Non seulement Jésus à eu des frères, mais l’un d’eux Jacques fut vite une figure éminente de la première communauté. Donc Jacques apparaissait le plus célèbre des frères de Jésus, probablement le plus doué d’entre eux, en dehors de Jésus lui-même.
N’oublions pas que Jacques se trouve en tant que la clef de voûte de nombreux mystères dans cette histoire. C’est un personnage mystérieux et inquiétant dans la suite des frères de Jésus. C’est un élément fondamental pour comprendre tous les querelles intérieures à la communauté chrétienne et les conflits entre la communauté chrétienne et le monde judaïque dans lequel il baigne. Jacques est un personnage clef, mais hélas ! il reste assez problématique. Nous n’avons pas encore réussi à saisir de quel côté se situe Jacques avec qui il est, parce que Paul nous en donne une certaine image, et les Actes des apôtres une autre. Donc Jacques détient deux faces, car l’on ne distingue pas d’autres sources. Pour l’historien comme pour la tradition chrétienne, ce serait bien plus intéressant de posséder qu’un unique récit clair et précis sans lacune nous racontant comment Jacques va tout d’un coup devenir figure majeure. Seul un verset dans la première épître aux Corinthiens témoigne que le Christ ressuscité est apparu à Jacques c’est quand même étrange ! Cette histoire clef ne ressort nulle part ailleurs, seul Paul semble la connaître, et cela ne lui pose pas de problème.
Les papyrus les plus anciens du Nouveau Testament sont conservés à Londres ou encore à Dublin ; et dans un fragment d’une copie de la première épître aux Corinthiens, écrite par Paul, on retrouve la liste de ceux auxquels le ressuscité serait apparu et parmi eux Jacques.
On rencontre là un changement qui figure important lié certainement au fait que Jacques — et nous n’avons aucune raison d’en douter — demeurait bénéficiaire selon la tradition d’une des apparitions du ressuscité puisqu’il figure dans ce qui est la liste d’apparition du ressuscité et qui reste sans doute traditionnel. C’est ce que livre Paul dans le chapitre 15 de la première épître aux Corinthiens. Jacques représente en quelque sorte la seconde vague d’apparition du ressuscité après une première vague qui apparaissait comme commandée et coordonnée par Pierre ou autour de la figure de Pierre ; et il y en a une deuxième qui tournait autour de la figure de Jacques. Ce texte est intéressant parce qu’en tout cas visiblement il se trouve échafauder comme un TGV c’est-à-dire que nous avons deux rames l’une après l’autre, et deux rames qui semblent construites de manière parallèle. Voici le texte :
05 il est apparu à Pierre, puis aux douze ; (premier wagon) 06 ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois — la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont endormis dans la mort —, ensuite on a l’impression de recommencer avec une nouvelle locomotive avec la figure de Jacques. 07 ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. 08 Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis.
Or dans tout le reste du Nouveau Testament, nous ne possédons à aucun autre endroit une allusion à une apparition de Jésus ressuscité à Jacques. Cela est intéressant, car cela montre que les documents du Nouveau Testament ne donnent pas beaucoup d’importance ni même de pouvoir à la figure de Jacques. La difficulté que nous rencontrons, aussi bien avec Pierre qu’avec Jacques c’est que ce sont des gens qui en tout cas de manière directe n’ont laissé aucune trace. C’est-à-dire que les gens qui traitent de Pierre les gens qui parlent de Jacques, sont des gens qui soit ils sont demeurés en conflit avec l’un ou l’autre ; soit qu’ils présentent l’un ou l’autre comme des figures importantes, mais celles-ci demeurent toujours des présentations extérieures.
Quand on examine les textes du Nouveau Testament, nous devons employer une méthode proche de la stratigraphie. Il n’y avait pas de reporters, de journalistes ou de chroniqueurs au milieu du premier siècle, si nous regardons en arrière c’est comme scruter à travers l’eau et plus c’est profond plus c’est obscur. En fait, Jacques disparaît dans la tradition évangélique la plus récente. Alors qu’il se trouvait très présent chez Paul quelques décennies avant la rédaction des évangiles et juste après la mort de Jésus. Puis on le rencontre de nouveau dans le livre des Actes de la même manière qu’un personnage de première importance. En d’autres termes, la tradition apparaît fluctuante. On peut adopter deux approches une première c’est de regarder chronologiquement à qu’elle époque dans la communauté chrétienne comment la figure de Jacques était-elle vue. Dans ce cas, on a d’abord par ordre de production : épître aux Galates (50 - 60), dans laquelle la figure de Jacques reçoit une certaine importance ; mais où l’on sent aussi un tiraillement très fort au moins de gens qui se réclament de Jacques avec Paul. Ensuite on à une seconde étape c’est dans l’évangile de Marc vers les années 65 - 70 où là on peut déclarer que l’on ne voit pas Jacques ; où il possède un rôle tout à fait mineur une simple mention frères de Jésus. Après on a un troisième temps c’est avec les Actes des Apôtres, à ce moment-là Jacques apparaît comme véritablement le personnage clef, chef de la communauté de Jérusalem ; ou au moins chef d’une communauté à Jérusalem et de la communauté dominante à Jérusalem. Là, je serais assez conservateur dans la mesure où Paul est un témoin de la première heure ; et si Paul apprend que Jacques est un personnage important à Jérusalem, je pense en effet que c’était le cas et cela demeure attesté par les lettres de Paul lui-même et confirmé par les Actes des Apôtres. Je dirais encore que je crois que Jacques a été une personnalité dominante uniquement en se basant sur l’épître aux Galates. La disparition de Pierre, sa mort ou son exil correspond selon les Actes des apôtres à la prise de pouvoir par Jacques le frère de Jésus. D’après plusieurs textes, il semble que durant la décennie et en outre la plus grande part de la deuxième décennie suivant la mort de Jésus, Pierre était le principal dirigeant du groupe. Ceci apparaît clairement plusieurs fois même si dans certains cas, quand les chefs se réunissent, ce n’est pas Pierre qui parle en premier, mais Jacques. On rencontre toujours cette ambivalence. Néanmoins, il est très intéressant de voir comment au moins selon Luc dans les Actes et selon les évangiles apocryphes Pierre disparaît ensuite complètement du tableau. Soit, il est parti à l’étranger, soit il a quitté la Judée, soit quelqu’un d’autre a pris sa place. Pierre peu à peu s’élimine, on nous dit qu’il se déplace continuellement ; et à partir du chapitre 12, on nous dit d’une certaine manière sa fin, car il sort d’une manière très curieuse de notre champ d’observation puisqu’il demeure en prison et qu’il se trouve libéré par un ange. On est en train de nous dire que Pierre part vers d’autres lieux que c’est sa mort pour la communauté de Jérusalem et que le Seigneur le protégera dans ses nouvelles fonctions. Alors si nous revenons à Jacques le frère de Jésus, ce dernier a le champ libre à Jérusalem. Et que cela soit la version de Galate qui accentue le fait, mais surtout dans le récit des Actes des apôtres au moment de l’assemblée de Jérusalem, l’homme fort comme on dit aujourd’hui c’est Jacques. On rencontre là deux mystères, qui apparaissent attachés à la personne de Jacques. Le premier figure la raison pour laquelle Jacques a succédé à Pierre comme figure éminente de la communauté de Jérusalem. L’on se trouve en présence d’une communauté dans laquelle les premiers chrétiens ont très tôt reconnu et qui sait arrogé un droit de regard sur les communautés érigées par Paul. Ce droit de regard était reconnu et contesté à la fois par Paul, mais n’empêche que Paul va monter à Jérusalem pour cette fameuse assemblée de 46 -49. Cela signifie bien que la communauté de Jérusalem avec Jacques à sa tête a bénéficié d’une autorité à nulle autre pareille dans les premières décennies après la mort de Jésus sous l’autorité de Pierre. Donc premier mystère pourquoi Jacques a-t-il succédé à Pierre. Deuxième mystère, pourquoi une autorité aussi forte a tel été accordé à quelqu’un qui ne faisait pas partie des douze apôtres c’est-à-dire des fidèles de Jésus ?
Autrement dit, qui peut se substituer à la présence physique de Jésus.
Il y a eu certainement des explications différentes. Dans la famille, la réponse a dû être que la succession figurait garantie par la famille, et l’on va poursuivre l’œuvre que Jésus a commencée, en attendant la réalisation du royaume de Dieu. Si l’on essaie de visualiser le tableau du christianisme en l’an 30 après Jésus, en fait qui est Jésus pour tous ces gens ? On imagine très bien qui il est pour les Galiléens. À Jérusalem qui est-il pour les pèlerins ? Probablement qu’il a parlé et manifestement il a réalisé quelque chose qui ne plaisait pas au temple. Mis à mort visiblement il est apparut vivant. Alors à la suite des apparitions et au moment où ces réseaux qui forment le christianisme primitif se mettent en place on découvre tout d’un coup Jacques comme figure nouvelle. Et l’on voit apparaître la famille de Jésus.
C’est une structure que l’on connaît extrêmement bien. De nouveau si vous prenez les figures philosophiques, les maîtres de la psychanalyste, c’est toujours cette question qui se pose : où demeure l’héritage et où doit aller l’héritage ? Aux disciples du maître ou à sa famille ? On voit apparaître la famille qui se convertit juste après la Pâque et les compagnons de la première heure les disciples qui suivaient Jésus. On retrouve de nombreux parallèles dans l’histoire des religions. Après la mort de Mahomet, l’islam s’est propagé grâce aux membres de la famille et grâce à ses disciples ces deux courants apparaissent connus par le sunnisme branche des disciples et le chiisme branche familiale. L’histoire fut semblable chez les mormons après leurs scissions. La famille, la femme et les frères du fondateur ont développé leur doctrine tandis qu’une autre doctrine figurait développée par ses disciples. C’est tout à fait spécifique, à un mouvement spirituel celui-ci se propage soit par l’intermédiaire de la famille du fondateur soit par le biais de ses disciples. C’est ce que l’on observe ici dans le christianisme primitif. Ce qui apparaît intéressant dans cette prise de pouvoir de Jacques, c’est que l’on ne se trouve pas dans la même logique de succession. Avec Pierre, on présente une succession de type affinitaire c’est-à-dire que c’est le disciple qui succède au maître. En revanche avec Jacques, ce n’est plus une succession de type affinitaire, mais c’est une succession du type dynastique en quelle sorte puisque c’est un membre de la famille qui succède au maître ?
Alors, peut-être que le terme dynastique apparaît un peu fort, déclarons que nous sommes en présence d’une succession généalogique, une succession de sang. On fait appel à la famille pour régler les problèmes de la famille. C’est quelque chose que l’on a connu je l’ai dit dans l’islam au moment de la succession de Mahomet c’est-à-dire que ce sont les proches du Prophète qui peuvent parler du Prophète au nom du Prophète et assurer la continuité du Prophète. Or Jacques tel qu’il apparaît, est un juif très pieux selon la tradition, et qui est reporté aussi par Flavius Joseph. C’est un juif qui demeure respecté des autres juifs ; qui pratique intégralement les obligations de la religion juive, qui va au temple, et c’est comme le font d’ailleurs les premiers adeptes de la foi chrétienne à Jérusalem. Ainsi pour ces gens, c’est quelqu’un qui peut incarner une continuité à la fois familiale et inscrivant la foi au Nazaréen dans le judaïsme. Si nous acceptons que l’épître attribuée à Jacques reflète réellement ses opinions, alors nous devons admettre que Jésus pensait la même chose. Et il s’agit d’un point de vue très conservateur, c’est-à-dire l’opinion traditionnelle d’un juif pieux. Donc il paraît y avoir dans l’épître quelque chose de très proche de Jacques. En tant que juif orthodoxe, et en ce sens il transparaît quelque chose de très fidèle à Jésus. Selon l’historien juif Flavius Joseph, Jacques meurt lapidé en 62 à l’instigation du grand prêtre Anne qui voit en lui un rival potentiel. Il sera connu ensuite comme Jacques le Juste, c’est-à-dire fidèle à la loi, un observant strictes, un ascète. La tradition chrétienne place à la fin du Nouveau Testament une épître sous le nom de Jacques, tout en s’employant paradoxalement a effacé son souvenir. Alors la figure de Jacques apparaît de la même manière qu’une figure qui au départ se trouve centrale ; qui au fur et à mesure que le christianisme se développe en tant que religion « autonome » elle va évoluer vers une figure marginale ; puis une figure presque oubliée, qu’on peut réutiliser symboliquement pour quelque chose de tout à fait différent.
La personne de Jacques a souffert de trois handicaps importants. D’abord, Jacques était le frère de Jésus, à une période où Jésus n’était plus supposé avoir eu des frères et des sœurs, dès lors c’est devenu comme un personnage un petit peu embarrassant. Jacques était un juif très strict très pieux, pratiquant et fidèle à la Torah c’est-à-dire à la Loi mosaïque, et pas vraiment positive vis-à-vis des pagano-chrétiens. Cela à une époque où le sens de l’histoire allait avec Paul dans le sens de l’abandon de la loi mosaïque et de la prééminence des gentils (des non-juifs). Ainsi Jacques au point d’une idée pratique est de plus en plus apparu comme un fossile un peu dépassé. En dernier lieu, Jacques était le chef de l’Église de Jérusalem, initialement l’Église dominante dans le monde chrétien, alors que l’évolution ultérieure a fait de Rome l’Église principale. L’Église de Rome a pour saint patron si je puis dire, Pierre et Paul. Donc Jacques est petit à petit devenu un personnage anachronique un peut fossilisé, embarrassant, il a perdu son identité en plus d’être le frère de Jésus on en a fait un cousin ; on l’a identifié à Jacques d’Alphée qui était un apôtre sans personnalité particulière. Donc il a été la victime d’une déformation identitaire progressive de la part de cette nouvelle religion naissante prônée par l’Église le christianisme.
Juste après la mort de Jésus du vivant de Jacques, de Pierre et des disciples, la communauté primitive figure animée par l’espérance de l’arrivée imminente du royaume. Dans ce nouvel ordre du monde, les uns et les autres se disputent pour savoir qui occupera les meilleures places dans ce nouveau royaume. Le royaume annoncé ne saurait être que le royaume d’Israël, Israël purifié de l’occupation romaine un royaume bien terrestre. C’est là que l’on voit que cette première communauté n’avait pas vraiment bien compris voir même grand-chose de l’enseignement de Jésus.