à du mimétisme (c’est-à-dire une forme de contagion qui pour l’humain se traduit par le besoin d’imiter ce que font les autres). Dans le second cas, cela voudrait dire que la conscience individuelle n’entrerait pas en jeu, mais que celle-ci se rattacherait arbitrairement donc et spontanément à une sorte de subconscient collectif. Dans le cas contraire la conscience individuelle serait en quelque sorte anesthésiée retravaillé longuement en amont à coups de slogans, de désinformations, et de démagogies et décharger la haine populaire sur quelqu’un qui n’est ni plus ni moins coupable que tous les autres. Mais un bouc émissaire peut-il être désigné par pur hasard ? Je ne le pense pas.

Le Nouveau Testament d’une façon fondamentale ne voit pas en Jésus un bouc émissaire de hasard, mais un bouc émissaire tout désigné. Mais le christianisme en a fait un bouc émissaire utile à la grâce et à l’Amour de Dieu et à sa volonté, et c’est peut-être là le drame et sa grande erreur.

Le serviteur saint « devait » souffrir, et la violence qui fait irruption « devait » se décharger sur lui. Tous les Évangiles insistent sur ce point : l’annonce de Jésus fut d’emblée conflictuelle. Sa position vis-à-vis de la Loi et son comportement envers les pécheurs furent une première et grave provocation aux yeux des scribes et des pharisiens. Quand une hostilité en résulta, Jésus provoqua une fois encore ses adversaires en leur reprochant leur volonté secrète de tuer. Ce n’est pas une passion née spontanément qui s’est déversée sur lui. Il manifesta une prétention unique en son genre et dévoila de façon imparable, chez ceux qui rejetaient le défi de sa prédication, un penchant latent à la violence. Il donna à la haine naissante de fortes occasions de se décharger sur lui. Son message de l’amour sans limites de Dieu et son comportement dénué de violence n’offraient certes pas la moindre raison objective pour une procédure à son encontre. En ce sens, la haine de ses adversaires était totalement sans fondement. Nous sommes donc bien en présence ici d’un populisme qui s’ignore peut-être, mais un populisme prêt à mettre à mort un innocent un humaniste qu’il juge coupable et qui ne l’ai pas donc un populisme à la recherche d’un bouc émissaire.

Mais les passions qui veulent rester cachées « devaient » s’offusquer de ses paroles proférées en public et de son comportement provocateur. Jésus devint ainsi nécessairement un bouc émissaire.

La montée de la violence

Les rivalités et les agressions généralisées en une violence unanime de tous contre un seul fut-il le fils de Dieu peuvent-elles se produire spontanément et soudainement ? Les évangiles nous enseignent et nous montrent comment l’hostilité à Jésus a crû lentement, et comment les groupes hostiles se sont progressivement rassemblés. Cela ne signifie pas que la conjuration fut seulement l’œuvre d’une réflexion froide et rationnelle. D’une façon ou d’une autre, chaque Évangile souligne que, derrière les plans et les résolutions hostiles, c’est une passion aveugle qui, finalement, bouillonnait. C’est ainsi que Luc conclut son récit d’une guérison le jour du sabbat par la remarque : il ne faut pas cependant nécessairement interpréter cette phrase comme l’affirmation que les pharisiens allaient et venaient avec des visages déformés par la rage.

« Mais eux [les pharisiens] furent remplis de rage, et ils se concertaient sur ce qu’ils pourraient bien faire à Jésus. » (Luc 6,11) Nous sommes donc dans ce qui fut peut-être au départ une opposition, qui s’est transformé chez certains fondamentalistes en une aine religieuse de pensée autrement. L’Évangile de Luc veut seulement relever que leur opposition était, en fin de compte, insensée. Elle ne naissait pas de raisons objectives, bien que les scribes crussent certainement en avoir ; ce n’était que le produit d’une passion aveugle d’un fondamentalisme exacerbé, ce « frisson » qui parcourra et qui parcourt encore peut-être (certaines tendances) de la religion et des églises Chrétiennes. On pourrait sans trahir l’histoire parler de tous ces martyrs comme autant de « boucs émissaires » de toutes les intolérances des églises et de tous les fondamentalistes religieux. Comme le disait en son temps Sébastien Châteillon : « Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas une doctrine, ils tuaient un être humain : on ne prouve pas sa foi en brûlant un homme, mais en se faisant brûler pour elle ».

Les récits de la Passion des trois synoptiques insistent expressément sur ce constat. On chercha des témoins après que la décision de le tuer fut prise. Devant le Grand Conseil, on cracha sur lui et on le frappa à coups de poing (Marc 14,65). Selon la présentation qui est faite de la rencontre avec Barrabas, la foule exigea la libération du meurtrier et la condamnation de l’innocent. À la question du gouverneur romain sur ce qu’il devait faire de Jésus, tous crièrent, sans donner la moindre raison : « Crucifie-le ! » (Marc 15,13). Comme il insistait pour demander quel crime il avait commis, les dirigeants et la foule répondirent sans même se donner la peine d’accusations fictives. Ils trahirent leur désir véritable en se contentant de crier encore et toujours plus : « Crucifie-le ! » (Marc 15,14). Le récit montre ainsi que la Passion a complètement submergé la raison sereine. La foule ne réclamait plus qu’un sacrifice sanglant. Sous forme narrative, les synoptiques expriment la réflexion qu’on trouve dans l’Évangile selon Jean : Jésus a été haï sans raison (Jean 15,25).

Aussi voilà pourquoi je mets toujours la priorité à la raison face aux doctrines, et c’est ce que nous enseignent incontestablement les Évangiles.

Si c’est la passion à l’état pur qui a éclaté devant Pilate, les dirigeants juifs n’ont cependant nullement agi en raison d’une irritation passagère. Le conflit s’est étendu sur une assez longue période. Il y eut des conversations dures entre Jésus et ses opposants, et ces derniers tinrent souvent conseil entre eux. Les pharisiens n’étaient pas ce qu’on peut appeler une bande d’assassins. Ils comptaient dans leurs rangs des hommes très instruits et sensés et, selon les représentations habituelles, leur piété était authentique. Nous en rencontrons encore aujourd’hui plein les églises.

Pourtant, les Évangiles montrent aussi comment ces hommes devinrent totalement prisonniers de leurs passions. L’aptitude illimitée de la violence à affoler la raison pourrait difficilement trouver meilleur exemple que celui des pharisiens. Contre Jésus, ils n’ont pas seulement fédéré des groupes très divers. Le conflit, qui couve sur une assez longue durée, montre qu’une passion sans retenue était à l’œuvre, un désir qui accapara entièrement l’entendement et la volonté des hommes concernés.

Pourquoi, en fin de compte, les actions violentes se sont-elles à ce point déchargées sur Jésus ? Nous avons déjà souligné un prétexte important : la mise à nu de la volonté latente de tuer. Les forces que Jésus a dévoilées se sont spontanément tournées contre lui. Mais, de façon surprenante, tous les Évangiles montrent que ce n’était pas le motif décisif. Le véritable point de départ du déclenchement de la violence résidait dans la revendication sans concession de Jésus à propos de lui-même.

Selon les Évangiles synoptiques, les pharisiens prirent la première fois la décision de le tuer après une guérison le jour du sabbat (Marc 3,1-6 et parallèles). Mais quelle futilité, nous avons du mal à croire que c’est là l’unique raison. Car, les trois évangélistes placent immédiatement avant le récit de guérison la prétention que « le Fils de l’homme est maître du sabbat » (Marc 2,28 et parallèles). Ce n’est pas l’unique transgression de la lettre, ou sa transgression répétée, mais la prétention fondamentale de Jésus d’être maître du sabbat et, donc, de la Loi donnée par Dieu, qui a mis en branle la résistance impitoyable des pharisiens.

Le lien direct entre la revendication de Jésus et le déchaînement de la volonté de tuer apparaît encore plus clairement lors de la condamnation de Jésus par le Grand Conseil. Marc et Matthieu racontent comment les notables juifs cherchèrent d’abord un faux témoignage contre lui, mais ne purent en trouver aucun.

Ensuite vient la question du grand prêtre : « Es-tu le Messie, le Fils du Béni ? » (Marc 14,61 et parallèles). Devant ce qui lui parut être un acquiescement, Caïphe déchira son vêtement, et tous jugèrent que l’accusé était passible de mort. La confession de soi (directe ou indirecte) de Jésus — d’être le Fils de Dieu — fut, selon les Évangiles synoptiques, l’ultime motif de la condamnation à mort. Dans l’Évangile selon Jean, cette relation est encore plus accentuée. Déjà, à la fin du récit sur une guérison le jour du sabbat, l’évangéliste écrit :

Parce que Jésus l’avait guéri [l’homme paralysé] le jour du sabbat, les Juifs le persécutaient. Mais Jésus leur répliqua : Mon Père agit à toute heure, et moi aussi. Pour cette raison, les Juifs désiraient encore plus le faire mourir, parce que non seulement il rompait le sabbat, mais aussi parce qu’il appelait Dieu son père, et qu’il se rendait ainsi l’égal de Dieu.

(Jean 5,16 sqq.)

Ce texte met explicitement en avant le fait que, plus que la rupture du commandement du sabbat, la revendication de Jésus était plus décisive dans la réaction de rejet. C’est la même chose dans le grand discours polémique sur la paternité véritable. Jésus accuse ses adversaires de n’être pas des enfants d’Abraham, mais d’avoir pour père véritable le « meurtrier depuis le commencement » Caïn. Mais même cette accusation très dure ne laisse pas les Juifs complètement désemparés. L’Évangile selon Jean fait se poursuivre la querelle sans évoquer une fureur particulière. C’est seulement quand, à l’objection qu’il n’a pas encore cinquante ans et qu’il aurait vu Abraham, Jésus répond par le défi : « Avant qu’Abraham fût, je suis », que les Juifs prennent des pierres pour le lapider (Jean 8,54 sqq.).

La parole avec sa prétention déclenche immédiatement la réaction de violence à son encontre.

Plus loin, dans une autre conversation polémique, on trouve le même lien entre la prétention de Jésus et la réaction de ses adversaires. Lors de la fête de la Dédicace, il explique que personne ne peut lui arracher les brebis que le Père lui a données. À titre de justification, il avance que « le Père et moi sommes uns » (Jean 10,30). La réaction vient aussitôt :

Les Juifs apportèrent de nouveau des pierres pour le lapider. (Jean 10,31)

Jésus tenta de se défendre en alléguant ses œuvres. Mais les Juifs rejetèrent sans hésiter cette réponse : « Ce n’est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème et parce que toi, n’étant qu’un homme, tu te fais Dieu ». (Jean 10,33)

Les Juifs voyaient dans la prétention de Jésus un blasphème, c’est pourquoi ils voulaient le lapider. Jésus tente alors une dernière fois de se justifier grâce à une parole du psaume 82. Mais en vain : « Ils cherchaient donc de nouveau à le saisir, mais il leur échappa des mains. » (Jean 10,39)

Tout le dialogue polémique montre clairement que, dans la perspective de Jean, la prétention de Jésus d’être le fils de Dieu est la raison décisive de la réaction violente de ses adversaires. Cet argument est présenté une dernière fois, sans concession, devant le tribunal de Ponce Pilate : « Nous avons une Loi et, d’après cette Loi, il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » (Jean 19,17) Or Jésus, ne sait, jamais dit Dieu, mais fils de Dieu nous sommes en présence d’une désinformation, en tordant les paroles de Jésus. Les églises en faisant Jésus personne de La Trinité en le faisant Dieu, n’emboîte-t-elle pas le pas au Sanhédrin qui cherche inconsciemment peut-être un bouc émissaire, et c’est le christianisme orthodoxe qui l’a trouvé pour y ancrer sa foi.

Aucun doute ne peut subsister. D’après l’Évangile selon Jean, il y eut un dernier motif décisif du rejet violent de Jésus : sa prétention d’être le Fils de Dieu. Tous les autres points s’effaçaient devant celui-là.

Les Actes des Apôtres aussi mettent en avant le lien étroit entre la revendication de Jésus et les violences qui en résultèrent. Le discours d’Étienne se termine par une accusation dont le contenu s’accorde avec le reproche de Jésus aux pharisiens :

« Nuques raides, oreilles et cœurs incirconcis, toujours vous résistez à l’Esprit saint ! Tels furent vos pères, tels vous êtes ! Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils point persécuté ? Ils ont tué ceux qui prédisaient la venue du Juste, celui-là même que maintenant vous venez de trahir et d’assassiner. » (Actes 7,51 sq.)

L’accusation concerne la trahison et le meurtre. Le jugement que les Évangiles portent sur les adversaires de Jésus, les Actes des Apôtres l’emploient contre les hommes à la nuque raide qui ne cessent de s’opposer à l’Esprit saint. Dans les deux cas, nous avons affaire aux fils véritables des meurtriers de prophètes. Le dévoilement sans fard de cette dure vérité frappa profondément les auditeurs d’Étienne. Néanmoins, elle ne déclencha pas chez eux des mesures de rétorsion immédiates. Leur réaction se borna à « être pleine de rage » et à « grincer des dents » (Actes 7,54) avant qu’Étienne s’écrie pour finir :

« Je vois les cieux ouverts et le Fils de l’Homme debout à la droite de Dieu. » (Actes 7,56)

À cette confession du Fils de l’Homme succède seulement l’émeute brutale. Les auditeurs crient d’une voix forte et se ruent comme un seul homme sur Étienne.

Un rejet fondamental

On peut tirer une conclusion claire des textes analysés. L’accusation de Jésus (ou de ses disciples) contre les pharisiens et les Juifs d’être des hypocrites et des meurtriers à la nuque raide déclencha certes des tollés, mais ne provoqua jamais une violence physique immédiate. Les pharisiens n’étaient pas des meurtriers sauvages, mais des gens pleins de zèle pour la Loi les fondamentalistes de leur temps. Ils ne réagissaient pas à des mots peu agréables — disons-le : à des mises en cause personnelle dures — par des coups de poing. Leur volonté de tuer éclata seulement lorsque Jésus se mit au-dessus de la Loi et revendiqua sa pleine unité avec Dieu. Le prophète de Nazareth n’a pas été tué par quelques scélérats occasionnels. Il y avait contre lui un esprit fondamentaliste qui agit plus ou moins en tout homme.

Nous sommes devant deux constats sans équivoque du Nouveau Testament : les affirmations sur le lien universel et sur le facteur décisif qui déclenche la violence. Il reste seulement à éclairer encore le lien interne entre les deux affirmations. Les tribus d’Israël et les païens se sont rassemblés contre Jésus parce qu’ils y ont été poussés par sa revendication d’être l’unique envoyé, disons même : d’être le Fils de Dieu. La conjuration universelle ne s’est donc pas tournée vers un homme pris au hasard. En plein accord avec les analyses proposées jusqu’à présent, les Actes des Apôtres disent que les Juifs et les païens se sont alliés contre le « saint serviteur Jésus », oint par Dieu (Actes 4,27). Il était bien le bouc émissaire authentique, et ce n’est pas par hasard que la violence a été déchargée sur lui. Il les a provoqués par sa prétention et sa confession à propos de sa personne.

Parce que les hommes se sont détachés de Dieu en suivant leur ego, ils ont changé le sens de leurs relations mutuelles. Chacun devient la victime de la mimesis de son ego et se laisse facilement aller à des rivalités. Les hommes sont malheureux de cette situation. Comme ils sont incapables de reconnaître leurs fautes, ils les transfèrent, au fond de leur cœur, sur Dieu et sont, sans le dire plein de ressentiment contre lui. Le livre de Job, dans l’Ancien Testament, est le témoignage le plus impressionnant de la rancune humaine. L’homme souffrant n’est pas en mesure de voir la faute en lui-même ; aussi Dieu lui apparaît-il comme un dominateur arbitraire et un bourreau cruel. Il dispute ouvertement et crânement avec lui ; il aimerait, s’il pouvait seulement le trouver, déployer devant lui son droit et « remplir de preuves sa bouche » (Job 23,4). Mais Dieu ne se laisse pas trouver, seule sa colère poursuit apparemment sans relâche l’homme qui souffre. La rancune est en temps normal si profondément cachée dans le cœur de l’homme qu’il est impossible de l’apercevoir du dehors. Mais lorsqu’elle est aussi visible que dans le livre de Job, le pas à franchir pour parvenir à la vérité plénière n’est plus loin. Il suffit alors d’un renversement de perspective pour que devienne manifeste qui est Dieu en vérité et ce qui en réalité se terre au fond du cœur humain. Dans le livre vétérotestamentaire de Job, la rancune s’écoule dans le vide. Les écrits du Nouveau Testament, en revanche, montrent comment Jésus, par son message de l’amour infini de Dieu, par son comportement envers les pécheurs et avant tout par sa prétention d’être un avec Dieu, excite peu à peu l’hostilité de tous. La rancune silencieuse pouvait enfin trouver sa victime véritable. Dieu n’a pas tenu rigueur aux hommes de leur ressentiment. En son Fils, il s’est laissé atteindre par tous en le laissant devenir bouc émissaire, mais il a refusé le sacrifice comme il a refusé celui d’Abraham en ressuscitant le bouc émissaire.

Nos analyses se situent au-delà de toute morale quotidienne. La volonté secrète, de tuer et, avant tout, le résultat de notre ego et sa rancune cachée contre Dieu ne sauraient, en temps normal, être clairement mis en évidence ni par une connaissance immédiate de la conscience ni par une introspection psychologique. La vérité totale ne se révèle que dans la confrontation avec l’amour pur et dans le comportement dénué de violence qu’elle appelle. C’est seulement dans cette situation que deux dispositions élémentaires, totalement différentes et pourtant souvent mêlées, se séparent sans équivoque : la vision des maçons, qui rejettent la pierre, et la vision de l’Évangile, où la pierre rejetée devient précisément la pierre d’angle. C’est à partir de là que la vérité ultime tant sur Dieu que sur l’homme devient manifeste. En accord intérieur avec la parole sur la pierre rejetée, Paul déclare : « Il faut que Dieu soit véridique et tout homme menteur. » (Romains 3,4)

Pourquoi ce cœur endurci ?

Le mensonge et l’endurcissement posent le véritable problème herméneutique. L’enjeu consiste ici à savoir si les paroles de l’Écriture sont comprises en vérité ou si leur recours sert précisément encore une fois à recouvrir la rancune secrète contre Dieu et la volonté de tuer son frère. C’est seulement s’il apparaît en toute clarté que Dieu est l’absolument véridique, et que tout mensonge et toute violence viennent de l’homme que l’abîme sombre du cœur humain dirigé par son ego se dévoile totalement.

Les analyses expliquent sans équivoque pourquoi les écrits néotestamentaires voient dans l’aveuglement et l’endurcissement le problème herméneutique central. Le penchant vers la violence, en dernière instance sans raison, se dissimule, d’une part, sous de prétendues bonnes raisons, mais, d’autre part, il couvre lui-même, encore une fois, une sombre vérité : la rancune contre Dieu. Et cette rancune empêche de mettre l’humain au centre avec Dieu. L’humanisme vient de Dieu en se faisant homme, mais l’homme dirigé par son ego refuse de partager le centre avec Dieu. Ce double jeu de cache-cache rend impossible que les hommes soient capables de discerner par eux-mêmes les abîmes cachés de leur propre ego. C’est seulement dans la confrontation avec le « fils bien-aimé » que les hommes trahissent involontairement ce qui finalement gît au fond d’eux.

Le conflit entre Jésus et ses adversaires éclaire plus profondément le caractère abyssal du cœur humain. L’analyse des textes « sacrés » permet de découvrir des liens structurels entre les écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament, des liens qui sans cet éclairage n’apparaîtraient pas. Mais en sens inverse, les Évangiles surtout jettent une nouvelle lumière sur les rapports complexes des hommes avec Dieu. On s’aperçoit à quel point cette théologie sur l’utilité de la crucifixion est ouverte et combien elle peut être comprise de manière neuve dans un contexte nouveau.

Bien que l’on puise considérer le penchant à la violence comme le problème le plus central des relations interhumaines, on doit se refuser à voir dans l’agression, comme beaucoup de comportementalistes le pensent, une pulsion biologique. On ne peut non plus l’identifier avec la composante psychique ou spirituelle de la nature humaine. Ce n’est pas un désir nécessaire par nature et il semble pourtant appartenir entièrement à l’homme. Qu’est-il donc ? Personnellement, je pense que nous avons affaire à une coupure volontaire de notre conscience dirigée par notre ego d’avec la conscience divine de Dieu avec qui l’ego ne veut pas partager la création. En dehors de cette analyse, je ne trouve aucune explication. Les écrits du Nouveau Testament montrent combien la violence est, enracinée au centre du cœur humain, sans appartenir pour autant à son essence. L’absence de raison de l’agression est la conséquence d’un acte sans raison : le libre reniement de Dieu. Les écrits bibliques ne cessent de témoigner que les hommes sont si endurcis qu’ils sont tout simplement incapables d’agir autrement. Pour autant, leur activité ne relève pas d’une nécessité naturelle : c’est la conséquence de leur ego démesuré qui a pris entièrement le contrôle de la conscience humaine au détriment de la relation avec la conscience divine. Cette rupture permet de saisir, par intuition, l’abîme de la liberté humaine face à l’amour infini de Dieu.

La raison pour laquelle la colère se déplace si facilement d’un objet à l’autre tient à ce que, en dernière instance, elle ne vise aucun d’eux. Au plus profond d’elle-même, notre conscience/ego est rancune contre Dieu. C’est ce que nous raconte le beau conte ou fable du jardin d’Éden. Parce que le rejet de l’amour de Dieu est sans raison, l’homme est obligé de dissimuler sa propre action si profondément à ses propres yeux qu’il ne remarque même plus qu’il porte en son cœur une inimitié dirigée par son ego. Et puisqu’il ne voit pas la rancune de son ego contre Dieu, l’absence de raison de son penchant à la violence, lui demeure également caché.

L’étude des écrits bibliques nous apporte la réponse sur ce qui est des représentations sacrées qui naissent du transfert unanime d’images agressives de chacun sur un bouc émissaire qui n’est pas choisi au hasard, mais qui s’approche le plus de Dieu (Prophètes Messie). Nos études sur les écrits de l’Ancien Testament nous livrent de surcroît des indications qui vont sans équivoque dans ce sens : la violence des hommes est toujours dirigée contre Dieu même quand les hommes l’exercent en son nom. L’expérience montre que des hommes en colère et violents succombent facilement à des fantasmes monstrueux, cela ne justifie pas la nécessité d’un bouc émissaire pour canaliser cette violence vers Dieu. Et même si l’on comprend sans peine que le soudain retour au calme après la tempête, grâce à l’expiation pour tous d’une victime innocente, ait des effets de fascination sur tous ceux qui sont concernés, il est monstrueux d’imaginer que nous sommes en présence d’une volonté Divine et d’un choix Divin.

Les écrits néotestamentaires donnent la révélation que, sous les tendances violentes, sévit en dernière instance la rancune contre Dieu et que, à travers tous les boucs émissaires choisis même au hasard, c’est Dieu qui est visé en tant que coupable présumé, voilà qui met en évidence le fait que la résurrection du bouc émissaire par Dieu lui-même apporte la preuve irréfutable que Dieu désapprouve l’expiation d’un bouc émissaire même si cela était programmé et inévitable, la révélation à l’humanité de l’Amour de Dieu par la parole de Dieu incarné ne pouvait se traduire que par le rejet et une violence faite à Dieu, c’est la crucifixion sacrificielle de son porte-parole comme victime expiatoire. Mais même si Dieu ne peut approuver cette violence dirigée contre lui, la parole incarnée a semé avant sa mort ses graines dans le cœur des humains en lui montrant ce qu’est véritablement Dieu, et qu’il est avant toute chose un Père Aimant. Dans ces conditions la mort de Jésus en tant que bouc émissaire sur la croix ne rachète rien du tout, l’homme reste entièrement responsable de ses actes et de sa violence, seulement maintenant il dispose d’un remède pour guérir et c’est la meilleure connaissance de Dieu et de son Amour pour les êtres humains qui sont ses enfants. L’homme peut maintenant à travers Jésus-Christ découvrir qui est réellement Dieu, sachant maintenant qu’il est pour lui un Père Aimant. Mais comme l’homme est susceptible d’être impressionné jusqu’en ses racines les plus profondes par des images qu’il a lui-même créées, comme l’expiation sacrificielle, il en est ainsi de la crucifixion, car à travers ces images du Christ sur la croix il perçoit toute la monstruosité de cet acte abject et toujours sous l’emprise de son ego son subconscient rejette toujours sa faute sur le bouc émissaire et donc sur Dieu, c’est lui qui a offert volontairement son fils à la violence des hommes et sous la direction de leur ego « pour se dévoiler aux hommes » devient dans le christianisme « pour racheter les hommes » les boucs émissaires prennent pour l’homme une qualité sacrée parce que la rancune contre Dieu et le Fils bien-aimé est déchargée secrètement sur eux.

La théologie protestante classique estime que le Christ remplit trois fonctions ou offices ; un office royal (il règne et dirige le monde) ; un office sacrificiel (il s’offre en sacrifice pour le salut des humains), sur lequel le piétisme et l’orthodoxie protestante ont mis l’accent ; un office prophétique (il prêche et enseigne).

Je pense personnellement que la troisième fonction doit être mise en première position. Le Christ prêche et enseigne pour révéler Dieu son père aux hommes même s’il est conscient que le prix à payer pour cela est d’être choisi comme le bouc émissaire qui fera violence à Dieu (celui qui l’envoie), mais ce sacrifice consenti comme le prix à payer pour cet enseignement ne rachète en rien la faute et les péchés des hommes, il ne prouve seulement l’Amour que Dieu porte à l’humanité puisqu’il accepte même le prix à payer la violence qui lui est faite, même s’il la désapprouve en ressuscitant le bouc émissaire. Certains courants du catholicisme et de l’orthodoxie orientale privilégient l’office royal. Pour moi, l’office royal reste entièrement entre les mains de Dieu seul.

Le protestantisme orthodoxe met surtout l’accent sur la mort du Christ, sur le sang versé pour nos péchés, sur sa mort expiatoire. Au contraire, un des premiers textes du protestantisme libéral, le catéchisme socinien de Rakow, en 1605, insiste principalement sur la fonction prophétique de Jésus (c’est-à-dire sur sa fonction de prédicateur et d’enseignant), à qui il accorde plus d’importance qu’à la mort sur la Croix. Certains protestants libéraux dont je fais partie pensent que la crucifixion de Jésus n’est que la conséquence de son enseignement et s’explique par les circonstances historiques ; elle n’est pas une nécessité théologique pour le salut de l’être humain. Certes, plusieurs passages du Nouveau Testament parlent de la mort de Jésus comme d’un sacrifice de bonne odeur offert à Dieu (expression horrible) ; ils la présentent comme le prix à payer afin de nous racheter et de nous libérer. Mais il faut voir que ces textes utilisent des images qui explique et qu’éclaire le contexte du premier siècle. Ce sont des paraboles qu’on a tort de prendre à la lettre. Celle du prix payé convenait bien dans un monde où le marché des esclaves était une réalité quotidienne et banale, où l’on faisait commerce avec des vies humaines et où la liberté s’achetait. Celle de la victime tuée sur un autel avait de la pertinence à une époque où, partout, et tout le temps, on sacrifiait à des divinités pour obtenir leur indulgence et leur faveur. Les auteurs humains du Nouveau Testament ont utilisé les figures et illustrations qui correspondaient aux coutumes et à la culture de leur temps. Par contre, elles conviennent mal aux nôtres, et elles nous cachent l’essentiel, à savoir que Jésus agit et nous sauve essentiellement par sa parole et sa révélation du Père qui permet à l’être humain d’avoir un autre regard sur Dieu en lui révélant que Dieu est Amour et qu’il conciliait tous les Hommes et pas seulement les juifs comme ses enfants.

De manière caractéristique, le libéral américain John B. Cobb, théologien du Process, a écrit sur Jésus un livre où il étudie longuement son œuvre et sa prédication ou son enseignement, mais où il ne consacre que quelques lignes à sa mort. Selon lui, même si Jésus n’avait pas été crucifié, il aurait cependant été le Christ, le messie et le sauveur par l’exemple qu’il donne et par le message qu’il proclame.

Ce message, Jésus lui-même l’a formulé dans des catégories de pensée qui sont celles de son temps, et qui ne correspondent plus à notre époque. Il faut donc l’adapter, l’actualiser, le « démythologiser » selon l’expression de Rudolf Bultmann, ce qui ne veut pas dire le transformer, mais le maintenir vivant, lui conserver sa pertinence, l’appliquer à notre existence. Albert Schweitzer a tenté de le faire en parlant du « respect de la vie », qui n’est rien d’autre, pour lui, que le cœur de la mystique et de l’éthique de Jésus formulé en termes contemporains.

Il rejoignait là l’une des grandes préoccupations de Charles Wagner qui, comme Albert Schweitzer, a essayé de formuler le message de Jésus dans un langage quasi laïc, et de développer une morale et une spiritualité à la fois fidèles à l’Évangile et ouvertes au monde contemporain.

J’ai employé les termes « éthique » et « moral ». Il ne faut pas établir une équivalence entre libéralisme et laxisme du comportement. Écouter Jésus signifie le suivre, lui obéir. Certains libéraux, comme Wilfred Monod, ont proposé d’accorder plus d’importance à l’orthopraxie (à la bonne conduite) qu’à l’orthodoxie (à la bonne doctrine). Certes, le libéral entend ne pas juger ni condamner les autres ; mais il se veut exigeant pour lui-même. Son écoute du Christ se traduit dans sa manière de vivre.

D.R

 

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