Abraham et Lot

Abraham et Lot

 

 

La se paration d abraham et lotSeparation d'Abraham et Lot (Dix panneaux d'une série de tapisseries bruxelloises représentant des scènes de la vie du prophète Abraham, de la Genèse, chapitres 12-24, tissés dans l'atelier de Willem Pannemaker, peut-être d'après des dessins de Pieter Cocke van Aelst.)

Chapitre 13

1 et Abram monta d’Égypte au Néguev, lui, sa femme et tout ce qu’il possédait. – Loth était avec lui.

Abram et Loth

2 Abram était très riche en troupeaux, en argent et en or. 3 Il alla par étapes du Néguev jusqu’à Béthel, jusqu’au lieu où il avait d’abord campé entre Béthel et Aï. 4 A l’endroit où il avait précédemment élevé un autel, Abram invoqua le SEIGNEUR par son nom. 5 Loth, qui accompagnait Abram, possédait lui aussi du petit et du gros bétail, ainsi que des tentes. 6 Le pays n’assura pas les besoins de leur vie commune, car leurs biens étaient trop considérables pour qu’ils puissent vivre ensemble. 7 Une querelle éclata entre les bergers des troupeaux d’Abram et les bergers des troupeaux de Loth – Cananéens et Perizzites habitaient alors le pays – 8 et Abram dit à Loth : « Qu’il n’y ait pas de querelle entre moi et toi, mes bergers et les tiens : nous sommes frères. 9 Tout le pays n’est-il pas devant toi ? Sépare-toi donc de moi. Si tu prends le nord, j’irai au sud ; si c’est le sud, j’irai au nord. » 10 Loth leva les yeux et regarda tout le district du Jourdain : il était tout entier irrigué. Avant que le SEIGNEUR n’eût détruit Sodome et Gomorrhe, il était jusqu’à Çoar comme le jardin du SEIGNEUR, comme le pays d’Égypte. 11 Loth choisit pour lui tout le district du Jourdain et se déplaça vers l’orient. Ils se séparèrent l’un de l’autre, 12 Abram habita dans le pays de Canaan et Loth dans les villes du District. Celui-ci vint camper jusqu’à Sodome 13 dont les gens étaient des scélérats qui péchaient gravement contre le SEIGNEUR.

Traduction André  Chouraqui

Le Nom de IHVH-Adonaï

1.     Abrâm monte de Misraîm, lui, sa femme, tout ce qui est à lui et Lot avec lui, vers le Nèguèb.

2.     Abrâm est très lourd en cheptel, en argent, en or.

3.     Il va en ses départs, du Nèguèb jusqu’à Béit-Él, jusqu’au lieu où il avait sa tente, au commencement, entre Béit-Él et ‘Aï,

4.     au lieu de l’autel qu’il avait fait là, en premier: Abrâm crie le nom de IHVH-Adonaï.

5.     À Lot aussi, allant avec Abrâm, il était des ovins, des bovins, des tentes.

6.     Mais la terre ne les portait pas à habiter ensemble: oui, leur acquis était multiple, ils ne pouvaient pas habiter ensemble.

7.     Et c’est une dispute entre les pâtres du cheptel d’Abrâm et les pâtres du cheptel de Lot. Le Kena‘ani et le Perizi habitaient alors la terre.

8.     Abrâm dit à Lot: « Non, que nulle dispute ne soit donc entre moi et entre toi, entre mes pâtres et entre tes pâtres ! Oui, nous sommes des hommes, des frères,

9.     toute la terre n’est-elle pas en face de toi ? Donc sépare-toi de moi: vers ta gauche, j’irai à droite; vers ta droite, j’irai à gauche. »

10.     Lot porte ses yeux. Il voit tout le Cirque du Iardèn, oui, tout entier abreuvé, avant que IHVH-Adonaï ne détruise Sedôm et ‘Amora, comme le jardin de IHVH-Adonaï,

comme la terre de Misraîm, à l’accès de So‘ar.

11.     Lot choisit pour lui tout le Cirque du Iardèn. Lot part du Levant, l’homme se sépare de son frère.

12.     Abrâm habitait en terre de Kena‘ân et Lot habitait les villes du Cirque: il campe jusqu’à Sedôm.

13.     Mais les hommes de Sedôm sont mauvais, très fautifs envers IHVH-Adonaï.

Abraham et Lot : deux destins dans le plan de Dieu !

Genèse Rabba 41, 5. 

Au demeurant, lors de la querelle entre les bergers de Lot et d’Abraham, le reproche que ces derniers adressaient à l’encontre des premiers c’est que « leurs bêtes sortaient sans muselières, alors que celles d’Abraham, notre père sortaient muselées. Remarquons que le midrash emploie le mot générique בהמות, [béhéma] : bête, animal domestique et non chameau. Et même son emplacement dans l’économie du récit biblique ne relève pas de l’arbitraire.

Selon le sens littéral du verset, la cause de la dispute entre les bergers de Lot et les bergers d'Avram est l'exiguïté de la terre.

Yonathan ben Ouziel va introduire un débat éthique plus profond.

Se partager la terre sans conflit : un idéal de la Torah pour des jours meilleurs.

Yonathan ben Ouziel

(Traduction commentée araméenne. Époque michnique)

Il y eut dispute et querelle entre les bergers des troupeaux d’Avram et entre les troupeaux des bergers de Lot. Car les bergers d’Avram avaient reçu l’ordre de ne pas aller dans les champs des Cananéens et des Phérezéens, car ils avaient un droit (divin) sur la terre. Aussi ils empêchaient leurs troupeaux de voler et ils allaient jusqu’aux pâturages. Et les bergers de Lot allaient paître dans les champs des Cananéens et des Phérezéens qui vivaient jusqu’à présent sur la terre.

Note :

Pour Avram, la promesse divine de la terre ne lui donnait pour l’heure aucun droit sur elle. Par contre Lot, se proclamant l’unique héritier, considérait que la promesse divine lui donnait déjà un droit. De ce fait, il ne respectait pas la propriété privée des Cananéens.

On ne peut mieux identifier et l'itinéraire d'Abram et l'endroit où il revient camper. Les éléments d'identifications relèvent à la fois de la topographie (entre Béthel et Ai’), mais aussi et surtout de la relation entre Abram et YHWH. C’est bel et bien l'endroit où — sans qu'il ait été bénéficiaire d'une apparition comme à Sichem — Abram a pris l'initiative d'honorer YHWH en lui érigeant un autel et en l'invoquant par son nom. La narration prend d'ailleurs la peine de le souligner puisqu'elle renvoie par deux fois à ce « commencement », à cette « première » fois, à ce moment, pour ainsi dire, inaugural du culte qu’Abram rend à YHWH ; elle rappelle encore qu'il a posé ces actes en un lieu situé entre la « maison de Dieu » (Béthel) et la « destruction » (Ai), faisant ainsi le choix du Dieu de la bénédiction. Il serait bien étonnant qu'une telle insistance ait une portée purement topographique après l'épisode en Égypte, où il est clair qu’Abram n'est vraiment pas cohérent avec ses choix antérieurs : entrer dans une dynamique de dépossession en quittant la maison de son père, et répondre à l'engagement et aux promesses de Dieu en reconnaissant sa présence à ses côtés et en lui rendant un culte. Ce qu’Abram fait ici semble tenir en effet à la volonté d'effacer la mésaventure égyptienne, de refermer la parenthèse et de revenir à une forme de fidélité à YHWH. En ce sens, une ambiguïté du texte hébreu au verset 4b pourrait être significative. Là où il se trouve et avec sa forme précise, le verbe קְרָא Qera' phonétique : (ker-aw') « invoquer » peut être compris de deux façons. Soit il prolonge le verbe précédent et est alors un simple rappel de la première invocation en 12,8 (« l'endroit de l'autel qu'il avait fait... et [où] Abram avait invoqué le nom de YHWH »). Soit il constitue le début d'une nouvelle phrase, Abram renouvelant son allégeance à YHWH (« Et Abram invoqua le nom de YHWH »), ce que tendrait à indiquer la reprise du sujet.

L’exposition comprend un second élément dont les deux composantes encadrent cette allusion à une forme de conversion d’Abram : les possessions. Au verset 2, Abram est décrit par sa richesse, dont la narration a indiqué qu’il l’a acquise à Kharân (12,5) et, bien sûr, en Égypte (12,16). Le sens concret de l’adjectif employé ici est « lourd » כָּבֵד [kâvéd]. « Abram était lourd de troupeaux, d’argent et d’or ». En ce sens, la phrase insiste non seulement sur les possessions, ce qui ressort de l’accumulation des trois compléments, mais aussi sur le poids, c'est-à-dire l'importance que cette richesse — en partie fruit de la convoitise et du mensonge — assure à Abram. En écho à cela, à la fin de l'exposition (v. 5), la narration réintroduit Lot. Au verset 1, on l’a vu, il accompagne le déplacement d’Abram et Saraï — une présence inattendue qui surprend. Ici, après avoir rappelé que le neveu fait route avec son oncle, la narration ajoute un nouvel élément de surprise : on apprend que lot possède lui aussi des troupeaux ainsi que des tentes. L’insistance initiale sur le « et aussi Lot » וְגַם [w"gam...] établit un lien avec ce qui a été dit de la richesse d’Abram, ce qui laisse déjà présager que c’est sur ce point que va se cristalliser la tension narrative.

Conflit et proposition de solution (v. 6-9)

La tension s’amorce quand la narration indique de façon insistante que la cohabitation entre ces deux hommes riches en bétail est difficile. C’est donc l’unité du groupe — ou plutôt, apprend-on ici, des deux groupes — qui devient problématique, comme le souligne au verset 6 la répétition littérale de l'expression « habiter uniment לָשֶׁבֶת יַחְדָּו [lâshèvèt yafidâwÿ] ». Le conflit qui éclate entre les bergers des deux groupes révèle clairement la difficulté. En effet, l’explication du verset 6a donne à penser qu’il est provoqué par le problème que pose le partage de ressources insuffisantes pour tous. Le lecteur n’a donc aucune peine à imaginer que la source de la dispute n’est pas étrangère à la convoitise. À cet endroit, la narration ouvre une parenthèse : « Les Cananéens et les Périzzites habitaient alors dans le pays » (v. 7b). En soi, l’information est inutile puisque la présence des Cananéens a déjà été signalée en 12,6b. Reprise ici sous une forme amplifiée, elle a forcément une fonction. Sur l’arrière-plan du conflit à peine évoqué, elle rappelle que la présence des autochtones risque d’aggraver la situation. Ces deux groupes aussi, comme ceux d’Abram et de Lot, en effet, sont en droit de revendiquer les maigres ressources de la terre, tandis que la discorde entre les bergers rend le clan des immigrés plus vulnérable face aux gens de la région.

Abram ne laisse pas le conflit s’envenimer. Immédiatement, il en parle à Lot. Ses paroles indiquent qu’il a bien perçu la difficulté dont la dispute est le symptôme, à savoir l’impossibilité de continuer à habiter ensemble, soulignée au verset 6. Mais observons d’abord la forme de son discours, le deuxième que la narration prend la peine de faire entendre, après celui qu’il tient à Saraï en Égypte (12,11-13), des paroles qu’Abram adresse cette fois à la seconde personne qu’il a prise avec lui en quittant Kharân (12,5). Les deux discours ne sont pas sans similitude, du reste. Des deux côtés, Abram décrit brièvement un problème qu’il souhaite éviter et il propose à l’autre d’agir de façon à le résoudre, donnant au passage les raisons de sa démarche. Un détail formel rapproche aussi ces deux discours : tant l’exposé du problème que la solution proposée sont introduits par la particule נָא [nâ], « je te prie », Abram se situant ainsi en position de demandeur. Cette proximité formelle invite à s’interroger sur les rapports possibles entre les deux discours. Comme en Égypte, Abram prend la parole pour éviter un danger qui se précise, à la différence qu’ici, le danger qu’il perçoit est réel, puisque le conflit entre les bergers a commencé. Il s’adresse à Lot dans le but d’éviter que cette querelle מְרִיבָה [m"rîvâh] ne dégénère en conflit רִיב [rîv] entre eux deux (v. 9a), car, ajoute-t-il, « nous sommes des hommes, des frères ». Le lecteur notera que, comme avec Saraï, Abram évoque des liens familiaux pour les modifier. Là, l’épouse devait se présenter comme une sœur ; ici, le neveu devient un frère. Mais à nouveau, la similitude cache un contraste marqué. En Égypte, Abram cherchait à instrumentaliser sa femme pour se protéger d’un danger supposé. Ici, en parlant de fraternité, il traite « le fils de son frère » (12,5) comme un égal. Loin d’utiliser à son propre avantage sa position supérieure — n’est-il pas son oncle, et ne l’a-t-il pas pris avec lui au départ (12,5) ? — il s’en déprend plutôt pour instaurer une relation d'homme à homme (« nous sommes des hommes »), une relation fraternelle (« des frères »), un lien qu’il souhaite protéger, conscient qu’un conflit le mettrait gravement en péril si la violence venait à s'amplifier.

La solution qu’il propose à Lot est de se séparer de lui. Cela peut sembler étonnant s’il s’agit de garantir le lien fraternel. En réalité, c’est ici le premier exemple d’un processus récurrent dans l’histoire que raconte la Genèse : quand la construction de la fraternité — ou d’un autre lien de ce type - est en péril, il est préférable d’en préserver les chances par une séparation, plutôt que de risquer de répéter l’histoire de Caïn et Abel. Que l’on pense à Ésaü et Jacob ou à Joseph et ses frères, dont la séparation dure plus de vingt ans avant que ces deux fratries trouvent le chemin d’une réelle fraternité. Se séparer, donc, pour éviter l’échec de la fraternité. La préposition composée utilisée avec ce verbe, littéralement « de contre » מול [me"al], pourrait d’ailleurs suggérer que c’est pour mettre fin à l’opposition « contre », אַל [‘al] qu’il faut prendre distance מְ [mé-]. Abram ne se contente pas de proposer cette solution somme toute assez sage. Cherchant sans doute à couper court à une opposition qui risque de s’installer, il va plus loin. Il laisse Lot choisir le premier la direction qu’il souhaite prendre. En sa qualité d’oncle, il pourrait opter d’abord et ensuite laisser son neveu faire son choix. Au lieu de quoi, il prend unilatéralement une décision en sa défaveur, sans même tenter de négocier une issue concertée. Lui qui est apparemment le plus riche, il prend les devants.

Mais revenons en arrière et que nous enseigne plus profondément le Midrash

 13.8:  

וַיֹּאמֶר אַבְרָם אֶל-לוֹט, אַל-נָא תְהִי מְרִיבָה בֵּינִי וּבֵינֶךָ, וּבֵין רֹעַי, וּבֵין רֹעֶיךָ:  כִּי-אֲנָשִׁים אַחִים, אֲנָחְנוּ  

Et Abraham dit à Loth : Qu'il n'y ait pas de querelles entre moi et toi, entre mes bergers et tes bergers; car nous sommes des hommes frères.

L’initiative de la querelle a été prise par les bergers d’Abraham, (v7) c’est donc que les bergers d’Abraham avaient en tant que bergers quelque chose à reprocher aux bergers de Loth. Et nous verrons de quoi il s’agit quand le Midrash met cela en évidence. Nous l’avons vu, le mot employé par la Torah pour dire la querelle des bergers est le mot de רִיב   Riv. Et le mot qui va être employé dans le verset 8 lorsque Abraham dit Qu'il n'y ait pas de querelles entre moi et toi, il ne s’agit plus des bergers d’Abraham et des bergers de Loth, mais d’Abraham et Loth. Et c’est le mot de מְרִיבָה Mérivah. Il y a une différence רִיב   Riv c’est la querelle physique et מְרִיבָה Mérivah c’est la querelle spirituelle, idéologique. Entendez-le en hébreu Riv-Mérivah c’est la même racine. Mérivah c’est spirituel et c’est plus que la מַחֲלוֹקֶת Ma’hloquet, la discorde, מְרִיבָה mérivah c’est sans solution humaine il faut donc séparation.

Qu'il n'y ait pas de querelles entre moi et toi, et entre mes bergers et les tiens; car nous sommes des hommes frères.

13.9:  

הֲלֹא כָל-הָאָרֶץ לְפָנֶיךָ, הִפָּרֶד נָא מֵעָלָי:  אִם-הַשְּׂמֹאל וְאֵימִנָה, וְאִם-הַיָּמִין וְאַשְׂמְאִילָה

N’est-ce pas que toute la terre est devant toi, sépare-toi de moi, si tu vas à gauche j’irai à droite, si tu vas à droite, j’irai à gauche.

13.10:   

וַיִּשָּׂא-לוֹט אֶת-עֵינָיו, וַיַּרְא אֶת-כָּל-כִּכַּר הַיַּרְדֵּן, כִּי כֻלָּהּ, מַשְׁקֶה--לִפְנֵי שַׁחֵת יְהוָה, אֶת-סְדֹם וְאֶת-עֲמֹרָה, כְּגַן-יְהוָה כְּאֶרֶץ מִצְרַיִם, בֹּאֲכָה צֹעַר. 

Et Loth leva les yeux et vit toute la plaine du Jourdain, car elle était tout entière arrosée, avant que l'Éternel eût détruit Sodome et Gomorrhe; comme un jardin de Dieu, comme le pays d'Égypte, en direction de Çoar.

Tso’ar est une ville qui va jouer un très grand rôle dans l’histoire de la vie de Loth, elle est entre l’Égypte et Sodome et Gomorrhe.

13.11:

 וַיִּבְחַר-לוֹ לוֹט, אֵת כָּל-כִּכַּר הַיַּרְדֵּן, וַיִּסַּע לוֹט, מִקֶּדֶם; וַיִּפָּרְדוּ, אִישׁ מֵעַל אָחִיו

 Et Loth choisit pour lui toute la plaine du Jourdain, et Lot décampa-voyagea vers l’orient ; et ils se séparèrent chacun de dessus son frère.

Loth a choisi Sodome et Gomorrhe et Abraham a choisi Jérusalem. Et si Loth avait choisi Jérusalem ? Puisque ici il lui donne le choix !

Déjà dans l’expression « Si tu vas à gauche j’irai à droite, si tu vas à droite, j’irai à gauche » il y a déjà un pléonasme. Rashi nous donne l’explication suivante qui va nous dévoiler qui est Abraham. On pourrait croire à une séparation définitive et irréversible. Pas du tout ! Rashi nous dit en citant le Midrash qu’Abraham lui dit : Rassure-toi  Je ne serais jamais loin de toi et si tu as besoin de moi, je serais là pour te protéger. Effectivement par la suite on voit que dès que Loth sera fait prisonnier dans la guerre des rois, Abraham, l’homme de la paix, décidera de faire la guerre ! 

Rashi nous dit ceci : Si tu vas à droite je serais à la gauche de ta droite, si tu vas à gauche je serais à la droite de ta gauche. Cela veut dire que je ne serais jamais loin de toi, je te protège. C’est la grande différence de la séparation entre Caïn et Abel : Caïn tue Abel, c’est définitif et irrémédiable, c’est la haine. Abraham dit à Loth : on se ressemble trop pour être vraiment la même chose, alors séparons-nous. Mais rassure-toi, je t’aime bien, alors je suis là si tu as besoin de moi…

Effectivement, il aura besoin de lui ; Abraham l’homme de la vertu de charité est capable d’être l’homme de la vertu de la rigueur absolue lorsqu’il le faut.

Mais quelle est la raison profonde de cette séparation ?

Voilà comment le Midrash l’explique : c’était une querelle de bergers.

De quoi peuvent se quereller les bergers ?

Le Midrash va directement à un exemple : pourquoi Moïse a-t-il été choisi grâce à qui la Torah sera révélée ?

Sur un verset qui se trouve dans l’histoire de Moïse alors qu’il était berger chez Jéthro dans le désert du Sinaï. (C’est la préface au moment de la révélation du buisson-ardent) : Pourquoi Dieu a-t-Il choisi Moïse ? C’est parce qu’il était un bon berger ! Et comment le texte l’indique-t-il ? Il faisait paître ses troupeaux dans des pâturages qui n’appartenaient pas à des propriétaires étrangers.

Il avait contourné les pâturages privés pour ne pas risquer d’y faire paître ses troupeaux sur un pâturage qui ne lui appartenait pas. C’est la même chose ici nous dit le Midrash. Les bergers d’Abraham querellaient les bergers de Loth parce qu’ils faisaient paître leurs troupeaux sur des pâturages qui ne leur appartenaient pas encore, puisque dit le verset [13.17]: 

וְהַכְּנַעֲנִי, וְהַפְּרִזִּי, אָז, יֹשֵׁב בָּאָרֶץ

« Le Cananéen et le Périzéen étaient encore sur le pays ».

Ils tenaient compte du fait que les pâturages n’appartenaient pas encore à la descendance d’Abraham. L’argumentation des bergers de Loth étaient de dire : cette terre a été promise à Abraham. Or, ce qui appartient à Abraham appartient à Loth. Et par conséquent, cela nous appartient ! Les bergers d’Abraham s’y opposent en disant que la Torah l’interdit. C’est un thème extrêmement important à découvrir. Capacité analogue d’être frère, l’un dans la moralité et l’autre en évacuant la moralité. Loth va s’installer dans la fonction d’Abraham à Sodome et Gomorrhe. Là-bas il est chez lui. Et il joue le rôle d’Abraham. Cf. Tout le chapitre racontant la destruction de Sodome et Gomorrhe et qui dévoile quelle y était la position de Loth. Et lorsque les habitants de Sodome et Gomorrhe ont querellé Loth faisant trop de moralité, il y a un verset extraordinaire :

19:9

הָאֶחָד בָּא-לָגוּר וַיִּשְׁפֹּט שָׁפוֹט

 « Un homme qui vient s’installer et qui juge la justice »

Loth est grand rabbin de Pompéi. La fonction de Loth y est comme celle d’Abraham à Pompéi !

Dans la littérature française il y a cette espèce d’allusion à ce qu’on appelait les abbayes de cour. 

C’est un peu cela Loth. La vocation Abraham mais pas à Jérusalem, à Pompéi !

Alors finalement, il y a la problématique du Midrash qui est importante à comprendre : est-ce que Loth est un héros capable d’être Abraham à Pompéi alors qu’Abraham n’est capable de l’être qu’à Jérusalem ? Peut-être est-il un héros de la vertu ! Peut-être au contraire que c’est parce que c’est Sodome et Gomorrhe qu’il aime et non pas Jérusalem !

Voyez toutes les implications de cela, nous vivons encore aujourd’hui ces choses-là.

Le Midrash de la Kabalah met cela en évidence : les gens de Sodome et Gomorrhe au fond c’est de Dieu qu’ils parlent avec Loth représentant du Dieu des Hébreux à Sodome et Gomorrhe. Et ils formulent là toute leur philosophie de la relation à Dieu. À cause du mot אֶחָד   E’had dans le verset.

הָאֶחָד בָּא-לָגוּר וַיִּשְׁפֹּט שָׁפוֹט

L’être-Un est venu séjourner chez nous les hommes et en plus il fait la loi !

Vous voyez toute la philosophie qu’il y a derrière. On reconnaît la souveraineté transcendante de Dieu dans le ciel mais en plus Il veut venir faire la loi en bas !

C’est toute une philosophie. C’est dans cette civilisation-là que Loth s’installe, avec la part de son mérite : ce courage de dire qu’il y a une mission d’être Abraham dans la civilisation impure. Abraham dans la ville sainte c’est facile. Mais Abraham à Brooklin c’est plus difficile.

Je crois que là est effectivement le critère de séparation entre Loth et Abraham. C’est la même identité à l’origine mais qui à travers Loth va devenir cette caricature de la capacité de la fraternité des bergers dans l’immoralité. Alors qu’Abraham choisit la voie toute droite, donnant à Loth rendez-vous à la fin des temps, au bout de la route. On retrouvera Loth du moins ça descendance dans Ruth dont le petit-fils deviendra le grand roi d’Israël, David et donc faisant de Ruth l’ancêtre de Jésus-Christ, le chemin de Loth ne peut être bien droit chez les Goyim, mais Dieu avait bien un plan. Effectivement la sainteté de Ruth revient, jusque-là où elle est encore cachée. « Les voies du Seigneur sont parfois impénétrables quand il est trop tôt pour les comprendre ».

Abraham c’est l’Église avec ses Apôtres à Jérusalem, Loth c’est l’Église parmi les nations, Loth c’est l’Apôtre Paul « image de Pierre » avec qui la cohabitation s’avéra difficile, alors il valait mieux se séparer… Je laisse au lecteur le soin des comparaisons et écrire la suite en continuant l’étude tout en comparant Abrham et Loth.

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