Le sacrifice de la fille de Jephté dans les récits deutéronomistes

 

Introduction

De nos jours, les historiens deutéronomistes ne pourraient certainement pas apparaître comme « politiquement corrects », et cela pour de nombreuses raisons. Dans la soi-disant Histoire deutéronomiste (Dtr) qui figura portée par écrit lors de l’Exil, nous trouvons en effet le ségrégationnisme et en particulier dans le Deutéronome et l’impérialisme (en particulier dans Josh. 1-12), ces deux idéologies présentées du point de vue de la classe supérieure. Mais doit-on de même reprocher aux Deutéronomes (Dtrs) d’avoir transmis l’histoire dans Juge 11.29-40. En effet dans ce passage un Jephté apparemment impétueux et horrible va tuer sa fille unique et sans nom pour accomplir un vœu fait à Yahvé qui paraît aussi cruel que Jephté lui-même. Pas étonnant que cette histoire soit devenue l’un des « classiques » des études féministes de la Bible hébraïque. Donc il semble nécessaire d’accorder plus d’attention à la fille qui s’offre au sacrifice et qui est « célébrée » d’une manière ou d’une autre à la fin de l’histoire. L’on doit se poser la question suivante : comment une telle histoire s’inscrit-elle dans le contexte du Deutéronome et de l’idéologie deutéronomiste ? Pour répondre à cette question, je commencerai par quelques considérations de l’évolution des faits linguistiques dans le temps.

Analyse diachronique

Il ressort bien évident que l’histoire du vœu et du sacrifice de Jephté appartient à un autre niveau littéraire que les versets qui l’entourent. Tout d’abord, il apparaît assez étonnant qu’après le Livre des Juges au chapitre 11, verset 29 là où l’esprit de Yahvé vient sur Jephté, celui-ci ressent le besoin d’effectuer un vœu à Dieu au verset suivant.

29 Alors, animé de l’esprit de l’Éternel, Jephté traversa le Galaad et Manassé, atteignit Miçpé-Ghilad, et de là s’avança sur les Ammonites. 30 Et Jephté fit un vœu à l’Éternel en disant : « Si tu livres en mon pouvoir les enfants d’Ammon, 31 la première créature qui sortira de ma maison au-devant de moi, quand je reviendrai vainqueur des enfants d’Ammon, sera vouée à l’Éternel, et je l’offrirai en holocauste. » 32 Jephté s’avança alors sur les Ammonites pour les combattre, et l’Éternel les livra en sa main.

Dans des textes parallèles comme Juges 3.10 ; 14.19 et 1 Sam. 11.6 l’intervention de רוּחַ-יְהוָה ruah Yhavé « l’esprit divin » ; provoque immédiatement la défaite de l’ennemi. La reprise des derniers mots du verset 29 עָבַר בְּנֵ עַמּֽוֹן avar benei amovn, au verset 32a signale la séquence des vœux aux versets. 30-31 comme une interruption rédactionnelle entre les versets 29 et 33.

Nous pouvons également noter que le début du chapitre suivant (12.1-6) fait allusion aux « traversées » de Jephté, mais semble ignorer les événements liés à l’histoire du vœu et du sacrifice.

1 Les gens d’Ephraïm s’assemblèrent, s’avancèrent vers le nord, et dirent à Jephté : « Pourquoi es-tu allé en guerre contre les Ammonites, et ne nous as-tu pas invités à marcher avec toi ? Nous allons brûler ta maison avec toi-même. » 2 Jephté leur répondit : « J’avais de graves démêlés, moi et mon peuple, avec les Ammonites ; j’ai invoqué votre assistance, vous ne m’avez pas secouru contre eux. 3 Voyant donc que vous ne m’aidiez pas, j’ai marché, au péril de ma vie, contre les fils d’Ammon, et l’Éternel les a livrés en mon pouvoir. Pourquoi donc venez-vous aujourd’hui me chercher querelle ? » 4 Jephté rassembla tous les hommes de Galaad, et livra bataille à Ephraïm ; et les hommes de Galaad défirent ceux d’Ephraïm, car ils disaient : « Vous êtes des fuyards ephraïmites », Galaad étant partagé entre Ephraïm et Manassé. 5 Galaad occupa les gués du Jourdain pour couper la retraite à Ephraïm ; et lorsqu’un fuyard d’Ephraïm disait : « Laissez-moi passer », les gens de Galaad lui demandaient : « Es-tu d’Ephraïm ? » Que s’il disait : Non, 6 on lui disait : « Prononce donc Chibboleth ! » Il prononçait Sibboleth, ne pouvant l’articuler correctement ; sur quoi on le saisissait et on le tuait près des gués du Jourdain. Il périt, en cette occurrence, quarante-deux mille hommes d’Ephraïm.

Que la maison de Jephté semble être à מִצְפָּה Miṣpāh, n’est dit qu’en 11,34, et non dans les autres versets mentionnant Miṣpāh ou מִצְפָּה גִּלְעָד Mispah-Gilead dans Juges 10-12. Selon 12,1, Jephté semble plutôt habiter un lieu appelé Zaphon.

(Voir Josué 13.27) : et, dans la vallée, Beth-Haram, Beth-Nimra, Succoth et Tsaphon (Tsaphown), reste du royaume de Sihon, roi de Hesbon, ayant le Jourdain pour limite jusqu’à l’extrémité de la mer de Kinnéreth de l’autre côté du Jourdain, à l’orient.

On peut aussi considérer le fait que le récit de la fille de Jephté figure le seul à appartenir à la sphère privée. Conformément à cela, les Ammonites, les ennemis du peuple d’Israël, sont devenus en 11,36 les adversaires « privés » de Jephté. Ils n’appartiennent pas à l’origine au compte de guerre en 11,29, 33 ; 12.1-6, qu’il interrompt. Une inclusion existe bien entre le v. 30 : « Jephté fit un vœu » et le v. 39a : « il fit selon le vœu qu’il avait fait », ce qui signifie que versets. 39 b et 40 sont à considérer comme une note extérieure à l’unité narrative. Mais ce n’est pas forcément significatif pour la diachronie.

Malgré une opinion largement répandue, le récit de Jephté et de sa fille n’apparaît pas une vieille histoire indépendante insérée plus tard au ch. 11. L’histoire n’a peut-être jamais existé indépendamment, mais a été composée par un rédacteur pour s’adapter à son contexte actuel. Le verset 30 ne demeure en effet pas le début d’un récit indépendant, et le v. 32, on l’a déjà vu, reprend le v. 29. Cela signifie que l’auteur-rédacteur entendait créer une sorte de « tension » entre le don de l’esprit et le vœu. Comme les lectures holistiques l’ont souvent souligné, le vœu de Jephté apparaît après le verset 29. C’est aussi de cette façon que le comprennent les rabbins. Comme dû au manque de foi de Jephté. L’issue tragique d’un vœu pas forcément hâtif et inconsidéré augmente l’ambiguïté du caractère de Jephté. Alors, la question que l’on doit se poser figure  la suivante : est-ce que les deutéronomistes auraient eu intérêt à raconter une telle histoire ?

Pouvons-nous appeler l’histoire du vœu « deutéronomique » ?

Dans le discours d’adieu de Samuel (1 Sam. 12), clairement une production deutéronomiste Jephté apparaît au v. 11 : « Et le Seigneur a suscité Jérubbaal et Bedân, Jephté et Samuel ; il vous a soustraits au pouvoir de vos ennemis d’alentour, et vous avez recouvré la sécurité. »

Jephté fait partie des quelques heureux choisis pour représenter l’intervention de Yahvé au temps des Juges. Cela aurait-il été possible après le récit du sacrifice de sa fille ? Cela nous amène à notre deuxième point : l’attitude deutéronomiste envers le sacrifice humain. Dans son commentaire sur les Juges, James Martin écrit : « Jephté a dû envisager le sacrifice humain. Le Deutéronome ne porte aucun jugement sur la pratique ; il l’enregistre simplement. Une telle affirmation apparaît difficilement compréhensible, car une promesse de sacrifice humain n’apparaîtrait autre qu’une transgression de la Loi deutéronomique. On rencontre cependant un texte qui se trouva admis dans le Deutéronome et qui se rapporte à un sacrifice humain ». Selon 2 Rois 3.27, le roi Mesha de Moab qui a peur de perdre la bataille contre Israël, offre son fils-premier-né en holocauste. Cette action provoque une grande « colère » et les israélites retournent dans leur pays.

Généralement, 2 Rois 3.6-27 figure considéré comme prédeutéronomistes. D’après E.A. Knauf, Die Umwelt des Alten Testaments (NSKAT, 29 ; Stuttgart : Katholisches Bibelwerk, 1994), p. 130, l’histoire se trouve une interprétation judéenne des annales israélites dans 2 Rois 3.4-5. Il n’est pas étonnant que le sens exact du texte hébreu soit resté obscur. La version prédeutéronomiste faisait probablement référence à la colère victorieuse de Kemosh contre Israël ; dans l’interprétation deutéronomique, on ne rencontre plus d’allusion à Kemosh. La version deutéronomiste fait allusion à une colère nombreuse (qui figure identique à celle de Yahvé) et qui pousse les israélites à quitter un pays où se pratiquent des choses aussi horribles que des sacrifices humains.

Selon les deutéronomistes, la pire chose que les dirigeants d’Israël et de Juda firent fut de « faire passer des enfants par le feu ». (2 R 16,3 ; 17,17 ; 21,6) C’est Josias, le favori des deutéronomistes, qui a mis fin à cette abomination (2 Rois 23.10). Il apparaît donc difficile de croire que dans l’édition du Deutéronome un sauveur divinement inspiré ait quelque chose à voir avec le sacrifice humain. On peut aussi faire allusion à 1 Samuel 14, qui appartenait certainement au Deutéronome. Dans cette histoire, Jonathan risque sa vie, car il a agi sans le savoir contre le serment de son père. Mais il se trouve sauvé par le peuple et non mis à mort.

Ainsi, les considérations ci-dessus indiquent que le récit du sacrifice de Jephté doit être compris comme un texte post-deutéronomiste. Cette affirmation peut être confirmée sur le plan littéraire. La formulation du vœu de Jephté apparaît comme une sorte de patchwork d’autres textes de l’Ancien Testament. L’introduction et la protase possèdent un parallèle étroit dans Num. 21.223 et la première partie de l’apodose figure presque identique à Josh. 2.19a2a qui, comme l’a montré Van Seters, appartient à une strate post-deutéronomiste.

Quant à l’avis final aux versets 39b-40 qui mentionne un חֹק בְּיִשְׂרָאֵל hok beJizrael. « Coutume en Israël » faisant allusion à la commémoration par une fille de la fille de Jephté, le parallèle le plus proche se trouve dans 2 Chroniques. 35,25, qui concerne la commémoration du mort Josias, une pratique qui est aussi appelée חֹק עַל־יִשְׂרָאֵל hok al jizrael « Loi d’Israël »

On a souvent observé que le sacrifice de la fille de Jephté est étroitement lié à l’histoire de la Aqedah dans Genèse 22. Dans les deux cas, l’offrande apparaît un צולה (Gen. 22.2 ; Jg. 11.30) et la victime est présentée comme l’enfant « unique » (יחיר Gen. 22,2 ; יחירה, Jug 11,34) de son père. Parallèlement à Abraham appelant « mon fils » (Gen. 22.7), nous possédons l’exclamation de Jephté « ma fille » (Juges 11.35). On rencontre aussi une correspondance assez ironique entre la confiance d’Abraham que Dieu « verra » la victime pour le sacrifice (Gen. 22.8) et Jephté voyant sa fille qui est ainsi désignée pour être offerte à Dieu (Jg. 11,35). Les deux histoires possèdent un dénouement lié à la question de la progéniture du père. Après la substitution d’un animal à Isaac, Dieu promet à Abraham qu’il possédera d’innombrables descendants (Gen. 22.17), tandis que la fille de Jephté disparaît sans avoir connu d’homme (Jg. 11,39). La fin « heureuse » de Genèse 22 se transforme en une fin tragique. Il semble donc tout à fait clair que l’auteur de Juge. 11.30-40 connaît Genèse 22 et qu’il utilise la « le sacrifice d’Isaac » comme toile de fond pour sa propre construction. Des études récentes sur Genèse 22, ont montré que ce texte doit dater de l’époque postexilique. Si l’auteur de Jug 11, 30-40 connaissait la Aqedah, il ne peut guère apparaître antérieur. Il demeure alors certainement postérieur à l’édition deutéronomiste du livre des Juges. Adrien Janis Bledstein a souligné la différence entre l’histoire de la fille de Jephté et d’autres histoires dans les Juges. L’ancien récit, nous dit-elle, lui rappelle « J’.2' si cela veut dire un “Yahwist” à la Van Seters, » qui présuppose DtrH, elle pourrait se trouver sur la bonne voie. Quoi qu’il en soit, si Jug 11.30-32, 34-40 apparaît comme une insertion dans DtrH, nous devons nous poser la question suivante : Pourquoi l’histoire se trouva-t-elle racontée ?

Le récit du vœu et du sacrifice de Jephté contient de nombreux motifs que l’on retrouve dans la littérature populaire du monde entier. Le motif du vœu de sacrifier à une divinité ou à un démon la première chose ou personne rencontrée demeure un vœu idiot qui amène le désastre sur son auteur. Comme ici le motif du père obligé d’offrir son propre enfant.

Selon Servius, Idomeneus, pris dans une tempête sur la mer, a promis à Poséidon que s’il atteignait la terre en toute sécurité, il lui offrirait la première chose à rencontrer, qui s’est avérée être son fils. Mais c’est une tradition assez tardive et la victime est un fils, pas une fille. Nous ferions donc mieux de nous tourner vers une autre tradition qui joue un rôle très central dans la mythologie grecque : la légende d’Iphigénie. La tradition concernant Iphigénie est au moins aussi confuse et compliquée que l’histoire des traditions dans les études de l’Ancien Testament. Iphigénie figure mentionnée pour la première fois dans la Kyprie de Stasinos, une épopée des VIIe ou VIe siècles avant notre ère dont nous ne possédons que quelques résumés. Son éventuelle identification à Artémis ou les divers cultes et rituels liés à la déesse. Si nous nous concentrons sur le niveau littéraire, nous découvrons une énorme diversité. On peut trouver différentes raisons à la nécessité du sacrifice : un vœu d’Agammemnon, un oracle, la colère d’Artémis. Le destin d’Iphigénie demeure également multiple. Dans certaines versions, elle se trouve en fait tuée par son père, dans d’autres versions, un animal lui est substitué, et elle apparaît emmenée par la déesse pour la servir de vierge et de prêtresse. Curieusement, le schéma de substitution semble plus ancien que le schéma de mort. Les deux schémas se retrouvent dans les tragédies d’Euripide. Dans Iphigénie en Tauride (412 avant notre ère), Artémis remplace une biche et emmène Iphigénie en Asie pour être sa prêtresse. Quant à Iphigénie en Aulis (405 avant notre ère), la plupart des érudits s’accordent à dire que la pièce originale s’est terminée par la mort de la jeune fille.

Même si les arguments en faveur d’une interprétation littérale du texte figurent bien plus solides, il ne demeure pas totalement impossible d’adopter une lecture non sacrificielle. L’ambiguïté dans Jug. 11, 30-40 aurait alors pu être prévu. L’auteur aurait connu les deux fins du mythe d’Iphigénie et aurait tenté de les rapprocher. Pour l’intrigue de Juges 11 comme pour Euripide, on ne trouve pas de réelle contradiction entre les deux fins. Tuée ou vouée à une divinité, la jeune fille disparaîtra comme « vierge » et n’entrera pas dans la généalogie de sa famille. On rencontre d’autres parallèles entre Jephté et Agamemnon et entre la fille de Jephté et Iphigénie.

Selon Iphigénie en Tauride (18-23), le roi Agamemnon avait juré de sacrifier à la déesse la plus belle progéniture que l’année donnerait naissance et il s’est avéré que ce fut Iphigénie. Quant à Jephté, son vœu est lié à une crise militaire. Et les deux chefs militaires sont dépeints dans une certaine ambiguïté. Tous deux s’apitoient sur leur sort et reprochent presque à leurs filles, qui accourent pour les saluer, d’avoir dû les sacrifier. Dans Euripide comme dans Juges 11, le « véritable héros » est la jeune fille, puisqu’elle accepte volontairement d’être sacrifiée et qu’elle pousse son père à s’exécuter, afin qu’elle survive dans la mémoire des générations futures. Peut-être peut-on aussi établir un lien entre la commémoration ou la lamentation de la fille de Jephté pendant quatre jours et une fête d’initiation des filles à Brauron qui avait lieu tous les quatre ans ? Cette fête qui était en quelque sorte liée au mythe d’Iphigénie marquait la fin du statut de « vierges » des filles en ce sens qu’elles devenaient des femmes nubiles. On peut difficilement dire si le final de Juges 11 fait allusion à de tels rites. On ne dispose aucune preuve d’un tel festival dans le judaïsme monarchique ou post-exilique. Il reste possible donc que l’on ne rencontre pas de réelle intention étiologique à la fin de l’histoire, juste quelques emprunts à la tradition grecque. Quoi qu’il en soit, les parallèles énumérés ci-dessus entre la fille de Jephté et Iphigénie montrent clairement qu’elle demeurait l’intention de l’auteur de Juge. 11.30-40 : il voulait présenter la fille de Jephté comme l’Iphigénie hébraïque. Pourquoi était-il intéressé à le faire ?

Pour répondre à cette question, on doit considérer l’influence de la culture grecque sur le judaïsme depuis le milieu ou la fin de la période perse. Comme l’a montré Albert de Pury et d’autres, le « canon » grec auquel appartenaient Eschyle et Euripide fascinait une partie de l’intelligentsia juive, en particulier celle d’Alexandrie. Seters, par exemple, a revendiqué pour son « Yahviste » exilique ou post-exilique tardif. Ceci est particulièrement clair dans les livres de Job et Qohelet. La réponse de Qohelet au Deutéronome reste le scepticisme. Les humains doivent gérer leur vie sans aucune garantie qu’ils comprendront les plans divins. La même mentalité se retrouve dans les tragédies grecques. Des recherches récentes ont caractérisé l’Iphigénie d’Euripide avec trois concepts : la tragédie, l’ambiguïté et l’ironie. Pour Juge. 11, 30-40, nous avons déjà analysé le premier et le deuxième sujet. Mais l’on rencontre aussi des traits ironiques, voire subversifs.

Tout d’abord, l’histoire contient des allusions à la tradition de l’Exode 43. Si l’on peut, avec Steven McKenzie, déceler une « connexion Mitspa » Dtr49, la localisation d’un sacrifice humain à Mitspa pourrait figurer une polémique anti-deutéronomiste occulte. Enfin, nous devons insister sur un point crucial en 11.37 où selon le texte massorétique la fille de Jephté dit : « Je descendrai sur les montagnes… ». Presque tous les commentateurs rectifient et traduisent « je vais errer » ou similaire. Or cette modification n’apparaît pas nécessaire. L’expression « descendre vers les montagnes » reste un terme technique pour une théophanie, en particulier dans la tradition du Sinaï (Exode 19.18,20 ; cf. aussi 3.8). Donc son utilisation dans Juge. 11.37 peu se trouver ironique : on n’observe plus de Dieu qui descend sur les montagnes, la fille doit y aller toute seule. La conception deutéronomiste de l’intervention divine directe pour le salut ou la punition ne fonctionne plus. Susan Niditch a déclaré que « la neutralité du narrateur dans Jug. 11. 29-40 demeure fascinante et choquante ». À cela, on peut ajouter que l’on trouve aussi une « neutralité » de Dieu. En effet, le texte reste muet sur la réaction de Dieu à l’acte et il n’intervient pas du tout. Là encore, nous ne nous trouvons pas si loin des tragédies d’Euripide, où, selon Gliksohn, la divinité s’absente du drame humain. Ainsi, le récit du sacrifice de Jephté dégage une atmosphère de fatalité. Le vœu fut prononcé et doit être accompli. Mais il demeura préférable que ce vœu ne se trouva jamais fait.

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