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Luc et les Actes des apôtres

Luc

Luc écrit des choses — si l’on peut considérer Luc comme l’auteur des Actes cela ne me dérange pas — mais il écrit parce qu’il veut transmettre une histoire qui n’est pas une petite histoire au sens de la légende ou de conte pour endormir les enfants le soir ; mais qui est une série d’événements dont il essaie de voir la continuité et de la montrer. Là-dedans, Luc s’inscrit complètement dans ce qu’est l’historiographie antique. Il s’agit là d’une construction de Luc qui produit une image linéaire des origines, et de la communauté avec Jésus. En réalité, cette image a dominé l’histoire du christianisme pendant deux mil ans. Cela pour une raison très simple ! parce que l’œuvre de Luc est devenue canonique, et par conséquent le livre des Actes des apôtres a été considéré comme le récit véridique des premières décennies de l’histoire chrétienne. Luc est alors l’un des auteurs les plus importants pour l’histoire, et il faut à la fois l’admirer et s’en méfier parce qu’il a une formation de Grecs, de recteur et d’historien. Le livre des Actes des Apôtres est l’histoire idéalisée celle de l’Église vue selon lui-même. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une histoire selon un historien au sens de l’Antiquité, je ne parle pas au sens moderne du terme. Mais quand même, il y a un certain souci de recherches documentaires, d’une recherche intellectuelle, d’une mise en perspective et de subjectivité. Car la subjectivité n’était pas critiquée dans l’Antiquité. D’ailleurs, il nous est dit au début de l’évangile de Luc, et ce texte a une extrême importance pour toutes considérations historiques sur le christianisme : « puisque beaucoup on mit la main à la pâte pour rédiger un récit ». Luc n’écrit évidemment pas comme le recommande Tacite sans colère avec zèle donc il n’écrit pas sans y mettre son cœur. Aucun écrivain de l’Antiquité ni aucun écrivain moderne n’écrit sans présupposé. Luc écrit évidemment avec un point de vue chrétien manifeste. Il veut guider Théophile vers la foi chrétienne. Luc veut le convaincre. Il n’écrit pas avec la froide distance d’un historien moderne. On ne peut pas l’accuser de cela ce serait mal le comprendre. Luc s’il est l’auteur, à écrit une œuvre à Théophile en deux volets. À la fois l’évangile selon Luc et le livre des Actes, et à chaque fois l’auteur de l’évangile selon Luc et l’auteur des Actes s’adressent à  ce « très cher Théophile » qui semble être un personnage qu’il tient à cœur. Quand on parle de l’auteur à Théophile, on désigne un auteur qui est celui de l’évangile de Luc et des Actes sans risque de se tromper. Alors le Théophile auquel s’adresse l’auteur des Actes peut être soit un personnage historique, qui aurait répondu au nom de Théophile, qui était sans doute un personnage assez riche sur lequel l’auteur comptait pour diffuser son œuvre. Parce que l’on sait que dans l’Antiquité il était fréquent que l’on dédie une œuvre à un personnage relativement aisé pour qu’il se charge d’effectuer les copies qui se faisaient dans un scriptorium avec toute une équipe de scribes qui recopiaient une œuvre sous dictée en général, cela est une possibilité. Mais il est possible aussi que l’auteur des Actes se soit adressé à un personnage fictif, auquel il aurait donné le nom de Théophile dans la mesure où Théophile veut dire « celui qui aime Dieu ». Il est donc possible que l’auteur des Actes ait souhaité que tout lecteur s’identifie lui-même à Théophile en tant que lecteur lui-même, animé par l’amour de Dieu et désireux d’aller plus loin dans la connaissance qu’il en a.

On ne sait pas à quelle date précise fut rédigé le livre des Actes des Apôtres, puisqu’il n’apparaît qu’au milieu du deuxième siècle dans la littérature chrétienne. Nous connaissons les Actes des apôtres dans l’état où ils sont utilisés à partir de l’an 160. Il est très frappant de voir que les écoles de théologie qui existent à Rome entre 140 et 170 ne connaissent pas le livre. Donc il y a là quelque chose de curieux, car les Actes ont existé et ils n’ont pas été inventés en 160. Ils ont certainement existé sous une forme ou sous une autre avant. Qu’elle peut-être cette forme ? On trouve dans l’évangile de Luc des traces assez précises de la fin du temple de Jérusalem en 70 d’une part. D’autre part, il est évident que le livre des Actes a été écrit après l’évangile de Luc et non pas avant, compte tenu de nombreuses reprises de formulations de l’évangile dans le livre des Actes. Donc le livre des Actes ne pourrait pas avoir été écrit avant l’évangile, à moins qu’il ait été après-coup réécrit. Mais le livre des Actes ne porte pas des traces nettes d’un phénomène de réécriture comme on peut l’apercevoir dans le quatrième évangile. Donc je pense qu’il y a eu juste avant 70 la rédaction par Luc à partir d’un premier travail fait par Marc à Rome, et il y a eu la rédaction d’un livre à Antioche qui est devenu la base de l’évangile de Luc, mais qui ne réunit qu’un quart en gros de ce livre, et juste après 70, la rédaction d’un second livre toujours par Luc et ce récit visait à compléter son évangile par un récit simplement du ministère de Paul. On peut mettre en parallèle le récit du ministère de Jésus récit très particulier et pas du tout anecdotique, mais plutôt symbolique. Puis un récit du ministère de Paul utilisant un schéma qui n’était pas utilisé à ce moment-là dans le récit de l’évangile de Luc, d’où l’idée d’un couple de livres entre Luc 1 et Luc 2. Luc 1 qui serait un évangile et Luc 2 qui seraient les Actes.

Luc est le premier qui dans la rédaction des Actes affirme que l’identité chrétienne ne peut pas se comprendre en dehors de Jésus et Paul. C’est le premier à l’avoir affirmé, certes il s’agit là de la pensée de Luc. En ce sens là, Luc réalise en miniature le premier Nouveau Testament.

Maintenant, entre l’évangile de Luc et les Actes, a-t-on affaire au même auteur ? Certains ont posé la question et pour beaucoup il n’y a pas à avoir de doute ; mais il y a quand même des différences assez grandes et même de différences d’orientation. La plus notable concerne l’exigence morale. Dans l’évangile de Luc, être disciple c’est effrayant, c’est presque impensable, il s’agit de quitter sa mère son père et même son épouse, c’est le radicalisme total. En revanche dans les Actes, il n’y a rien de tel, le récit est plus édulcoré. On garde sa maison, son épouse, on accueille les gens, on s’occupe des pauvres, mais c’est de la piété ce n’est pas vraiment du radicalisme. Alors là il y a une tension, et l’on en retrouve d’autres, mais peut-être qu’elles ne sont pas suffisantes pour dire qu’il s’agit de deux auteurs différents. Il y a trop d’indices grammaticaux stylistiques qui montrent qu’il s’agit du même auteur.

Beaucoup de chercheurs sont convaincus que Luc a écrit la totalité des 28 chapitres du livre des Actes. On y retrouve les mêmes figures stylistiques et les mêmes caractéristiques théologiques. Il y a une telle unité dans le livre des Actes que personne ne doute aujourd’hui qu’il est bien de la même main de Luc. C’est une tradition qui court donc depuis les pères de l’Église et qui n’a jamais été remise en question. J’entends l’unité de l’auteur de l’évangile de Luc et celui des Actes n’a jamais vraiment été remis en doute tant le vocabulaire est homogène et les conceptions théologiques entre l’évangile et les Actes sont analogues. Mais on n’a aucun manuscrit qui ait conservé l’état d’origine, c’est-à-dire livre 1 évangile, livre 2 les Actes. Tous les manuscrits que nous avons à notre disposition datent d’après la constitution du canon. C’est-à-dire la mise en relation des quatre évangiles, donc on n’a pas de manuscrits qui fassent succéder l’évangile de Luc et les Actes. Alors naturellement quand on parle en exégèse du couple Luc, Actes, on n’a absolument aucun fondement documentaire, pour parler d’un tel couple. On l’associe, disons à un style qui apparaît dans les deux livres, mais il n’y a aucun témoignage documentaire permettant d’associer les deux livres dans leur état où ils nous sont parvenus comme on le fait d’habitude et à mon avis on le fait d’une manière non pertinente. Les évangiles ont été réunis éditées ensemble, « les Actes des apôtres » est un complément qui a été ajouté dans un deuxième temps aux évangiles et pas du tout pris dans un volume en deux moitiés ou « deux tomes » de Luc. Mais pour le chercheur ou l’exégète, les Actes des apôtres doivent être étudiés en parallèle de l’évangile de Luc puisqu’il s’agit du même auteur.

Si le rédacteur de l’évangile de Luc a au moins en partie écrit les Actes des apôtres, il devrait être possible d’en savoir plus sur cet auteur et de préciser son identité.

Certains pensent que personne ne peut nommer l’auteur des Actes. Dans la tradition on retrouve par exemple dans le fragment de Muratori ou canon de Muratori qui provient de l’église de Rome et que l’on date de 200 environ, et qui est la plus ancienne liste connue d’écrits considérés comme authentiques (« canoniques ») par les chrétiens, déjà fait remonter l’écriture de l’évangile et les Actes à Luc le médecin compagnon de Paul, en se basant là sur une mention des pastorales et une mention de Colossiens ch 4 v 14 que : « Luc, le médecin bien-aimé, vous salue, ainsi que Démas. »

Luc accompagne Paul seulement lors de son dernier voyage à Jérusalem. Probablement à partir de Philippe et il le suit encore de Jérusalem à Césarée. En revanche, nous ne savons pas où Luc passe les deux années suivantes. Ensuite, Luc va à Rome avec Paul celui-ci était déjà âgé et il avait besoin d’un médecin pour l’accompagner après tout ce qu’il avait enduré : bastonnades, flagellations, c’est bien compréhensible. D’ailleurs durant cette période Paul n’écrit pas d’épître. Mais cela ne veut pas dire que le personnage de ce Luc historique soit le véritable hauteur de l’évangile et des Actes. La tendance du deuxième siècle, c’est de chercher des prête-noms, alors pour cela on puise dans le Nouveau Testament et Luc était à disposition c’est un personnage qui est mentionné comme médecin dans quelques épîtres, et il a donc été promu auteur de cet évangile. Donc certains pensent qu’on ne peut s’appuyer malgré la tradition chrétienne sur un Luc médecin, et même ultérieurement il deviendra un peintre. À Boston dans un très beau tableau de Rogier van der Weyden on voit Luc où il n’est pas en train d’écrire, mais en train de peindre le portrait de la vierge parce qu’au fond on lui a attribué les talents de ζωγράφος zographos comme on dit en grec, de peintre parce qu’il raconte aussi bien les histoires.

Dans les Actes des apôtres, quatre passages sont écrits à la première personne du pluriel. Tout à coup, le narrateur dit « nous » comme si son témoignage était de première main, comme s’il avait été le compagnon des voyages de Paul.

Les chercheurs voient toujours les choses d’une façon ou d’une autre certains disent qu’il est évident que Luc ait connu Paul, en mettant l’accent sur les passages des Actes où l’auteur utilise la première personne du pluriel. « nous nous sommes embarqués pour », « nous sommes allés là. » C’est différent que de dire « ils sont allés là », « ils ont embarqué pour ». En commençant à lire, nous avons fait ceci, beaucoup de lecteurs se sont dit « ha Luc est présent il accompagne Paul à ce moment. » Ces lecteurs y voient la preuve que Luc était un compagnon de Paul. Je ne suis pas certain de partager ce point de vue, et cela reste envisageable, mais dans les Actes des apôtres Luc ne semble pas toujours comprendre la complexité de la théologie de Paul. On n’en retrouve pas le radicalisme ni le chemin des épîtres de Paul dans les derniers chapitres des Actes ; alors il est possible que les passages où il est utilisé la première personne du pluriel, soit simplement un changement de style, pour donner plus de volume et plus de vie au récit. Ou encore que l’auteur utilise alors une source différente à ce moment-là. Alors ces passages ne reflètent pas nécessairement le fait que Luc ait été lui-même présent.

Luc est compris comme un grand voyageur, il regarde la terre et la mer, ses descriptions montrent qu’il est un familier des itinéraires maritimes, qu’il aborde les voyages de Paul à partir de deux transports maritimes et il a voulu par là même au fond inscrire son œuvre à la suite de l’itinéraire et d’une participation aux voyages de Paul, donc on aurait là vraisemblablement la trace d’une reprise d’un élément ancien, mais le maintien du « nous » serait à comprendre comme un moyen littéraire qui accrédite au fond le récit qu’il écrit.

On trouve un verbe dans le prologue du chapitre 1 qui a un double sens littéral cela veut dire qu’il accompagne au sens figuré, cela veut dire qu’il suit attentivement et logiquement une recherche. À l’intérieur de la tradition des savants modernes les uns disent et bien l’auteur prétend avoir été le compagnon de ces événements παρακολουθεω « parakolouthéo » il a participé aux événements. Presque tous les exégètes critiques disent qu’il faut prendre le verbe au sens figuré parce qu’il apparaît comme dans beaucoup d’autres prologues de l’Antiquité et cela signifie qu’il a suivi l’affaire, et qu’il l’a bien examiné. Néanmoins, il pourrait néanmoins être un compagnon de Paul. Mais il y a des raisons déterminantes pour lui refuser un âge pareil, car sa connaissance de Paul et de la théologie paulinienne et des préoccupations principales de Paul empêche d’en faire un compagnon historique. Une objection a été soulevée contre par l’ancienne école de Tübingen à laquelle appartenaient Ch. Baur et D. F. Strauss deux exégètes de XIXe siècle. Elle consiste à reprocher à Luc de n’avoir pas compris le discours théologique de Paul ou l’avoir travesti. D’autres pensent que Luc s’est tout simplement éloigné de la doctrine de son maître après un séjour assez long en Palestine et à Jérusalem où il a reçu l’enseignement de la parole de Jésus. Car, qu’on le veuille ou non, l’enseignement de Jésus est très différent de la théologie de Paul et cela lui a peut-être ouvert les yeux. Car c’est juste après cela qu’il s’est éloigné de la stricte doctrine paulinienne. Des traces de la doctrine de Paul demeurent cependant dans l’évangile de Luc. Dans la parabole du fils prodigue, dans le discours de Pierre au concile des apôtres voir dans les discours de Paul à Milet. Mais si l’on considère comment les théologiens reconnus ont modifié radicalement parfois leurs analyses dans l’espace de vingt ou trente ans, alors vous conviendrez qu’à côté d’eux Luc était un enfant de chœur.

Quand Luc donne la parole à Paul, il lui fait parler de la justification par la foi qui est quand même au cœur des épîtres aux Galates et aux Romains donc on peut en retrouver des traces. Mais ce que l’on peut dire plutôt que cela reste une présentation anecdotique, de la pensée de Paul. Que ce soit sur la notion de la justice de Dieu, ou que ce soit sur la conception du Christ, ou que ce soit sur la fin des temps, Luc présente une version édulcorée de Paul et cela simplifie beaucoup la théologie de Paul. Cela peut-être voulut, car il y a un certain nombre d’auteurs à la fin du premier siècle qui veulent faire populaires et certainement que Paul est une des harmoniques qu’on entend derrière, que l’on entende retentir derrière les Actes des apôtres. Mais la théologie de Paul lui-même n’intéresse pas l’auteur des Actes et certainement pas tout le caractère paradoxal de sa théologie, et notamment sa « théologie de La Croix ». Luc a une théologie de l’incarnation. Jésus est le sauveur parce qu’il est venu dans le monde ensuite la résurrection joue un rôle fondamental, et je ne crois pas que Luc s’intéresse à rendre compte de la théologie paulinienne.

Maintenant, cela pose d’autres problèmes parce que la présentation que fait l’auteur à Théophile, ou que fait Luc de l’auteur des Actes de Paul est une présentation avec laquelle je crois que Paul n’aurait pas été forcément d’accord en tout point. En tout cas, le Paul qui est présenté dans les Actes est beaucoup plus prêt au compromis que celui qui se donne à connaître dans ses épîtres. D’autre part, l’on sait par les épîtres de Paul par exemple que Paul était extrêmement attaché au titre d’apôtre qui ne prend pas une telle importance dans les Actes. Il y a une série de décalages entre les données des Actes et celles des épîtres de Paul qui peuvent permettre de penser que la distance est plus grande que veut bien le donner à penser l’auteur des Actes entre lui et Paul. Quelqu’un ou un compagnon qui aurait vécu en contact permanent avec Paul ne ferait pas de Paul un défenseur de la Torah. Luc nous présente un autre personnage, car il veut absolument montrer la continuité. Pour lui, il n’y a que la continuité d’importante. Selon moi, l’auteur des Actes des apôtres n’a pas vécu avec Paul, ce n’est pas possible, qu’ayant vécu au contact permanent d’une personnalité comme celle de Paul, et nous apporter un tel portrait de Paul dans les Actes que l’on doit se dire non, cette personne ne connaît pas Paul.

Dans les Actes des apôtres, on est en présence d’une reconstruction complète de la figure de Paul qui doit apparaître comme celui qui est éternellement destiné à la prédication aux païens, celui qui est le bâtisseur des églises dans tout le monde méditerranéen. On trouve donc quelque chose de très outré je dirais par rapport à ce que Paul nous livre de lui-même. Il y a une mise en évidence excessivement forte par Luc, du personnage de Paul. C’est un personnage qui à partir du chapitre 15 éclipse tous les autres, et je dirais comme Luc est quasiment notre seul accès à cette période là de la première chrétienté, d’autres personnages peut-être marquants proposant une autre vision ou une autre théologie ont disparu dans l’oubli.

Au fond, ce n’est pas tellement une intronisation d’un Paul qui n’aurait été qu’un obscur missionnaire, parmi tant d’autres. C’est plutôt l’exclusivité du choix de Luc qui est à mettre en cause. Donc il ne crée pas artificiellement la grandeur de Paul, pour dire les choses ainsi, mais il l’isole pour le mettre en valeur.

Le statut historique du livre des Actes est pourtant très particulier. D’un côté, c’est un document unique, sur l’activité missionnaire de Paul. De l’autre, ses informations ne coïncident pas toujours avec le témoignage de l’apôtre lui-même.

Dans le Nouveau Testament, les propos des Actes ou des épîtres soulèvent une question : s’agit-il de documents d’archives ou d’un travail littéraire ? Il s’agit incontestablement que de littérature. Quand on exploite une œuvre littéraire dans une perspective historique, on ne sait jamais ce qui est vrai ou faux. Un exemple si l’on prend l’œuvre d’Alexandre Dumas « les trois mousquetaires », nous nous trouvons en présence incontestablement d’une œuvre littéraire sur fond historique. Mais l’auteur prend une grande liberté vis-à-vis de l’histoire et son œuvre de fait nous renseigne peut sur la véracité politique historique de la France au XVII siècle. On ne peut mener l’enquête qu’à partir de sources externes à la littérature. Sinon on tourne en rond. Le but de Luc dans les Actes des apôtres est tendancieux son but est de montrer que le christianisme ce développe rapidement unifié et que Paul c’est un bon juif, très observant de la Loi, tout cela est un arrangement c’est évident ! Mais nous n’avons rien d’autre. Imaginé que nous n’ayons que le livre des trois mousquetaires pour étudier l’histoire de la régence de Richelieu ! c’est la même chose avec le livre des Actes des apôtres il ne nous renseigne pas plus sur l’Église du premier siècle. L’histoire n’est jamais une restitution de faits bruts comme si l’on pouvait disposer de l’effet de brut. L’histoire est toujours une intrigue que l’on compose, résultant d’une sélection de faits et résultant d’une interprétation des épisodes. Donc l’historien pose une intrigue et construit l’histoire. Luc travaille comme tout historien, comme tout historien gréco-romain pas plus subjectif, pas plus sélectif, pas plus orienté que n’importe quel historien de l’Antiquité. Donc les déplacements sont tout à fait réels par rapport au message de Paul. Il faut en tenir compte, mais ne pas chercher pour se rassurer à les harmoniser. Ils tiennent compte de la recomposition à distance, mais ils doivent aussi nous conduire à éviter de considérer que l’image que Paul donne de son discours écrit, est l’image exhaustive qu’il a donnée de sa vie. Je veux dire par là que les traditions recueillis par Luc grand admirateur de Paul ce sont des traditions auxquelles nous, nous n’avons plus accès, et qui pourraient historiquement affirmé que le souvenir laissé par Paul est réductible à sa correspondance. L’auteur des Actes des apôtres a rapporté certains éléments d’information que nous ne posséderions pas si nous n’avions que les épîtres de Paul. Par exemple, Paul n’indique jamais dans ses épîtres qu’il aurait été citoyen Romain. Dans la deuxième épître aux Corinthiens, il raconte qu’il a été fouetté publiquement. Alors nous nous trouvons face à un dilemme, car c’est une punition impossible pour un citoyen Romain. Donc soit Paul n’était pas Romain, soit il avait des tendances masochistes. Paul ne mentionne jamais non plus qu’il était fabricant de tentes. Or dans l’Antiquité, dire qu’une personne venait de Tarse indiquait souvent qu’il avait un métier en relation avec le textile.

Alors, à propos de Paul, est-ce qu’il est citoyen de Tarse ? Cela est assez mis en doute parce qu’on en a pas d’autre attestation que venant de Luc. Pour ce qui est d’être citoyen Romain, alors d’un côté pourquoi pas, pourquoi ne serait-il pas citoyen romain, et de l’autre par exemple le châtiment quand il est battu de verges, c’est justement le châtiment que l’on n’applique pas à un citoyen romain. Donc pourquoi aurait-il subi un châtiment pareil puisque sa citoyenneté lui donne le privilège de ne pas subir les châtiments qui sont considérés comme infamants ? Un citoyen Romain était par exemple décapité, et non pas crucifié justement.

Luc désire présenter Paul comme citoyen Romain peut-être pour montrer la légitimité du christianisme à l’égard de l’Empire romain. D’un côté, Luc est soucieux de montrer la légitimité du christianisme par rapport au judaïsme présent pour laquelle Paul doit avoir étudié à Jérusalem doit être monté tout de suite à Jérusalem et tout de suite après sa vocation, il doit avoir choisi des collaborateurs que parmi les juifs, qui entre parenthèses disparaissent soudainement de l’horizon. D’un autre côté, il veut montrer en faisant de Paul un citoyen romain que Paul était une personne légitime vis-à-vis de l’Empire romain. On touche là au but des Actes. Il y a évidemment des positions extrêmement diverses pour nous dire quel a été exactement le but des Actes, et pourquoi le livre des Actes des apôtres s’arrête brutalement. Tout le monde est d’accord pour dire il s’arrête de manière assez brusque. Il faut réentendre au début du livre des Actes Jésus le ressuscité dire à ses disciples, vous serez mes témoins à Jérusalem dans toute la Judée la Samarie et jusqu’aux extrémités de la Terre. Alors bien sûr on peut penser que les extrémités de la Terre pour Paul les extrémités du monde habité c’est l’Espagne, il dit lui-même qu’il désire s’y rendre. Mais pour Luc les extrémités de la Terre c’est le centre du monde habité et pour lui quand on voit l’importance qu’il donne aux rencontres de fonctionnaires romains dans les Actes des apôtres, on s’achemine lentement vers Rome. D’où le grand souci de Luc quand Paul qui pour lui est le héros par excellence le porteur de la parole arrive à Rome, son livre peut s’arrêter.

Donc ce qui importe à Luc c’est de montrer cette continuité légitime entre le développement du christianisme jusqu’au centre du monde c’est-à-dire jusqu’à Rome à partir de ses origines judéennes et Jérusalémites. Alors dans cette perspective ce qui est important c’est de voir la légitimation de l’apôtre et l’apôtre s’est déplacé depuis Jérusalem jusqu’à Rome. Cela est très intéressant parce que l’auteur des Actes des apôtres rattache Paul à Jérusalem comme Paul lui-même ne se rattache jamais. Il multiplie les voyages à Jérusalem selon les informations que nous avons par les lettres de Paul lui-même, mais ne s’y attache pas. Ce qui est important pour Luc c’est l’histoire de la mission de monter la légitimité des développements missionnaires depuis la première prédication de Pierre à Jérusalem, jusqu’à la prédication de Paul à Rome.

Luc dans la première partit du récit des Actes souligne avec force l’expansion de cette communauté. D’abord à Jérusalem, et par la suite à l’extérieur. Au début, il souligne que de nombreux juifs croient Jésus, mais progressivement il cherche à montrer que cet accueil de la part des juifs diminue, tandis que l’accueil des non-juifs, c’est-à-dire des païens ne fait qu’augmenter. C’est la conclusion des Actes des apôtres. D’ailleurs à la fin des Actes, Paul conduit à Rome en tant que prisonnier reçoit la visite d’une délégation de responsables de la synagogue. Il les convoque et pendant toute une journée il essaie de les convaincre sur Jésus, à partir des longs textes de la Loi juive et des prophètes. Luc dit certains se sont laissé persuader d’autres sont restés incrédules. Paul conclu : « voilà c’est à vous que s’adressaient les paroles d’Isaïe » et il cite le livre d’Isaïe, qui est plutôt négatif, car il dit que le cœur du peuple c’est endurci, que leurs oreilles sont devenues sourdes, que leurs yeux se sont bouchés, que leur cœur ne veut pas comprendre, qu’ils ne veulent pas se convertir. Alors la dernière parole de Paul est la suivante, c’est aux païens qu’a été envoyé le salut de Dieu. Les derniers mots des Actes des apôtres marquent le revirement du succès de la parole de Dieu, l’Évangile passe des juifs aux païens. Il y a dans l’œuvre de Luc, une double limitation, ou une double manière de réitérer, il signale l’endurcissement d’Israël qu’ils ne comprennent pas que le salut est pour les autres s’ils n’entendent pas, et il y a cette répétition trois fois aux chapitres 13, 18, 28, s’ils n’entendent pas je me tournerai vers les païens. C’est clair que l’on ne peut pas concevoir ces phrases-là écrites par un juif. Il y a une charge de violence comme si la construction de ce qu’il veut faire doit se faire aux dépens de quelqu’un d’autre.

Il y a une dimension polémique dans l’ensemble du scénario que Luc fixe à la mission paulinienne. Parce que la mission paulinienne est un scénario précisément à partir des Actes chapitre 9, Paul parle aux juifs, les juifs ne reçoivent pas son message ou en grande partie en tout cas ne le reçoivent pas, et Paul est soit dénoncée soit jeté hors de la synagogue, soit être menacé d’être lapidé, soit flageller. Sa prédication ne retient l’attention que d’une petite partie de personnes soit provenant de la synagogue, soit provenant des craignant Dieu qui sont ces païens intéressés et fascinés par le judaïsme. Ceux-ci participent à une partie des rites de la synagogue. Il y a effectivement là la construction d’une image qui se répète de manière récurrente un peu parfois jusqu’à l’ennui, qui montre Paul dans le rôle de la victime revenant continuellement à la synagogue et étant expulsé. Il s’agit d’une construction progressive des juifs dans le rôle des mauvais, mais pas exclusivement il y a toujours quelques-uns justement un petit noyau qui va faire continuité et qui va devenir petit noyau d’une communauté qui s’élargit et qui du coup va englober les Grecs. Mais ce scénario répétitif vise essentiellement pour Luc une chose, l’intention n’est pas premièrement de dénigrer le judaïsme, c’est de montrer que l’identité chrétienne doit se comprendre de façon incontournable, dans son rapport à sa racine juive. Que l’on part de là et qu’il faut toujours repartir de là pour se comprendre comme chrétien. C’est à partir de là d’ailleurs que personnellement je me suis posé des questions sur le projet de Luc dans les Actes des apôtres. Ce qui est classique pour les Actes des apôtres c’est de dire que Luc écrit pour montrer l’extension de l’Église cela est clair effectivement. Comment le message de la bonne nouvelle se répand et comment il se répand grâce à l’Esprit-Saint, dans un projet théologique, et de montrer que l’Église part de Jérusalem et que la bonne nouvelle se répand de Jérusalem jusqu’à Rome. Donc ayant atteint Rome, ça atteint le monde entier. Cela est la représentation classique, c’est très bien ! sauf que finalement pourquoi est-ce qu’on a besoin de Paul pour arriver à Rome puisque l’on sait que la bonne nouvelle avait déjà atteint Rome avant que Paul y arrive. Ce que Paul lui-même écrit aux Romains. Cela est une première question et puis la seconde question c’est : est-ce que cela veut dire que l’on soit passé des juifs aux païens ? Souvent, mais ce n’est pas dit explicitement, dans cette présentation du projet des Actes, l’arrière-plan ou l’idée qui se cache derrière, c’est que : « voilà on est passé des juifs aux païens, et enfin l’on est dans le christianisme universel ». On sous-entend que : « parce que vous comprenez ces juifs, c’est du particularisme, etc.. »

Et bien, cela n’est pas aussi clair que cela. Au contraire pour Luc, il y a lieu de se demander jusqu’à quel point il n’a pas écrit au contraire pour monter que la foi en Jésus-Christ n’existe pas sans le peuple juif d’où elle est sortie.

Luc écrit dans les années 80 à 90 et il écrit à une chrétienté déjà séparée de la synagogue. On est après 70, et la séparation a eu lieu et l’on peut penser que le livre des Actes des apôtres ait été écrit pour convertir des juifs, le portrait du judaïsme est trop appuyé et au fond trop noir, mais ce que Luc veut montrer et c’est quand même remarquable, c’est non pas la page est tournée, le chapitre Israël est achevé, nous entrons dans une nouvelle phase. Nous constituons un nouveau Israël ou nous constituons le vrai Israël. Cela est faux, et ça : l’affirmation de vrai Israël vous la trouverez à Qumrân, vous ne la trouverez pas chez Luc. Luc conserve à Israël ses titres de noblesse et ne les récupère pas, il ne n’en dépouille pas le peuple juif pour les reporters sur les chrétiens, absolument pas. Luc au moment où sa chrétienté à quitter la synagogue réintervient constamment pour dire les racines du christianisme se trouve là, c’est-à-dire dans l’histoire des promesses faites à Israël, et le christianisme ne peut se concevoir que dans ou avec les racines d’Israël partagé avec le peuple juif. Israël est le porte-greffe, le christianisme c’est le greffon sur le cèpe pour reprendre une image de Jésus.

  L’auteur des Actes des apôtres est le témoin de la fracture entre les différents courants du judaïsme qui résulte de la chute du temple en 70. L’auteur du livre des Actes se veut l’historien du courant chrétien. Il est aussi son porte-parole.

Évidemment là où il y aura un peu plus de tensions, et de difficultés, c’est dans la mesure où une séparation de plus en plus nette se fait entre le groupe des disciples de Jésus et le reste d’Israël par le fait que des païens rentrent dans la communauté des disciples de Jésus. À mon sens, ce qui va de plus en plus accentuer la séparation entre disciples de Jésus y compris les disciples de Jésus d’origine juive, le reste d’Israël, c’est le fait de l’entrée des païens dans la communauté des disciples sans une assimilation à Israël. Et la faute repose en grande partie sur les épaules de Paul et la décision prise au concile de Jérusalem de laisser les païens en dehors d’une assimilation au peuple d’Israël, à sa culture, à ses traditions.

On est vingt ans après la chute de Jérusalem et le judaïsme n’est pas encore renaît de ses cendres, et c’est le moment où précisément, on s’organise à Yabna le lieu fondateur du judaïsme rabbinique autour de l’étude de la Torah et pour centrer entièrement la vie juive autour de l’étude de la Torah et de la vie synagogale. Donc il est possible que les chrétiens de cette époque surtout s’ils sont quelque peu éloignés de Palestine, les chrétiens du monde hellénistique, se soient dit : « c’en est fini avec le judaïsme ». Donc ce ne serait pas tellement là-dessus qu’on a besoin de se battre, mais beaucoup plus de faire comprendre à quel point le christianisme dans sa forme paulinienne est d’annonce aux païens est vraiment ce qui remplace le judaïsme. Bien entendu, Luc écrit d’un point de vue chrétien, et il charge la responsabilité des juifs. Ce qu’il ne dit pas c’est ce que l’on peut compléter, en écrivant les blancs du récit, à savoir que les chrétiens ont dû être insupportables à certains moments par justement leurs revendications de situer un Dieu qui intervient dans la résurrection de Jésus, et une révélation qui du coup n’annule pas, mais éclipse justement par son éclat l’histoire passée. Ils ont dû être parfois insupportables difficiles, etc.. Mais c’est là encore la signature d’une rupture un désir que Luc veut placer au bas de son récit. Il y a donc un côté tout à fait tragique dans l’œuvre de Luc comme dans l’évangile de Jean d’ailleurs, et c’est le deuxième grand problème du christianisme le premier étant la mort de Jésus sur une croix alors qu’il apportait une bonne nouvelle. Puis le deuxième grand problème à grande écharpe dans la chair de ses premiers chrétiens c’est finalement le peu de succès qu’ils ont rencontrés à l’intérieur même du monde juif « le greffon n’a pas prit » ; peut-être à cause de leur façon de se comporter au sein de ce monde juif, et par la théologie que Paul mettait en place (nous en reparlerons dans le chapitre suivant).

Cela explique aussi leur violence qui est une violence rhétorique qui est commune pratiquement à tous les mouvements religieux de l’époque. On se calomnie on s’attaque avec une extrême violence, mais en même temps, ce qui est tragique c’est que ce qui était voie d’une minorité viendra plus tard la voie d’une majorité.

On le constate à travers le mépris que déjà les pères de l’Église portaient pour la culture juive, et l’antisémitisme historique au sein de l’Église.

Une fois encore pour retracer l’histoire primitive les seules archives sont les textes chrétiens eux-mêmes. À l’intérieur du Nouveau Testament, les épîtres de Paul jouissent peut-être d’un trop grand crédit à cause de leur ancienneté et de la proximité qu’elles ont avec les débats des premières communautés. Mais il est bien connu que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Mais l’importance du rôle de Paul n’apparaît que bien plus tard quand ces lettres sont rassemblées et divulguées au début du deuxième siècle, quand se pose la question de la séparation entre judaïsme et christianisme, et les lettres de Paul joueront un rôle très important et je dirais même un rôle majeur. C’est, je pense, là que se situe le premier schisme. Paul a préparé ce schisme comme Beaumarchais, Voltaire ou Rousseau ont préparé la Révolution française.

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