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La publication de la Torah Jérusalem et Samarie

 

Garizim

Résumé

Nous avons spécifié dans « La question de la promulgation de la Torah » de notre article « la relation entre Moïse et Aaron » ; que Peter Frei vers la fin du XX siècle, postulait qu’une « autorisation impériale » perse, figura à l’origine de la compilation de la « Torah » en Judée. Effectivement, l’administration impériale aurait encouragé les Judéens à codifier leurs coutumes dans un document faisant autorité, qu’elle aurait par la suite vérifié. Nous avons précisé aussi que récemment, cette argumentation fut critiquée. En effet, le seul parallèle partiel à une « autorisation impériale » apparaîtrait la prétendue « codification » du droit égyptien sous Darius Ier ; or ce dernier cas demeure tout à fait particulier et le texte sur lequel il se fonde ne fait aucune mention de la codification du droit. Par conséquent, on devrait probablement chercher des explications plus « internes » pour la compilation du Pentateuque. Nous avons vu aussi que dans ce contexte, le Pentateuque est souvent considéré comme un document de compromis entre différentes écoles de scribes à Jérusalem au cours du quatrième siècle avant notre ère ou peut-être même plus tard. Ceux-ci furent combinés pour créer un récit normatif ou un mythe fondateur des origines « d’Israël ». Ce récit normatif, s’il préservait des points de vue contradictoires, demeurait néanmoins unifié par une trame narrative globale. Celle-ci allant des origines du monde (Genèse 1) à la mort du divin médiateur Moïse (Deutéronome 3 & 4), ce Moïse apparaissant sa figure principale.

Nous avons pareillement vu que l’on avait souvent prétendu que la Torah fut élaborée à Jérusalem. Mais que les recherches archéologiques sur la population de Judée et de Jérusalem à l'époque perse avaient révélé que Jérusalem était très peu habitée à cette époque. Nous avons dit de même que l’on ne pouvait exclure que quelques prêtres et quelques scribes du Temple auraient très bien pu composer le Pentateuque. Mais encore doit-on tenir compte de la force politique et économique de la diaspora babylonienne et Égyptienne. Même si l’histoire d’Ezra amenant la « loi » de la Mésopotamie à Jérusalem (Ezra7) est totalement inventée, elle reflète d’une manière ou d’une autre l’implication de la diaspora babylonienne dans la compilation de la Torah.

Nous avons vu aussi qu’il existait un sanctuaire (yahviste) sur le mont Gerizim édifié vraisemblablement après la réinstallation de Sichem vers 480 -475 av. J.-C. ; de sorte que le Temple de Jérusalem et le sanctuaire de Gerizim se soient construits plus ou moins en même temps ne figure pas impossible. Les deux figuraient apparemment tolérés par la l’Administration perse. Si le Pentateuque n’était né que de Juda et du Golah, on ne saurait comprendre pourquoi les Samaritains auraient adopté ce document. L'image très négative de Samarie et de son gouverneur dans le livre de Néhémie ne reflète probablement pas l’état d’esprit du début 5e siècle avant notre ère, mais pointe vers une date beaucoup plus tardive. La documentation d'Éléphantine montre que les Judéens qui y résidaient écrivirent simultanément aux gouverneurs de Jérusalem et de Samarie concernant la question de la reconstruction du Temple Yahu. Ils reçurent une réponse commune de Bagavahyah, gouverneur de Juda, et de Delaiah, fils du gouverneur de Samarie, Sanballat.

Cela sous-entend une relation amicale entre la Samarie et Jérusalem à la fin du Ve siècle avant notre ère, à une époque où déjà le sanctuaire de Garizim existait probablement. On peut soupçonner, comme l’a suggéré Granerød, que les dirigeants judéens et samaritains possédaient une certaine autorité extraterritoriale. Celle-ci recouvrait les questions religieuses sur les Judéens (et les Israélites ?) à Éléphantine, et qu’ils revêtaient une influence commune sur la reconstruction du sanctuaire de Yhwh et d’autres préoccupations cultuelles. Ces observations indiquent une collaboration étroite entre Jérusalem et la Samarie. Si un tel acte existait, qu’il ait dû s’appliquer également à la proclamation du Pentateuque semble tout à fait possible. Comment imaginer alors cette collaboration ? Et comment la conception de centralisation des cultes s’accorde-t-elle avec le fait qu’au moment de la promulgation du Pentateuque au moins deux sanctuaires de Yhwh  apparaissaient ?

Une autre origine du livre du Deutéronome ?

Une étude récente sur la question de l'implication samaritaine dans la compilation du Pentateuque a prêté beaucoup d'attention au livre du Deutéronome. Dans ce contexte, certains érudits reprennent une idée assez ancienne de l’ascendance nordique du Deutéronome, en en effectuant un manifeste « proto-samaritain ». Cette théorie se trouve cependant problématique à deux égards. Tout d'abord, l'origine septentrionale du Deutéronome peut être écartée avec un haut degré de probabilité. Les forts parallèles entre les premiers textes du livre du Deutéronome et le serment de loyauté d’Esarhaddon suggèrent que les auteurs connaissaient cet écrit. Cela signifie que nous pouvons établir un terminus aq uo en 672 avant notre ère. Andas Levinson et Stackert ont souligné que la copie récemment découverte de ce traité de succession à Tell Tayinat « confirme l'emploi assyrien de ce texte avec ses vassaux occidentaux. » Il figure donc très plausible qu’une copie de ce traité demeurait dans le Temple de Jérusalem. (Voir notre article : « À quelle époque peut-on attribuer la rédaction de la Bible ? ») Le deuxième problème demeure l’hypothèse que Deutéronome 12 se rapporte à Deutéronome 27. Ou, comme l’ont expliqué Na'aman, Nihan et d’autres, Deutéronome 27 qui donnait suite est venu vraisemblablement s’insérer ensuite entre les chapitres 26 et 28, car il interrompt la continuité entre ces deux chapitres. Moïse parle ici à la 3e personne, avec les anciens (v.1) et les Lévites (v.9). Ce scénario n'est pas du tout préparé dans le chapitre précédent. Si Deutéronome 27 est ajouté, probablement en plusieurs étapes, il en reste de même pour 11 DT, 29-32.17. Si cette analyse diachronique éprouve une certaine plausibilité, la question de l’identité du lieu choisi dans Deutéronome 12 doit être résolue différemment. Le Deutéronome 12 insiste plusieurs fois sur l'acte que Yhwh choisira ou s'est choisi une place ; le thème du lieu choisi apparaît alors comme un refrain dans toute la Loi Deutéronomique (au total 20 occurrences).

La loi de centralisation dans Deutéronome 12:13 -18.
Le texte samaritain affiche constamment la forme qatal* de בָּחַר baḥar « choisir ». Comme Schenker l’a montré, le texte samaritain se retrouve appuyé par des témoins textuels de la LXX, du vieux latin et du copte ; de sorte que nous ne possédons clairement pas une révision sectaire tardive, mais une tradition qui rivalise avec celle qui apparaît massorétique. La lecture samaritaine apparaît également soutenue par Néh 1:9, qui se présente comme une citation du discours de Moïse et utilise la forme qatal* (conjugaison) :

* Dans la forme qatal, les verbes sont souvent donnés à la 3e personne du masculin singulier du qatal, parce qu’elle présente la racine sans ajout de consonne. Le qatal est employé pour dire ce qui est concrètement, effectivement advenu dans l’histoire, par opposition — par exemple — à ce qui ne relève que de la possibilité : vérités d’ordre général, futur, etc.
Cela signifie que le qatal sera traduit de manière privilégiée par un passé, mais aussi par tous les « temps » qui conviennent à ce qui est concrètement advenu dans l’histoire.

Si la forme qatal demeure la plus ancienne, selon Schenker, quelle en serait la conséquence ? Une forme qatal exclurait-elle l’identification du maqom (מקום, "lieu") avec Jérusalem dans le Deutéronome 12 ? Ce n'est clairement pas le cas. Dans de nombreuses circonstances dans le Deutéronome, le mode qatal exprime l’idée d’une action future, qui figure antérieure à une autre action dans le futur. En conséquence, dans Deutéronome 12, le genre qatal peut indiquer un choix qui a eu lieu dans l’esprit de Yhwh, mais qui sera révélé plus tard. Cela pourrait être lié au contexte plus large dans lequel Deutéronome 12 qui figurait censé être lu et compris. Avant d'aborder ce point, je voudrais réaffirmer que la place choisie dans Deutéronome 12, et en particulier en (12 h 13 - 14) :

הִשָּׁמֶר לְךָ פֶּֽן־תַּעֲלֶה עֹלֹתֶיךָ בְּכׇל־מָקוֹם אֲשֶׁר תִּרְאֶֽה

Hišamer leha, pen ta-aleh oloteiha behol makovm ašer tireh

13 Garde-toi d'offrir tes holocaustes en tout lieu où bon te semblera :

כִּי אִם־בַּמָּקוֹם אֲשֶׁר־יִבְחַר יְהֹוָה בְּאַחַד שְׁבָטֶיךָ שָׁם תַּעֲלֶה עֹלֹתֶיךָ וְשָׁם תַּעֲשֶׂה כֹּל אֲשֶׁר אָנֹכִי מְצַוֶּֽךָּ

Ki im bamakovm ašer jivhar Yahvé beahad ševateiha, šam ta-aleh oloteiha vešam ta-aseh, kol ašer anohi mesaveka.

14, mais uniquement au lieu que Yahvé aura choisi dans l'une de tes tribus, là, tu offriras tes holocaustes, là, tu accompliras tout ce que je t'ordonne.

מָקוֹם makovm « lieu » devait à l'origine être Jérusalem. Le passage oppose d'abord la totalité ou la multitude des lieux sacrés (kol-maqom) au sanctuaire que Yhwh choisira dans une seule tribu. Cette affirmation apparaît une allusion claire à la réforme josianique. La tribu parmi laquelle Yhwh élira le lieu de son sanctuaire ne peut figurer que Juda. La même idéologie se retrouve dans le Psaume 78, où Yahvé refuse de choisir Éphraïm (le Nord), mais choisit « la tribu de Juda, la montagne de Sion qu'il aime » (v.68). L'auteur de Dt 12:13-18 reprend la tradition de l'élection de Sion et la transforme en une élection exclusive, qui n'autorise aucun autre sanctuaire. Le lieu choisi par Yhwh témoigne clairement de l'identification du lieu de Jérusalem. Pourquoi Jérusalem ne figure-t-elle pas mentionnée ? s

Il est quelque peu étonnant que Dt 12, 13-18 se préoccupe principalement des conséquences pratiques de la loi de centralisation et qu'on n'insiste pas beaucoup sur l'explication théologique de cette centralisation. Dans un article, qui n'a pas reçu beaucoup d'attention scientifique ; Lohfink avait supposé que la version de Dt 12:13-18 avait remplacé une forme quelque peu plus ancienne de la loi de centralisation, que nous sommes incapables de reconstruire. Cela semble assez spéculatif mais c'est possible si Dt 12:13-18 n'avait pas été conçu à l'origine comme le même discours de Moïse ; mais comme un décret royal ou divin, Jérusalem ou Sion auraient pu apparaître mentionnés. Le nom du lieu choisi aurait été supprimé lorsque le Deutéronome se trouva construit comme la dernière volonté de Moïse et est devenu l’ouverture de la soi-disant histoire deutéronomiste.

La loi de centralisation dans le contexte de l'histoire deutéronomiste

Les rédacteurs de l'Histoire deutéronomiste étaient bien sûr convaincus que le temple de Jérusalem était bien le seul lieu légitime du culte de Yhwh. Pour cette raison, tous les rois du Nord sont lourdement condamnés ; et le « péché originel » de Jéroboam demeure le fondement de sanctuaires Yhwh concurrents à Béthel et Dan (1 Rois 12). Dans leur histoire, d’autres lieux de culte pour le culte de Yhwh se sont produits qui n’avaient aucune connotation négative. C'était particulièrement le cas pour Shiloh lié aux traditions Samuela et Arkt. Ils ont admis qu’à l’époque prémonarchique, avant la construction du Temple de Jérusalem, un autre lieu d’élection existait, Shiloh. Lorsque Deutéronome est devenu l'ouverture de l'Histoire deutéronomiste, la forme qatal de ב ח ר bahar « choisir » dans Deutéronome 12 s'est ensuite transformée en yiqtol afin de suggérer l'idée que Yhwh pourrait choisir différents sanctuaires à l'avenir.

Dans une perspective exilique ou pos-exilique, cette idée apparaissait d’autant plus facile à accepter que Shiloh figurait détruite des siècles avant la destruction du Premier Temple. Dans le discours du temple de Jérémie, le Prophète en annonçant la destruction du Temple et en le comparant à Jérusalem utilise une formule qui rappelle le Deutéronome 12, (Jérémie 7,12) :

כִּי לְכוּ־נָא אֶל־מְקוֹמִי אֲשֶׁר בְּשִׁילוֹ אֲשֶׁר שִׁכַּנְתִּֽי שְׁמִי שָׁם בָּרִֽאשׁוֹנָה וּרְאוּ אֵת אֲשֶׁר־עָשִׂיתִי לוֹ מִפְּנֵי רָעַת עַמִּי יִשְׂרָאֵֽל

Ki lehu na el mekovmi ašer bešilov, ašer šikkanti šemi šam barišovnah ureu et ašer asiti lov, mipenei rat ami jizrael.

Allez donc au lieu qui m'appartenait, à Silo, là où j'avais tout d'abord fait habiter mon nom, et voyez comme je l'ai traité à cause de la méchanceté de mon peuple, Israël.

En ce qui concerne la conception narrative de l’Histoire deutéronomiste, les deutéronomistes pouvaient accepter l’idée que des sanctuaires Yhwh « légitimes » existaient avant la construction du Temple de Jérusalem, même ceux du Nord. Cette idée d’antériorité de choix, qui par la suite figura révoqué, peut être comparée à l’élection de Saül. Ce dernier fut ensuite rejeté à cause de David, tous les autres sanctuaires, en particulier ceux du Nord, figurèrent bien bien entendu critiqués.

En résumé, dans le contexte de l'Histoire Deutéronomiste, la loi de centralisation en 12:13-18 signifie toujours le Temple de Jérusalem. Cela se retrouva clair par l'ajout des versets 8-12, qui introduisent l'idée du « repos », faisant allusion à la construction du Temple.

Vous n'agirez pas comme nous le faisons ici aujourd'hui, où chacun fait tout ce qui est droit à ses propres yeux. 9, Car vous n'êtes pas encore entrés dans le lieu du repos, dans le patrimoine que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, 10, mais vous allez passer le Jourdain et vous habiterez dans le pays que le SEIGNEUR votre Dieu vous donne comme patrimoine : il vous accordera le repos face à tous vos ennemis d'alentour et vous y habiterez en sécurité.

Lorsque le livre du Deutéronome fut retranché des livres de Joshua-Kings et est devenu la fin de la Torah, les choses furent suspendues.

La loi de centralisation dans le contexte du Pentateuque

Si nous acceptons l’idée que la Torah ne figure pas simplement une production judéenne et babylonienne, nous devons rechercher des « voix samaritaines » et probablement pas seulement des concessions judéennes aux Samaritains, bien que celles-ci existent certainement aussi. L'une de ces concessions peut être la subtile reformulation de Dt 12 : 14 en 12 : 5.

14, mais uniquement au lieu que l'Éternel aura choisi dans l'une de tes tribus, là, tu offriras tes holocaustes, là, tu accompliras tout ce que je t'ordonne.

5, mais uniquement à l'endroit que l'Éternel, votre Dieu, aura adopté entre toutes vos tribus pour y attacher son nom, dans ce lieu de sa résidence vous irez l'invoquer.

La plupart des érudits conviendraient que Deut 12:2-7 appartient à la dernière révision de Deutéronome 12, et il est possible que sa révision ait eu lieu alors que Deutéronome était déjà devenu le dernier rouleau du Pentateuque. Contrairement à Dt 12:14, qui annonce que Yhwh choisira sa place au sein d’une seule tribu, Dt 12:5 parle du choix entre toutes les tribus. L'idée que Yhwh peut choisir sa place parmi toutes les tribus permet de comprendre le lieu choisi comme se référant à un endroit différent de Jérusalem. Deutéronome 12:2-7 adopte une position très intolérante envers les sanctuaires du peuple qui doivent être détruits, mais permet apparemment une interprétation plus ouverte quant au lieu ou aux lieux de culte légitime de Yhwh.

Un lieu ou n'importe quel lieu : Deutéronome 12, Exode 20 et Exode 25 -31, 35 -40

Lorsque le Deutéronome fut ajouté au Pentateuque, la loi Deutéronomique est entrée en concurrence avec le « Code de l’Alliance » dans Exode 21-22. Bien qu’il demeure possible que la première forme du Deutéronome 12-26 fût créée pour remplacer le Code de l’Alliance, les éditeurs du Pentateuque ont accompli le choix d’intégrer les deux codes dans la Torah. Le Code de l’Alliance, dont l’ouverture originale figurait probablement « Et voici les statuts que tu leur exposeras. » (Exode 21:1), se trouva élargi par l’ajout d’Exode : 22-26 immédiatement avant cela, pour observer la nouvelle ouverture de l’œuvre. Il commence « Ainsi Yhwh dit à Moïse : tu diras ainsi aux israélites » (v.2 2). La section traite, après l'interdiction des images (v.23), de la construction d'autels sacrificiels, et Yahweh promet venir bénir les gens partout où il fait se souvenir de son « nom ». De cette manière, l’ouverture du Code de l’Alliance figure parallèle au Code deutéronomiste, qui commence par la stipulation par Yhwh qu’il choisira comme lieu unique pour les offrandes sacrificielles qui lui demeureront faites.

Dans le même temps, cependant, Exode 20 : 24-26, pourrait être considéré comme corrigeant la prétention de « l’autel unique » du Deutéronome ; en permettant la construction légitime d’autres autels sacrificiels dans les lieux de culte partout où vivent les adorateurs de Yhwh. En supposant que l’unité demeure postérieure au Deutéronome 12. alternative à la loi de centralisation Deutéronomique pour permettre plusieurs sanctuaires Yhwh. Les rédacteurs d'Exode 20 : 24-26, ont essayé de cette manière de légitimer l'existence de communautés excentriques et dispersées en dehors de « la Terre » tout en approuvant deux sites uniques à l'intérieur de ce territoire. L’un sur le mont Garizim pour les habitants de Samarie l’autre à Jérusalem pour les habitants de Yehoud.

Une stratégie similaire peut apparaître dans le récit sacerdotal de la construction du sanctuaire mobile dans Exode 25-31 et 35-40. Samaritains, il reste possible de voir le sanctuaire comme préfigurant leur Temple sur Garizim. Si tel apparaît le cas, on pourrait imaginer que le « document sacerdotal » (P) ne figure peut-être pas uniquement originaire de Yehud. Peut-être P devrait-il être considéré comme un groupe « mixte » de prêtres de Samarie et de Jérusalem. Flavius Josèphe rapporte que des prêtres dissidents de Jérusalem, qui ne se trouvaient pas d’accord avec les mesures d’Esdras et de Néhémie, ont fondé le temple de Garizim. Bien que sa présentation apparaisse plus idéologique qu’historique, il reconnaît une relation entre le sacerdoce de Gerizim et de Jérusalem. D'après Néh 13:28, le fils d'Eliashib, le grand prêtre de Jérusalem, était marié avec la fille du gouverneur samaritain Sanballat. Nous devrions donc changer d'avis sur l'origine du Pentateuque.

Ce n’est pas une production judéenne et babylonienne qui figura alors adoptée par les Samaritains. Notre connaissance actuelle des faits archéologiques et historiques exige, de nouveaux scénarios qui présentent les Samaritains de Gerizim comme des (co-) auteurs, plutôt que comme des récepteurs d'une tradition. Cela signifie que nous devons imaginer une rédaction plus intensive du Pentateuque du côté des Samaritains, ou du moins d'un groupe mixte de Judéens et de Samaritains. Nous prendrons deux exemples d'une possible révision samaritaine de la Torah naissante.

Le cadre de Sichem de l'Hexateuque et du Pentateuque

Le premier arrêt qu’Abraham effectue dans le pays de Canaan où il reçoit la première révélation divine se trouve à Sichem au Chêne-de-Moré, et ici il construit son premier autel (Gn 12:6 -7). Les érudits expliquent l’attachement d'Abraham à Sichem en supposant que les versets du voyage d'Abraham en Canaan (Gen 12:1-9) reprennent des endroits importants de la tradition de Jacob et les relient également à Abraham. Mais il se trouve intéressant de noter que le second arrêt d’Abraham se situe entre « Béthel et Aï », et non à Béthel ; et Aï ne joue aucun rôle dans le récit de Jacob. Par conséquent, on peut envisager une explication alternative et postuler que le début du récit d’Abraham apparut retravaillé dans une perspective prosamaritaine. Lire à la lumière d'Exode 20:24-26 L'autel d'Abraham à Sichem est le premier lieu que Yhwh a choisi pour son culte. Une allusion à la fin du Pentateuque quand Moïse est autorisé à voir la Terre-Promise, dans laquelle il ne peut pas entrer existe. Il semble intéressant de noter que le Pentateuque samaritain possède une description très différente de la terre que Moïse est autorisé à contempler. Il est dit : « du fleuve de l’Égypte au grand fleuve, du fleuve du haut jusqu’à la mer la plus extrême ». Cette grande description, absente des textes massorétiques de Deut 34 : 2-3, possède une vue complète de la Terre Promise, y compris les localisations de la diaspora mésopotamienne et aussi égyptienne. Il demeure possible que la description soit centrée sur la terre et les tribus d’Israël en Deut 34:2 -3 TM, et elle apparaîtrait comme une correction ultérieure de la « vue irréaliste » de Moïse selon le Pentateuque Samaritain.

L’emplacement de Sichem se trouve encore plus évident à la fin du livre de Josué. Dans Josué 24, Josué décrète les lois divines et le « livre de la loi de Dieu » à Sichem. Le lien avec Gen 12:7 se trouve en évidence rendue par la mention du « chêne » dans 24:26. 33. Or Josué 24 apparut rédigé afin de produire un caractère sacré du chêne, et d’intégrer le livre de Josué dans la Torah. La localisation septentrionale, « samaritaine », de Josué 24 peut difficilement figurer une invention judéenne. Ceci figure également montré par la LXX, qui lit Shiloh au lieu de Sichem et reflète un texte hébreu du deuxième ou premier siècle présupposant le prétendu « schisme » entre les deux groupes après la destruction du sanctuaire de Gerizim. Nous devrions donc voir probablement une co-production de Samaritains et de Judéens, sinon une pure version Samaritaine. Bien que l'idée d'un Hexateuque n'ait pas pu être matérialisée dans une Torah contenant six rouleaux, la figure de Josué est restée populaire parmi les Samaritains, comme le montre la chronique samaritaine de Josué. Dans celui-ci, Dieu demande à Abraham d'aller au pays « Moriah » et d’y sacrifier Isaac sur la montagne que Dieu lui indiquera. Les érudits affirment généralement que Moriah dans Genèse 22 demeure une allusion à Jérusalem puisque dans 2 Chr 3:1, le mont du temple est appelé « Mont Moriah. »

Mais cela n’est pas clair du tout que ce texte figurait dans l’esprit de l’auteur ou du rédacteur qui a ajouté cette indication géographique qui fait allusion au chêne de Sichem אֵלוֹן מוֹרֶה elovn movreh dans Gen 12:6

וַיַּעֲבֹר אַבְרָם בָּאָרֶץ עַד מְקוֹם שְׁכֶם עַד אֵלוֹן מוֹרֶה וְהַכְּנַעֲנִי אָז בָּאָרֶץ

Vaija-avor Avram ba arec, ad mekovm šehem, ad elovn movreh vehakenani az ba-arec.

Et Abram traversa le pays jusqu'au lieu de Sichem, jusqu'à Elon Moreh, et le cananéen était alors dans le pays.

(SP הֶהָרִים heharim Gen 22:2. « Les montagnes », et le Samaritain ארומ). L'orthographe massorétique המִּרָֹיּהַ (le Moriah) aurait dû être introduite comme en 2 Chr 3:1, tel qu'il est écrit הַמּוֹרִיָּה :

וַיָּחֶל שְׁלֹמֹה לִבְנוֹת אֶת־בֵּית־יְהֹוָה בִּירוּשָׁלַ‍ִם בְּהַר הַמּוֹרִיָּה

Vaijahel šelomoh livnovt et beit-YHWH birušalim, behar hamovrijah,

« Salomon commença à bâtir la maison du Seigneur à Jérusalem, sur le mont Moriah »

Mais cela est tout à fait possible qu’un éditeur samaritain du Pentateuque ait ajouté l’emplacement de Moriah dans Gen 22 ; ce faisant, il a voulu suggérer que le lieu du sacrifice d’Abraham figurait identique à l’endroit où il avait déjà construit un autel à son arrivée dans le pays.

Une tendance à comprendre l’histoire de Joseph comme une Diaspora écrite afin de légitimer l’existence d’une diaspora égyptienne existe. La question demeure, cependant, pourquoi Joseph est un personnage lié au « Nord » c’est-à-dire le royaume d’Israël et non celui de Juda. Dans les livres prophétiques, « Joseph » ou la « maison de Joseph » apparaît en effet utilisé pour désigner le Nord. Genèse 41:50-51 : «  il naquit à Joseph deux fils… Joseph donna au premier-né le nom de Manassé, car (dit-il), Dieu m’a fait oublier toute ma peine et toute la maison de mon père. 52 Il donna au second le nom d’Éphraïm, car (dit-il), Dieu m’a rendu fécond dans le pays de mon humiliation »

Joseph devient donc le père d'Éphraïm et de Manassé. Ce cadre du royaume du nord fut parfois expliqué avec l’idée que l’histoire de Joseph pourrait provenir d’Éléphantine, une colonie qui, selon certains érudits, aurait pu avoir des origines du royaume du nord. Mais la localisation de l’histoire de Joseph à Éléphantine n’apparaît pas claire du tout ; pas plus que l’origine septentrionale de la colonie.

Une autre option resterait de relier le récit de Joseph à une diaspora « samaritaine ». Selon Flavius Josèphe, des Samaritains vivaient en Égypte à l’époque hellénistique et peut-être plutôt à partir de la fin de l’ère perse. Il rapporte également que sous Ptolémée VI (180 -145 av. J.-C.) le temple de Jérusalem ou le sanctuaire de Gerizim se trouva construit selon les prescriptions de la Torah. Ces tensions entre Judéens et Samaritains ne sont apparues qu’au IIe siècle av. J.-C.. On pourrait supposer qu’une cohabitation assez pacifique existait entre les deux groupes en Égypte à la fin de l’époque perse et au début de l’époque hellénistique. Si tel demeurait le cas, l’histoire de Joseph aurait pu trouver son origine dans un contexte samaritain. Lorsqu’elle fut insérée dans la Torah, le rôle de Juda se trouva renforcé afin de créer un équilibre entre le royaume du Nord et le royaume du sud. Certes, ce sont des spéculations, mais nous devons enquêter plus sérieusement sur les éléments de la Torah qui ont peut-être une origine nordique et samaritaine.

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