L’Apocalypse de Jean

L’Apocalypse de Jean, l’énigme résolue.

L’Apocalypse de Jean, l’énigme résolue.

Plusieurs m’ayant demandé d’écrire sur le livre de l’Apocalypse de Jean je m’y suis attaché, bien que ce livre clôturant l’Évangile ne soit pas « ma tasse de thé » encore moins « mon livre de chevet ». Difficile d’interprétation, il est certainement celui de la Bible sur le quelle furent écrites le plus d’âneries, lesquelles circulent hélas toujours dans les cercles fondamentalistes et notamment évangéliques, et qui inspirèrent la théologie millénariste et la doctrine du millénium. J’avais donc adopté le point de vue de Jean Calvin qui se refusa d’écrire et commenter ce livre à sujet à trop spéculatif et trop extravagant peut-être à son goût.

Nous devons pour traiter ce sujet nous interroger sur quelques questions suivantes : dans quel contexte l’Apocalypse de Jean a-t-elle été écrite ? Et à quelle date ?

La rédaction de l’Apocalypse de Jean :

Selon l’exégète canadien François Rousseau dans sa thèse de doctorat soutenue à la Faculté de Théologie de l’Université de Montréal en 1968 « l’Apocalypse et le milieu prophétique du Nouveau Testament. Structure et préhistoire du texte. » (Coll. Recherches, 3, Paris-Tournai, Desclée et Cie ; Montréal, Bel — Larmin, 1971)

Le chercheur présente une nouvelle hypothèse sur la structure et la préhistoire de l’Apocalypse qui m’a paru très intéressantes et probablement la plus sérieuse jusqu’alors écrite sur la rédaction et l’étude littéraire de ce dernier livre de l’Évangile. La première partie traite de la structure de ce livre attribué à Jean. L’auteur de la thèse nous présente un plan nouveau, fruit d’une méthode ori­ginale, qui se fonde sur le principe suivant : « l’Apocalypse a été lue et relue comme un poème où la logique est davantage celle des images, des sentiments ou des états d’âme » (p. 19). D’où une division en sept cycles où chaque cycle débute par une vision du Christ et se termine par une vision du trône : 1,1 - 5,14 ; 6,1 - 8,1 ; 8,2 - 11,18 ; 11,19 - 14,5 ; 14,6 - 15,4 ; 15,5 - 19,10 ; 19,11 - 22,21. Au terme de cette première partie, l’auteur énonce quatre lois présidant à la disposition en stiques* du texte de l’Apocalypse. De plus, la disposition concentrique d’une grande partie de ces stiques* lui fournit un nouveau principe d’interprétation et lui permet d’entreprendre, la deuxième partie de sa recherche sur la préhis­toire du texte.

* Le stique est uns ligne poétique. Dans la langue hébraïque, c’est l’élément de base de la métrique poétique. En général, le texte poétique est écrit en vers ; néanmoins, certains textes poétiques sont développés en prose. Les vers, les strophes et le rythme composent la métrique du texte poétique.

Partant de la dernière rédaction et par l’analyse minutieuse des indices de compilation et de relecture, l’auteur remonte au noyau primitif du livre en identifiant cinq couches rédactionnelles successives : d’abord trois couches chrétiennes plus récentes écrites après la destruction du Temple :

1) La dernière rédaction, le texte actuel de l’Apocalypse, œuvre d’un cercle de prophètes dont le travail a consisté à unir les chapitres 1-3 et les chapitres 12-14 aux chapitres 4-11 et 15-22.

2) L’apocalypse des lettres ; avec des variantes dues aux situations spécifiques de chacune des sept Églises, les lettres suivent un même modèle. La première lettre à l’Église d’Éphèse (2,1-7) peut servir de point de référence.

3) L’apocalypse des chapitres 4-11 et 15-22 ou apocalypse de l’Agneau ; enfin deux couches primitives juives écrites avant la destruction du Temple (guerre des Juifs).

 4) L’apocalypse du double septé­naire des trompettes et des coupes ; 

5) l’apoca­lypse des trois malheurs. Apocalypse 8 : 13 : « Je regardai et j’entendis un aigle qui volait très haut dans le Ciel et qui disait d’une voix forte : « Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre à cause des autres sonneries de trompette, celles que les trois anges vont encore faire retentir ! »

Pour confirmer son hypothèse, l’auteur montre comment les données de l’histoire primitive permettent de rattacher la composition de l’Apocalypse à une école de prophètes placés sous l’influence de l’apôtre Jean. On ne peut guère mettre en doute le fait que l’Apocalypse ne soit pas simplement un récit de visions, mais plutôt le résultat d’un travail de réflexion et de composition qui a dû utiliser des matériaux préexistants que nous verrons ensuite. La « révélation » faite à Jean se présente comme une œuvre savante obéissant aux lois du genre apocalyptique. D’où l’intérêt du chapitre IV de la deuxième partie où M. Rousseau situe l’écrit dans la vie des premières communautés chrétiennes et judéo-chrétiennes primitives et parle de l’Apocalypse comme d’une œuvre collective continue, bâtie à partir de l’événement choc que fut la première guerre des Juifs en 66 qui conduisit à la ruine de Jérusalem en 70, et qui vit la persécution des Juifs et notamment des judéo-chrétiens appelés aussi les « Nazaréens » de Jérusalem, jusqu’aux persécutions des chrétiens de Rome et d’Asie Mineure à la fin du règne de l’empereur Domitien (90-95 apr. J.-C.)

Aussi voilà pourquoi certains exégètes datent la rédaction de l’Apocalypse sous Domitien, et d’autres sous Néron. Les deux camps ont raison, car sa rédaction commença sous le règne de Néron pour se terminer sous celui de Domitien voir quelque temps après.

Les temps rédactionnels

En l’an VI de notre ère, la déposition du roi Archélaus par ordre de l’empereur Auguste, suivi de la dévolution du pouvoir suprême en Judée à un procurateur romain, ne laissa plus au peuple juif qu’une ombre d’autonomie. Alors éclata la révolte de Juda le Galiléen, révolte qu’il fallut étouffer dans le sang. Les idées apocalyptiques, bien que déjà élevées, demeurèrent très puissantes sur l’esprit des premiers chrétiens. Ils attendirent Jésus-Christ, lors de son retour, ce que Jésus, pendant sa vie, n’avait pas voulu leur donner, et vers la fin de la génération née avec lui, soit vers l’an 68, le règne et la personne de Néron donnèrent un nouvel essor à ces rêves ardents. C’est alors que parut la première source de l’apocalypse judéo-chrétienne, celle que nous appelons l’Apocalypse, et qu’il suffit pour le moment de mentionner à sa place historique.

Environ douze ans plus tard, vers l’an 80, sous Titus, parut un nouvel oracle sibyllin qui crut voir dans cette terrible éruption da Vésuve dont Herculanum, Pompéi, Pline l’Ancien furent victimes, le signe annonciateur de « la fin des temps. » Le règne de Donatien, ce second Néron, également maudit des chrétiens et des Juifs, eut aussi sa couche rédactionnelle et même sa propre apocalypse : ce fut le livre apocryphe connu sous le nom de IVe d’Esdras, qui annonce la destruction de l’Empire romain juste au moment où le règne de Nerva inaugurait la période des Antonins. Sous Trajan, les révoltés de Palestine ayant remporté quelques avantages sur les troupes romaines envoyées à leur poursuite, une nouvelle sibylle éleva la voix pour dénoncer les jugements redoutables que Dieu allait exécuter sur le monde idolâtre. Et quand la suprême convulsion de la nationalité juive, vers l’an 132, mit aux prises Bar-Kochba, le fils de l’étoile, avec le colosse impérial, une autre apocalypse, la plus furieuse de toutes, parut sous le nom d’Hénoch, le patriarche antédiluvien, rentré dans le paradis sans passer par la mort (Gen., V, 24), et qui devait, en qualité de summus propheta, avoir prévu la victoire du prétendu messie sur les aigles et tous les animaux des champs (les païens).

Contexte historique de la rédaction.

En l’an 68 apr. J.-C. Néron vient de se donner la mort. Ainsi se termine un règne de 14 années, sanglant et controversé. Dans l’imaginaire collectif, Néron porte une rare diversité de qualificatifs, tous plus éloquents les uns que les autres : tyran, persécuteur, pervers, faible et manipulé, égoïste, immature ; et cette liste n’est pas exhaustive. Dès sa mort, ses contemporains s’emparent de son nom pour en faire un mythe, une légende noire. Cette dernière, agrémentée au fil des siècles, est encore tenace de nos jours : antéchrist pour les chrétiens, « héros de la passion destructrice » et même pour le XVIIe siècle ; le marquis de Sade lui ajoute encore une dimension scandaleuse dans son Histoire de Juliette. Enfin, la tentative de réhabilitation de Néron par des personnages comme Hitler ne fait qu’aggraver son cas. Résultat, Néron est aujourd’hui l’un des empereurs romains les plus méprisés dans l’inconscient collectif, mais surtout l’un des plus mal connus.

L’époque de Néron fut une des plus intéressantes de l’histoire ancienne ; elle marqua le début de la crise de l’Empire romain et vit les premières épreuves d’une religion nouvelle qui allait conquérir le monde entier.

L’empereur Tiberius Claudius Nero, dernier de la dynastie julio-claudienne, est un personnage fort controversé. Dès l’Antiquité, il fut considéré comme un des plus odieux empereurs romains, prototype du tyran criminel et vicieux. Cette opinion domina toute l’historiographie classique et moderne, notamment parce que les historiens chrétiens adoptèrent la vision négative de Néron exprimée par Tacite et Suétone.

Contrastant avec cette opinion officielle, on remarque la grande popularité de Néron auprès du peuple de son temps, et spécialement auprès des peuples de l’Orient. Ce phénomène prit de multiples formes, dont le mythe du « retour de Néron », croyance qui surgit immédiatement après sa mort et qui survécut jusqu’au Moyen Âge. On a cherché ces derniers temps à réhabiliter Néron, ce qui a abouti en partie à une remise en cause de l’œuvre de Tacite, créateur de l’image déjà connue de Néron, mais les auteurs qui ont écrit sur Néron n’ont pas accordé beaucoup d’attention au mythe mentionné. Je crois que ce mythe constitue non seulement une réaction de la population qui avait profité à l’époque de la politique de l’empereur, mais aussi l’expression d’un état d’esprit caractéristique de la période : l’esprit messianique. C’est ce que j’essaierai de démontrer par la suite.


La croyance dans le retour d’un personnage historique

Le mythe du retour de Néron, apparu après la mort de cet empereur, fut un phénomène caractéristique des temps qui virent la naissance du christianisme. Il fait partie de l’atmosphère eschatologique et apocalyptique qui entourait la vie des peuples d’Orient ancien. Son origine directe se trouve dans la politique orientale de Néron. Le mythe connut des versions différentes chez les gentils, les Juifs et les Chrétiens.

L’Apocalypse de Jean, un des principaux documents contenant ce mythe, fut écrite dans sa première version aussitôt après la mort de Néron, et c’est une œuvre juive. Les chrétiens, comme les Juifs, donnèrent au mythe du retour de Néron une couleur mystique et une orientation entièrement différente de la version originelle.

Ainsi dans la littérature juive, Flavius Josèphe, dans son livre II du Bellum Iudaicum, l’historien juif fait un exposé condensé des crimes de Néron :

« Tous les actes d’insolence que Néron commit envers la fortune une fois rendu fou par l’excès de son bonheur et de sa richesse, de quelle manière il s’en prit successivement à son frère, à son épouse et à sa mère, à la suite desquels il reporta sa cruauté sur les hommes de la plus noble origine, et comment à la fin il alla, poussé par la démence, échouer sur la scène et sur le théâtre, puisque ces faits sont bien connus de tous, je les laisserai de côté et me tournerai vers ce qui est arrivé aux Juifs sous son règne. » (Jos. B. J. II 250-251)

Après la mort de Néron, des rumeurs furent répandues sur son retour : Suétone rapporte ainsi que pendant longtemps des gens publièrent des édits par lesquels Néron annonçait, comme s’il vivait encore, qu’il allait bientôt revenir pour la ruine de ses ennemis. La croyance selon laquelle Néron n’était pas mort fut sans nul doute alimentée par l’apparition d’imposteurs qui se firent passer pour lui. Le mystère entourant la fin de Néron a fini par faire naître la croyance, selon laquelle Néron était mort, mais allait être ressuscité ou selon d’autres, n’avait même jamais succombé et était tenu caché, jusqu’au moment où il reviendrait sur terre.

L’association de ces rumeurs à une certaine lecture du Nouveau Testament allait bientôt faire naître, dans les milieux chrétiens, la croyance selon laquelle Néron allait revenir à la fin des temps pour être l’antéchrist ou du moins précéder sa venue. Dans la deuxième Épître aux Thessaloniciens, Paul déclare ainsi que l’antéchrist viendra le moment venu, mais que le mystère d’iniquité est déjà à l’œuvre, expression que les auteurs chrétiens comprirent comme désignant Néron. Dans l’Apocalypse de Jean, dont une partie fut recomposée sous le règne de Domitien, vers 95, le narrateur déclare avoir vu surgir de la mer une bête à sept têtes, dont l’une paraissait blessée à mort, mais dont la plaie mortelle fut guérie, expression qui sera comprise comme une allusion à la résurrection de Néron qui s’était suicidé par le fer. À cela s’ajoute le fait que Jean affirme que le chiffre de la Bête est 666, ce qui passait pour correspondre à la somme des équivalents numériques des lettres transcrivant en hébreu le nom Nero Caesar.

Cette lecture de l’Apocalypse, qui assimile Néron à la bête, apparaît déjà sous une forme implicite dans un écrit apocryphe chrétien datant de la fin du Ier siècle de notre ère, l’Ascension d’Isaïe, où il est écrit qu’à la fin du monde Béliar descendra sous l’aspect d’un roi meurtrier de sa mère et persécutera la plante semée par les douze apôtres, dont certains seront livrés entre ses mains : l’identification de ce roi avec Néron, qui a tué Agrippine et fait périr Pierre et Paul, est évidente.

D’autre part, commentant le passage de l’Apocalypse où il est question des sept têtes de la Bête, assimilées à sept rois dont cinq sont tombés, l’un vit et le dernier n’est pas encore venu et viendra pour peu de temps (la bête constituant quant à elle un huitième roi), Victorin écrit que les cinq rois qui sont tombés sont Galba, Othon, Vitellius, Vespasien et Titus ; que le roi vivant est Domitien, sous lequel l’Apocalypse fut écrite ; que celui qui n’est pas encore venu et régnera peu est Nerva ; quant au huitième roi, c’est-à-dire la Bête elle-même, il s’agit de Néron : « et la bête que tu as vue, dit le texte, est en dehors des sept, puisque Néron a régné avant ces rois ».

L’assimilation de Néron à l’Antéchrist apparaît également chez le poète Commodien. La détermination de l’époque à laquelle vécut ce dernier est une question très controversée, les chercheurs situant le poète entre le milieu du troisième siècle de notre ère et le cinquième ; c’est cependant cette première option qui est généralement privilégiée, ce qui fait de Commodien le premier poète chrétien de langue latine. Or sa description de l’Apocalypse dans le Poème apologétique, pour différente soit-elle de la Révélation de Jean, n’assimile pas moins Néron à un roi apocalyptique. À la fin des temps, écrit-il en effet, surgira un roi qui sera, dès son apparition, adoré comme un dieu par les Romains et les Juifs ; il affirme que « cet homme est l’ancien Néron, celui qui auparavant châtia Pierre et Paul à Rome. Il reviendra lui-même à la fin des temps, sortant de la retraite où il était tenu caché ». Un autre roi surgira ensuite de l’Orient et vaincra Néron, qui finira misérablement, le corps donné en pâture aux oiseaux. « Nobis Nero factus Antichristus, ille Iudaeis », « Néron a été fait Antéchrist pour nous, le second roi pour les Juifs », conclut enfin Commodien.

Dans la plupart de nos bibles, nous trouvons une date supposée qui est souvent « environ 96 apr. J.-C. ». C’est ce qui est le plus souvent accepté et cela a bien entendu influencé notre interprétation. Maintenant posons-nous cette question « D’où sort cette date de 96 ? ». La réponse est surprenante vous allez voir !

Vers la fin du second siècle de notre ère, Irénée, évêque de Lyon entre 177 et 202, écrivait à propos du nom de l’Antichrist qui se cachait derrière le chiffre 666 donné dans l’Apocalypse (13,18) voici ce qu’il écrivait : « S’il avait fallu proclamer ouvertement, dans le temps présent, le nom de l’Antichrist, il aurait été dit par celui-ci (l’apôtre Jean l’auteur de l’Apocalypse), qui a vu aussi L’Apocalypse. Car il l’a vue (ou : il a été vu), il n’y a pas très longtemps, mais presque à notre génération, vers la fin de la puissance de Domitien. » (Adv. Hae. V, 30,3).

Le grec de ce fragment nous est parvenu par l’intermédiaire d’Eusèbe (H. E. III, 18,3). Mais justement, le grec est ambigu, car le verbe grec « eôrathê » peut signifier aussi bien « il a été vu » qu’« elle a été vue ».

Pas moyen donc de distinguer entre le masculin et le féminin, car, s’il s’agit de Jean qui a été vu, Jean étant un homme, donc du masculin, mais si l’on parle du texte de l’Apocalypse, on parle d’une Apocalypse, on parlerait donc au féminin. En effet dans le texte grec c’est le contexte de la phrase qui doit nous orienter sur le genre, mais nous sommes en présence d’un fragment insuffisant pour déterminer ce qui fut vu(e) Jean ou son Apocalypse ! Bien que le texte de la vieille traduction latine, qui est la seule version intégrale qui nous reste de « Contre les hérésies » (en latin Adversus hæreses), soit quant à lui, sans ambiguïté : Il indique le masculin : c’est Jean, et non l’Apocalypse, qui aurait été vue vers la fin du règne de Domitien. Donc s’il s’agit de l’auteur Jean, il est alors impossible qu’il s’agisse de Jean l’auteur du quatrième évangile mort depuis longtemps sans doute.

On ne peut donc pas se baser sur le témoignage d’Irénée pour dater l’Apocalypse à la fin du premier siècle. Ce même Irénée d’ailleurs dans le même livre « Contre les hérésies » livre II troisième partie, prétend que Jésus serait mort vers 50 ans ! Cette source n’est donc pas très fiable.

Il est donc nécessaire de recourir à des critères internes pour tenter d’attribuer à cet écrit une date de composition plausible.

En appliquant le principe du « rasoir d’Ockham » qui veut que « les hypothèses suffisantes les plus simples doivent être préférées ». Nous constatons que :

Apocalypse 11 h 1-2 « On me donna un roseau semblable à une verge, en disant : Lève-toi, et mesure le temple de Dieu, l’autel, et ceux qui y adorent. »

Ici, Jean est chargé de mesurer le temple il est donc encore là ! Nous sommes donc avant 70 ! Il ne sert à rien d’aller chercher un temple céleste ! Donc c’est bien du temple d’Hérode que l’auteur parle ici, voir la similitude avec Luc 21 - 5-7, « Quelques personnes parlaient du temple et disaient qu’il était magnifique avec ses belles pierres et les objets offerts à Dieu. Mais Jésus déclara : « Les jours viendront où il ne restera pas une seule pierre posée sur une autre de ce que vous voyez là ; tout sera renversé. » Ils lui demandèrent alors : « Maître, quand cela se passera-t-il ? Quel sera le signe qui indiquera le moment où ces choses doivent arriver ? » et aussi Luc 21 - 24 : « Ils tomberont sous le tranchant de l’épée, ils seront emmenés captifs parmi toutes les nations, et Jérusalem sera foulée aux pieds par les nations, jusqu’à ce que les temps des nations soient accomplis. »

Nous connaissons ces événements il s’agit de la destruction du Temple en 70 de notre ère par les Romains de Titus.

Apocalypse 13-5 : « Et il lui fut donné une bouche qui proférait des paroles arrogantes et des blasphèmes ; et il lui fut donné le pouvoir d’agir pendant quarante-deux mois. »

Les 42 mois prophétisés sont à partir de là facilement devinables, ils correspondent aux 42 mois de la Première Guerre judéoromaine qui aboutit au siège de Jérusalem et sa destruction (printemps 67 à août 1970)

Cette guerre commença en 66, à la suite des tensions religieuses croissantes entre Grecs et Juifs. Elle s’acheva lorsque les légions romaines de Titus assiégèrent, pillèrent puis détruisirent Jérusalem et le temple d’Hérode en 70 (en 68 selon les « sages du Talmud ») puis les places fortes des Juifs (principalement Gamala en 67 et Massada en 73).

À noter aussi qu’il n’y a aucune mention ni allusion à la destruction du temple dans l’apocalypse, c’est normal puisque celle-ci n’a pas encore eu lieu !

Apocalypse 13 — : 7 « Et il lui fut donné de faire la guerre aux saints, et de les vaincre. Et il lui fut donné autorité sur toute tribu, tout peuple, toute langue, et toute nation. »

Il est parlé d’une persécution contre les chrétiens, elle a eu lieu sous Néron de novembre de l’année 64 à juin de l’année 68 (date de la mort de Néron) durant laquelle Pierre et Paul sont morts en martyrs.

Apocalypse 17 -10 : « Ce sont aussi sept rois : cinq sont tombés, un existe, l’autre n’est pas encore venu, et quand il sera venu, il doit rester peu de temps. »

On nous dit très clairement que le sixième « basileus », c’est-à-dire le sixième César ou empereur romain, était encore vivant au moment où l’auteur écrivait. Cela vient conforter la déduction précédente, car Néron était bien, à compter de Jules César lui-même, le sixième César ou empereur cf. le livre de Suetone « Vie des douze Césars », où Suétone nous donne les biographies des douze premiers empereurs, de César même à Domitien Jules César, Auguste, Tibère, Caligula, Claude, et en sixième Néron. L’auteur qui écrit nous dit que le 7e sera pour un peu de temps, et le 7e selon Suetone sera Galba, et en effet il sera empereur seulement 7 mois.

Si la seconde couche juive rédactionnelle de l’apocalypse de Jean a été écrite durant la vie de ce sixième césar, la date la plus tardive possible est 68, date de la mort de celui-ci. Si elle a été écrite à la fin du règne de Galba (pour en connaître la brièveté de son règne) et juste avant la destruction du Temple alors on obtient la date de 69 de notre ère.

Apocalypse. 13,18 : « Il faut ici de la sagesse. Que celui qui a de l’intelligence déchiffre le nombre de la bête, car c’est un nombre d’hommes. Son nombre est 666. »

Si comme le suppose Irénée, le nombre du nom de la bête, qui était contemporaine à son auteur est 666, il est intéressant de savoir que transcrit en hébreux, les noms de Néron-César, donnent une valeur numérique de 666.

? ,60 = ?, 100 = ?, 50 = ?, 6 = ?, 200 = ?, 50 = ? = 

200

Donc

666 = ?????? ?????

Or ce livre énigmatique à bien des égards a fait, et fait encore, l’objet d’interprétations fort diverses, et des plus farfelues et pas seulement chez les évangéliques. Mais on voit maintenant que c’est toutes leurs interprétations futuristes traditionnelles, comme leur millénium, et leur fameuse bataille tant attendue d’Armaguéddon.

Je me pose souvent cette question : « comment peut-on avoir l’esprit aussi ténébreux » ? La réponse est biblique : « L’œil est la lampe du corps. Si ton œil est en bon état, tout ton corps sera éclairé ; mais si ton œil est en mauvais état, tout ton corps sera dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, combien seront grandes ces ténèbres ! » (Matthieu 6 - 22,23). Ici, l’œil symbolise la raison, celle-ci est la lampe de l’esprit, ou de l’intelligence.

Nombreuses furent, au vingtième siècle, et encore actuellement au vingt et unième, les prédictions concernant l’imminence de cette bataille. Or, cette bataille ultime contre les forces du mal a selon les évangiles même, déjà eu lieu dans l’événement du Messie ou « Fils de l’Homme » de sa mort et de sa résurrection : voilà ce que cherche à exprimer l’Apocalypse, comme ce texte le révèle, quand il est pris dans son contexte littéraire et historique, à travers les trois passages du livre qui évoquent l’événement. À charge pour les lecteurs chrétiens de laisser se déployer la victoire, par leur fidélité dans la foi et dans la force de la Parole divine et mettant en pratique l’enseignement de Jésus du « Fils de l’Homme » le Messie. Hélas l’espérance d’une grande partie des chrétiens aujourd’hui n’est pas et ne croit pas dans l’amélioration graduelle du monde, mais bien plutôt le retour de Christ et cette fameuse bataille de Armaguéddon.

Le véritable sens biblique de la bataille d’Armagéddon.

En se basant sur le livre de l’Apocalypse, le fondateur des témoins de Jéhovah, Charles Russel, prédit qu’en 1914 éclaterait une épouvantable bataille dans laquelle Dieu détruirait tous les pécheurs et les méchants de la Terre : la fameuse bataille de Armagéddon. Selon Russel, avec elle commencerait la Fin du Monde. Pareille prédiction attira l’attention de bien des gens qui, effrayés par cette prophétie, rejoignirent aussitôt les rangs de la nouvelle secte. Mais lorsque arriva 1914, rien ne se passa. Pour justifier ce démenti, Russel expliqua à ses adeptes que Dieu voulait patienter encore un peu avec les pécheurs, et confirma l’annonce de la grande bataille pour 1918. La prédiction ne se vérifia pas plus. Face à cette nouvelle frustration, son successeur José Rutherford refit les calculs et fixa pour la troisième fois la date de 1925. Nouveau démenti dans les faits. Finalement, les Témoins de Jéhovah pronostiquèrent la bataille d’Armagéddon pour 1975. Et ils se sont encore trompés.

En dépit de ces échecs et de bien d’autres, de nombreuses sectes en particulier les évangéliques et autres fondamentalistes chrétiens continuent à annoncer, régulièrement, l’imminence de la bataille d’Armagéddon. Selon eux, l’Apocalypse (16,16) affirme qu’à la fin des temps adviendra un combat gigantesque dans lequel seront exterminés tous les mauvais et se sauveront uniquement les justes ? Pour quand devons-nous l’attendre ? Où aura-t-il lieu ?

Pour répondre à ces questions, il faut expliquer pourquoi l’Apocalypse de Jean annonce cette bataille. Selon la Bible bien des années avant Jésus-Christ, le peuple d’Israël eut à souffrir d’injustices et de persécutions par fidélité à son Dieu. Devant tant d’accablement, les prophètes annoncèrent que ces souffrances ne perdureraient pas ; qu’à un moment donné Dieu allait intervenir dans le monde pour châtier les pécheurs et les païens. Et comme le peuple d’Israël était un peuple guerrier, les prophètes imaginèrent que Dieu interviendrait moyennant une action militaire ; que le Seigneur lui-même apparaîtrait sur la terre avec son armée céleste pour défaire ses ennemis, et assumerait en personne le gouvernement du monde. Ce jour futur, ils l’appelèrent « Le Jour de Yahvé ».

Le premier à annoncer l’arrivée du Jour de Yahvé fut le prophète Amos (5,18-20). Plus tard le suivirent les autres prophètes, comme Ezéchiel (38-39), Sophonie (1,14-18), Joël (4,1-3,11-16), Zacharie (12 ; 14). Ainsi, peu à peu s’inscrivit dans les mentalités l’idée d’un combat entre Dieu et les mauvais de ce monde, qui adviendrait dans les derniers temps, autrement dit dans les temps « eschatologiques ».

Mais, ce combat n’advint jamais, du moins pas comme il était attendu. Siècle après siècle, les Juifs continuèrent à désirer et à attendre cette intervention militaire divine qui mettrait de l’ordre dans l’histoire. Mais la prophétie est indéfiniment remise, sans jamais s’accomplir.

Avant la destruction du Temple de Jérusalem en 70 de notre ère, un judéo-chrétien nommé Jean composa la première rédaction du livre de l’Apocalypse. Il y annonce que le Jour de Yahvé, la bataille de la Fin du Monde, était enfin proche. Pour comprendre ce récit de l’Apocalypse, nous ne devons pas oublier qu’au fil de ses visions, elle évoque toujours les mêmes faits, mais d’une façon graduelle. C’est-à-dire que les événements que décrit l’auteur sont toujours les mêmes ; mais s’agissant de réalités difficiles à exprimer verbalement, l’auteur recourt à différentes images et visions pour compléter le message il écrit en composant sur la fin des temps comme un ??? Tanna un sage juif du premier siècle, sous forme d’une littérature rabbinique. L’Apocalypse de Jean est une œuvre juive à l’origine. La langue, le style, les images — tout y décèle l’auteur juif qui, dans la ligne traditionnelle d’Ézéchiel et de Daniel, annonce la débâcle de Rome, la fin du monde, le jugement dernier. L’œuvre primitive fut écrite durant les événements, en 68 ou 69. L’ennemi, c’est Rome, c’est son empereur, c’est-à-dire Néron, qui avait envahi la Judée et assiégé la Ville sainte. Vespasien était pour les Juifs à ce moment un simple exécutant. La nouvelle de la mort de Néron arriva, très probablement, en même temps que celle de l’apparition du « faux Néron ». En effet après le suicide de Néron en juin de l’an 68, plusieurs faux Néron sont apparus entre l’automne 69 et le règne de l’empereur Domitien. Cela explique très simplement comment le mythe du retour de Néron pénétra dans l’Apocalypse. Du mythe « historique » sortit une histoire fantastique. Ainsi prit naissance la version juive du mythe. Dans cette version, Néron devint un personnage symbole du Mal, l’envoyé de Satan. Mais avant tout, il devint ? Anti-Dieu. L’auteur de la première version de l’Apocalypse connaissait bien la politique religieuse de Néron. Il dirige sa colère avant tout contre la prétention de Néron d’être un dieu ; dans le texte, la Bête est condamnée pour avoir proféré « des blasphèmes contre Dieu… Son nom, et son tabernacle, et ceux qui habitent dans le Ciel » (Apoc, 13, 5).

Ainsi s’explique le caractère si fortement négatif que prit le mythe du « retour de Néron » dans la littérature juive. Dans la vision des cercles extrémistes, Néron n’était qu’un nouvel avatar du persécuteur éternel, coupable d’avoir tenté de monter sur le trône de Dieu. Néron fut le premier des empereurs qui persécuta les chrétiens (les accusations contre Tibère sont dénuées de fondement). Quand cette accusation contre Néron fit son apparition, les Apologètes avaient déjà très peu d’informations sur l’époque et acceptèrent sans critiques les allégations de Tacite. En réalité, la communauté de Rome souffrit peu et devint très rapidement un des centres du christianisme. 

Dans ces conditions, le mythe du « retour de Néron » joua dans la tradition chrétienne un tout autre rôle que dans la tradition juive. Le motif de la destruction du Temple s’estompa, la place centrale fut prise par la figure de Néron l’Antéchrist, agent de Satan. Les auteurs chrétiens des siècles suivants firent de lui l’annonciateur de la venue du Jugement dernier, le mythe de son retour servant à souligner le caractère catastrophique de cet événement ainsi d’autres couches exclusivement chrétiennes furent ajoutés. Tout cela n’a plus de liaison avec l’incendie de Rome et la persécution qui s’ensuivit. Le texte de l’Apocalypse fut remplacé, dans la justification des prédictions, par celui de 2 Tes 2-7, « le mystère de l’iniquité ».
Une tout autre évolution du mythe néronien eut lieu dans la tradition juive. Tout en continuant d’être le coupable principal de la destruction du Temple et de l’État juif, Néron devint un personnage plus réel, doté d’une histoire significative pour la vision juive sur les événements du passé. Selon la légende, Néron vint en Judée après le commencement de la guerre, mais, apprenant que Dieu voulait le détruire, il s’enfuit et devint prosélyte juif. Rabbi Meir aurait été son descendant.

Néron entra ainsi dans le folklore juif en double hypostase : d’une part comme l’agent du Mal, et d’autre part comme un de ceux qui annoncent les « derniers jours » quand, conformément aux croyances, les gentils deviendront Juifs de leur propre gré. Il y avait aussi une tradition selon laquelle le mauvais gentil a comme descendants des Juifs renommés pour leur piété et leur érudition. Le mythe du « retour de Néron » est un phénomène très caractéristique, tant pour l’atmosphère générale du monde antique au Ier siècle de notre ère, que pour la façon dont la spiritualité aussi bien juive que chrétienne trouva sa place dans cette atmosphère. Il se produisit un processus de fusion entre religion et politique, la première devenant un moyen d’expression et de réalisation des idées, des attitudes et des actions politiques. C’est de ce processus que naquit le messianisme, non comme une inspiration soudaine d’un personnage quelconque, mais comme le résultat d’une évolution longue et complexe. Le messianisme fut la réponse aux besoins réels de changement et de catharsis, nés de l’état d’oppression et de conflit qui caractérisait la société aux premiers siècles de notre ère. La place centrale dans la croyance messianique était occupée par l’attente du retour du Sauveur et de la restauration d’un état passé de bonheur et de justice.

Dans cette atmosphère, le mythe du « retour de Néron » fut un des symptômes de la crise qui s’annonçait. Dans sa version initiale, il exprimait l’espérance d’une grande partie de la population de l’Orient dans la chute de l’Empire de Rome. Néron personnifia cette espérance, parce qu’il réunissait dans sa figure la prédilection pour l’Orient, la politique religieuse qu’il menait et sa fin tragique et mystérieuse. Les versions juives et chrétiennes en firent un des signes de la catastrophe imminente, un annonciateur de la venue ou du retour du Messie. Sa prétention à la divinité et son rôle dans la destruction de la Judée furent appréciés comme des signes montrant qu’il était l’agent de Satan ou Satan lui-même. Si les Juifs en firent un de ces gentils qui, à la fin, reconnaissent le pouvoir de Dieu, aux yeux des chrétiens il préfigura « le Maître de ce monde » qui annonçait le prochain retour du Christ. Le retour de Néron devint ainsi une sorte de moquerie, une imitation satanique de l’apparition du Sauveur.
Dans toutes les versions, le mythe du « retour de Néron » constitua une expression de l’atmosphère eschatologique et messianique qui régnait en Orient au premier siècle de notre ère.

Pour revenir à la bataille de Armagéddon, l’Apocalypse s’exprime trois fois. Dès lors, pour se faire une juste idée du thème, il faut considérer les trois passages qui la mentionnent, et les compléter entre eux — ce que n’a pas l’habitude de faire les prédicateurs fondamentalistes.

Le premier passage sur la bataille de Armagéddon dit ceci :

« Ce sont des esprits démoniaques, des faiseurs de prodiges, qui s’en vont rassembler les rois du monde entier pour la guerre, pour le grand Jour du Dieu maître de tout. Ils les rassemblèrent au lieu-dit, en hébreu, Armagéddon » (Apocalypse 16,14 .16).

Dans cette première allusion, voir rédaction, l’Apocalypse signale le rassemblement d’une puissante armée mondiale. Elle n’indique pas encore qui la conduit, ni contre qui elle combattra, ni quand aura lieu l’affrontement. Elle indique seulement le lieu de la bataille : Armagéddon.

Où se situe Armagéddon ? Ce nom n’est mentionné nulle part ailleurs ni dans la Bible ni dans la littérature antique. Il est formé de deux parties : « Har » qui en hébreu signifie « mont » et « Magéddon » nom de la fameuse cité de Meggido.

Pourquoi l’Apocalypse situe-t-elle cette bataille à Meggido ? Que signifiait ce nom ? Meggido fut, dans l’histoire d’Israël, la cité la plus stratégique de tout le pays. Elle était construite à la sortie d’un corridor ouvert entre les montagnes du Carmel et celles de Samarie. Ce défilé aujourd’hui appelé Wadi Hara, était le chemin obligé des armées et caravanes de commerçants voyageant du sud (Égypte) au nord (Damas et la Mésopotamie). Par là ne passait rien moins que la route internationale la fameuse « Via Maris » qui reliait l’Afrique à tout le Moyen-Orient. Ceux donc qui traversaient cette vallée encaissée rencontraient la forteresse de Meggido qui en contrôlait le passage.

Par conséquent, si déjà Israël était une zone clé dans le Moyen-Orient, parce que c’était le « pont » obligé entre le nord et le sud, Meggido était un lieu clé à l’intérieur d’Israël. C’était « le pont du pont ». La cité devint ainsi une perle convoitée. Et au fil des siècles se livrèrent dans ses environs des batailles décisives, dont l’issue aboutissait à modifier la situation historique de la région. Au total, à l’époque biblique, quelque 12 batailles se déroulèrent dans cette ville ou la vallée qui l’entoure, quelque 34, si l’on tient compte aussi des époques postérieures. Aucune autre ville du monde n’a été comme Meggido le théâtre de tant d’affrontements guerriers. Ainsi, Meggido et ses alentours finirent par devenir, pour la tradition juive, un symbole des batailles décisives. L’Apocalypse, donc, en disant que la bataille de la fin des temps aura lieu à Armagéddon, ne prétend pas donner une localisation réelle, mais veut seulement exprimer, symboliquement, que ce sera une bataille décisive, qui transformera pour toujours la situation de l’histoire.

Le deuxième passage ou rédaction de l’Apocalypse concernant la bataille de Armagéddon est le suivant :

« Ceux-ci (les rois de la Terre qui se réunirent pour le combat à Armagéddon) mèneront campagne contre l’Agneau, et l’Agneau les vaincra, car il est Seigneur des seigneurs et Roi des rois, avec les siens : les appelés, les choisis, les fidèles » (apr. 17,14).

Ici, l’auteur (ou un autre auteur) ajoute une nouveauté importante dans cette bataille tant attendue de la fin du monde, Dieu le Père n’interviendra pas personnellement comme il était dit dans les milieux juif jusqu’alors, mais il le fera à travers son Fils Jésus-Christ, que l’auteur judéo-chrétien nomme l’Agneau. C’est lui qui sera chargé d’accomplir la prophétie.

Mais il ajoute aussi un détail essentiel, pour une meilleure compréhension de cet événement : l’Agneau n’ira pas au combat aidé par des armées divines, ni par des légions d’anges, ni par des milices descendues du Ciel, comme on pensait ; il agira « aidé par les siens ». Et, d’après Apocalypse. 14, « les siens », ceux qui accompagnent l’Agneau et forment son armée, sont tous les chrétiens qui persévèrent dans la foi et demeurent fidèles à sa Parole. Par là, l’auteur nous apprend que la victoire que remportera l’Agneau sera possible grâce aux chrétiens qui l’aideront et combattront avec Lui.

Voici le troisième passage ou rédaction où l’Apocalypse parle de la bataille de Armagéddon, et relate finalement le combat :

« Alors, je vis le ciel ouvert, et voici un cheval blanc ; celui qui le monte s’appelle “Fidèle” et “Vrai”, il juge et fait la guerre avec justice. Ses yeux ? Une flamme ardente ; sur sa tête, plusieurs diadèmes ; inscrit sur lui, un nom qu’il est le seul à connaître ; le manteau qui l’enveloppe est trempé de sang ; et son nom ? Le Verbe de Dieu. Les armées du Ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues de lin d’une blancheur parfaite. De sa bouche sort une épée acérée pour en frapper les païens… Je vis alors la Bête, avec les rois de la Terre et leurs armées rassemblés pour engager le combat contre le Cavalier et son armée. Mais la Bête fut capturée, avec le faux prophète — celui qui accomplit au service de la Bête des prodiges par lesquels il fourvoyait les gens ayant reçu la marque de la Bête et les adorateurs de son image, on les jeta tous deux, vivants, dans l’étang de feu, de soufre embrasé. Tout le reste fut exterminé par l’épée du Cavalier, qui sort de sa bouche, et tous les oiseaux se repurent de leurs chairs » (apocalypse 19,11-15a.19-21).

Ici, l’auteur apporte les données supplémentaires pour comprendre complètement la bataille de Armagéddon. Il commence par dire qu’il vit s’ouvrir le Ciel. Dans les rédactions précédentes déjà, il avait été vu ouvert trois fois, mais par une petite porte (4,1 ; 11,19 ; 15,5). À présent, par contre, c’est le ciel entier qui s’ouvre et ne se referme plus. Cela signifie que ce qu’il va voir est une révélation totale et définitive, qui ne pourra être modifiée.

Il contemple alors un cavalier qui descend du Ciel, préparé pour la guerre. Il ne nous dit pas qui il est. Mais vu la description qu’il en fait, il n’est pas douteux qu’il s’agisse de Jésus-Christ : il vient pour juger ; son nom est « Verbe de Dieu » ; il porte plusieurs diadèmes, monte un cheval blanc qui symbolise le salut et porte les titres de « Fidèle » et « Vrai ».

Le cavalier apparaît enveloppé d’un manteau trempé de sang. De qui est-ce le sang ? Ce ne peut être celui de ses ennemis, puisque la bataille n’a pas encore commencé. Si donc le cavalier descend du ciel avec son vêtement déjà trempé de sang, ce ne peut être que son propre sang.

Mais remarquons que l’auteur ne dit pas que son vêtement serait « taché » de sang comme si celui-ci avait séché, mais « trempé » de sang, donc de sang frais, récemment versé. Par conséquent, le Jésus qui apparaît ici sur son cheval blanc est celui qui vient de mourir exsangue sur la croix ; celui qui a donné sa vie pour les hommes et a ainsi sauvé l’humanité. C’est ce Jésus qui est sur le point d’affronter maintenant tous ses ennemis.

Mais à notre surprise, la bataille n’est pas relatée. À vrai dire, il n’y a pas de bataille. On rapporte seulement que le cavalier au vêtement ensanglanté châtie les deux chefs principaux de la coalition ennemie : la Bête que par le chapitre XIII nous savons être Néron, l’Empire romain et le Faux Prophète qui, selon l’explication annexe, est la religion païenne de Rome, montée par l’Empereur pour séduire les chrétiens et les convaincre de l’adorer comme un dieu.

Ensuite, le livre rapporte la destruction totale des ennemis de l’Agneau. Mais non moyennant une lutte sanglante, comme l’attendaient les Juifs, mais par « l’épée qui sort de la bouche du cavalier ». Et dans l’Apocalypse, l’épée symbolise la Parole de Dieu (apocalypse 1,16 ; 2,12 .16).

Ainsi au fil des successives rédactions les auteurs fixent l’Apocalypse dans une forme d’eschatologie chrétienne de la fin des temps. Mais sans vouloir la porter dans le futur, mais il enseigne qu’avec la mort et la résurrection de Jésus-Christ a eu lieu la bataille de la fin des temps, annoncée par les prophètes juifs, dans laquelle Dieu devait intervenir dans le monde pour y mettre de l’ordre, anéantir les mauvais et les pécheurs et prendre, lui, le contrôle définitif de l’histoire. Ce jour de Dieu est finalement intervenu dans l’humanité. La mort de son Fils fut le véritable combat contre ses ennemis. Et par sa résurrection, il les a vaincus, engloutis dans l’abîme, et a définitivement assumé, lui, le gouvernement du monde. Il n’y a donc à attendre aucune autre intervention de Dieu dans l’histoire, puisqu’au jour même de la résurrection du Christ les forces du mal furent défaites, leur pouvoir réduire, et que le monde entier passa sous le règne de Dieu, pour toujours, Satan n’est plus. Ainsi, avec la mort et la résurrection du Christ, c’est-à-dire avec le combat final que l’Apocalypse appelle symboliquement Armagéddon, nous les hommes avons déjà commencé à vivre dans les derniers temps le temps messianique.

Mais pourquoi donc, lorsque l’Apocalypse rapporte le triomphe final du Christ (Armagéddon), le Seigneur apparaît-il comme vainquant deux figures aussi concrètes que l’Empire romain et la religion païenne, au lieu de vaincre les forces mauvaises du monde ? Parce que l’empire et sa religion étaient ce qui, à ce moment-là, terrorisait le plus les lecteurs de l’Apocalypse.

En effet, lorsque fut l’Apocalypse, ses lecteurs affrontaient une situation bien douloureuse. L’empereur Néron avait déclenché une persécution sanglante contre les juifs et les judéo-chrétiens. Beaucoup avaient été massacrés d’une façon horrible, déchiquetés par les bêtes sauvages et torturés cruellement dans des jeux publics. D’autres avaient perdu leurs biens, leur travail, leurs amis et jusqu’à leur famille pour demeurer fidèles à la foi de Jésus. Tous étaient dans la crainte et l’angoisse, et vivaient cachés tandis qu’ils se demandaient : « Jusques à quand l’Empire romain nous persécutera-t-il ? Dieu ne fera-t-il rien pour nous secourir ? ».

À ces lecteurs inquiets, l’Apocalypse répond qu’ils ne doivent pas désespérer, puisqu’avec Jésus-Christ s’est déroulée la bataille de la fin des temps ; et que les premiers vaincus dans celle-ci sont la Bête (l’Empire romain) et le Faux Prophète (la religion païenne). Mais pour qu’advienne une fois pour toutes la victoire, il faut que « les siens », c’est-à-dire tous les chrétiens, participent à la lutte, en restant fidèles et en n’abandonnant pas la foi.

Avoir eu le courage, l’audace et la lucidité d’annoncer la déroute totale de l’Empire romain, alors que l’empereur était au faîte de sa puissance et les chrétiens dans la pire situation, tel fut le grand acte de foi des auteurs de l’Apocalypse. Ce qui finalement sauva la communauté, car elle crut et persévéra jusqu’à la fin de la persécution.

Pour l’Apocalypse, la bataille de Armagéddon a déjà eu lieu. Ce fut le jour où Jésus-Christ, par sa mort et sa résurrection, ressortit vainqueur de toutes les forces qui avaient comploté contre lui.

Aujourd’hui aussi, comme à l’époque de Jean, bien des gens sont désemparés face au mal qui sévit dans le monde. Certains pensent qu’il n’y a déjà plus de solution. D’autres, plus désespérés, en sont venus à se suicider, opprimés par l’angoisse, sans avoir trouvé d’autre issue. Et d’autres comme les fondamentalistes attendent qu’à un certain moment Dieu intervienne à nouveau dans ce monde, avec son armée céleste ou par des cataclysmes, pour châtier l’humanité corrompue et effacer les mauvais de cette Terre.

L’Apocalypse nous enseigne que, dans la bataille de Armagéddon, le mal que nous voyons redoubler de violence en tous lieux a déjà été vaincu, contrairement aux apparences. Et que nous, chrétiens, avons l’obligation de croire que le bien a déjà triomphé. Même si nous ne le voyons pas forcément au premier regard. Et bien que la souffrance et la mort nous harcèlent, comme pour la communauté de Jean. Penser que Dieu doive intervenir une nouvelle fois dans le monde pour y remettre de l’ordre, c’est penser que la rédemption en Christ n’a servi de rien celui-ci n’ayant rien vaincu du tout !

Mais l’Apocalypse nous enseigne aussi que, même si le Jésus-Christ est déjà vainqueur, les chrétiens doivent continuer cette bataille. Et que l’arme dont ils disposent est son enseignement. Elle est comme une épée effilée, capable de vaincre quelque mal que ce soit. Pour cela, comme chrétiens, nous devons la connaître et surtout la comprendre et bien l’interpréter, y croire et en vivre dans les circonstances de chaque jour.

Peu nombreux sont les chrétiens qui, réellement, affrontent leurs problèmes et veulent changer le monde en se basant sur l’enseignement de Jésus. Souvent, ils suivent une tout autre ligne de conduite celle de leur religion obscure et égarée, se contentant d’attendre le retour de Jésus-Christ pour régler les maux de l’humanité. Alors le monde entier les attend. Parce qu’ils possèdent l’arme de la victoire parce qu’ils ont la mission de rendre effective la victoire de Armagéddon.

 

 

 

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