Dater la rédaction de la Bible;

 

Dater la re daction de la bible

Nous avons terminé le premier chapitre en évoquant Spinoza et ce que l’on pourrait appeler les premiers pas d’une exégèse historico-critique des textes bibliques. Celui-ci avait d’une manière assez simple argumenté en disant qu’en fait ce que l’on désigne comme le Pentateuque, est une grande et seule histoire qui aboutit aux livres des Rois. Par conséquent, l’auteur de cet ensemble ne peut pas avoir écrit celui-ci avant la destruction de Jérusalem et l’exil babylonien. Donc Spinoza pensait que l’on devait dater la globalité de tous ces ouvrages à l’époque perse. C’était une bonne remarque, mais évidemment celle-ci n’apparaissait pas assez précise. Mais Spinoza était plus philosophe que bibliste et à cette époque il ne disposait pas de tous les outils nécessaires pour prendre en considération les disparités stylistiques et idéologiques à l’intérieur de ce livre.

L’un des premiers à réaliser une observation qui conduit à des datations des différents textes fut Wilhelm Martin Leberecht de Wette, un théologien et bibliste protestant allemand. Celui-ci peut être en effet considéré pour l’un des pionniers de l’exégèse historico-critique. En 1805, ce dernier rédige une thèse ; celle-ci va émettre l’idée que le « livre de la loi » (2 Rois 22-8) retrouvé dans le temple sous le règne du roi Josias pourrait bien en fait apparaître comme le livre du Deutéronome. Par ailleurs, au même degré que Baruch Spinoza, il suppose l’existence d’un vaste ensemble d’écrits, un énnéateuque qui aurait raconté l’épopée d’Israël des origines à l’exil. Mais où il va plus loin que son prédécesseur c’est quand il prétend que cet ensemble serait issu de la fusion d’un texte composé par un auteur annalistique et d’un document rédigé par un narrateur théocratique. Ce texte semble avoir subi un travail complémentaire pour le lier au Deutéronome et aux autres livres historiques de la Bible. Il soulevait dans celle-ci par exemple que le Pentateuque avait deux constats. En effet si l’on regarde la fin du Lévitique au chapitre 26 vous possédez déjà une conclusion avec des bénédictions et des malédictions. Celle-ci demeure très proche de ce que vous retrouvez dans le Deutéronome au chapitre 28. Ces deux écrits apparaissent effectivement comme deux aboutissements parallèles. Alors Wilhelm Martin Leberecht de Wette ce posait cette question : peut-on découvrir une disparité entre ce que l’on pourrait du coup appeler le « tétrateuque » les quatre premiers livres et le Deutéronome. C’est ce qui va le pousser à poursuivre son analyse, avec l’idée qu’en fait le Deutéronome provient d’un auteur ou d’un milieu différent de ceux des livres précédents.

Il faisait aussi remarquer que l’on rencontre un certain nombre de narrations parallèles qui figurent à la fin du texte de la Genèse et du livre des Nombres, ainsi que dans le Deutéronome. Par exemple dans ce dernier on récapitule l’histoire des espions qui ne voulaient pas entrer dans le pays, et comment Moïse installe des juges, etc.. Il demeure alors peu vraisemblable en effet que ce soit le même auteur qui raconte deux fois des choses identiques. On peut également observer que dans le Deutéronome ce qui apparaît primordial c’est la conception d’une centralisation du culte. L’idée est de dire qu’un seul endroit est approprié et que Yahvé a choisir pour qu’on lui offre des sacrifices.

Avec le Deutéronome, le père de famille perd définitivement ses fonctions sacerdotales. Dans les écrits précédents, il était vraiment prêtre dans sa maison ; et encore dans le rituel de la Pâque, selon le livre de l’Exode au chapitre 12 versets, 3 à 11, nous pouvons entrevoir comment il exerçait la sacrificature et immolait l’agneau. Mais dans le Deutéronome, les sacrifices familiaux se trouvent abolis. L’auteur explique que toute immolation accomplie dans les villages d’Israël, « dans tes portes », et hors du « lieu choisi par Yahvé pour y faire habiter son nom », n’est que vulgaire boucherie. Par conséquent, ce n’est pas une action sacrée : « On pourra en manger comme on mange de la gazelle et du cerf ». Donc selon Wilhelm Martin Leberecht de Wette et par la suite beaucoup d’autres vont lui emboîter le pas, on trouve ici une évocation que cette centralisation, celle-ci s’effectue au profit du temple de Jérusalem. Si cela fait bien allusion au temple de Jérusalem à quel moment un tel texte a-t-il bien pu se retrouver rédigé ?

C’est-là que Wette opère un rapprochement avec ce que l’on désigne en tant que la réforme du roi Josias. Vers 621 av. J.-C., Josias entreprend un programme de renouveau national qui s’articule autour du temple de Jérusalem. La vaste transformation religieuse qui porte son nom, également appelée réforme deutéronomique, va marquer d’une empreinte indélébile les traditions israélites (II Rois, 22-23). S’appuyant sur la « découverte » dans le temple du Livre de la Loi, trouvaille faite à la suite de travaux de rénovation, un ouvrage présenté comme antérieur à l’époque prémonarchique. Josias amorce un tournant décisif : libéré de tous rites ou objets idolâtriques étrangers, le temple est dès lors exclusivement consacré à Yahvé et l’abolition des sanctuaires locaux s’accompagne de la centralisation des pratiques sacrificielles à Jérusalem. Donc la réponse que se pose de Wette est que la première édition du Deutéronome se trouva rédigée vers les années 620 av. J.-C., pour légitimer la réforme de Josias.

De Wette avait dans l’idée que l’on a très bien pu caché secrètement le livre dans le temple et fait apparence de le découvrir ! Cela n’est peut-être pas nécessaire d’imaginer un tel scénario, mais le lien entre le Deutéronome et la réforme de Josias semble évident. Alors cela évolue en une constatation de marque qui comme le déclarait après Otto Eissfedt que cela devient en quelque sorte et pour reprendre ses dires : « le point d’Archimède pour la datation des textes du Pentateuque. » Autrement dit, des ouvrages apparaîtraient comme prédeutéronomistes qui remonteraient d’avant la rédaction du Deutéronome ; et des écrits postdeutéronomiques qui eux dateraient après le Deutéronome. Or la première version du Deutéronome si vous la datez du VII siècle avant notre ère, vous possédez en effet pour la première fois une sorte de méthode chronologique. Approche qui demeure le résultat d’une observation historique, et qui se retrouve en dehors du Pentateuque. Le Pentateuque en s’exposant comme le livre des origines, se termine avec la mort de Moïse. Alors à ce moment-là pour la première fois quelqu’un avait trouvé une possibilité de relier certains écrits à un événement spécifique.

Cependant si cela représente une belle avancée on n’a pas résolu tous les problèmes loin de là. Par exemple : si je prends le texte qui nous raconte l’appel d’Abraham (Gn 12, 1-3)

 Yhwh dit à Abram :
« Pars de ton pays de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation, et je te bénirai et je rendrai grand ton nom. Sois une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, qui te bafouera je le maudirai ; en toi seront bénies toutes les familles de la terre. »

Comment peut-on dater ce texte ? À quelle époque peut-il remonter ?

Jusqu’au milieu des années 1970, la « théorie documentaire » dominait les débats de l’exégèse biblique. Cette théorie postulait du fait qu’à l’origine le Pentateuque était composé de quatre documents, le Yahviste, l’Élohiste, le Deutéronome et l’ouvrage Sacerdotal. Nous nous trouverions en présence de quatre écrits jadis indépendants, que l’on aurait fusionnés dans un seul. L’exégète et théologien allemand Gerhard von Rad (1901 1971) qui était à la fois un pasteur luthérien et un universitaire, spécialiste de l’Ancien Testament, avait même parlé des lumières salomoniennes. Dans celles-ci, il situait le plus ancien des quatre documents, le Yahviste. C’est dans ce dernier groupe qu’il plaçait ce récit d’Abraham. Selon lui, la promesse faite à Abraham c’est-à-dire, la bénédiction, la grande nation, et le pays promis figurent sous Salomon d’une certaine manière réalisé. Ainsi cela permettait de dire que cet écrit remonte à la période salomonienne donc vers 930 avant notre ère.

D’un autre côté, Jean Louis Ska exégète et professeur d’Ancien Testament, à l’Institut biblique pontifical de Rome nous apprend que ce texte peut apparaître daté de l’époque perse. On se retrouve dès lors avec 500 à 600 ans de différence. En fait, Jean Louis Ska effectue une autre observation. Il dit et là il a raison « ce que l’on annonce ici à Abraham c’est une rhétorique qui vient de l’idéologie royale ». C’est au roi que revient en effet la promesse de rendre grand son nom, et de devenir une source de bénédictions. On retrouve cette promesse en 2 Samuel 7,9. « J’ai été avec toi partout où tu as marché, j’ai exterminé tous tes ennemis devant toi, et j’ai rendu ton nom grand comme le nom des grands qui sont sur la terre. » et au psaume 72,17 : « Son nom subsistera toujours, aussi longtemps que le soleil son nom se perpétuera ; par lui, on se bénira mutuellement, et toutes les nations le diront heureux ». En fait, Jean-Louis Ska fait une observation très simple. Il dit ceci : « le fait que l’on transfère l’idéologie royale sur Abraham signifie que nous nous trouvons à une époque où en Israël il ne se encontre plus de roi. Donc cette idéologie devient disponible pour l’appliquer à quelqu’un d’autre. » On voit que si nous nous basons seulement sur le contenu d’un écrit cela n’est pas aussi clair que cela.

On peut avoir une sympathie avec la théorie de Ska, mais en réalité elle reste fragile. Alors, comment trancher ?

La difficulté de dater les textes du Pentateuque.

Certains disent recherchons des indications spécifiques dans les textes. Mais si l’on regarde le Pentateuque, là on se retrouve devant une difficulté. Ce problème réside en ce que contrairement aux livres des Rois, qui désignent de nombreux souverains étrangers assyriens, égyptiens, etc.. Bref qu’il nous livre des noms que l’on trouve dans d’autres documents, et qu’ils donnent des détails historiques. Dans le Pentateuque, nous rencontrons très peu de personnages que l’on peut dater comme des éléments authentiques, et le Pentateuque semble pas très enclin à nous offrir de tels détails. Dans le Pentateuque, on nous parle beaucoup d’Abraham, de Joseph et l’histoire de l’Exode, on discourt beaucoup sur pharaon. Mais qui était ce pharaon ? Certains estiment que le pharaon opposé à Moïse du livre de l’Exode, c’est Ramsès. Du moins pour ceux qui considèrent que les événements qui figurent dans ce récit ont un fondement historique, et bien qu’aucune preuve pouvant l’attester n’apparaissent, et que son nom ne figure nulle part dans le Pentateuque. Le pharaon du Pentateuque reste un anonyme. Si le Pentateuque voulait dater la narration, (pour apporter une preuve historique par exemple) la moindre des choses aurait été de nous dévoiler le nom du pharaon en question. La seule exception c’est pour le roi philistin Abimélek qui pourrait éventuellement être mis en relation avec Abdi-Milki (roi d’Ashdod), mentionné dans une inscription d’Assahaddon en 673/672 avant notre ère. Mais à ce moment-là on ne se trouve pas du tout au temps des patriarches on est au 7e siècle. Ce que l’on peut constater, c’est que dans le Pentateuque, la plupart des récits semblent construits sur des types ou des personnages symboliques ; d’une certaine manière, mythique, à travers lesquels le texte présente ici l’intervention de Yhwh en faveur de son peuple. Cela peut se retrouver alors dans l’histoire à tel ou tel événement précis et par conséquent cela doit se trouver pris en considération.

La volonté de trouver des dates pour les patriarches ou pour l’Exode et pour Moïse, demeure une tentative quelque peu difficile voir erroné. Souvent derrière cette conception de vouloir dater l’époque des patriarches ou l’Exode repose l’idée que de la vérité historique des récits bibliques dépend entièrement leur crédibilité. Autrement dit, si cela ne s’est pas passé, alors la Bible ne dit pas vrai et elle ne peut-être reçu comme innerante. Or, fondamentalement, un écrit « inerrant » ne s’impose pas seulement à la foi de manière absolue, mais aussi de façon nécessaire. Dans certains milieux, cette équation est toujours maintenue. Cela pousse les adeptes de l’innerance biblique à rejeter toutes critiques historiques des écrits bibliques, et à nier certaines conclusions des recherches scientifiques et historiques. Ainsi la Terre fut bel et bien créée en 6 jours quoique l’on en apprenne par la science et la technologie ; le déluge a bien existé, et les humains sont les descendants d’Adam et Eve et non le résultat d’une longue évolution. On voit que la mauvaise compréhension (ou la mauvaise fois parfois) et une idée fausse que l’on se fabrique des écrits bibliques, nous oblige à adopter une lecture littérale et cela nous conduit à deux extrémités. Soit au fondamentalisme religieux, soit à un rejet total de ce même état ou groupe religieux (pour ne pas parler de sectes).

Dès lors selon moi on rencontre une lecture, disons de convictions religieuses, et une approche déclarons historienne des textes bibliques, et nous n’avons aucun intérêt à mélanger les deux niveaux. Par conséquent la question sur la vérité biblique, nous contraint à aborder autrement cette question qu’en fonction de l’historicité des événements. Donc un récit peut tout à fait dire vrai d’une certaine manière même s’il ne sait jamais passer. J’aime saisir comme exemple les fables de Jean de la Fontaine. Celles-ci mettent en scène des dialogues d’animaux, or ; chacun sait que les animaux ne parlent pas (item l’ânesse de Balaam du livre des Nombres 22-23). Cela ne signifie pas pour autant que ces fables ne représentent rien qui puisse nous enseigner. Si nous prenons le récit de Caïn et Abel ! c’est une histoire qui ne s’est jamais passée, mais qui d’une certaine manière se déroule tout le temps. Cette histoire demeure intemporelle puisque nous nous situons en présence d’une réflexion sur l’origine de la violence. La narration nous enseigne que la violence prend ses racines dans la jalousie entre deux êtres humains, ici deux frères en l’occurrence. La vérité ne réside pas dans l’historicité des deux personnages ; mais avec le récit de Caïn et Abel on apprend en m’étant en parallèle celui-ci avec d’autres textes bibliques ; comme certains Psaumes ou Sagesses que « la joie de vivre » c’est plus précisément une joie empathique, une joie bienveillante et altruiste qui se réjouit du bonheur et des succès des autres. C’est une joie sacrée qui fait son délice du bien-être de son prochain, au lieu de nourrir des pensées envieuses et jalouses à son égard. On donne habituellement l’exemple des parents qui se réjouissent des progrès et du bonheur de leurs enfants. Donc on nous enseigne que pour les parents « Adam et Eve » et à travers eux l’humanité, l’histoire commence très mal quand les enfants sont jaloux les uns des autres. Étant donné qu’autrement, on constate très rapidement de grands problèmes, dans la mesure où cette question arrive très vite : où est-ce que Caïn a trouvé sa femme ? Si vous prenez l’historicité dans un sens très précis, aucun être humain mis à part Adam, Eve et les deux enfants peuplaient la Terre. Cela montre ainsi en effet que nous demeurons là sur un niveau du récit du mythe. Donc nous n’avons aucun intérêt à confondre l’historicité des événements avec des possibilités justement de les légitimer d’une manière ou de l’autre.

Mais si nous revenons maintenant à la question de la datation des récits par eux même, alors une hypothèse semble venir à notre secours. Cette hypothèse, beaucoup de gens vont y croire, c’est ce qu’on appelle « l’évidence linguistique ». À travers celle-ci émerge l’idée que l’on dispose ici d’outils tout à fait précis voir objectif. L’on va dire que l’on peut effectuer une distinction entre l’hébreu biblique classique, et l’hébreu biblique tardif, puisqu’en effet l’hébreu comme toutes les langues a connu une évolution. Si vous regardez certains textes, vous voyez que les livres des Chroniques par exemple sont écrits dans un hébreu différent que le livre des Rois. Bien entendu, apprécier ce fait quand on ne peut les appréhender qu’à travers une traduction demeure difficile. Mais pour celui ou celle qui peut lire le texte en hébreu, cela peut montrer que les Chroniques se trouvent plus récentes que le livre des Rois. C’est donc une méthode très suivie surtout aux États unis, en partie en Israël, plus à Jérusalem qu’à Tel-Aviv. Mais en Europe, l’on demeure hésitant.

Pourquoi sommes-nous hésitant ?

En fait, l’on se doit de prendre d’extrêmes précautions avec cette idée. En effet une fois que l’on a décidé que nous nous trouvons en présence d’hébreu classique ou d’hébreu tardif, pouvons-nous parvenir à dater le texte ? Nous allons tout de suite aborder le problème. En premier lieu, nous devons nous demander, avec E. Ullendorf et E. A. Knauf, si l’hébreu biblique subsistait véritablement comme une langue parlée. Cela demeure en effet une bonne question ! Car si évolution d’une langue il y a, cela ne peut-être qu’en rapport avec une langue parlée. Donc, est-ce que l’hébreu biblique tel que l’ont fixé les massorètes, au moyen-âge demeurait vraiment l’hébreu d’usage au IX et VIII siècle avant notre ère ? Rien n’apparaît plus incertain ! Autre question peut-on imaginer une langue hébraïque unifiée. Est-ce que dans le nord en Samarie l’on parlait exactement de la même manière qu’à Jérusalem ? Des variantes dialectales et géographiques devaient sans aucun doute exister.

Tout le monde reste d’accord pour dire que le recueil de Qohélet (l’Ecclésiaste) figure l’un des derniers livres de la bible hébraïque. À ce sujet, aucun doute n’est permis, puisqu’il demeure rédigé dans un hébreu qui se trouve tardif d’une certaine manière ; et qui a des particularités que l’on va retrouver après dans l’hébreu de la Mishna et l’hébreu rabbinique. Dans ces conditions, nous pouvons affirmer que nous demeurons en présence d’un document vraiment écrit dans cet hébreu tardif. En même temps, nous possédons l’histoire de Jonas que beaucoup datent de la période helléniste ; ou également la première partie du livre de Zacharie que l’on situe à l’époque perse, et qui figure tous deux déjà rédigée dans un hébreu classique. Il se trouve donc délicat de simplement se baser sur l’état linguistique d’un texte. On constate que vouloir tracer une ligne de démarcation entre l’hébreu biblique « classique » et l’hébreu biblique « tardif » semble difficile. Encore récemment Cynthia Edenburg du département d’histoire, de philosophie et d’études juives à l’université de Tel-Aviv présente une observation très intéressante. Elle démontre que les écrits que l’on admet souvent pour tardifs de l’époque perse ont la même particularité que l’on trouve dans les inscriptions hébraïques en dehors de la Bible, datée du IX et VIII siècle. À savoir que ceux-ci mettent le COD (complément d’objet direct) par conséquent à l’accusatif dans les pronoms est collé directement aux verbes alors qu’une autre manière de l’exprimer existe. Donc cela est quelque chose que l’on a à la fois dans les écrits tardifs, mais au niveau des inscriptions vous constatez déjà cela aux IX et VIII siècles. En conclusion, l’hébreu biblique se trouve avant toute chose une langue littéraire ; comme une sorte de photos d’une langue à un moment précis, et dont la longévité à dépassé le stade du « parlé », et qui est devenu une langue sacrée. Nous devons aussi nous imaginer que les rédacteurs les scribes-réviseur du texte, étaient aptes d’écrire de la même manière dans le style identique que l’écrit du texte qu’ils révisaient. Ils se trouvaient capables de préserver ou encore d’inventer en partie une langue qui ne figurait plus parlé depuis de nombreux siècles. Le fait que le livre Qohélet soit écrit dans un langage tardif ne représente pas un hasard. En effet, puisque probablement nous nous trouvons là en présence de l’unique livre dans la Bible qui figure écrit par un seul et même auteur et d’un seul trait. Si l’on doit dater celui-ci seulement au troisième siècle alors évidemment on peut comprendre pourquoi là on possède ce fameux hébreu tardif.

Par exemple en dehors de la Bible les scribes mésopotamiens aux VI et V siècles savaient encore écrire le sumérien, alors que plus personne ne parlait le sumérien depuis mil ans. Cela montre que l’on se doit de rester prudent avec cette idée de décider si l’on se trouve en présence d’hébreu classique ou d’hébreu tardif. Un autre bon exemple est celui du latin utilisé dans l’Église primitive (au temps des empereurs Romains) puis dans l’Église catholique romaine au moyen-âge ; alors que le latin ne se trouvait alors plus d’usage dans le langage commun. Il y a des gens à Jérusalem qui prétendent que tout le Pentateuque fut achevé au VI siècle avant notre ère parce qu’il figure rédigé dans un hébreu classique. C’est oublier que les scribes peuvent encore à l’époque helléniste écrire en hébreu classique s’ils ont besoin de travailler sur certains documents. On peut donc en effet s’intéresser au style linguistique tout en sachant que celui-ci ne nous apportera pas une résolution absolue non plus.

Disposons-nous d’autres solutions ?

Une autre solution c’est ce que l’on nomme : Arguments ex-silencio. C’est une méthode que l’on retrouve aussi dans les études classiques. Il consiste à exprimer une conclusion qui se fonde sur le manque de déclarations contenues dans les documents historiques, plutôt que de leur présence. Ainsi dans l’analyse historique avec une argumentation du silence, on utilise l’absence de référence à un épisode ou à un écrit pour mettre en doute l’événement non mentionné. Tandis que la plupart des approches historiques s’appuient sur ce que contiennent les œuvres d’un auteur, un argument du silence repose sur ce que le livre ou le document ne contient pas. Cette approche exploite alors ce qu’un écrivain « aurait dû dire » plutôt que ce qui demeure disponible dans les écrits existants de l’auteur. L’argument du silence ne peut s’appliquer à un document que si l’auteur figurait censé posséder l’information, avait l’intention de donner un compte rendu complet de la situation ; et que l’élément apparaissait suffisamment important et intéressant pour mériter de se trouver mentionner à l’époque. Donc l’idée reste que si cela ne se trouve pas mentionné c’est que cela n’existe pas encore. Celui qui a essayé d’appliquer cela aux textes bibliques se nomme Ch. H. Vorländer dans son livre Die Entstehungszeit des jehowistischen Geschichtswerkes, 1978. Il a tenté de démontrer que la plupart des textes narratifs du Pentateuque qui ne se trouvent pas dans la tradition présacerdotale du Pentateuque remontent à l’époque tardive. Ils ne sont pas attestés dans d’autres parties de la bible hébraïque avant l’époque de l’exil babylonien au VI siècle. Son idée réside en ce que tous les textes narratifs du Pentateuque ne datent qu’à partir de l’époque babylonienne.

Cet argument demeure souvent difficile, car l’absence d’une évocation ne signifie pas nécessairement la non-existence d’une tradition. Par exemple, vous ne possédez dans la Bible aucune allusion à Adam et Eve. Est-ce que cela veut dire que ce récit ne fut seulement écrit à l’époque helléniste ? Probablement pas. Mais on trouve quand même dans cet argument quelques observations que l’on peut effectuer et qui apparaissent intéressantes. Par exemple, quand on regarde la figure d’Abraham comment il apparaît cité en dehors de l’Hexateuque (Gn — Jos), on va en effet se rendre rapidement compte que contrairement à Jacob qui figure citée tout le temps ; Abraham se trouve très peu cité. D’ailleurs ce qui est intéressant si vous prenez le tableau ci-dessous il n’y a aucune occurrence du duo Abraham et Isaac.

 

On trouve quelques citations d’Abraham avec Jacob, mais jamais avec Isaac.

Quand l’on regarde les textes les plus anciens, ceux qui datent des prophètes que l’on situe à l’époque babylonienne, au VI siècle, alors là vous trouvez Abraham qui nous apparaît présenté comme étant seul. Pourquoi est-il seul ? Ne Ocurence abraham-t-il pas encore de fils c’est très curieux ! Mais il est présenté comme un personnage qui est mis en relation avec le pays parce qu’il a possédé le pays ; mais cela n’est pas dit comme dans le livre de la Genèse où c’est Dieu qui promet le pays, là il a possédé le pays. Il se trouvait infertile et il a eu une descendance ;

Ez 33,24 : « Fils de l’homme, ceux qui habitent ces ruines dans le pays d’Israël disent : Abraham était seul, et il a hérité le pays ; à nous qui sommes nombreux, le pays est donné en possession. »

Es 51,1-3 : « 1 Ecoutez-moi, vous qui poursuivez la justice, qui cherchez l’Éternel ! Portez les regards sur le rocher d’où vous avez été taillés, sur le creux de la fosse d’où vous avez été tirés. 2 Portez les regards sur Abraham votre père, et sur Sara qui vous a enfantés ; il était seul, en effet, quand je l’ai appelé, or je l’ai béni et multiplié. 3 Ainsi l’Éternel a pitié de Sion, il a pitié de toutes ses ruines ; »

Cela veut dire que l’on trouve quand même dans ces deux allusions quelques liens avec les grands thèmes de la Genèse le pays et la descendance. Quand on regarde ce texte du VI siècle comme Ézéchiel 33, qu’est-ce que l’on peut dire ? On peut dire que c’est difficile d’imaginer qu’on aurait inventé Abraham à cette époque-là, parce qu’il n’est pas présenté comme quelqu’un d’inconnu. Il apparaît considéré, et comme étant en effet un personnage reconnu. Cependant dans les deux cas il n’est pas lié ni a Isaac ni à Jacob, donc est-ce qu’à ce moment-là la tradition d’Abraham était déjà reliée à la tradition de Jacob. Cela est une question que l’on peut se poser.

Autre exemple où c’est encore plus frappant, c’est l’histoire de Joseph. Dans toute la Bible, vous ne rencontrez aucune allusion claire à l’histoire de Joseph. Le nom Joseph demeure mentionné souvent, mais comme un nom géographique pour Ephraïm pour le nord ; mais la seule allusion à l’histoire de Joseph c’est le psaume 105, et là tout le monde se trouve d’accord que le psaume 105 demeure l’un des derniers psaumes qui résument l’ensemble du Pentateuque. Donc un psaume qui est tardif.

Dans le Siracide, qui ne figure pas dans la bible hébraïque, mais qui date du deuxième siècle, avant notre ère ; et qui contient toute une énumération des grands hommes historique d’Adam jusqu’aux Rois et des prophètes, on passe directement de Jacob à Moïse. Et tout à la fin l’on dit : « ah ! il y avait encore Joseph ». Comme si cela figurait être qu’un oubli, ou encore comme si quelqu’un l’aurait ajouté après. Donc cela veut dire quand même que là on reste assez sûr que c’est une histoire récente l’histoire de Joseph. À partir de là, on peut aussi comparer cette théorie avec les observations des égyptologues. Ceux-ci nous disent, que la plupart des noms, ou des coutumes, qui sont présupposés dans l’histoire de Joseph figurent dans des époques que l’on appelle l’époque Saïte à partir du VII ou VI siècles. Dans ce cas, on ne se trouve pas au début du premier voir la fin du deuxième millénaire. Donc là vous n’avez pas d’autres possibilités. Mais cela n’est finalement jamais précis.

Après vous, possédez des questions que l’on peut également poser avec :

Terminus a quo — terminus ad quem.

À partir de quand un texte littéraire a-t-il pu se trouver rédigé et jusque quand il a dû être écrit.

Exemple très classique c’est la fin du livre des Rois : 2 Rois 25,27-30 :

« La trente-septième année de la déportation de Yoyakîn, roi de Juda, le douzième mois, le vingt-sept du mois, Ewil-Mérodak, roi de Babylone, l’année même où il devint roi, fit grâce à Yoyakîn, roi de Juda et le libéra. 28 Il lui parla en ami et lui accorda un siège plus élevé que celui des autres rois qui partageaient son sort à Babylone. 29 Il lui fit quitter ses vêtements de prisonnier et Yoyakîn prit ses repas constamment en présence du roi, tous les jours de sa vie. 30 Sa subsistance, la subsistance quotidienne, lui fut assurée par le roi chaque jour, tous les jours de sa vie. »

L’histoire se termine avec le roi Yoyakîn, qui sort de sa prison babylonienne, sous le règne de Hamel Marduk qui figure ici vocalisé Ewil-Mérodak par les massorètes. On possède d’ailleurs des tablettes mésopotamiennes qui nous parlent de ce roi. C’est en effet là un souvenir historique. L’on sait d’autre part que ce roi est mort vers 560 avant notre ère. Donc Martin Noth (1902 1968) historien et exégète protestant allemand, spécialiste de l’Israël prémonarchique. Nous dit : Le Deutéroniste a écrit son œuvre entre 562 et 560 (année de la mort d’Amel-Marduk) puisque celui-ci n’écrit rien d’autre. Est-ce que cela est la seule conclusion que l’on peut en tirer ? C’est en effet la date la plus tôt possible, mais est-ce que c’est nécessairement la date la plus tardive ? Si je reprends une citation de Graeme Auld un spécialiste britannique de l’Ancien Testament, professeur de bible hébraïque à l’université d’Édimbourg qui site : « Le fait que les livres des Rois s’achèvent sur le destin du dernier roi de Juda ne nous en dit pas plus sur la date de leur composition (généralement considérée comme exilique) que le fait que le Pentateuque s’achève sur la mort de Moïse ».

Mais il apparaît sûr qu’un rédacteur peut arrêter une histoire en l’écrivant dans un contexte beaucoup plus éloigné du dernier événement que l’on écrit. Cela peut-être aussi une option simplement théologique ou idéologique. Peut-être l’auteur voulait-il montrer que le destin de Yoyakîn se trouve symbolique pour le destin des exilés qui désormais peuvent s’installer en diaspora. On peut dès lors dire que c’est la période la plus tôt imaginable, mais pas que c’est nécessairement la seule date possible de composition. Vous possédez donc d’autres éléments qui portent dans ce sens-là par exemple l’expression de כשדים אוד (Our Casdim) (= Our des Chaldéens) Abraham va provenir d’Our Casdim. Cela figure confirmée dans la bible hébraïque en Gn 11, 28, 31 (P) ; Gn 15,7 et Ne 9,7. Or cela est très intéressant parce que cette expression Our Casdim n’est pas beaucoup affirmée ; et elle se trouve construite sur le nom כַּשְׂדִּי Kaśdîm (Chaldéens) qui lui est largement attesté surtout dans les Rois et dans Jérémie, où il fait chaque fois référence aux Néo-Babyloniens. Ceux-ci ont régné à partir du VI siècle voir la fin du VIIe siècle avant notre ère. Cela veut dire que l’écrit qui utilise ce terme la, et même les textes qui relatent Abraham ne peuvent pas apparaître rédigé avant l’existence du terme. C’est des textes qui au plus tôt peuvent être écrits au VI siècle. Il en demeure de même pour יָוָן, (Yawan) dans le Pentateuque, que l’on trouve dans la « table des nations » ; Gn 10, 2-5, ailleurs, en Es 66,19 ; Ez 27, 13-19 ; Za 9,13 et Dn 10, 20 ; 11,2 pour désigner des populations grecques d’Asie Mineure ou de Grèce (textes des époques perse et hellénistique). On peut donc dire que c’est sans doute dans ce contexte-là que le récit de la table des nations qui parle de Yawan est écrit. Précision que l’on retrouverait le nom d’Ionie (KUR.ia-man) dans une inscription d’Assarhaddon (possibilité d’un terminus a quo antérieur ?) On a là quand même des possibilités au moins d’annoncer que tel ou tel texte ne figure pas possible avant le VII siècle ou avant le VI siècle. Mais cela ne nous dit pas à quel moment précis cela fut écrit.

Ensuite, qu’avons-nous comme autres possibilités ?

On a la possibilité de dater le texte en procédant à des comparaisons avec des textes en dehors de la Bible. Tout le monde sait que l’histoire du déluge de la Bible demeure très proche du récit du déluge que l’on rencontre dans la onzième tablette de Gilgamesh (époque néo-assyrienne).

On peut dire que, très probablement les auteurs de ce texte (car le récit du déluge dans la Bible se trouve composé de plusieurs strates) connaissaient ce texte de Gilgamesh. La question apparaît la suivante, à quel moment ont-ils eu connaissance de celui-ci ? Quand les scribes hébreux ont-ils put-être en contact avec ce texte ? Au cours de de l’exil babylonien, alors qu’ils figuraient prisonniers à Babylone ! Cela semble assez possible parce que là évidemment ils avaient certainement entendu parler du déluge, et du récit de la création sans doute. Ou est-ce que ce récit apparaissait déjà véhiculé par des marchands assyriens par exemple ? Donc là encore on se trouve jamais tout à fait sûr, mais l’exil babylonien reste la piste prioritaire.

L’histoire de la naissance d’Ismaël en Gn 16, qui est le premier fils d’Abraham, on peut le mettre en rapport avec un genre d’alliance de tribus arabes qu’ils se nomment Shumu’il ; et attesté au VII siècle à partir de documents assyriens. Donc est-ce dans ce contexte-là que l’auteur de Genèse 16 souhaite montrer qu’Abraham est le père de ces tribus ? Veut-il effectuer une sorte de lien entre des judéens qui demeurent à Hébron et qui fréquente ces groupes semi-nomades qu’ils sont appelés par les Assyriens Shumu’il ? Cela demeure envisageable.

Autre possibilité, c’est lorsque vous possédez un récit en dehors de la Bible qui figure très proche d’un récit biblique. C’est le cas par exemple, de l’histoire de la naissance de Sargon d’Akkad (en Mésopotamie). Le récit rappelle étrangement le récit biblique de la naissance de Moïse (Ex 2, 1-10). Cette ressemblance générale nous apparaît précieuse, car c’est dans les minces différences entre les deux textes que nous repèrerons des clefs de lecture afin d’interpréter ce que Israël a bien pu vouloir dire à la postérité.

Le texte ce réfère en fait au roi Sargon premier, mais il se présente rédigé à l’époque de Sargon II pour légitimer ce roi et là on a trouvé de manière matérielle les tablettes. Alors ces tablettes-là datent justement de la fin du VIII siècle début du VII siècle, et par conséquent cela nous donne de nouveau une sorte de Terminus a quo. Que le récit de l’exode présuppose ces textes-là, semble fortement vraisemblable. Donc l’on peut dire que ce texte semble écrit au VII siècle (sous le roi Josias) ?

Sargon moi se

Tout d’abord, dans le récit de la naissance de Sargon, on voit que les parents ne possèdent pas du tout le même genre d’importance. En traçant grossièrement le portrait, l’un pourrait se trouver placé dans les plus hauts échelons, tandis que l’autre figurerait quelque peu dans les plus bas. En ce qui concerne Moïse, il est plutôt écrit que son père et sa mère relèvent de la tribu sacerdotale. Je soulève, sans m’y attarder, le fait que la mère occupe clairement la première place chez Sargon ; mais que, pour Moïse, l’écart entre les deux parents figure moins net parce que le père est nommé en premier, mais que c’est la mère qui se trouve plus présente dans l’histoire. Aussi, lire dans ce passage biblique une sorte d’égalité du père et de la mère dans l’anonymat semble intéressant. D’une autre manière, il ne procède pas d’un anonymat complet puisque leur identité dépend de celle d’une tribu (celle de Lévi), et d’un peuple (Israël). Comparé à Sargon dont nous éprouvons aujourd’hui quelques difficultés à identifier, certes on nous dit que sa mère est une grande prêtresse, mais encore ? Ce qui est mis de l’avant dans le récit de la naissance de Moïse est son appartenance, son bagage identitaire.

Ensuite, dans les deux récits, les mères paraissent vivre ces événements dans le secret. Du côté de Sargon, de la conception à la naissance tout figure dissimulé, pour Moïse, la lecture du récit ne nous permet de le savoir caché qu’après sa naissance, après que sa mère ait vu sa beauté. En ce qui concerne Sargon, le secret de son existence semble tenir à son existence même. Mais pour Moïse cependant, la vie intra-utérine ne semble un problème pour personne. Le secret devient nécessaire dans un second temps.

En ce sens et selon la formulation employée, je perçois que la mère de Sargon n’a pas possédé trop de difficulté à se distancer de l’enfant. En effet, elle conçut, enfanta et déposa Sargon dans une corbeille (comme une suite froidement logique). Le récit suggère un geste plus déchirant pour la mère de Moïse qui, n’ayant pas le pouvoir de faire autrement (par contrainte), dû se départir de l’enfant. Afin de mener à terme leur entreprise, chacune des deux mères utilise du bitume pour leur corbeille, mais autrement. Remarquons bien cette disparité, car elle peut sembler révélatrice d’une différence de relation avec leur enfant. La mère de Sargon le dépose d’abord, puis elle « scelle » l’ouverture avec le bitume. On rencontre là une sorte d’officialité, de solennité ou de froideur. D’ailleurs, Sargon nous confie qu’il en était prisonnier. En sens contraire, la mère de Moïse enduit la caisse de bitume avant d’y déposer son fils. Ici, il n’apparaît aucunement question de fermer l’entrée (puisque l’enfant y sera déposé après), mais peut-être plutôt de solidifier et de rendre plus sécuritaire le petit nid. De plus, soulignons que la mère de Sargon lance la corbeille sur le fleuve. C’est donc avec beaucoup d’entrain ou d’élan — car l’action de lancer nécessite un élan — qu’elle se débarrasse de son fils captif dans la corbeille. De l’autre côté, la mère de Moïse dépose la caisse de papyrus sur le bord du fleuve. Dans le récit de Sargon, figure un contact direct et franc avec l’eau qui représente pour ces peuples antiques à la fois la mort/désordre et la vie. Pour Moïse, le contact avec l’eau ne figure pas aussi évident. Est-ce que Moïse s’est laissé bercer par le fleuve ? Est-il resté sur le rivage, dans les joncs ? Quoiqu’il en soit, son expérience est sans doute apparue moins mouvementée que celle de Sargon.

À la sortie du fleuve, Sargon se trouva repêché avec un sceau, tandis que Moïse se trouva pris par une servante de la fille du pharaon alors qu’il gisait (resté ?) au bord du fleuve. À ce moment-ci, je me dois de soulever un détail : la sœur de Moïse reste postée en observatrice. Du point de vue narratif, il paraît que, ce rôle soit parfait pour expliquer raisonnablement comment la narration a pu être transmise dès la conception de Moïse. Dans le récit de la naissance de Sargon, il ne semble pas ressentir le même souci de preuve. Sargon, demeure le seul témoin de son changement de vie : fils de grande prêtresse à fils de jardinier. Il est le narrateur de sa propre histoire et ne cherche à démontrer à personne que ce qu’il dit est « scientifiquement » vrai. Dans le cas de Moïse, l’intervention de sa sœur permet de lier la première partie de l’histoire : fils d’une femme appartenant à la tribu de Lévi, à la deuxième, un fils de la fille du pharaon. Comment ne pas noter le mouvement inverse de Sargon et de Moïse : le premier demeure au sommet de la société, devient jardinier, et puis roi. Le deuxième est un simple Hébreu, devient fils de la fille du pharaon, puis redevient un Hébreu (mais pas n’importe lequel tout de même).

Notre comparaison de ces deux récits voisins nous a révélé à travers leurs différences, l’importance que le peuple d’Israël accordait à l’identité et à la transmission d’un héritage (à travers le soin de l’enfant).

Dans la même ligne réside le parallèle qui existe entre la structure des traités de vassalité néo-assyriens et le livre du Deutéronome, dont la version primitif dépend plus spécifiquement d’un serment de royauté celui d’Assarhaddon (-672).

Le rapprochement des malédictions en Deutéronome 28 avec le pacte d’Assarhaddon apparut opéré rapidement par D. Wiseman dans son édition du texte assyrien et approfondi par M. Weinfeld. Dans sa thèse de doctorat parue en 1995, H.-U. Steymans est allé plus loin : il a proposé que ces analogies très frappantes soient dues à un emprunt littéraire direct. Quelques parallèles suffiront :

Que Sin, l’éclat du Ciel et de la Terre, vous revête de lèpre et vous interdise l’accès aux dieux et au roi. Errez dans le désert comme l’âne sauvage et la gazelle. (SAA 2 6 : 419-421)

La liste de maladies incurables envoyées par Yhwh figure assez proche :

Yhwh te frappera de furoncles d’Égypte, d’ulcère, de gale et de démangeaison, dont tu ne pourras guérir. (Deut. 28 : 27)

Ou encore :

Que Ninurta, le premier des dieux, vous abatte de sa flèche cruelle ; qu’il emplisse la plaine de votre sang et nourrisse l’aigle et le vautour de votre chair. (SAA 2 6 : 425-427)

À comparer avec :

Ton cadavre servira de nourriture pour tout oiseau du Ciel et tout animal de la Terre, et personne ne les effraiera pour les chasser. (Deut. 28 : 26)

Certes, là encore on ne retrouve pas d’emprunt en mot à mot –  simplement parce que le polythéisme assyrien nécessitait des adaptations ; mais les thématiques se trouvent étroitement semblables, comme une étude plus détaillée permet de le montrer, et surtout l’enchaînement des malédictions figure très parallèle dans les deux textes.

Cependant, la ressemblance ne se limite pas aux malédictions. Les clauses de loyauté envers Assurbanipal insistent sur l’exclusivité du lien avec le futur roi :

Vous aimerez Assurbanipal, le grand dauphin, fils d’Assarhaddon, roi d’Assyrie, votre seigneur, comme vous-mêmes. (SAA 2 6 : 266-268)
Vous vous tiendrez à tout ce qu’il dit et ferez tout ce qu’il commande, et vous ne vous chercherez aucun autre roi ou seigneur que lui. (SAA 2 6 : 195-197)
Ce pacte (…), vous le direz à vos fils, à vos petits-fils, à votre semence et à la semence de votre semence qui existera après ce pacte et pour toujours. (SAA 2 6 : 283 et 288-291)

De telles clauses demeurent très proches de ce qu’on trouve en Deutéronome 6 :

Écoute Israël : Yhwh est ton Dieu, Yhwh est un. Tu aimeras Yhwh ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être et de toute ta force (…). Garde ces paroles que je te commande aujourd’hui sur ton cœur et enseigne-les à tes fils. (Deut. 6. 4-7a)

L’obligation de ne pas suivre quiconque pousse à la rébellion, y compris dans sa propre famille, mais au contraire de le dénoncer, voire de le mettre à mort reste un des engagements souscrits dans le pacte d’Assarhaddon :

Si vous entendez quelque parole mauvaise, impropre, laide, inconvenante, ou disant du mal d’Assurbanipal (…) de la bouche de vos frères, vos fils, vos filles ou de la bouche d’un prophète, d’un extatique, d’un demandeur d’oracle, ou de la bouche de quiconque, vous ne le cacherez pas, mais vous viendrez le rapporter à Assurbanipal (…). Si vous êtes capables de les saisir et de les mettre à mort, alors vous devrez éradiquer leur nom et leur semence du pays. (SAA 2 6 : 108-123 et 138-140)

La similitude avec ce qu’on trouve dans Deutéronome 13, où Dieu prend la place du futur roi d’Assyrie, ressort frappante :

Si apparaît parmi vous un extatique ou un visionnaire et qu’il te dise : « Suivons d’autres dieux et servons-les », tu ne tiendras pas compte des paroles de l’extatique ou du visionnaire, mais tu suivras Yhwh ton Dieu, tu ne craindras que lui, tu garderas ses seuls commandements, tu obéiras à sa voix, tu le serviras, tu te tiendras à lui. Et cet extatique ou visionnaire sera mis à mort pour avoir parlé de trahir Yhwh ton Dieu. Si quelqu’un t’entreprend secrètement, qu’il s’agisse de ton frère, du fils de la mère, de ton fils, de ta fille, de la femme de ton cœur, ou de l’ami que tu aimes comme toi-même, te disant : « Allons servir d’autres dieux », tu ne dois pas lui obéir ni le suivre. Ne lui montre ni pitié ni compassion et ne le cache pas, mais tue-le certainement. (Deut.13 : 2-10)

L’injonction de ne rien y ajouter ou retrancher figurant dans les deux textes demeure également très semblable. On trouve d’un côté :

Vous ne changerez ni n’altérerez aucune parole d’Assarhaddon, roi d’Assyrie. (SAA 2 6 : 57)

Et de l’autre :

Tu dois diligemment observer tout ce que je te commande, ne lui ajoute ou ne lui retranche rien. (Deut.13 : 1)

La dépendance littéraire figure donc très vraisemblable, mais pas au point toutefois de considérer ces passages du Deutéronome comme demeurant à l’origine de simples traductions du texte akkadien, comme le soutient E. Otto. La question réside à savoir comment le ou les auteur(s) du Deutéronome ont pu avoir accès au texte du pacte de succession d’Assarhaddon. Les Annales d’Assarhaddon mentionnent le roi de Juda Manassé parmi les vassaux de l’empire. Dès lors, il ressort certain que Manassé a prêté un serment de fidélité à Assarhaddon, qu’il renouvela sans doute sous son successeur. Dans les Annales d’Assurbanipal, Manassé figure en effet parmi les vingt-deux vassaux qui se rendirent à Ninive en 667 pour offrir leur tribut. Qu’il se conformât à l’injonction qu’on trouve dans le pacte de succession de 672 apparaît très vraisemblable :

Vous garderez comme votre dieu cette tablette scellée du grand roi sur laquelle est écrit le pacte-adê (relatif à) Assurbanipal, le grand dauphin, fils d’Asarhaddon, roi d’Assyrie, votre seigneur, qui est scellé avec le sceau d’Aššur, le roi des dieux, et qui se trouve devant vous. (SAA 2 6 : 407-409, avec désormais l’exemplaire plus complet de Tell Tayinat, JCS 64, p. 113)

Qu’il se présente alors à Jérusalem des personnes capables de lire le cunéiforme est indubitable. En 2006, K. Radner a toutefois procédé à une importante mise en garde, passée trop souvent inaperçue. Elle a souligné que la similarité frappante entre Deutéronome 28 et le pacte de succession d’Assarhaddon n’était pas forcément due à un emprunt direct à ce texte assyrien en particulier. De nombreux autres pactes de ce genre (que nous ne connaissons que par des bribes ou de manière indirecte) ont certainement existé. Dans ces conditions, ce pourrait demeurer le texte d’un traité analogue. Sans pour autant se trouver celui d’Assarhaddon, mais aussi conservé à Jérusalem, celui-ci aurait inspiré le ou les auteurs du noyau du Deutéronome. La découverte d’un exemplaire à Tell Tayinat du pacte d’Assarhaddon, conservé dans un temple démontre que l’hypothèse qu’une tablette de ce genre se trouva présente dans le temple de Jérusalem reste tout à fait crédible. Or si l’on part dans cette direction, ne pas considérer le règne de Manassé (c. 687-642) comme le meilleur moment pour une telle exposition me semble très difficile. La réutilisation du texte aurait pu avoir lieu sous le règne de Josias ; ses auteurs convertirent un pacte avec le roi d’Assyrie en un pacte avec Yhwh. Savoir dans quelle mesure cette transformation se trouva motivée par des sentiments anti-assyriens reste un sujet de débat. En remplaçant le roi assyrien par Yhwh, ses auteurs auraient en quelque sorte retourné l’instrument de domination assyrien contre ceux qui l’avaient utilisé à leur égard.

Bien sûr, cela ne concerne pas l’ensemble du Deutéronome parce qu’il se trouva rédigé au fur et à mesure des besoins.

Après on peut fonder des datations relatives en comparant des récits parallèles à l’intérieur de la Bible. On a déjà évoqué le livre des Chroniques, ainsi que les livres des Rois, or, les Chroniques réécrivent l’histoire des Rois, elles apparaissent donc probablement plus récentes. Dans ces conditions, l’argument linguistique peut aussi entrer en considération parce qu’ils sont écrits dans un autre hébreu.

(12-26 DT le Code deutéronomique) implique Ex 20-23 (le Code d’alliance) et il se présente comme le remplacement de cette collection de lois plus ancienne. (Levinson) Exode 20-23 figure plus ancien que 12-25 DT.

La conclusion de Lv 26 semble présupposer 28 DT et d’autres textes « D » et « P » plus récents que ces textes. Cela veut dire que l’on peut établir pour certains textes quand l’on dispose de parallèles, une chronologie relative. Mais vous n’optenez pas évidemment de date précise. C’est comme un travail archéologique ensuite on doit découvrir les différentes strates et les corréler à des événements historiques, et c’est pour cela que le Deutéronome reste toujours important.

Pour conclure, je dirais qu’il demeure essentiel de toujours partir de ce qu’il apparaît le plus sûr et donc de l’époque perse. Remonter grâce au Deutéronome l’échelle du temps, cela semble possible jusqu’au VII siècle, mais tout en restant conscient que plus on remonte dans le temps plus la datation devient hypothétique et compliquée. Si l’on veut dater un texte du IX siècle voir le VIII siècle nous avons besoin de trouver de solides arguments plausibles pour l’antériorité des textes par rapport à l’époque perse. Dire que cela va bien dans le cadre du VIII ou IX siècle ne suffit pas, pouvoir le démontrer avec toutes sortes d’arguments demeure nécessaire. D’associer toutes les remarques que nous avons à disposition figures impératives. Dire comme l’histoire de la vocation d’Abraham que cela fait penser à Salomon donc je le date sous Salomon n’est pas suffisant. II est nécessaire de posséder des avenants un peu plus sûrs et plus concrets. C’est ce que nous tenterons dans les chapitres prochains en combinant toutes les observations que nous avons à notre disposition. La règle veut de toujours commencer là où les sources bibliques restent tout à fait en parallèle avec l’archéologie ; et commencer avec ce que l’on a et puis essayer de remonter couche après couche à ce qui figure le plus ancien.

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