L’énigme de Jéroboam II et la session d’Israël et de Juda

 

(D’après un cours de Tomas Römer)

Les rédacteurs deutéronomistes du livre des Rois sont quasiment muets sur ce qu’il fut du règne de Jéroboam II. Cela peut s'expliquer par le fait qu'ils ont transféré la fondation des sanctuaires de Dan et de Béthel à l'époque de Jéroboam I. La tradition de l'exode ainsi que le récit de Jacob dans le royaume du Nord ont été « officialisée » sous Jéroboam II.

Jéroboam II dans une perspective deutéronomiste

Que l'on adhère ou non à la théorie de l'existence d'une « Histoire deutéronomiste », il ne fait aucun doute que l'histoire des monarchies israélites et judaïques est écrite dans une perspective judaïte ou méridionale, promouvant l'idéologie fondée sur la centralisation des cultes ( avec Jérusalem comme lieu d'élection) et monolâtrie (Yahvé est le seul dieu à adorer). Par conséquent, les rédacteurs judaïstes des livres des Rois ont compris le Royaume du Nord comme « déviant » dès le début.

La description deutéronomiste du règne de Jéroboam II est étonnamment courte, malgré le fait qu'il a régné pendant une quarantaine d'années :

2 Rois 14: 23–29: La quinzième année du roi Amatsia, fils de Joas de Juda, le roi Jéroboam, fils de Joas d'Israël, commença à régner à Samarie; il régna quarante et un ans. Il a fait ce qui est mal aux yeux de Yahvé; il ne s'est pas détourné de tous les péchés de Jéroboam, fils de Nebat, qu'il a fait commettre à Israël. Il rétablit la frontière d'Israël depuis Lebo-hamath jusqu'à la mer de l'Arabah, selon la parole de Yahvé, le Dieu d'Israël, qu'il avait prononcée par son serviteur Jonas, fils d'Amittai, le prophète, qui était de Gath-hepher. Car Yahvé vit que la détresse d'Israël était très amère; il n'y avait plus personne, esclave ou libre, et personne pour aider Israël. Mais Yahvé n'avait pas dit qu'il effacerait le nom d'Israël de dessous les cieux, alors il les sauva par la main de Jéroboam, fils de Joas. Maintenant, le reste des actes de Jéroboam, et tout ce qu'il a fait, et sa force, comment il a combattu, et comment il a récupéré pour Israël Damas-cus et Hamath, qui avaient appartenu à Juda, ne sont-ils pas écrits dans le Livre des Annales des Rois d'Israël ? Jéroboam s'endormit avec ses ancêtres, les rois d'Israël; son fils Zacharie lui succéda.

Ici, dans ces sept versets, un ou plusieurs scribes résument quarante et un ans sur le trône – le plus long règne d'un monarque dans le royaume du Nord. Le règne de Jéroboam est présenté de manière concise et ne donne pas beaucoup d'informations sur les réalisations politiques et militaires du roi.

La note commence par la déclaration que Jéroboam a fait ce qui est mal aux yeux de Yahvé et a suivi les traces de Jéroboam son homonyme. Mais la nature de ce « mal » n'est pas expliquée. Si nous suivons le récit biblique, il continua les péchés du « premier Jéroboam », qui étaient les activités cultuelles à Dan et à Béthel (voir ci-dessous). En revanche, on peut observer une certaine gêne, notamment dans les versets 26-27, qui sont souvent considérés comme l'œuvre d'un rédacteur postérieur (post-deutéronomiste). Dans ce passage, le long règne de Jéroboam est justifié par l'idée qu'il était un outil de Yahvé, par qui il a sauvé Israël de ses ennemis. Le verset 27 contredit apparemment les annonces prophétiques selon lesquelles Yahvé détruirait le Nord. Il pourrait également s'agir d'une allusion critique aux prophéties d'Amos, qui annonçait la fin de Jéroboam et de sa maison, bien que le verset ne contienne pas de citations directes du livre d'Amos. L'expression  וְאֶמְחֶה אֶת-שְׁמָם, מִתַּחַת הַשָּׁמָיִם « et j'effacerai leur nom de dessous les cieux, » qui est utilisée au v. 27, n'apparaît ailleurs dans la Bible Hébraïque qu'en Dt 9:14 et 29:19. Ce dernier passage apparaît dans un contexte de malédictions, de sorte que 2 R 14,17 peuvent également faire allusion à ces textes, affirmant que ces malédictions ne se sont pas (encore) réalisées au temps de Jéroboam.

Étonnamment, Jéroboam II est crédité d'une restauration territoriale qui rappelle les frontières de la « Monarchie unie » sous David et Salomon (pour לְּבוֹא חֲמָת levov hamat, cf. 1 R 8, 65). Cela signifie-t-il que Jéroboam est ici présenté comme « accomplissant les gloires de David et de Salomon ? »  Cependant, l'idée que  לְּבוֹא חֲמָת Lebo-hamath est la frontière nord d'Israël apparaît surtout dans les textes tardifs de la période perse, tels que Nb 13:21 ; 34:8 ; Jos 13:5; Ézéchiel 47:20, 48:1 ; 1Chr 13:5 ; et 2 Chr 7:8. Pour cette raison, Fritz et d'autres ont considéré le v. 25 comme étant également un ajout ultérieur, car il anticipe la note du v. 28, qui semble être une tradition plus ancienne selon laquelle Jéroboam a réalisé une extension des frontières israélites dans le Nord, contrôlant les territoires araméens. Selon Israel Finkelstein, ces informations ne peuvent être considérées comme historiques. Il semble clair, cependant, qu'Israël a gagné des territoires dans le nord. Amos 6:13 présuppose que Karnaim était devenu Israélite dans la première moitié du VIII siècle, et la domination d'Israël sur la vallée du Haut Jourdain est illustrée par 2 Rois 15:29, qui décrit la campagne de Tiglath-Pileser dans cette région ( 732 avant notre ère). L'archéologie a montré que dans la première moitié du VIII siècle avant notre ère, Israël a repris Dan et repris Hatsor à Aram, de sorte que, sous Jéroboam II, Israël a atteint son extension territoriale maximale.

En résumant jusqu'ici, les éditeurs deutéronomistes de 2 Rois 14:23-24. 28-29 (versets 25 à 27 sont des ajouts ultérieurs) sont étonnamment courts à propos de Jéroboam II. Ils ne mentionnent que son action et sa force et se réfèrent aux annales des rois d'Israël. Ce commentaire extrêmement court sur le roi israélite avec le règne le plus long pourrait s'expliquer par le fait que les Deutéronomistes ont transféré les événements qui se sont produits sous Jéroboam II à Jéroboam I.

Si Jéroboam II était le roi qui a stabilisé et étendu le royaume d'Israël, on peut soupçonner que lui ou ses conseillers ont également entrepris des actions sur le plan idéologique ou cultuel. En effet, il est tout à fait plausible d'accréditer Jéroboam II avec la tentative « d'officialiser » l'exode et les traditions de Jacob. L'origine septentrionale de l'histoire de Jacob est évidente, et elle est très plausible pour la tradition de l'exode. Quant à ce dernier, les Deutéronomistes ont attribué Cogan et Tadmor, II Rois, 16,2. Comme l'a suggéré I. Finkelstein, il se pourrait bien que la « réalité » du Royaume-Uni reflète la situation géopolitique sous Jéroboam II qui était transféré plus tard au temps de David et de Salomon. l'adoration de Yahvé en tant que dieu qui a fait sortir Israël d'Égypte à Jéroboam Ier, le « fondateur » du royaume du Nord. Il est difficile d'imaginer pourquoi ils auraient inventé un emplacement nordique pour la tradition de l'exode, si ce n'était pas le cas.

L'origine nordique de la tradition de l'exode

Selon 1 Rois 12, Jéroboam I a construit des sanctuaires à Béthel et Dan, où il place des statues de taureaux :

Alors le roi prit conseil et fit deux veaux d'or. Il dit au peuple : « Vous êtes montés à Jérusalem depuis assez longtemps. Voici vos dieux, ô Israël, qui vous ont fait monter du pays d'Égypte. Il en plaça un à Béthel, et il y plaça l'autre.

La forme plurielle est intrigante et apparaît également dans l'histoire du veau d'or dans Exode 32:4, qui présuppose 1 Rois 12:28 et transfère le « péché originel » d'Israël dans le désert. Même si le texte parle de deux sanctuaires, force est de constater que les taureaux ou veaux ne représentent pas des divinités différentes, mais font référence à Yahvé, le dieu national. On pourrait imaginer que le pluriel fait allusion à Yahvé dans ses différentes manifestations : le Yahvé de Béthel et le Yahvé de Dan. L'auteur du récit critiquerait donc un « poly-yahvisme » au Nord. Mais cela n'aurait de sens que dans 1 Rois 12, pas dans Exode 32, qui ne parle que d'une seule statue bovine. Par conséquent, la meilleure solution est de comprendre le pluriel comme polémique, une transformation scribale d'une exclamation cultuelle originale au singulier. La comparaison de 1 Rois 12:28 avec l'ouverture du Décalogue montre que les exclamations sont très similaires. Il aurait été facile pour un rédacteur de modifier la forme verbale de la racine הלי dans 1 Rois 12:28 du singulier au pluriel. Ce rédacteur judéen de 1 Rois 12 voulait apparemment convaincre son auditoire que le culte du Nord à Béthel et Dan (et ailleurs) n'était pas seulement « idolâtre », mais aussi « polythéiste ». Cette modification s'est probablement produite avant que 1 Rois 12 ait été repris par l'auteur d'Exode 32.

Le sanctuaire de Dan

La mention de Dan dans 1 Rois 12 (verset 29) est étonnante. Selon Eran Arie, Israel Finkelstein et d'autres, Dan n'est devenu une partie d'Israël qu'au 8ème siècle. Suite à leur reconstruction, Dan a été détruit à la fin de la fin du Fer I. Apparemment inoccupé pendant la majeure partie du Fer IIA, il a été reconstruit par Hazael et plus tard conquis par Israël pour la première fois vers 800 avant notre ère, ou un peu plus tard. Dans ce cas, 1 Rois 12 dans sa forme actuelle ne peut pas être placé sous Jéroboam I. C'est une fiction polémique qui transfère un événement de l'époque de Jéroboam II aux premiers jours du royaume du Nord. Comme le dit Angelika Berlejung, 1 Rois 12 ne contient pas « d’informations historiques fiables sur l'époque de Jéroboam I, mais reflète des faits historiques... de l'époque de Jéroboam II ». Pour ces raisons, l'histoire de 1 Rois 12 doit être considérée comme un transfert d'événements qui se sont produits à l'époque de Jéroboam II dans les débuts du royaume du Nord. L'établissement de Dan et de Béthel en tant que « sanctuaires frontaliers » s'intégrerait en effet bien à l'époque de Jéroboam II. En ce qui concerne Béthel, on peut rappeler la confrontation entre Amos et Amatsia dans Amos 7:10-17. Le prêtre Amatsia chasse Amos - qui annonce la mort de Jéroboam au combat et l'exil d'Israël de Béthel, en qualifiant le lieu de "sanctuaire du roi, et temple du royaume. Cela sonne comme si Béthel avait récemment acquis un statut nouveau et important. La montée de Béthel en tant que sanctuaire d'État peut être discernée à travers des recherches archéologiques. Israel Finkelstein et Lily Singer-Avitz ont soutenu qu'au premier millénaire avant notre ère, Béthel n'avait une colonie substantielle que du 8e au début du 7e siècle et a décliné pendant les périodes babylonienne et perse. Cela signifie que lorsque 1 Rois 12 mentionne Béthel comme centre religieux du Nord dans les premiers jours du royaume, la déclaration est chronologiquement problématique, tout comme la mention de Dan. L'importance de Béthel ne correspond ni au Xe siècle avant notre ère, ni les périodes babyloniennes et persanes. « 1 Rois 12 re-projette la florissante Béthel de Jéroboam II aux temps de Jéroboam I. »

La tradition de l'exode vers le Nord selon Osée 12

L'époque de Jéroboam II se reflète probablement aussi dans le texte d'Osée 12. Ce chapitre peut faire écho, sinon à la voix du prophète lui-même, du moins à la situation dans le Nord durant la seconde moitié du VIII e siècle. Mais comme nous le verrons, des dates beaucoup plus tardives ont été suggérées. L'auteur de ce texte semble au courant de nombreux épisodes du récit de Jacob et oppose les actes de Jacob à l'acte de Yahvé.

Alors que Jacob est lié à une divinité qui s'appelle "Elohim" ou "El", Yahvé se présente comme le dieu du pays d'Egypte (12:10), une déclaration qui rappelle 1 Rois 12 et l'ouverture du Décalogue. Yahvé lui-même est décrit comme une divinité liée à l'Égypte.

Dans Os 12:13-14, la fuite de Jacob vers Aram et son « esclavage » à cause d'une femme sont mis en contraste avec le ou les prophètes de Yahvé qui conduisent Israël hors d'Egypte et qui la gardent. On suppose généralement que le prophète mentionné au v. 14 est Moïse, mais il est intéressant de noter qu'il n'est pas nommé. Pourquoi en est-il ainsi ? Le fait que le prophète reste anonyme est probablement lié au groupe prophétique derrière Osée 12, un groupe qui recherche la légitimité en affirmant qu'il y avait déjà une médiation prophétique au moment de l'exode. L'idée est apparemment de présenter les prophètes comme les médiateurs de la volonté de Yahvé, ce qui bien sûr légitimerait également l'auteur prophétique de ce texte.

On peut provisoirement supposer que la tradition de l'exode vers le Nord qui a été « officiellement établie » sous Jéroboam II ne contenait pas encore la figure de Moïse. Peut- être que Moïse n'est devenu le héros du récit de l'exode que lorsque cette tradition a été adoptée par le Sud après 722 av. J.-C., où le récit de l'exode a finalement été écrit et combiné avec la tradition de Moïse. En effet, une possible origine judaïque de Moïse est indiquée par la notice de 2 Rois 18:3. Ce verset mentionne un serpent de bronze dans le temple de Jérusalem, fabriqué par Moïse et détruit par le roi Ézéchias. Le passage n'est certainement pas une invention tardive, puisqu'il contredit l'image deutéronomiste de Moïse, présenté comme un iconoclaste (Exode 32). L'histoire de Numb 21:4-9, qui explique l'origine d'un serpent de bronze avec des fonctions de guérison, a été écrite beaucoup plus tard par des auteurs qui voulaient expliquer que cette statue était associée à Moïse dans le premier Temple.

Jéroboam II et l'établissement de la tradition de Jacob comme histoire de l'ancêtre d'Israël

Revenons brièvement à Osée 12 et son résumé de la tradition de Jacob. Comme on le constate souvent, cette présentation contient des allusions claires à des épisodes majeurs du cycle de Jacob dans le livre de la Genèse : sa naissance et sa lutte avec son frère, et allusion à son nom (Gn 25, 24-26 ; cf. Os 12 : 4).

Gn 25, 24-26) : 24 Quand furent accomplis les temps où elle devait enfanter, des jumeaux se trouvaient en son sein. 25 Le premier qui sortit était roux, tout velu comme une fourrure de bête : on l'appela Esaü. 26 Son frère sortit ensuite, la main agrippée au talon d'Esaü : on l'appela Jacob. Isaac avait soixante ans à leur naissance.

(Os 12 :4) : Dans le sein maternel, il a supplanté son frère et, arrivé à l'âge mûr, il lutta avec Dieu.

Son combat avec Dieu (El) ou son ange, et l'étymologie du nom « Israël » (32, 23-29 ; cf. Os 12, 5).

Gn 32, 23-29) : Cette même nuit, il se leva, prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants, et il passa le gué du Yabboq. 24 Il les prit et leur fit passer le torrent, puis il fit passer ce qui lui appartenait, 25 et Jacob resta seul. Un homme se roula avec lui dans la poussière jusqu'au lever de l'aurore. 26 Il vit qu'il ne pouvait l'emporter sur lui, il heurta Jacob à la courbe du fémur qui se déboîta alors qu'il roulait avec lui dans la poussière. 27 Il lui dit : « Laisse-moi car l'aurore s'est levée. » — « Je ne te laisserai pas, répondit-il, que tu ne m'aies béni. » 28 Il lui dit : « Quel est ton nom ? » — « Jacob », répondit-il. 29 Il reprit : « On ne t'appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et tu l'as emporté. »

(Os 12, 5) : Il lutta avec un ange et l'emporta, il pleura et le supplia. A Béthel il le trouva et c'est là que Dieu a parlé avec nous.

La rencontre de Béthel (28, 10-22* ; cf. Os 12, 5) :

(Gn 28, 10-22) : Jacob sortit de Béer-Shéva et partit pour Harrân. 11 Il fut surpris par le coucher du soleil en un lieu où il passa la nuit. Il prit une des pierres de l'endroit, en fit son chevet et coucha en ce lieu. 12 Il eut un songe : voici qu'était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel ; des anges de Dieu y montaient et y descendaient. 13 Voici que le SEIGNEUR se tenait près de lui et dit : « Je suis le SEIGNEUR, Dieu d'Abraham ton père et Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu couches, je la donnerai à toi et à ta descendance. 14 Ta descendance sera pareille à la poussière de la terre. Tu te répandras à l'ouest, à l'est, au nord et au sud ; en toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre. 15 Vois ! Je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras et je te ferai revenir vers cette terre car je ne t'abandonnerai pas jusqu'à ce que j'aie accompli tout ce que je t'ai dit. » 16 Jacob se réveilla de son sommeil et s'écria : « Vraiment, c'est le SEIGNEUR qui est ici et je ne le savais pas ! » 17 Il eut peur et s'écria : « Que ce lieu est redoutable ! Il n'est autre que la maison de Dieu, c'est la porte du ciel. » 18 Jacob se leva de bon matin, il prit la pierre dont il avait fait son chevet, l'érigea en stèle et versa de l'huile au sommet. 19 Il appela ce lieu Béthel — c'est-à-dire Maison de Dieu — mais auparavant le nom de la ville était Louz. 20 Puis Jacob fit ce voeu : « Si Dieu est avec moi et me garde dans le voyage que je poursuis, s'il me donne du pain à manger et des habits à revêtir, 21 si je reviens sain et sauf à la maison de mon père — le SEIGNEUR deviendra mon Dieu — 22 cette pierre que j'ai érigée en stèle sera une maison de Dieu et, de tout ce que tu me donneras, je te compterai la dîme. »

Le thème de l'enrichissement (30, 25-42* ; cf. Os 12, 9).

(Gn 30, 25-42) : Dès que Rachel eut enfanté Joseph, Jacob dit à Laban : « Laisse-moi partir pour aller chez moi, en mon pays. 26 Donne-moi mes enfants et mes femmes, celles pour lesquelles je t'ai servi, et je m'en irai. Tu sais bien quel travail j'ai fait à ton service. » 27 Laban lui dit : « Si j'ai donc trouvé grâce à tes yeux... J'ai appris par divination que le SEIGNEUR m'a béni à cause de toi. » 28 Laban reprit : « Fixe-moi ton salaire et je te le donnerai. » 29 Il lui répondit : « Tu sais toi-même comme je t'ai servi et ce qu'est devenu ton cheptel avec moi. 30 Ton bien n'était que peu de chose avant moi, il s'est étonnamment accru sous ma direction et le SEIGNEUR t'en a béni. Et maintenant, quand travaillerai-je, moi aussi, pour ma maison ? » 31 Laban dit : « Que te donnerai-je ? » — « Tu ne me donneras rien, répondit Jacob. Si tu m'accordes ce que je vais dire, je reviendrai paître et garder tes moutons. 32 Je passerai aujourd'hui à travers tout le petit bétail et j'en retirerai tout agneau moucheté ou tacheté — toute brebis féconde parmi les moutons — toute chèvre tachetée ou mouchetée, et ce sera mon salaire. 33 Demain, lorsque tu viendras vérifier mon salaire, tout ce qui ne sera pas moucheté ou tacheté parmi les chèvres et — fécond — parmi les moutons me convaincra d'injustice ; ce sera chez moi du vol. » 34 Laban dit : « C'est bien, qu'il en soit comme tu l'as dit. » 35 Ce même jour, Laban retira les boucs rayés et mouchetés, toutes les chèvres tachetées et mouchetées ; tout ce que Laban eut saisi — et les bêtes fécondes parmi les moutons — il le confia à ses fils 36 et il mit trois jours de marche entre lui et Jacob. Jacob faisait paître le reste du troupeau de Laban. 37 Il se procura de fraîches baguettes de peuplier, d'amandier et de platane. Il y fit des raies blanches en mettant à nu la couche d'aubier des baguettes. 38 Il exposa les baguettes rayées en face des bêtes dans les auges des abreuvoirs où les brebis venaient boire ; elles entraient en chaleur quand elles venaient boire. 39 Les bêtes s'accouplaient devant les baguettes ; les femelles mettaient bas des petits rayés, mouchetés ou tachetés. 40 Quant aux moutons que Jacob mit de côté, il les orienta vers ce qui était rayé — tout ce qui était fécond dans le troupeau de Laban — et il se constitua des troupeaux séparés qu'il ne mit pas au compte des bêtes de Laban. 41 Chaque fois que les bêtes robustes du troupeau s'accouplaient, Jacob mettait les baguettes sous leurs yeux, dans les auges, pour qu'elles s'accouplent devant les baguettes ; 42 il ne les mettait pas quand il s'agissait de bêtes chétives. Les bêtes chétives étaient pour Laban et les robustes pour Jacob.

(Os 12, 9) : Et Ephraïm dit : « Je n'ai fait que m'enrichir, j'ai acquis une fortune ; dans tout mon travail, on ne me trouvera pas un motif de péché. »

La fuite de Jacob d'Aram (31:1-22* ; cf. Os 12:13).

(Gn 31, 1-22) : Il apprit que les fils de Laban disaient : « Jacob s'est emparé de tout ce qui appartenait à notre père, et c'est aux dépens de notre père qu'il s'est donné toute cette opulence. » 2 Jacob observa le visage de Laban et vit que leurs relations n'étaient plus celles des jours précédents. 3 Le SEIGNEUR dit à Jacob : « Retourne au pays de tes pères et de ta famille : je serai avec toi. » 4 Jacob fit appeler Rachel et Léa aux champs où il était avec le bétail. 5 Il leur dit : « Je vois que le visage de votre père n'est plus envers moi comme précédemment ; mais le Dieu de mon père a été avec moi. 6 Vous savez, vous, que j'ai servi votre père de toutes mes forces. 7 Votre père s'est joué de moi, il a changé dix fois mes gages, mais Dieu ne l'a pas laissé me nuire. 8 Quand il déclarait : “Tu auras pour salaire les bêtes mouchetées”, tout le bétail produisait des mouchetées ; et quand il déclarait : “Tu auras pour salaire les rayées”, tout le bétail produisait des rayées. 9 Dieu a enlevé à votre père son troupeau et me l'a donné. 10 Or, au temps où les bêtes s'accouplent, je levai les yeux et je vis en songe les boucs rayés, mouchetés et bigarrés qui couvraient les bêtes. 11 L'ange de Dieu me dit en songe : “Jacob.” — “Me voici”, ai-je répondu. 12 Il reprit : “Lève les yeux et regarde tous ces boucs rayés, mouchetés et bigarrés qui couvrent les bêtes, car j'ai vu ce que Laban te fait. 13 Je suis le Dieu pour lequel, à Béthel, tu as oint une stèle et tu m'y as fait un voeu. Maintenant, lève-toi, quitte ce pays et retourne au pays de ta famille.” » 14 Rachel et Léa lui firent cette réponse : « Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? 15 Ne nous a-t-il pas considérées comme des étrangères, puisqu'il nous a vendues et qu'il a même mangé notre argent ? 16 Aussi toute la fortune que Dieu a enlevée à notre père est-elle à nous et à nos fils. Fais maintenant tout ce que Dieu t'a dit. » 17 Jacob se leva et emmena ses fils et ses femmes sur les chameaux. 18 Il emmena tout son cheptel — et tous les biens qu'il avait acquis, le cheptel étant l'acquisition qu'il avait faite en plaine d'Aram — pour revenir chez son père Isaac au pays de Canaan. 19 Laban était allé tondre son bétail quand Rachel déroba les idoles qui étaient à son père. 20 Jacob trompa la vigilance de Laban l'Araméen en se gardant de le prévenir de sa fuite. 21 Il s'enfuit avec ce qui lui appartenait, il se leva, il passa le Fleuve et se dirigea vers les monts de Galaad. 22 Le troisième jour on informa Laban que Jacob s'était enfui.

(Os 12,13) : Jacob s'enfuit aux plaines d'Aram et Israël servit pour une femme, et pour une femme il se fit gardien de troupeaux.

Une allusion à Galaad comme « tas de pierres » (Gn 31, 46-47 ; cf. Os 12, 12).

(Gn 31, 46 & 47) : Jacob dit à ses frères : « Ramassez des pierres », et ils prirent des pierres dont ils firent un tas. Ils mangèrent là sur ce tas. 47 Laban l'appela Yegar Sahadouta, et Jacob l'appela Galéed.

(Os 12, 12) : Si déjà Galaad est fausseté, ils sont devenus, eux, du néant ; au Guilgal ils ne cessent de sacrifier des taureaux, et même, leurs autels sont comme des tas de pierres sur les sillons des champs.

Le motif de la servitude à cause d'une femme (29,15-30* ; cf. Os 12,13).

(Gn 29, 15-30) : Laban dit à Jacob : « Me serviras-tu gratuitement parce que tu es mon frère ? Indique-moi quels seront tes gages. » 16 Or Laban avait deux filles, l'aînée s'appelait Léa et la cadette Rachel. 17 Léa avait le regard tendre et Rachel était belle à voir et à regarder. 18 Jacob aimait Rachel, il dit : « Je te servirai sept ans pour Rachel, ta fille cadette. » 19 Laban reprit : « Pour moi, il vaut mieux te la donner que la donner à un autre ; reste avec moi. » 20 Jacob servit sept ans pour Rachel, et ils lui parurent quelques jours tant il l'aimait. 21 Jacob dit alors à Laban : « Donne-moi ma femme. Mon temps est accompli et je veux aller vers elle. » 22 Laban rassembla tous les gens du lieu et fit un banquet. 23 Le soir venu, Laban prit sa fille Léa et l'amena à Jacob pour qu'il allât vers elle. 24 Laban donna à sa fille sa servante Zilpa qui devint la servante de sa fille Léa. 25 Et au matin... surprise, c'était Léa ! Et Jacob dit à Laban : « Que m'as-tu fait là ? Ne t'ai-je pas servi pour Rachel ? Pourquoi m'as-tu trompé ? » 26 Laban répondit : « Ce n'est pas la coutume chez nous de donner la cadette avant l'aînée. 27 Achève la semaine de noces de celle-ci et l'autre te sera aussi donnée pour le service que tu feras encore chez moi pendant sept autres années. » 28 C'est ce que fit Jacob. Il termina la semaine de noces de Léa, et Laban lui donna sa fille Rachel pour femme. 29 Laban donna pour servante à sa fille Rachel sa servante Bilha. 30 Jacob vint aussi vers Rachel et il aimait Rachel bien plus que Léa : il servit encore Laban pendant sept autres années.

(Os 12,13) : Jacob s'enfuit aux plaines d'Aram et Israël servit pour une femme, et pour une femme il se fit gardien de troupeaux.

Ces parallèles indiquent une relation entre Osée 12 et le récit de Jacob dans la Genèse.

Il est difficile d'imaginer que le récit de Jacob dans la Genèse aurait été construit sur la base d'Osée 12. Ce texte d'Osée présuppose la connaissance par le public d'une histoire de Jacob, et les nombreux parallèles littéraires peut indiquer que cette histoire était au moins partiellement proche de la structure narrative que nous connaissons du livre de la Genèse. Bien sûr, on pourrait aussi soutenir qu'Osée 12 est un texte très tardif, comme J. Wöhrle a, à la suite d'autres, l'a fait récemment. Cependant, ce genre de comparaison pose un problème méthodologique : est-ce qu'un terme très courant comme la racine dbr suffit à affirmer qu'Osée 12 présuppose P ? expliquer le nom du sanctuaire. On pourrait donc aussi dire que P connaissait Osée 12. Mais un tel parallel n'est évidemment pas suffisant pour revendiquer une dépendance littéraire. Fait intéressant, il y a aussi une allusion négative à la figure de Jacob dans le livre de Jérémie. Dans Jérémie 9, que la plupart des érudits considèrent comme appartenant à la plus ancienne collection d'oracles de Jérémie, Israël est accusé de mensonge et de trahison. Le verset 3 contient l'énoncé suivant :

אִישׁ מֵרֵעֵהוּ הִשָּׁמֵרוּ, וְעַל-כָּל-אָח אַל-תִּבְטָחוּ:  כִּי כָל-אָח עָקוֹב יַעְקֹב, וְכָל-רֵעַ רָכִיל יַהֲלֹךְ. 

Iš mere-ehu hišameru, veal kol ah al tivtahu ki hol ah akov jakov, vehol rea rahil jahaloh

Soyez en garde l'un contre l'autre! Ne mettez votre confiance dans aucun frère !

En effet, chaque frère supplante, et chaque voisin se promène comme un calomniateur. (Jer 9, 3)

Le nom de Jacob n'est pas mentionné, mais pour quelqu'un qui entend le texte en hébreu, il semble plausible que l'auteur de ce verset ait voulu faire allusion à Jacob. En effet l’on entend clairement en hébreu (יַעְקֹב jakov). D’autant plus que dans la Bible hébraïque la racine יַעְקֹב (Qal) se produit dans Gen 27:36; Os 12: 4; et Jer 9: 3. Cette évocation de Jacob est également négative. Puisque Jérémie est lié au territoire de Benjamin, il est possible que le prophète ou des commerçants ultérieurs aient été au courant de la critique d'Osée de Jacob et de la tradition de Jacob elle-même. On peut donc se demander s'il y a eu une résistance prophétique contre la tentative de Jéroboams II de transformer la figure de Jacob en l'ancêtre d'Israël. Cette tentative se reflète probablement dans Gn 32, 23-32. Le récit de la rencontre et de la lutte de Jacob avec un être divin a souvent déclenché des réactions théologiques et spirituelles. Or le but principal du récit est d'expliquer tout simplement comment « Jacob » est devenu « Israël » ou comment l'ancêtre des fils de Jacob est devenu l'ancêtre d'Israël.

Le récit a la structure suivante :

V. 23-24 : Nuit. Jabbok, 25-26 : Le combat de Jacob avec un « homme » 27 : Jacobs refuse de laisser partir « l'homme » et demande la bénédiction. 28-29 : Changement de nom : Jacob devient Israël. 30 : « L'homme » refuse de dire son nom et bénit Jacob. 31 : Jacob identifie l'homme comme « Dieu » (Penie-el, 'elohîm). V. 32 : Lever du soleil (matin). Penuel V. 33 : Tabou du repas. Cette structure montre que le récit mêle deux grands thèmes : la question du nom et le thème de la bénédiction de Jacob/Israël. Alors que dans Genèse 27, Jacob vole la bénédiction de son frère, dans Genèse 32, il la reçoit directement de Dieu. L'histoire se termine de la même manière que l'histoire du rêve à Béthel (Gen 28: 10-22), avec la note que Jacob donne un nom au lieu où l'événement s'est produit. Dans les deux cas, il s'agit d'un toponyme construit avec le nom divin El. L'histoire originale, qui contenait probablement les vv. 23, 25b, 26a et 27-32a, racontent comment Jacob avait besoin de changer de nom pour devenir l'ancêtre d'Israël. Il est donc possible que Gn 32, 23-32* ait été composé sous Jéroboam II pour faire de Jacob l'ancêtre d'Israël. L'édition officielle du récit de Jacob aurait probablement aussi contenu l'histoire de la fondation par Jacob de la fondation du sanctuaire de Béthel dans Gen 28:10-22 (le texte original peut être trouvé grosso modo dans les versets 11-13a et 16-19 32 ). Cette histoire a peut-être été écrite au temps de Jeroboam II afin de faire de Jacob le fondateur d'un El-sanctuaire, que le roi avait transformé en sanctuaire royal, et d'y faire place au culte de Yhwh.

Bien que la séparation entre Jacob et Laban dans Genèse 29-31 contient du récit plus ancien, selon notre hypothèse, il a également été révisé sous Jéroboam II. La plupart des érudits conviendraient que les quelques mentions de Haran dans

cette histoire (27:43 ; 28:10 et 29:4) sont des révisions ultérieures d'une époque où Harran devint un centre important à l'époque néo-assyrienne ou même plus tard.

L'histoire originale de l'âge du fer traiterait alors d'un Aram à la frontière d'Israël. Cette théorie est renforcée par l'observation qu'Osée 12 mentionne Aram mais pas Haran. Dans le 8e siècle avant notre ère, alors qu'Israël était en conflit avec Aram et sous Jéroboam II qui réussit à annexer certains territoires araméens, l'histoire du conflit entre l'Araméen Laban et l'Israélite Jacob prend tout son sens. Et même le conflit entre Jacob (Israël) et Esaü (Edom) et leur réconciliation peuvent être compris dans le contexte de l'époque de Jéroboam. Les graffitis de Kuntillet Ajrud, qui datent de la première moitié du VIIIe siècle  fournir la preuve que sur ce site, Yahvé était appelé le "Yahvé de Samarie" et le "Yahvé de Théman" (avec et sans article). D'une part, cela nous rappelle le "Yahvé de Dan" et le "Yahvé de Béthel" dans 1 Rois 12.

D'autre part, il indique qu'un relation entre Jacob et Ésaü/Édom (Téman, qui est souvent situé sur le territoire d'Édom) pourrait également avoir un sens dans le contexte du VIIIe siècle avant notre ère. De cette façon, l'histoire de Jacob du 8ème siècle serait une reconnaissance d'une vénération commune de Yahvé à Samarie et dans le Sud.

Cet aperçu fournit une bonne preuve de l'existence d'un pré-Récit sacerdotal de Jacob composé par de hauts fonctionnaires de Jéroboam II.

De Yahvé et Asheratah (extraits de Kuntillet 'Ajrud)

Kuntillet ajrud

Ces trois courtes inscriptions proviennent toutes de Kuntillet 'Ajrud, un site archéologique du Sinaï près de la frontière égypto-israélienne avec un riche trésor de dessins et d'écrits inscrits sur ses murs et ses poteries. Les dessins évocateurs ci-dessus (peut-être des représentations de Yahvé et d'Asherah) peuvent indiquer qu'il s'agissait d'un centre religieux.

Résumé et perspectives

Les rédacteurs deutéronomistes du livre des Rois sont presque muets sur le règne de Jéroboam II. Cela peut s'expliquer par le fait qu'ils ont transféré la fondation des sanctuaires de Dan et de Béthel à l'époque de Jéroboam Ier. Il existe plusieurs indices de l'existence d'une tradition d'exode et d'un récit de Jacob dans le royaume du Nord, rendus « officiels » sous Jéroboam II. La forme du récit original de l'exode est plus difficile à reconstituer. L'histoire de Jacob a été élaborée sous Jéroboam II, afin de créer un ancêtre éponyme pour Israël, transformant un ancêtre clanique en ancêtre étatique.

Bien sûr, la Bible hébraïque contient beaucoup plus de traditions nordiques, en particulier dans le livre des Juges, qui a certainement une origine nordique, et dans les traditions sur la montée de Saül. Fait intéressant, le livre des Nombres dès le chapitre 21 contient des traditions de conquête, qui sont liées à la Transjordanie et au Nord. Certaines d'entre elles semblent refléter des conquêtes par les Omrides, mais les histoires auraient bien pu être écrites sous Jéroboam II, afin de légitimer ses idées d'expansion territoriale. Même si la perspective judéenne dans laquelle la Bible hébraïque a finalement été compilée a tenté d'évincer ou de transformer la tradition nordique, et malgré la tentative deutéronomiste de minimiser le règne de Jéroboam II, cette tradition a résisté, nous permettant d'en savoir plus sur le « royaume censuré de le nord. »

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