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Le salut et la grâce

 Le salut, la grâce, la foi ! Et l’Amour ?

 

Il me semble que ce mot de salut n’évoque plus la même préoccupation aujourd’hui qu’autrefois. Une raison à cela : ce mot ne recouvre pas la même réalité. Il ne veut pas dire la même chose selon les individus, les époques, la religion, la culture.

Selon l’Église catholique, le salut est la libération définitive du mal et du péché et la communion complète avec Dieu. Dans l’Ancien Testament, le salut est espérance d’un sauveur annoncé. L’acte de salut par excellence est, pour la théologie et la vie spirituelle, la résurrection du Christ. Il se réalise sur la croix par le don total que Jésus fait de lui-même par amour. Ce salut n’est pas uniquement à venir, mais il est déjà accessible aujourd’hui, par la grâce de Dieu.

Le « bon » larron méritait-il d’être sauvé par Jésus ou l’enfant prodigue méritait-il d’être accueilli par son père ? Dans ces deux histoires, l’Évangile de Luc ne pose pas la question en ces termes, il constate le salut offert par le Christ : la grâce divine saisit l’homme, parce qu’elle le veut bien.

Dans l’histoire de l’Église, les tenants de la grâce ou ceux du mérite se sont affrontés bien des fois parfois de façon sanglante pour défendre leurs points de vue respectifs. Saint Augustin et Pélage par exemple, ou encore Luther qui, au moment de la Réforme, posait sa fameuse question : l’homme est-il justifié devant Dieu par la foi ou par les œuvres ?

Ces interrogations ont engendré des joutes verbales animées et pas seulement verbales, des débats d’idées enflammés. Aujourd’hui encore, la question demeure d’actualité : Dans cette vie présente, ou pour le croyant, dans la vie éternelle à venir, l’homme s’en sort-il grâce à ses mérites personnels ou par la grâce qui vient d’en haut ? Jésus lui-même n’annonce-t-il pas que : « l’arbre est reconnu à ses fruits », ou « qu’il faut porter de bons fruits », mais les fruits me diront certain, se rapportent ici plus à l’enseignement qu’aux œuvres, Jésus parlait des bons et des faux prophètes. Je leur répondrais : peut-être, mais en sommes-nous si sûrs ?

Le salut pour les contemporains de Jésus évoquait le droit au monde futur, à la vie éternelle. Seuls ceux qui respectaient les commandements divins contenus dans la Torah pouvaient l’espérer. En ce temps, la conviction était qu’un Dieu juste pesait la vertu ou la méchanceté de chacun et lui accordait ou non le mérite qui conditionnait son salut selon le précepte : « Si vous obéissez à ma loi, vous vivrez ; si vous ne faites pas ma volonté, vous mourrez ». Le repentir et la réparation sincère permettaient d’espérer accéder au monde futur. Les juifs fidèles à la loi attendaient un Messie qui sauvegarderait le peuple d’Israël.

Pouvaient-ils voir en Jésus ce Messie avec la conception qu’ils avaient du salut ? Il est difficile à répondre à cette question n’est-ce pas.

Voici un passage assez édifiant de l’évangile de Luc qui en dit long sur la foi, la grâce et les œuvres et qui peut nous aider à comprendre comment Jésus était perçu par : « les braves gens » si je puis dire.

Une femme verse du parfum sur Jésus (Luc 7,36-8,3)

36 Un pharisien invita Jésus à manger avec lui. Jésus entra dans la maison du pharisien et se mit à table. 37 Une femme pécheresse qui se trouvait dans la ville apprit qu’il était à table dans la maison du pharisien. Elle apporta un vase plein de parfum 38 et se tint derrière, aux pieds de Jésus. Elle pleurait, et bientôt elle lui mouilla les pieds de ses larmes, puis les essuya avec ses cheveux, les embrassa et versa le parfum sur eux. 39 Quand le pharisien qui avait invité Jésus vit cela, il se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est celle qui le touche et de quel genre de femme il s’agit, il saurait que c’est une pécheresse. » 40 Jésus prit la parole et lui dit : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. » « Maître, parle », répondit-il. 41 « Un créancier avait deux débiteurs : l’un d’eux lui devait 500 pièces d’argent, et l’autre 50. 42 Comme ils n’avaient pas de quoi le rembourser, il leur remit à tous deux leur dette. Lequel des deux l’aimera le plus ? » 43 Simon répondit : « Celui, je pense, auquel il a remis la plus grosse somme. » Jésus lui dit : « Tu as bien jugé. » 44 Puis il se tourna vers la femme et dit à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison et tu ne m’as pas donné d’eau pour me laver les pieds ; mais elle, elle les a mouillés de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. 45 Tu ne m’as pas donné de baiser ; mais elle, depuis que je suis entré, elle n’a pas cessé de m’embrasser les pieds. 46 Tu n’as pas versé d’huile sur ma tête ; mais elle, elle a versé du parfum sur mes pieds. 47 C’est pourquoi je te le dis, ses nombreux péchés ont été pardonnés (puisqu’elle a beaucoup aimé). Mais celui à qui l’on pardonne peu aime peu. » 48 Et il dit à la femme : « Tes péchés sont pardonnés. » 49 Les invités se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est cet homme qui pardonne même les péchés ? » 50, Mais Jésus dit à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Pars dans la paix ! »

8 Ensuite, Jésus alla de ville en ville et de village en village. Il prêchait et annonçait la bonne nouvelle du royaume de Dieu. Les douze l’accompagnaient, 2 avec quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie, dite de Magdala, dont étaient sortis sept démons, 3 Jeanne, femme de Chuza l’intendant d’Hérode, Susanne et beaucoup d’autres, qui le servaient en l’assistant de leurs biens.

Jésus et son comportement ne collent pas avec ce qui est d’usage en matière religieuse, il a bien des choses à réviser, selon les spécialistes pharisiens. Premièrement, il n’a pas de bonnes manières : cela ne se fait pas de, côtoyer des gens douteux, comme si cela était naturel et sans conséquence. De plus, Jésus devrait réviser également sa théologie, ce qu’il dit de la foi, du pardon et du salut ne va pas du tout, selon la théologie classique. Ses contemporains sont à juste titre choqués, comme le raconte le récit de Luc. Même pour des théologiens des siècles suivants le texte fut un scandale, la preuve en est que celui-ci porte encore les traces de ce scandale. En effet, dans plusieurs manuscrits parmi les plus anciens (pas dans tous, heureusement), la conclusion que Jésus donne de sa parabole sur le pardon de Dieu a été grossièrement retouchée, mais comme c’était plus difficile de transformer la parabole elle-même, cela rend les deux incohérentes. La parabole de Jésus annonçant que le pardon des fautes engendre l’amour, plus même chez celui à qui il est beaucoup pardonné, tandis que la conclusion annoncerait que c’est beaucoup d’amour qui serait la cause du pardon. (Relisez bien le texte).

La Bible du Semeur écrit quant à elle : « 47 c’est pourquoi je te le dis : ses nombreux péchés lui ont été pardonnés, c’est pour cela qu’elle m’a témoigné tant d’amour. Mais celui qui a eu peu de choses à se faire pardonner ne manifeste que peu d’amour ! » qui répond au contexte ou va dans le même sens que la parabole de Jésus. La femme aime, car elle sait qu’elle est déjà beaucoup pardonnée par la grâce, et ce n’est pas parce qu’elle aime beaucoup qu’elle obtient celle-ci.

Ainsi compris, ce n’est pas l’œuvre de l’amour qui fait obtenir la grâce, car celle-ci est sans condition. Il a vraiment fallu que certains soient motivés pour introduire cette variante, et pour qu’elle soit gardée dans nos traductions qui ne mettent même pas toujours une note pour signaler la difficulté.

Pour bien des religions, et même pour bien des chrétiens, le pardon de Dieu est donné à ceux qui ont une vraie repentance, bien sincère. Pour d’autres chrétiens, il fallait que le Christ ait payé pour nos fautes pour que notre pardon soit possible et pour que la personne soit au bénéfice de ce système, il faut qu’elle croie que Jésus a payé pour elle, qu’elle soit ensuite baptisée tout cela doit avoir lieu bien sûr après une sincère repentance… Quand Jésus parle à cette femme, il n’a pas encore été crucifié à ce que je sache et il ne lui demande pas si elle se repent de ses péchés. Cela va de soi diront certain puisqu’elle pleure aux pieds de Jésus. En effet, elle pleure aux pieds de Jésus, mais n’est-ce pas en premier lieu par ce dont elle se sait pardonné comme nous le dit Jésus lui-même ?

Au contraire, Jésus annonce ici que le pardon de Dieu est premier, absolu, sans condition. Cela change non seulement notre relation à Dieu, mais aussi la notion de justice et le regard que nous pouvons porter sur les autres, sur notre vie et sur notre propre dignité. Voilà comment Jésus justifie la remise de dette (le pardon) des deux hommes de sa parabole : « Comme ils n’avaient pas de quoi payer, le créancier leur remit à tous deux leur dette. »

La première raison de cette remise de dette : c’est la générosité du créancier, bien sûr. Et Jésus affirme ainsi que le pardon de Dieu est premier, qu’il n’a aucune autre cause que la nature même de Dieu, sans qu’il soit question que les fautifs demandent pardon, ni qu’un autre doive payer une rançon à leur place… Non, la simple et pure générosité de Dieu rend possible le pardon.

La seconde raison de remettre ainsi cette dette, c’est qu’ils n’ont pas de quoi payer et il n’est aucunement dit qu’ils regrettent infiniment de ne pas avoir assez d’argent pour payer.

Certaines versions de la Bible comme ici dans la segond 21, il est fait dire malheureusement à Jésus « les nombreux péchés (de la femme) ont été pardonnés parce qu’elle a beaucoup aimé. » Luc 7:47. Combien d’hommes et de femmes ont souffert injustement à cause de ce petit « parce que » ? Des personnes sincères sont restées angoissées, craignant que Dieu ne les envoie en enfer, se demandant si elles aimaient assez Dieu ? Si elles l’avaient assez manifesté par des prières et des sacrifices, si elles étaient assez persuadées que Christ s’était donné pour elles ? Au contraire, selon Jésus, le pardon est donné en premier, et il nous donne la liberté d’aimer Dieu ou non, sans chantage, librement.

Depuis 1500 ans environ la théologie classique enseigne qu’une personne qui a péché doit d’abord faire preuve d’une sincère repentance et d’un réel intérêt pour Dieu, elle est ensuite pardonnée par l’église, et grâce à l’église elle serait pardonnée par Dieu.

Jésus aurait tout faux, si l’on en croit cette théologie, car l’itinéraire qu’il nous propose ici est exactement l’inverse. Selon lui, le pardon de Dieu est premier, son amour est sans condition et c’est pourquoi nous pouvons aussi baptiser les bébés comme les adultes : sans aucune condition, en signe de cette grâce inconditionnelle de Dieu pour la personne. Le baptême ainsi compris est le témoignage de Dieu qui nous affirme devant tous que : « celui-ci ou celle-ci baptisé(e) en son nom, est son fils ou sa fille bien-aimés ». Bien entendu, le baptême n’est pas la condition nécessaire pour cela, mais il témoigne comme le baptême de Jésus que Dieu reconnaît le baptisé comme son enfant, tout en sachant que ce n’est pas le témoignage qui fait le fait, le fait a lieu même sans témoin.

Et selon Jésus, ce n’est pas l’Église qui pardonne, et ce n’est même pas à l’Église de juger quoi que ce soit, ce n’est même pas lui-même, Jésus, qui pardonne ou qui rend possible ce pardon. Il se contente d’annoncer et de vivre un pardon déjà donné par Dieu (comme l’indique l’usage du participe passif). Un pardon qui nous permet enfin d’ouvrir les yeux sur nos manques sans nous désespérer. Et déjà, il y a là une façon d’avancer dans la paix, et de préparer une vraie paix possible entre les hommes.

Mais le scandale continue, car selon Jésus ce n’est pas l’Église qui sauve cette femme ni lui, Jésus, ni même Dieu ! Quel étrange théologien est ce Jésus, bien peu chrétien, non ? Jésus annonce à cette femme que c’est « sa foi », sa foi à elle qui l’a sauvée. Mais alors la foi en quoi ? Alors qu’elle est encore pécheresse, alors que Jésus n’est pas encore mort sur la croix, ni ressuscité, déjà « ses péchés ont été pardonnés » et son salut est déjà présent, il est déjà vécu par cette femme au présent dans ce monde, comme l’indique le temps du verbe grec (au parfait).

« Ta foi t’a sauvée ».

Vous imaginez bien que ces paroles de Jésus ont dérangé bien du monde, là aussi. Cela a dérangé ceux qui insistent sur les doctrines, puisque Jésus ne demande même pas à cette femme si elle adhère à une déclaration de foi, pas plus qu’en la doctrine de La Trinité (le mot ne sera inventé que 150 ans plus tard), ni si elle suit telle interprétation littérale de la Genèse… Et même les Réformateurs protestants sont allés eux aussi trop loin, mais à contresens en tenant absolument au principe que le salut vient de Dieu et de Dieu seul, sans aucune participation de l’homme à son propre salut. Eux aussi, ils ont été gênés par ce « ta foi t’a sauvée » de Jésus, et ils sont alors arrivés à prétendre que la foi est un pur don de Dieu, que l’homme n’y est pour rien. Autrement dit : tu es sauvé par ta foi, mais cette foi que tu as, tu l’as reçu et toi tu n’y es pour rien. C’est la réponse de Calvin et de Luther. Certes, l’amour et le pardon de Dieu sont à juste titre appelés « la grâce » puisqu’ils sont de purs dons de Dieu, mais qu’en est-il de la foi ? Et quelle est donc cette foi qui a, selon Jésus, sauvé cette femme ? Elle l’aurait reçu de Dieu ! A-t-elle dû en faire la demande pour l’obtenir ?

Pour Calvin comme pour Luther, la foi est un pur don de Dieu, elle est fondée sur le sacrifice parfait du Christ, dont la Résurrection est témoignage de vérité. Même si comme je l’ai fait remarqué dans ce passage de Luc Jésus n’est pas encore ressuscité il n’est même pas encore crucifié.

Ce que l’on remarque et qui est fondamental, c’est que Jésus montre ici avec cette parabole que cette foi est synonyme d’amour, et qu’elle est le fruit de la grâce de Dieu. Donc oui, Dieu est bien à l’origine premier de la foi. Car c’est Dieu qui a commencé en nous aimant et en tendant la main vers nous.

Ici le verbe aimer n’est pas le même que celui de l’amour des amoureux, il s’agit du verbe grec agapè qui consiste plutôt en une attention pour l’autre. La parabole du créancier et de ses débiteurs est plusieurs fois utilisée par Jésus pour parler de la grâce de Dieu et de la foi de l’homme qui parfois aime Dieu en retour, parfois est ingrat et en profite pour être méchant (Mat 18 : 23 et suite) :

« Ainsi, le royaume des Cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. 24 Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent). 25 Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette. 26 Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.” 27 Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette. 28, Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : “Rembourse ta dette ! 29 Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : ‘Prends patience envers moi, et je te rembourserai.’ 30, Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait. 31 Ses compagnons, voyant cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. 32 Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : ‘Serviteur mauvais ! Je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. 33 Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? 34 Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait. 35 C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »

Ici, Jésus l’applique aux deux personnes en face de lui. Le Pharisien est celui qui aime peu, celui qui est ‘de peu de foi’ et la femme est à un stade d’amour de Dieu plus avancé, une foi plus grande.

L’amour (l’agapè) du pharisien n’est pas de la sympathie pour Jésus, visiblement. Mais c’est une certaine considération. Il se pose des questions, il s’intéresse, il doute, il critique, mais il a invité Jésus chez lui, il examine sa façon d’être, il réfléchit et s’il n’a pas trop envie aux primes abord de l’interroger, quand même, il l’écoute et dialogue un minimum. C’est cela que Jésus appelle un petit amour, une petite foi. C’est déjà un bon début, c’est déjà un premier stade. Et il y a là sans doute une chose que toute personne de bonne volonté peut choisir de faire même si elle n’a aucune sympathie a priori pour Jésus, ni pour la religion, même si nous ne savons pas si cela peut nous apporter quelque chose, comme le pharisien qui doute que Jésus soit seulement un prophète. Jésus appelle déjà cela un petit amour, et donc une petite foi, mais une foi quand même.

C’est pourquoi, n’en déplaise à nos chers réformateurs, à plusieurs reprises dans les évangiles nous voyons Jésus nous inviter à choisir la foi, avec des verbes à l’impératif présent :

‘Ayez la foi’ (Marc 11 : 22)

‘Ayez foi en Dieu, et ayez foi en moi.’ (Jean 14:1).

Pourquoi Jésus dirait-il et demanderait-il cela s’il savait pertinemment que la foi ne dépend pas d’eux, mais de Dieu ? Pourquoi demander à quelqu’un d’avoir la foi si l’on sait que ce quelqu’un ne peut l’obtenir que d’un tiers ?

Tous les protestants croient évidemment au salut par la grâce au moyen de la foi. Comme le soutenait l’apôtre Paul, ce n’est pas l’application zélée d’un code de conduite qui va changer le regard que Dieu porte sur nous. Mais le problème est de savoir comment recevoir la grâce, comment avoir la foi. Suffit-il d’attendre que celle-ci vous envahisse ? Nous avons souvent un pied dans la foi et l’autre à l’extérieur. Parce qu’elle ne va pas sans le doute. Pour grandir dans la foi, il faut souvent œuvrer pour le bien. La fameuse épître de Jacques le dit à sa manière : la foi et les œuvres coopèrent ; elles sont en synergie ; elles se renforcent l’une par l’autre. D’ailleurs, Synergie vient du verbe grec synergeo employé justement par Jacques qui signifie ‘travailler avec’.

Lorsque le jeune homme riche demande à Jésus ce qu’il faut faire pour hériter la vie éternelle, Jésus lui recommande de vendre tout de qu’il a et de le donner aux pauvres. ‘Et puis viens et suis-moi’, conclut-il. Et même si le jeune homme renonce à mettre en pratique ce que Jésus lui propose, parce qu’il a de grands biens, et donc certainement des responsabilités et des engagements peut-être, il est dit ‘Jésus l’aima’. Jésus aime ce jeune homme malgré tout. D’ailleurs chose curieuse, dans les évangiles, Jésus ne connaît pas la grâce et il n’emploie jamais ce mot ; étrange non ! Par contre, il prêche l’amour, et le secours aux plus pauvres avec insistance. Voilà pour lui le chemin qui conduit à la vie éternelle. Or l’amour apporte ses œuvres, sa compassion. La compassion est un sentiment par lequel un individu est porté à percevoir ou ressentir la souffrance d’autrui, et poussé à y remédier, par amour ou morale. La ‘miséricorde’ ou ‘commisération’ peut s’apparenter à la compassion avec une sémantique plus religieuse. Or la miséricorde est liée au sermon sur la montagne de Jésus ‘soyez miséricordieux’ heureux les miséricordieux, faite miséricorde comme Dieu vous fait miséricorde. Donc cette foi ne serait-elle pas justement à être placée non pas dans le Christ ou même dans Dieu, mais dans l’Amour de Dieu puisque l’on peut lire dans la première épître de Jean : ‘Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour’ (1 Jean 4:8).

Albert Schweitzer l’avait bien compris, qui disait dans un sermon du 14 juin 1903 : ‘Mon expérience m’a appris ceci : les œuvres ne viennent pas de la foi ; c’est la foi qui vient des œuvres… Un homme simple, mais qui est agissant, connaît Dieu mieux que les plus grands penseurs.’

On pourrait dire : oui au salut par la foi. Mais, si celle-ci est chancelante, c’est le souci du prochain qui la fortifiera.

Jésus aurait pu dire à cette femme : ‘ta foi en l’Amour t’a sauvé’ c’est peut-être ce qu’il a dit d’ailleurs ! Qui peut savoir ? Quand on voit que certains n’ont pas hésité à retoucher des passages pour que ceux-ci collent mieux avec leur propre théologie.

De ce point de vue, la religion peut constituer un tragique enfermement lorsqu’elle prétend détenir la vérité.

Je peux prendre exemple sur certains cultes auquel j’ai assisté : j’ai entendu plusieurs fois des prédicateurs (des anciens) qui ont fini par arriver à me faire dire à moi-même : je ne mettrais plus jamais un pied dans cette église ! Moi qui fréquentais celle-ci pour m’approcher plus de Dieu et du Christ et non parce qu’elle présentait telle confession de foi. Les hommes vont, je pense, là où ils ont l’habitude d’aller, sans se poser de question, par routine, sans comprendre en aveugle, sinon aucune âme ne fréquenterait plus cette église qui reçoit régulièrement son lot de nouveau venu, de chercheurs, ou de curieux, mais qui a aussi tendance régulièrement à se vider comme de l’eau dans un panier. Fatigué peut-être de devoir écouter des prêches où l’on parle plus des œuvres du Diable dans nos vies (du malin comme il est dit) que de l’Amour de Dieu. De la punition et de la repentante et de la peine encourue par les pécheurs que de la grâce de Dieu, enfin quand on y parle de la grâce de Dieu elle est toujours donnée sous condition à celui qui reconnaît, telles doctrines, que les prêches sont plus tournés sur l’Apocalypse de Jean que sur le sermon sur la montagne. Contrairement à ce que j’ai souvent entendu dans cette église, le chrétien n’est pas coupé du monde, et Dieu aime le monde. Le croyant aime le monde. Il ne l’aime pas comme le monde aime, à grand renfort de sentiments de satisfaction, il aime le monde en prenant soin de lui, patiemment, rendant service, sans jalouser, sans fanfaronner, sans enfler, sans agir avec inconvenance, sans chercher son propre intérêt, sans s’irriter, sans calculer le mal, sans se réjouir de l’injustice, mais se réjouissant avec la vérité, endurant continuellement, croyant continuellement, espérant continuellement, supportant continuellement, ne succombant jamais.

On peut aimer sans être amoureux. On peut aimer ceux qui ne sont pas aimables. Là est la force des croyants ! Ne pas être soumis à la tyrannie des sentiments. Et c’est lorsque nous aimons, vraiment, que nous rendons tangible et crédible l’amour de Dieu, qui prend le monde au sérieux et qui prend chaque être humain au sérieux. Contrairement à ces prêches évoqués plus avant qui font que beaucoup de personnes qui fréquentent ce genre d’églises arrivent à s’inquiéter de savoir si elles sont aimées de Dieu, ce qui devient pour elles une quête désespérée pour s’assurer si elles sont bien graciées ou non. Le croyant doit comprendre qu’il est aimé par Dieu sans condition ce qui le rend capable, à son tour, d’aimer, sans condition, et de prendre soin des autres, de reconstruire ce qui a pu être blessé par l’homme, d’être effectivement à l’image de Dieu.

Aimer permet de connaître

Ce n’est pas l’amour qui rend aveugle, mais le sentiment amoureux. L’amour, l’agapè, lui, rend la vue. L’amour permet de connaître vraiment. L’amour, c’est ce qui nous permet de passer d’une connaissance partielle à une connaissance parfaite, nous pourrions dire une connaissance ultime, puisque c’est le mot grec téléios qui est employé ici, ce mot qui renvoie à l’accomplissement, à la fin. Par l’amour, l’homme cesse d’être une énigme parce que nous n’avons pas seulement accès à la surface des choses, à l’enveloppe, mais aussi parce que l’amour reforme ce qui est déformé par notre vision des choses. Notre regard est pollué de tellement de choses. Nous collons tellement d’étiquettes sur les personnes qui nous entourent avant même de les avoir rencontrées, nous contentant le plus souvent de colporter des rumeurs. Aimer, c’est accepter de laisser tomber les grilles de lecture, les définitions qui définissent ce qui est en réalité infini. Aimer, c’est apprendre de l’autre qui il est au lieu de lui imposer un rôle. Parce que l’amour peut endurer, il me rend capable de mettre mes pieds dans les chaussures de l’autre, celui qui se présente à moi. L’amour me rend capable d’accéder à son univers et de le comprendre un peu mieux. Ne pas en rester à la surface, mais explorer de l’intérieur, découvrir ce qui évolue, se métamorphose de manière intime, ce qui est en train de naître, naître avec, connaître. L’amour est ce qui transcende notre savoir figé, totalisant, en une connaissance qui fait droit à la vie qui ne cesse d’évoluer. L’amour, c’est ce qui conduit l’être par-delà lui-même.

D.R

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