Le dieu Yhwh... vers un monothéisme

Le dieu Yhwh : ses origines, ses cultes, sa transformation en dieu unique (suite et fin)

d'après un cour de Thomas RÖMER  au Collège de France

La première partie a été consacrée à la question des origines du dieu Yhwh jusqu’à son installation comme dieu national à Jérusalem et en Israël sous les Omrides. Dans la deuxième partie, l’enquête a repris avec cette époque et s’est poursuivie jusqu’à la naissance du monothéisme juif à l’époque perse.

La vénération de Yhwh à l'époque des Omrides

Il est clair que le mariage d’Akhab symbolise l’ouverture d’Israël vers la Phénicie. Aussi pourrait-on se demander si la vénération de Baal qui est reprochée à Akhab dans le livre des Rois n’est pas en fait une vénération de Milqart, dieu phénicien.

Cette identification du baal des Omrides avec Milqart a été contestée par d’autres (p. ex. Nocquet), qui font remarquer que Milqart n’est jamais mentionné dans la Bible. Cependant, le lien avec la Phénicie, bien attesté, donne une grande plausibilité à cette hypothèse. S’ajoute à cela le fait que Milqart apparaît dans une inscription d’Eshmun’azar II (vers 475 av. J.C.) accompagné d’Astarté : « nous avons construit les temples des dieux des Sidoniens dans le pays de Sidon de la mer : un temple pour le baal de Sidon, et un temple pour Astarté, nom de baal ». L’association de Baal à Astarté se trouve aussi dans certains textes bibliques tardifs : Jg 2,13 ; 10,6 et 1 S 7, 3-4 (ces textes utilisent cependant des pluriels). La question ne peut donc être tranchée définitivement.

La révolte contre la vénération du Baal des Omrides se présente dans le livre des Rois sous les traits d’Élie et ensuite de Jéhu qui mettra fin à la dynastie des Omrides.

Pour la question du conflit entre Baal et Yhwh, nous pouvons nous concentrer sur les trois premiers chapitres de ce cycle (1 Rois 17-19). Le nom d’Élie signifie : « mon dieu c’est Yhwh », et c’est en fait tout le programme autour duquel se construisent les récits mettant en scène ce prophète. D’ailleurs les premiers mots prononcés par Élie « Par la vie de Yhwh, le Dieu d’Israël devant qui je me tiens » sont une sorte de développement du nom même d’Élie. Le but des chapitres 17-19 est sans doute de montrer la suprématie de Yhwh devant notamment un roi qui a suivi les Baals, puis de montrer quel dieu est Yhwh – avec un système de correction, par le chapitre 19, des chapitres 17 et 18. Les questions posées touchent d’abord à la puissance puis à l’identité de ce dieu.

Les chapitres 17-18 sont encadrés par le thème de la sécheresse. 17,1 : Élie, le Tishbite, parmi les résidents de Galaad (ou de Tishbè de Galaad), dit à Akhab : « Par la vie de Yhwh, le Dieu d’Israël devant qui je me tiens : il n’y aura ces années-ci ni rosée ni pluie selon ma parole. » Élie a apparemment des pouvoirs magiques, c’est pourquoi Akhab le qualifie en 1 R 18,17 de ‘okér yisraél (non pas « porte-malheur », mais) « sorcier d’Israël ».

On entre tout de suite dans le vif de l’action et du personnage, Élie parle et déclare même que c’est sa parole qui est efficace. Pourtant, il est assez remarquable qu’Élie ne soit pas, d’entrée de jeu, qualifié – dans le TM versus LXX – de prophète. D’ailleurs la parole en question n’est pas une parole de Dieu mais celle d’Élie ! L’insistance sur l’origine d’Élie est forte (on peut se poser la question de savoir si « Tishbite » signifie « qui provient de Tishbé », lieu par ailleurs inconnu dans la Bible Hébraïque, ou s’il s’agit d’un jeu avec le substantif tosheb : « celui qui ne possède pas de terre ») : Élie fait partie de ceux qui résident en Galaad, il n’est pas propriétaire du sol ; Galaad, lieu d’origine du coup d’état de Jéhu (Ramoth de Galaad) contre la maison d’Akhab, ce qui rapproche Élie de Jéhu, en tout cas l’oppose à Samarie et à Izréel, les lieux d’Akhab et de Jézabel. Monde « provincial » et sans possession terrienne face à la capitale, possession du roi.

Il est possible que les histoires d’Élie et d’Élisée aient été ajoutées tardivement au livre des Rois. Cependant beaucoup de chercheurs pensent que la mise par écrit de la première version de l’histoire d’Élie se situe dans le Royaume du Nord après la chute des Omrides. Dany Nocquet parle même d’un livret noir de baal constitué en grande partie des histoires d’Élie. Celui-ci apparaît comme protagoniste de la lutte de Yhwh contre Baal. Dans les parties les plus anciennes de ce récit, Yhwh est décrit comme étant le meilleur baal.

La date et l’historicité d’Élie sont aujourd’hui fortement discutées. À l’opposé de la thèse de Nocquet et d’autres, se trouve l’essai de M. Köckert qui considère que l’ensemble de 1 R 17-19 reflète des préoccupations des époques exilique et perse (il imagine une formation en plusieurs étapes). Il est clair que le texte dans sa forme actuelle est un traité théologique tardif.

Il ne fait pas de doute que 1 R 19 est un ajout tardif (rappelons seulement la théologie différente et le fait que 1 R 17-18 sont encadrés par le thème de la sécheresse). À l’intérieur de 1 R 17-18, il convient de distinguer le thème de la sécheresse et la compétition sur le Carmel, récit qui ne semble pas connaître le thème de la sécheresse puisque Élie dispose de suffisamment d’eau pour le mettre sur l’autel de Yhwh ; de même la rencontre entre Akhab et Élie à la fin de 18 semble ignorer l’histoire de l’affrontement de Baal et de Yhwh. Cette dernière histoire n’est pas d’un seul trait non plus : selon le v. 30, Élie répare un autel qui a été détruit, au v. 32 il construit un nouvel autel. Il est difficile de savoir si ce récit de la compétition entre Baal et Yhwh a un fondement ancien : les moqueries d’Élie sur Baal (dort-il ? est-il allé se soulager ?) rappellent les polémiques du Deuxième Ésaïe du début de l’époque perse.

Il est donc difficile de reconstruire un texte ancien, bien qu’on ne puisse exclure que les récits en 1 R 17-18 se fondent sur des souvenirs plus anciens : un thaumaturge et prophète du nom d’Élie polémiquant contre des prophètes de la cour au moment d’une sécheresse dont il s’attribue l’initiative. Le mont Carmel est le mont le plus proche de la Phénicie. Pour l’époque hellénistique et romaine on a des attestations de la vénération d’une manifestation du dieu Zeus sur le Carmel (Tertullien, Vespasien) mais l’identification avec un dieu « Baal-karmel » reste spéculative. Y avait-il un culte de Ba‘al à l’époque de la monarchie ? Dans des Annales de Salmanassar III (ANET 280, Face B, 97-99) il est question d’une montagne de Ba‘li-ra’shi qui se trouve en face de la mer (il pourrait s’agir du Carmel, mais c’est incertain).

Selon le récit biblique Élie et surtout son successeur Elisée furent impliqués dans le putsch contre la maison d’Omri, mené par Jéhu qui fait de Yhwh le « baal » national du royaume d’Israël. La question demeure de savoir si c’est la première fois que Yhwh devient le dieu tutélaire de la royauté en Israël. Cela dépend pour beaucoup de la façon dont on interprète les récits bibliques du prétendu schisme. Ce qui est attribué en 1 R 12 à Jéroboam I, faut-il en réalité l’attribuer à Jéroboam II (787-748) ou s’agit-il partiellement de récits ayant un noyau historique ? On peut aussi imaginer une concurrence entre Béthel (Yhwh) et Samarie (« Baal ») jusqu’au putsch de Jéhu qui impose Yhwh comme dieu national et dieu titulaire de la royauté.

Le combat du baal Yhwh contre le baal phénicien a sans doute provoqué une interrogation sur la manière de vénérer un baal. Est-ce la manière adéquate de rendre un culte à Yhwh ?

Contrairement à ce qui concerne Juda, la polémique est moins importante pour savoir s’il y a des représentations de Yhwh dans le Nord. Pour Juda, la discussion est plus passionnée. Une inscription de Sargon II, rédigée vers 706 et évoquant la destruction de Samarie, mentionne parmi son butin « les dieux en qui ils se confiaient ». Cette inscription peut être rapprochée de deux bas-reliefs néo-assyriens où l’on voit respectivement les soldats de Sargon et ceux de Sennachérib, transporter comme butin des statues de divinités. Bien que la ville de provenance des statues du premier relief ne soit pas claire, on peut opérer un rapprochement avec l’inscription du prisme de Nimroud et y voir une représentation des statues divines semblables à celles de Samarie. Rappelons également le texte de 1 Samuel 3 qui semble présupposer une statue de Yhwh à Shilo ou, encore, la stèle de Mésha où il est question de la déportation des ustensiles de la maison de Yhwh en Transjordanie qui peut également inclure des objets cultuels, une stèle, une statue.

Yhwh en Juda entre 930 et 722 avant notre ère

Contrairement au Nord (Israël), la vénération de Yhwh à Jérusalem n’est pas focalisée sur l’aspect bovin. Yhwh y apparaît surtout comme une figure royale, trônant, rappelant davantage le dieu El.

Il est difficile de savoir quand Yhwh s’est substitué à la divinité solaire et s’est affirmé non seulement comme le dieu suprême de Jérusalem, mais aussi de Juda. L’inscription de Khirbet Beit Lei, 8 km à l’est de Lakish, quoique difficile à lire, semble pouvoir se comprendre ainsi : « Yhwh est le dieu de tout le pays (de toute la terre), les montagnes de Juda appartiennent au dieu de Jérusalem. »

La datation de cette inscription est difficile. Il s’agit d’un graffiti à l’intérieur d’une tombe mise à jour lors de la construction d’une route. Les datations varient de la fin du VIIIe jusqu’au VIe siècle (absence de poterie, écriture très mauvaise, apparemment faite dans l’obscurité).

Néanmoins, on peut y voir la revendication d’un territoire plus large pour un dieu qui porte le titre de « dieu de Jérusalem ». Cela pourrait indiquer que Yhwh a d’abord été en Juda le dieu de Jérusalem, lié à la dynastie davidique. Ce lien entre Yhwh et la dynastie royale pourrait aussi expliquer les images royales de Yhwh qui semblent dominer dans le Sud.

Comme dans le Nord, Yhwh n’a pas été vénéré au seul sanctuaire de Jérusalem. Il existait sans doute d’autres sanctuaires importants, même si ceux-ci ne sont pas (pour des raisons de censure ?) mentionnés directement dans la Bible Hébraïque.

La Bible Hébraïque parle cependant des bamôt (pluriel de bamah), des « hauts lieux », qui existent dans le Nord et apparemment encore plus fréquemment dans le Sud. Ces bamôt apparaissent surtout dans les livres de Samuel et des Rois (et dans des textes parallèles en Chroniques). Il s’agit de sanctuaires locaux, et non contrôlés par le roi, souvent construits sur des collines ou des hauteurs. 2 R 23,8 mentionne des bamôt de portes, ce qui pourrait signifier qu’il y avait aussi des sanctuaires dans les casemates. La plupart du temps, il s’agit de sanctuaires à ciel ouvert, de sanctuaires yahwistes. Seul 1 R 11,7 (texte polémique) critique Salomon pour avoir construit « sur la montagne qui se trouve en face de Jérusalem, un haut lieu pour Kemosh, l’abominable dieu de Moab ». Ezéchias et Josias sont les deux rois qui sont crédités d’avoir voulu faire disparaître ces hauts lieux. C’est un peu l’ironie de l’histoire : ces hauts lieu sont probablement typiquement « israélites » et doivent céder finalement la place au temple de Jérusalem.

D’autres sanctuaires yahwistes dans le Sud se trouvaient sans doute à Arad, un sanctuaire avec une ou deux maṣṣebot (représentant Yhwh ? et son Ashérah ?). L’interprétation du site reste toujours difficile et discutée. On a d’abord voulu y voir les traces d’une destruction par Josias (ou par les Assyriens), mais il semble plutôt qu’on ait affaire à un camouflage dans le but de cacher le sanctuaire aux yeux d’éventuels ennemis. Arad a été une garnison royale, il est donc logique qu’il y ait un sanctuaire yahwiste.

Il est probable qu’il y avait aussi un sanctuaire à Lakish. Dans le relief assyrien mettant en scène la prise de Lakish, on voit des soldats assyriens emportant un très grand brûloir d’encens, trop grand pour un usage privé (Lakish était le centre de l’administration royale de la Shephélah). À Béer-Shéva, on a trouvé les restes d’un autel à quatre cornes, ce qui indique sans doute aussi un sanctuaire yahwiste.

En Juda, Yhwh, qui a d’abord été vénéré à côté du dieu El et d’un dieu solaire, a sans doute repris les traits et les fonctions du dieu solaire avec lequel il cohabitait d’abord à Jérusalem. L’influence égyptienne sur Juda a été plus forte et on retrouve cette influence aussi dans des noms propres bibliques, l’iconographie et dans des descriptions du divin. Un certain nombre de sceaux du VIIIe siècle montrent la représentation du dieu solaire par un scarabée ailé. Un sceau de provenance inconnue (Hébron ?) porte le nom Yw’r : Yhwh est (ma) lumière ». On y voit un scarabée portant le disque solaire (représentation de Yhwh ?), il y a donc ici clairement un lien entre le nom du propriétaire et le motif iconographique.

Particulièrement intéressant est un sceau sans motif iconographique de provenance inconnue avec le nom Yehozaraḥ (« Yhwh brille »). L’inscription complète est : « à Y, fils de Hilqiyahu, ministre d’Ezéchias ». On peut donc imaginer que le dieu solaire a été identifié à Yhwh. Le Psaume 19 atteste l’utilisation des images du dieu solaire pour Yhwh ; le lien avec la loi est typique du dieu solaire qui veille sur le respect de la loi et de la justice (voir aussi Ps 84,12 ; 85,14).

Contrairement à Samarie, le Yhwh de Jérusalem a été fréquemment imaginé comme siégeant sur un trône flanqué de chérubins ou entouré de séraphins. Dans plusieurs textes, Yhwh est appelé celui qui siège (y-š-b) sur les chérubins : 1 S 4,4 ; 6,2 (= 1 Ch 13,16) 2 Rois 19,15 = Es 37,16 ; Ps 80,2 ; 99,1. Qui sont les chérubins ? Le mot hébreu kerub est à mettre en relation avec l’akkadien kuribu (génie protecteur, être divin) et karibu (saluer avec respect), qui désignent des dieux inférieurs et des statues disposées à l’entrée d’un sanctuaire. L’iconographie assyrienne montre qu’il s’agit d’êtres hybrides, ressemblant aux sphinx, avec une tête humaine et un corps d’animal, souvent de lion. Les génies assyriens tels qu’on les voit au Louvre s’appellent lamassu et shedu. Des trônes avec des chérubins sont attestés dans un ivoire de Megiddo du XIIIe siècle montrant le roi de la ville. On en trouve aussi sur le sarcophage d’Ahiram, que l’on situe entre le IXe et le VIIe siècle. Des divinités trônant sur des chérubins sont attestées assez tardivement aux alentours du VIIe siècle avant notre ère. Un sceau phénicien trouvé en Sardaigne montre Baal-Milqart trônant sur des chérubins ; au-dessus de lui le disque solaire. Une terre cuite en provenance de Chypre (vers 700) montre peut-être une déesse siégeant sur un trône porté par des chérubins. Selon 1 R 6,23-38, il y avait un trône de chérubins dans le temple de Jérusalem.

Le titre de Yhwh zebaoth est attesté 284 fois dans la Bible Hébraïque, surtout dans les livres de Jr (TM 82 x) ; Es 1-39 (56 x), Za (56 x), Ml (24 x), Ps (15 x), Ag (14 x) ; le titre se trouve assez peu chez les Prophètes antérieurs (S 11 x, R 4 x), il est totalement absent du Pentateuque et d’Ezéchiel. Ce survol statistique suggère que ce titre est probablement lié à Jérusalem, plus particulièrement au temple de Jérusalem, puisqu’il apparaît surtout dans des livres centrés d’une manière ou d’une autre sur Jérusalem.

La traduction « Yhwh des armées » est considérée comme problématique, puisque le nom propre devrait se trouver dans la forme de l’état construit. C’est pourquoi on a proposé de comprendre le pluriel soit comme partie d’une proposition nominale : « Yhwh, c’est les armées » ou comme un pluriel abstrait : « Yhwh le puissant (comme des armées), Yhwh le tout-puissant ». Cette hypothèse peut s’appuyer sur la traduction de la LXX qui a dans la plupart des cas pantokrator (mais dans d’autres cas aussi la simple translitération sabaoth).

Une solution plus logique est de comprendre צבאזת comme un vrai pluriel. Les textes de Kuntillet Ajrud, p. ex., montrent que des constructions génitivales avec le nom propre en état construit sont possibles (Yhwh de Téman, Yhwh de Samarie). On peut donc traduire « Yhwh des armées », voire même imaginer que ce titre présente un condensé de l’expression « Yhwh, le dieu des armées ». Il est possible que le titre se soit appliqué d’abord à des armées claniques et qu’il ait été transféré après coup dans le domaine céleste à partir duquel s’expliquent la plupart des textes. Le conseil divin est également présupposé dans la vision de Yhwh Zebaoth par le prophète Ésaïe (6,1-8).

Le roi davidique comme médiateur du roi Yhwh : en Juda, comme ailleurs (pour le Nord nous n’avons pas suffisamment d’information), le roi est regardé comme représentant de Yhwh matérialisant le règne de Yhwh. Selon le Ps 2,6-7 (datation incertaine), le roi est considéré comme fils de Yhwh.

Yhwh comme roi et les sacrifices offerts à Molek : quatre textes bibliques mentionnent le mot « Molek » en lien avec des sacrifices d’enfants (Lv 18,21 ; 20,2-5 ; 2 R 23,10 ; Jr 32,35). Traditionnellement, on a vu dans Molek une divinité sanguinaire, friande d’holocaustes humains. Ensuite, O. Eissfeldt a rapproché molek du mot punique molk, qui désigne simplement, selon lui, un type de sacrifice (non nécessairement) humain. Les textes bibliques ne parlent cependant pas en faveur de cette hypothèse (Lv 20,5). On a donc voulu identifier Molek avec d’autres divinités, sans arriver à des résultats satisfaisants. Il ne reste qu’une solution : molek était à l’origine mélek, et constituait un titre pour Yhwh. Le mot mélek est souvent employé dans l’Ancien Testament comme titre pour Yhwh (plus que 50 fois). Il est donc possible que les sacrifices d’enfants lui aient été offerts en tant que Yhwh-Mélek. À l’époque perse, les sacrifices humains deviennent tabous, et on essaye de les sortir du culte de Yhwh ; dans la même perspective, les Massorètes changeront plus tard Mélek en Molek (vocalisation péjorative).

La question de la statue de Yhwh et de « son Ashérah »

Doit-on imaginer un culte aniconique dans le royaume de Juda ? Les défenseurs de cette idée avancent la thèse d’un « de facto-aniconisme » dont on aurait le témoignage via le culte des mazzèbes, lesquelles sont largement attestées dans les textes bibliques et sur le plan archéologique. Si les pierres dressées sont bien connues déjà au deuxième millénaire en Syrie, notamment à Mari, comme dans la Bible, de telles pierres peuvent avoir des fonctions différentes. On a parfois prétendu que le culte des stèles aurait été un culte aniconique, contrairement au culte anthropomorphique ou thériomorphique. Mais il faut se poser la question de savoir si le culte des bétyles est un culte aniconique ; à Mari, nous avons l’attestation d’une stèle gravée de sorte qu’elle représente une femme. Dans les mazzèbes d’Arad, on a également trouvé des traces de peinture, ce qui pourrait indiquer qu’elles étaient également peintes. En ce qui concerne la documentation biblique, il semble assez clair que la mazzèbe représente d’une manière ou d’une autre le dieu Yhwh ; probablement surtout à l’extérieur de Jérusalem.

L’exemple le plus évident est le site d’Arad où l’on a trouvé deux stèles qui représentent sans doute Yhwh (et une autre divinité ? ; ou bien une stèle a été remplacée par une autre). On peut donc en déduire que, dans ce texte, la stèle équivaut d’une certaine manière à l’image, puisque les termes sont utilisés en parallèle, comme encore en Mi 5,12 : « je supprimerai du milieu de toi tes sculptures et tes statues ».

Au niveau des attestations bibliques, la question d’une image ou statue de Yhwh reste difficile, car aucune représentation connue à ce jour n’est expressément identifiée à Yhwh.

Il existe néanmoins un certain nombre d’indices bibliques en faveur de l’existence de représentations de Yhwh à l’époque de la monarchie judéenne :

l’interdiction d’images dans le Décalogue et dans Deutéronome 4;

la vision du prophète Ésaïe (Es 6 ; voir aussi 1 R 22) ;

la disparition de la vision de Yhwh dans les textes des époques babylonienne et perse. En Zacharie 4, le chandelier remplace la statue ;

l’accès à la face de Yhwh dans les Psaumes ;

le départ de Yhwh au moment de la destruction du temple ;

la question du retour ou de la disparition de la statue de Yhwh à l’époque perse.

Après que l’interdit des images se fut imposé, d’autres substitutions se mirent en place comme la « gloire » de Yhwh ou le chandelier. Mais la substitution la plus importante fut le rouleau de la Torah qui, par la mise par écrit de la relation entre Yhwh et Israël, rendait « visible » la parole du Dieu désormais invisible.

Dans la discussion ancienne concernant l’identité du dieu Yhwh, celui-ci apparaissait comme un Dieu célibataire. Selon la Bible, Yhwh est le dieu national d’Israël, et le culte en Israël est, ou plutôt devrait être, monolâtre. Les mentions de déesses dans la Bible, notamment d’Ashérah, furent traditionnellement considérées comme relevant d’un culte non yahwiste. C’est dans cette perspective que les rédacteurs bibliques ont essayé de présenter les choses. Pour l’historien, la situation se présente différemment. Il est très plausible que Yhwh ait eu en Juda et sans doute aussi en Israël une déesse qui lui ait été associée.

Certes, Yhwh fut le dieu national, ce qui lui donne une place privilégiée, au moins dans le culte officiel, mais cela n’exclut nullement la vénération d’une déesse à côté de Yhwh.

Le mot אֲשֵׁרָה Ashérah apparaît 40 fois, le plus souvent avec l’article. Il apparaît 18 fois au singulier ; au pluriel, les deux formes אֲשֵׁרִים (19 fois) et אֲשֵׁרוֹת (3 fois) sont attestées. Le pluriel masculin est étonnant. Souvent, on pense qu’il est utilisé lorsque « ashérah » a le sens de poteau sacré, une sorte d’arbre stylisé (on y reviendra). Une autre possibilité est de suivre une hypothèse (de Loretz) selon laquelle le pluriel masculin serait une invention artificielle des rédacteurs deutéronomistes (dtr) pour éviter toute allusion à la déesse.

On peut classer les mentions bibliques en quatre catégories :

des exhortations stéréotypées de détruire les autels, les statues et les ashérim des autres peuples : Ex 34,13 ; Dt 7,5, 12,3 ;

Asherah associée à Baal : Jg 3,7 (pl.), Jg 6,25-30 ; 1 R 18,19 (400 prophètes d’Ashérah), 2 R 21,3 ;

les asherim à côté des mazzebot : 1 R 14,23 ; 2 R 17,10 ; 2 R 18,4 ; 2 R 23,14 ; 2 Ch 14,2, 17,6 ;

Ashérah en lien avec l’autel ou la maison de Yhwh : Dt 16,21 (interdiction), 1 R 15,13 ; 16,33 ; 2 R 13,6 ; 2 R 21,3.7 ; 2 R 23,6-7.

La Bible ne fait donc pas de lien direct entre Ashérah et Yhwh. Cependant, l’association entre les stèles et les ashérim parlent en faveur d’une intégration d’Ashérah dans le culte yahwiste, également les textes mentionnés en d). Le fait que certains textes bibliques associent Baal et Ashérah a été interprété par certains dans ce sens que Ashérah serait devenue au premier millénaire la parèdre de Baal. Cette affirmation ne se fonde que sur les quelques textes bibliques qui proviennent tous du milieu dentéronomiste et qui ont sans doute inventé cette association pour découpler Yhwh et Ashérah. Nous avons vu auparavant comment Yhwh a pris les fonctions de El, et à ce moment il est normal qu’il devienne aussi le « mari » d’Ashérah.

Le lien étroit entre Yhwh et Ashérah est attesté par les inscriptions de Kuntillet Ajrud et Khirbet El Qom :

 

Inscriptions de kuntillet ajrud 1Inscriptions de kuntillet ajrud 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le lien étroit entre Yhwh et Ashérah est attesté par les inscriptions de Kuntillet Ajrud et Khirbet El Qom :

Les inscriptions de Kuntillet 'Ajrud et de Khirbet el Qôm datent les règnes d'Amasias (~802-776 av. J.-C.) de Juda et de Joas (~803-790 av. J.-C.) d'Israël, et elles montrent que les israélites ont associé Yahweh avec une déesse, sa parèdre, Ashérah. Le culte de "Yahweh et son Ashérah" fut certainement pratiqué très longtemps. L'inscription de De Kuntillet 'Ajrud serait une preuve qui présente Yahweh et Asherah comme un couple divin. Et maintenant, une poignée d'inscriptions similaires ont été depuis trouvées, ce qui contribue à renforcer le fait que le Dieu de la Bible a déjà eu une femme. Les anciens Israélites étaient polythéistes, seule une "petite majorité" adorait Yahweh seul.

PA 1

1. ʾmr. ʾ[….]h[..]k. ʾmr. lyhl[..] wlywʿšh. w...brkt. ʾtkm.

2. lyhwh.šmrn.wlʾšrth.

1. Dit ʾ[….] (NP 1)… : « Dis à Yehalleʾ[lel ?] (NP 2), Yoasa (NP 3) et ... (NP 4 ?) : Je vous bénis (ou : je vous ai bénis)

2. par Yhwh de Samarie et son Ashérah.

PB 3

… [brkth?...]lyhwh htmn wlʾšrth

… kl ʾšr yšʾl mʾš ḥnn… wntn lh yhwh klbbh

… [Je le bénis (je l’ai béni)] par Yhwh de Téman et par/son Ashérah

… Tout ce qu’il demandera à quelqu’un, qu’il (c-à-d Yhwh) l’accorde… et Yhwh lui donne selon son dessein…

Khirbet el Qom :

« Ouriyahou, le riche l’a écrit :

Béni soit Ouriyahou par Yhwh,

de ses ennemis il l’a sauvé par son Ashérah … »

Il existe aujourd’hui un large consensus quant à la signification des deux syntagmes yhwh šmrn et yhwh (h)tmn : il s’agit de l’association d’un nom de dieu avec un nom de lieu, comparable par exemple à « Ishtar de Ninive » etc. On se réfère ici à deux manifestations locales du dieu national israélite, lequel possédait un sanctuaire à Samarie et, dans une région ou ville nommée Téman, située dans le sud-est du Néguev ou en Edom.

À Kuntillet Ajrud, Ashérah est associée au Yhwh de Samarie, et 1 R 16,33 parle de Akhab qui érige une Ashérah (en hébreu avec l’article ; probablement dans le temple de Samarie). Cette Ashérah est encore là sous Joachaz (2 R 13,6). Dans le Sud, on apprend que la reine mère Maaca avait fait installer dans le temple une « horreur pour Ashérah » 1 R 15,13 que le roi Asa aurait détruite. Pour le roi Manassé, les choses sont assez claires : « Il plaça la statue (pesel) d’Ashérah qu’il avait fabriquée dans le temple » (21,7). Selon la version biblique, Manassé aurait refait une statue qu’Ezéchias aurait détruite (2 R 18,4). Faut-il y voir une renaissance du culte d’Ashérah sous Manassé. Tout dépend de l’historicité de la réforme d’Ezéchias.

Au VIIe siècle, il existait en Juda un culte populaire d’une déesse appelée « reine du ciel » (cf. Jr 44). Faut-il identifier celle-ci avec Ashérah ?

Il faut probablement imaginer une dualité dans la représentation d’Ashérah : anthropomorphe dans le temple de Jérusalem et de Samarie, et peut-être ailleurs, et sous forme d’un arbre stylisé (« poteau sacré ») dans les bamôt et ailleurs. Les liens traditionnels entre la déesse Ashéra et l’arbre stylisé sont bien attestés iconographiquement dès l’époque du Bronze récent.

Sur un sceau de Lakish (aujourd’hui perdu) du VIIIe siècle, on voit la déesse flanquée d’un arbre stylisé et d’une vénératrice, avec au-dessus d’elle le symbole du dieu solaire.

La crise assyrienne et la réforme de Josias

À partir du IXe s., l’influence de l’Empire néo-assyrien n’a cessé de croître dans le Levant, et dès le règne de Tiglath-Pileser (745-727), tous les royaumes de Syrie et Palestine sont de facto sous domination assyrienne. Le royaume du Nord (Israël), avec une économie et une structure politique plus développées que celles de Juda, donc plus intéressant, fut très rapidement contraint de devenir un état vassal, bien qu’il tentât à plusieurs reprises de s’opposer à la domination assyrienne. Suite à une campagne militaire de Tiglat-Pileser III en 738, les rois Menahem de Samarie et Reçin de Damas apparaissent dans une liste assyrienne comme des tributaires du roi assyrien. En 733, Damas est pris, le roi Reçin capturé et empalé avec ses dignitaires ; quant à Israël son territoire est réduit (2 R 15,29), les territoires annexées deviennent partie du système des provinces assyriennes. Dans cette situation, Pékah est assassiné et remplacé par Osée, qui doit également verser un lourd tribut à l’empire assyrien.

La mort de Tiglat-Piléser III provoqua des luttes internes à la cour et les Assyriens réduisirent leur pression sur la périphérie de l’empire. Osée cessa apparemment de payer son tribut. Selon 2 Rois 17, Osée aurait cherché appui auprès d’un dénommé « Sô’, roi d’Égypte ». L’identité de ce personnage est fortement discutée (il n’y a pas de pharaon de ce nom, s’agit-il de la ville de Saïs ou simplement d’une transcription du mot égyptien pour roi (nj-swt) ?) L’idée de chercher du secours en Égypte paraît plausible, de telles tentatives sont d’ailleurs fustigées dans le livre d’Osée.

Dès 724, commence le siège de Samarie, qui dure environ 3 ans jusqu’à la chute de la ville en 722 (selon les Annales de Sargon II, ce serait Sargon qui aurait pris la ville, alors que selon la Bible Hébraïque et les chroniques babyloniennes, la prise aurait encore été l’œuvre de Salmanassar V). Étant donné les difficultés qu’eut Sargon de prendre le pouvoir, il semble plausible qu’il se soit attribué la prise de Samarie pour des raisons idéologiques. C’est sans doute sous Salmanassar V que tomba la ville, alors qu’ensuite Sargon mit en place la structure administrative d’Israël incorporée dans le système des provinces assyriennes ; il déporta une partie des habitants de Samarie et réorganisa la ville.

Les mouvements forcés des populations font partie de la stratégie militaire et politique des Assyriens. La déportation d’une partie des gens importants, prêtres, hauts fonctionnaires, artisans d’élite, permettait de démanteler la structure sociale ; une partie de l’armée vaincue fut enrôlée dans l’armée assyrienne (caractère cosmopolite de l’armée d’Assur). Les populations déplacées étaient installées dans des centres urbains traditionnels, comme Ninive ou Nimrud, ainsi que dans de nouvelles villes (Dur-Sharrukin).

Le culte de Yhwh a dû continuer dans le territoire de l’ancien royaume d’Israël. Nous n’avons presque aucune information sur la situation religieuse en Samarie jusqu’à l’époque perse. Le texte polémique – et sans doute tardif – de 2 Rois 17 montre cependant la continuation du culte de Yhwh. Malgré la vision négative de Béthel qui se cache derrière ce texte, se trouve sans doute indiqué le fait que le sanctuaire de Béthel continua à jouer un rôle important après 722. L’épisode de l’invasion des lions reflète-t-il un événement historique : l’abandon ou le dépeuplement de certains sites pourrait être à l’origine d’une prolifération de lions ou est-elle une invention littéraire (n’oublions pas que le lion est le totem de la tribu de Juda) ? Il peut s’agir d’une reprise d’un traité assyrien : Assarhaddon avec Baal, le roi de Tyr (vers 676), dans ce traité, annonce comme une des punitions en cas de non-respect du contrat, une invasion de lions.

La défaite du « grand frère » dans le Nord a sans doute provoqué des attitudes diverses. N’était-ce pas un signe que les dieux des Assyriens avaient été plus forts que Yhwh et le petit panthéon d’Israël ? Il est cependant aussi possible que très vite se soit installé en Juda le sentiment d’être le vrai peuple de Yhwh, le vrai Israël. Les événements de 722 ont eu un impact important sur la démographie de Jérusalem. L’administration judéenne a connu un important développement au VIIIe s. et se professionnalisa progressivement. Il y a certainement eu un agrandissement progressif de la ville (voir la découverte d’un nombre important d’arêtes de poissons, qui montre des échanges commerciaux considérables vers la fin du IXe ou au début du VIIIe s.). Bien qu’il ne faille pas exclure qu’il y ait eu différentes raisons à la croissance spectaculaire de Jérusalem, on ne peut guère écarter l’idée d’un mouvement de populations du Nord vers le Sud.

Les dates du règne d’Ezéchias posent problème. Un début du règne vers 727 expliquerait mieux le temps nécessaire pour les travaux à Jérusalem (si ceux-ci n’ont pas été faits en réalité par son successeur Manassé). Il est possible qu’il y ait eu un nouveau mur autour de Jérusalem (agrandi). Selon le récit biblique (2 R 20,20 ; Es 22,9 ; 2 Ch 32,3-4.30), Ezéchias fit également construire un tunnel de 533 m pour amener l’eau de Gihon à Jérusalem. Il est possible qu’Ezéchias ait également fait fortifier la ville de Lakish et renforcé les fortifications de Béer-Shéva. Il voulait apparemment affronter le roi d’Assyrie.

En 701, Sennachérib entreprend une campagne vers la Palestine qui est fort bien attestée :

sur le plan archéologique (notamment Lakish) ;

par des reliefs assyriens à Ninive, mettant en scène le siège et la chute de Lakish ;

par les annales de Sennachérib ;

par les oracles dans le livre d’Ésaïe ;

et par deux récits différents sur le siège avorté de Jérusalem (2 R 18-20).

Sennachérib doit arrêter cette campagne avant la prise de Jérusalem.

Les annales assyriennes et le text biblique concordent dans l’affirmation qu’Ezéchias a dû payer un lourd tribut qui selon la Bible implique même la destruction de certaines portes du temple de Jérusalem. Bien que Juda ait été passablement réduit et qu’il y eût apparemment une déportation importante, les auteurs bibliques considèrent les événements de 701 comme un signe de la toute-puissance de Yhwh. L’intervention des Assyriens en Juda avait provoqué de fait une sorte de centralisation du culte et de l’administration à Jérusalem qui sera à l’origine de la centralisation du culte par Josias.

Jérusalem était la seule ville judéenne que les Assyriens n’avaient pas conquise. C’est l’origine de la théologie du reste qu’on trouve notamment dans le livre d’Ésaïe. Mais c’est aussi le renforcement de la théologie du Sion.

Selon la Bible, Ezéchias est un prédécesseur du roi Josias, car il semble déjà mettre en œuvre une réforme d’exclusivisme yahwiste centré sur Jérusalem. Il y a un grand débat sur l’historicité de ces affirmations qui restent – à part un détail – assez générales. Il n’est cependant pas impensable que les réformes d’Ezéchias puissent se comprendre en lien avec une certaine théologie sioniste qui s’est renforcée après les événements de 701. 2 R 18,7 attribue à Ezéchias également la destruction d’un « serpent de bronze que Moïse avait fabriqué, car les Israélites avaient jusqu’alors brûlé des parfums devant lui; on l’appelait Nehushtan ». Cette notice n’est probablement pas une invention. Ce serpent attribué à Moïse (voir le récit de Nb 21,4-9 qui donne peut-être beaucoup plus tard une étiologie pour ce serpent) rappelle surtout l’influence égyptienne. Le fait qu’Ezéchias ait enlevé cette statue peut refléter le changement de souverain ; c’était peut-être à la suite de son retour à la vassalité assyrienne qu’il a décidé de se débarrasser de ce symbole égyptien.

Le successeur d’Ezéchias, Manassé a eu un long règne (55 ans), mais on apprend très peu de lui. Pour les auteurs bibliques, il est l’exemple même du roi mauvais, et il fait tout « ce qui déplaît à Yhwh ». Historiquement, sa politique d’acceptation de la domination assyrienne a garanti une période de calme et de stabilité. Il est même possible que certains exploits de construction que la Bible Hébraïque attribue à Ezéchias soient en fait l’œuvre de Manassé. Il est à peu près sûr que Manassé a reconstruit Lakish ; il a apparemment aussi construit une série de forteresses, dépendant de Jérusalem ; il est aussi plausible qu’Assurbanipal ait restitué certains territoires judéens à Manassé. Étant donné le fait que Manassé a été un vassal loyal, il est possible qu’il ait renforcé la présence de symboles cultuels d’inspiration assyrienne.

Sur le successeur de Manassé, Amon, on ne sait pas grand-chose. Il porte peut-être un nom égyptien, ce qui voudrait dire que l’Égypte a déjà repris le contrôle sur le Levant durant son bref règne qui s’est terminé par un putsch, à la suite duquel, grâce à l’appui du ‘am ha’areṣ, le jeune Josias monte sur le trône. C’est probablement durant son règne que Yhwh devient définitivement le Dieu Un.

Le début du règne de Josias coïncide plus ou moins avec le déclin de l’empire assyrien. Vers 627, Babylone retrouve son indépendance et les Assyriens relâchent leur présence dans le Levant qui revient vite sous contrôle égyptien. Le récit biblique de 2 R 22-23 s’occupe presque exclusivement de la « réforme » (plutôt : des changements) que ce roi aurait entreprise. Le récit de restauration du temple et de découverte du livre en 2 R 22 est cependant une construction littéraire complexe usant de motifs proche-orientaux. Il faudrait en fait distinguer plusieurs étapes dans la composition de 2 R 22-23. Ainsi, la notice sur le prêtre Hilkiah découvrant le livre au v. 8 est introduite assez brutalement dans le texte et interrompt la première scène (cf. v. 3-7.9). Il est donc très probable, comme cela a souvent été soutenu, qu’il faut distinguer deux histoires en 2 R 22 : le récit de restauration et celui de l’invention du livre. Il est possible que ce récit de découverte (22, 8. 10. 11. 13*. 16-18. 19*. 20* ; 23, 1-3) soit une insertion tardive, attribuable à un rédacteur de l’époque perse.

Il est vrai que nous n’avons pas de preuve de première main d’une quelconque « réforme josianique » (pas de document clairement datable du règne de Josias et prouvant l’existence d’une réorganisation politique ou cultuelle). Il y a cependant quelques indices de changements politiques et religieux en Juda à la fin du VIIe s. avant notre ère.

Il est cependant difficile de voir dans le cas d’Arad une preuve pour l’historicité de la réforme de Josias. Les deux autels à cornes et les stèles ont été soigneusement couchés, voire cachés, à l’endroit où ils se trouvaient. Peut-être voulait-on dissimuler ce sanctuaire durant l’époque de l’invasion assyrienne sous Ezéchias. Il y a un fort qui a été reconstruit sous Manassé ou sous Josias. Le fait que le sanctuaire n’ait pas été rétabli peut éventuellement indiquer un lien avec la réforme de Josias en ce sens que la négligence à l’égard du sanctuaire d’Arad montre l’importance grandissante de Jérusalem.

Selon 2 R 23, Josias supprime de nombreux éléments participant d’un culte astral, un aspect important de l’idéologie religieuse néo-assyrienne. La référence aux chevaux et chars de Shamash, le Dieu du Soleil (23,11) est historiquement plausible à la période assyrienne.

Les prêtres kemarim sont dits être au service « du Soleil, de la Lune, des Constellations et de toute l’Armée des cieux » (23,5). Il s’agit d’un groupe de prêtres spécifiques liés plus particulièrement au service de divinités astrales.

L’abolition de la statue d’Ashéra (2 R 23,6, cf. Jr 44,18-19) pourrait faire allusion à une tentative d’interdire le culte de la reine des cieux qui, comme nous l’avons déjà suggéré, pourrait être un autre nom pour Ashérah.

Les autels sur le toit (2 R 23,12) : se comprennent également comme imitation de pratiques assyriennes (voir 2 R 16).

Les changements politico-religieux de Josias ne sont pas nécessairement un signe d’insurrection anti-assyrienne ; plutôt un indice du déclin important de l’influence assyrienne en Syrie et en Palestine, dans les dernières décennies du VIIe s. Il est également possible que Josias et ses conseillers aient revendiqué le titre d’héritiers légitimes d’« Israël ». Ils ont pu essayer de repousser leur frontière nord et réussir à annexer le petit territoire de Benjamin (ce dont certains textes du livre de Josué se font sans doute l’écho ; voir aussi la mention de Benjamin dans le livre de Jérémie).

Il est aussi plausible que la première édition du Deutéronome date de l’époque de Josias, puisque ce texte reprend de près la rhétorique des traités de vassalité néo-assyriens (surtout le traité d’Essarhadon en faveur de son fils, 672 avant notre ère). D’autres rouleaux ont probablement été écrits à cette époque : Josué, une « vie de Moïse », etc. On peut donc affirmer que la fin du VIIe siècle est le début d’une partie importante de la littérature biblique. Paradoxalement, ce sont les Assyriens, si détestés par les auteurs bibliques, qui ont fourni une grande partie des matériaux pour construire cette littérature.

La mort de Josias en 609 (tué par le roi d’Égypte) semble être aussi la fin de sa réforme, au moins dans l’immédiat. On n’y trouve pas d’allusion dans les livres de Jr et d’Ez et, à Éléphantine, il existait bel et bien un sanctuaire de Yhwh ; peut-être même aussi un autre à Babylone, construit par les exilés judéens. Cependant sa réforme marque en quelque sorte le début du judaïsme, avec une place théologique centrale donnée à Jérusalem, l’affirmation de l’unité de Yhwh, récitée jusqu’à ce jour et l’idée monolâtrique qui pouvait facilement se muer en monothéisme.

Du Dieu un au Dieu unique : les origines du monothéisme biblique au début de l'époque perse

Après la mort de Josias en 609, les Babyloniens prennent assez rapidement le contrôle sur le Levant que les Égyptiens tentent de leur contester. En 601, Nabuchodonosor ne réussit pas sa campagne égyptienne, ce qui a pu amener Yoyaqim à chercher un appui auprès des Égyptiens. Apparemment, Nabuchodonosor veut prendre Jérusalem pour punir Yoyaqim, mais celui-ci meurt pendant le siège. Son fils Yoyakîn se soumet et évite ainsi, en 597, la destruction de Jérusalem. Le roi est exilé avec l’élite judéenne : fonctionnaires, artisans, clergé…

Que Sédécias, installé par les Babyloniens à la place du roi exilé, ait encore été considéré comme roi, ou simplement comme un gouverneur, n’est pas clair. Sa révolte anti-babylonienne provoque la destruction de Jérusalem en 587, destruction de la ville, des murs et du temple : ce n’est pas seulement Jérusalem qui fut détruite, mais un nombre important d’autres centres judéens. Une deuxième déportation eut lieu. Les Babyloniens érigèrent Mizpah, dans le territoire de Benjamin, comme nouveau centre administratif. Ils installèrent Guedalias, un membre de la famille des Shafanides. La région de Benjamin était beaucoup moins détruite. La situation démographique en Juda est difficile à évaluer. Selon Lipschits la population baisse d’environ 100 000 à 40 000 (décès, déportations, fuite), alors que Benjamin semble être moins touché. Le gouverneur Guedalias est assassiné par un parti anti-babylonien et les Babyloniens organisent peut-être une troisième déportation. Les textes bibliques qui rapportent les derniers jours de Juda (2 R 24-25 et Jr 37-44 et 52, ne concordent pas quant à l’importance des déportations).

2 Rois 24-25

Jr 52

– 597

24,14 : 10 000

24,16 : 8 000

52,28 : 3023

– 587

« le reste de la population »

52,29 : 832

– 582

52,30 : 745

Les chiffres en Jr semblent plus précis que ceux de 2 R ; ils semblent cependant assez bas, ce qui ne concorde pas bien avec la baisse apparente du taux de la population. Une possibilité pour expliquer cette différence serait de considérer que les chiffres en Jr ne concernent que les chefs de famille. Si on multiplie par 5, on arrive alors à des chiffres comparables aux chiffres ronds de 2 R 24.

Bien que certains textes bibliques donnent l’impression d’un pays vide durant l’époque dite de l’exil babylonien, la vie continuait en Juda et surtout en Benjamin. Nous ne savons que peu de choses sur la vie de la population restée dans le pays. Les sources babyloniennes n’en parlent pas ; il est plausible que les Babyloniens aient nommé un autre gouverneur après l’assassinat de Guedalias.

Nous en savons un peu plus sur les exilés, que les Babyloniens – contrairement aux Assyriens – avaient laissés regroupés et qu’ils ont sans doute employés aussi pour des tâches administratives.

La Bible mentionne un certain nombre d’endroits habités par des Judéens déportés : Tel Aviv (Ez 3,15) sur le canal Kebar, probablement en Babylonie centrale non loin de Nippur ; Tel Melah, Tel Harshâ, Keroub, Addân, Immer (Esd 2,59) ; Kâsipha (Esd 8,17). Malheureusement, ces toponymes sont inconnus par ailleurs. Flavius Josèphe (Ant. xv. 1, § 2) mentionne la cité de Nearda (attestée aussi dans le Talmud) correspondant à Tell Nihar, sur la rive gauche de l’Euphrate, au-dessus de Sippar, siège d’une académie célèbre au IIIe siècle de l’ère chrétienne. Une tablette cunéiforme de Babylone des débuts de l’époque perse de la collection Moussaïeff (si elle est authentique) contient un contrat de vente d’animaux avec des noms yahwistes et surtout le fait qu’il a été conclu dans une ville « Al-Yahûdû », l’an 24 de Darius, roi de Babylone, roi des pays. Ce nom correspond au nom qu’on trouve dans une chronique babylonienne pour désigner Jérusalem. C’est donc une « nouvelle Jérusalem » fondée par des Judéens à Babylone dont l’identification n’est pas encore possible. Mais cela montre une importance et une aisance économique de la Golah babylonienne.

Les événements de 597 et 587/586 produisirent sans aucun doute une crise majeure pour l’identité collective judéenne. Étant donné l’importance des destructions et des mouvements de populations, personne ne peut prétendre qu’il s’agisse d’une lubie de l’exégèse moderne. Il reste vrai que la destruction de Jérusalem affecta les élites déportées plus que les ruraux et les pauvres. Les élites (surtout les fonctionnaires royaux) avaient été coupées de la source de leur pouvoir. Plus généralement, après 597/587, les piliers traditionnels supportant la cohérence idéologique et politique d’un état monarchique dans le Proche-Orient ancien s’étaient écroulés. Le roi avait été déporté, le temple détruit et l’intégrité géographique de Juda pulvérisée du fait des déportations et émigrations volontaires. Il était tout à fait logique d’expliquer la situation par une victoire des dieux babyloniens plus puissants, remportée sur la divinité nationale Yhwh, défaite. Dans l’aristocratie, divers groupes tentèrent de surmonter la crise, produisant des idéologies qui donnaient du sens à la chute de Juda. Nous pouvons les présenter selon le modèle proposé par A. Steil. Ce sociologue, influencé par Max Weber, a analysé les sémantiques de crises liées à la révolution française. Il me paraît que son modèle s’applique aussi aux réactions à la chute de Jérusalem que l’on trouve dans la Bible hébraïque. Steil discerne trois types d’attitudes face à une crise : celles du prophète, du prêtre et du mandarin. L’attitude prophétique considère la crise comme le début d’une nouvelle ère ; ses tenants sont des marginaux, capables cependant de communiquer leurs convictions. La posture des représentants conservateurs des structures sociales effondrées relève de l’attitude sacerdotale ; ici, la seule façon de surmonter la crise est de revenir aux origines sacrales, données par Dieu, de la société et d’ignorer la nouvelle réalité. Quant à la posture dite mandarinale, elle exprime le choix des hauts fonctionnaires, tentant de comprendre la nouvelle situation et de s’en accommoder pour conserver leurs anciens privilèges. Les « mandarins » veulent objectiver la crise dans une construction historique fournissant les motifs de l’écroulement des anciennes structures sociales.

Le candidat biblique au rôle de « mandarin » face à la crise est l’École deutéronomiste. Contrairement au milieu sacerdotal, les Deutéronomistes (Dtr) de la période babylonienne, descendants des scribes et autres fonctionnaires de la cour judéenne, sont obsédés par la fin de la monarchie et la déportation des élites de Juda. Pour les Dtr, il fallait expliquer l’exil et, pour cela, construire une histoire allant des débuts sous Moïse jusqu’à la destruction de Jérusalem et la déportation de l’aristocratie (Dt 1-2 R 25*). Pour ce faire, les Dtr retravaillent les anciens rouleaux de l’époque assyrienne. Ils bâtissent une histoire cohérente, divisée en périodes (Moïse, la conquête, les Juges, l’avènement de la monarchie, les deux royaumes, l’histoire de Juda depuis la chute de Samarie jusqu’à celle de Jérusalem). Il s’agit de présenter tous les événements négatifs – la division de la dynastie davidique ou les invasions assyrienne et babylonienne – comme des conséquences « logiques » de la désobéissance du peuple et de ses chefs à l’égard de la volonté de Yhwh. Et la volonté de Yhwh est exprimée dans le livre du Dt, qui rappelle « l’alliance » ou le traité originel entre Yhwh et Israël. Yhwh lui-même a provoqué l’invasion babylonienne (2 R 24,3 et 30) pour punir Juda du culte qu’il rend à d’autres divinités. Les Dtr cherchent à contrer l’idée que Marduk et les autres dieux babyloniens aient vaincu Yhwh. L’œuvre des Dtr de l’époque babylonienne constitue donc le premier essai de création d’une histoire complète d’Israël et de Juda. Les Dtr voulaient montrer que la chute de Jérusalem ne signifiait pas que les dieux babyloniens avaient vaincu le dieu national de Juda. Les événements de 597 et 587 ne pouvaient être expliqués que si Yhwh ou sa colère était l’agent de l’effondrement de Juda. Mais si c’est Yhwh qui a utilisé le roi de Babylone et ses dieux, cela signifie aussi qu’il les contrôle. Cette idée prépare la voie à des affirmations assez clairement « monothéistes » qui se trouvent dans certains textes de l’histoire dtr.

 

Le monothéisme du Deutéro-Ésaïe

La réflexion monothéiste la plus poussée de la Bible hébraïque se trouve dans le Deutéro-Ésaïe (Es 40-55). Il s’agit d’une collection d’oracles anonymes dont la rédaction s’étend au moins sur deux siècles et dont le noyau est constitué par un texte de propagande célébrant l’arrivée du roi perse Cyrus à Babylone en 539 av. J.-C. Dans les textes du Deutéro-Es, le monothéisme vétérotestamentaire trouve son épanouissement théologique, puisque Es 40-55 propose, contrairement aux Deutéronomistes et aux sacerdotaux, une « démonstration théorique » du monothéisme. Dans les premiers chapitres de la collection, les peuples et leurs dieux sont appelés à se présenter devant Yhwh pour qu’ils reconnaissent qu’il n’y a pas de dieu à part Yhwh (Es 45,6 : « afin qu’on reconnaisse, au levant du soleil comme à son couchant, qu’en dehors de moi : néant ! C’est moi Yhwh, il n’y en a pas d’autre »). Toutes les autres divinités ne sont que des chimères, du « bois à brûler » (Es 44,15). On se moque du commerce de statues de divinités dont la seule utilité est d’enrichir les artisans.

Le texte du « cylindre de Cyrus », qui présente Marduk comme le dieu qui a choisi Cyrus, est repris dans le second Ésaïe qui présente le roi perse comme le messie de Yhwh en Es 40ss.

 

Le monothéisme du milieu sacerdotal

Le milieu des prêtres (P) offre un discours monothéiste inclusif qui cherche à définir la place et le rôle d’Israël et de son dieu qu’ils confessent comme étant le dieu unique au milieu de tous les peuples et de leurs dieux respectifs. Dans ce but, ils développent, à l’aide des noms divins, « trois cercles » (voir Gn 1 ; Gn 17 ; Ex 6).

1) Yhwh se révèle à toute l’humanité comme « Élohim » (« Dieu » ; c’est le nom que les auteurs sacerdotaux utilisent dans les récits des origines du monde et de l’humanité). Ce nom est à la fois un singulier et un pluriel. D’une certaine manière tous les dieux peuvent être des manifestations du dieu unique (influence perse ?). P commence son œuvre avec l’affirmation que c’est Élohim qui crée la terre et le ciel. Théoriquement, cela signifie que tous les peuples vénérant un dieu créateur vénèrent (sans le savoir) le dieu qui se manifestera plus tard à Israël.

2) Aux Patriarches et à leurs descendants, Yhwh se révèle comme « El Shadday ». P utilise ce nom pour expliquer que le dieu qui s’est révélé à Abraham doit, par conséquent, aussi être connu d’Ismaël et d’Esaü (cf. dans le même sens l’auteur de Job, qui situe Job dans le territoire d’Ismaël et des Edomites). P utilise donc un nom archaïque, mais qui était à son époque encore un nom divin vénéré en Arabie, pour construire une histoire de la révélation.

3) À Moïse seulement, Dieu se fera connaître sous son nom de « Yhwh ». C’est la représentation d’une sorte de « monothéisme inclusif », car l’humanité entière vénère, sans le savoir le même dieu qu’Israël. Pour cela même, seul Israël peut rendre à ce dieu le culte adéquat.

En effet, pour P, toutes les institutions cultuelles et rituelles sont données avant l’organisation politique d’Israël (fondement de l’idée d’une séparation entre le domaine du religieux et le domaine du politique).

Ces institutions concernent aussi les différentes parties de l’humanité différemment :

« Élohim » : l’interdit du sang après le déluge devrait s’appliquer selon P à l’ensemble de l’humanité ;

« El Shadday » : la circoncision devrait s’appliquer (et s’applique de fait) à tous les descendants d’Abraham ;

Yhwh : la Pâque, les rituels sacrificiels et prescriptions alimentaires, le yom kippur, etc. sont les rites spécifiques par lesquels Israël rend un culte au dieu unique qui s’est révélé à Israël via Moïse.

 

Les influences perses sur le monothéisme biblique

Il est très difficile de se faire une idée claire du système religieux adopté par les souverains achéménides. À cela s’ajoute le problème de la datation et de l’origine de Zoroastre, ainsi que celui de son « message » originel.

Le mazdéisme est clairement attesté dans le cadre de la religion royale officielle depuis Darius qui, dans l’inscription de Béhistun, légitime sa royauté par la volonté et le soutien de Ahura-mazda ; dans l’inscription d’Elvend, il appelle celui-ci « le grand dieu qui a créé cette terre ici, qui a créé le ciel là-bas, qui a créé l’homme, qui a créé le bonheur pour l’homme ».

Néanmoins, à côté d’Ahura Mazda sont mentionnés « tous les autres dieux qui existent ». Il semble également que les souverains perses aient permis aux sujets de leur empire une vénération des divinités locales. On peut donc à juste titre se demander s’il faut parler de monothéisme pour une telle constellation. On peut pourtant aussi se poser la question de savoir si le mazdéisme des Perses ne constituait pas une sorte de monothéisme syncrétiste ou inclusif, qui considérait les autres divinités comme des manifestations locales de Ahura-mazda.

Il est à noter que les auteurs des livres d’Esdras-Néhémie insistent beaucoup sur une Persian connection symbolisée par leurs protagonistes. On peut donc dire que le judaïsme « orthodoxe » de l’époque perse accepte l’idée d’une translatio imperii au bénéfice des rois achéménides.

 

Influences perses possibles :

On constate que dans de nombreux psaumes postexiliques (ainsi que dans d’autres textes) Yhwh est présenté comme trônant au milieu de l’assemblée céleste et dépassant tous les autres dieux (Ps 82,1 ; 89,7), qui sont de fait dégradés en « anges » ou en « saints » (Ps 89,6 ; 103,20). Ce maintien de l’ancien panthéon peut s’expliquer, au moins partiellement, par une double influence perse : Yhwh est présenté à l’image du grand roi perse (qui en fait est le seul vrai roi) dominant tous les rois des autres peuples (Béhistun); mais Yhwh correspond également ainsi à Ahura-Mazda qui, après la réforme zoroastrienne, siège, seul vrai Dieu, souverainement établi au sommet du panthéon traditionnel.

Il est unanimement reconnu que la figure de satan en tant que membre d’une cour céleste n’est attestée dans les textes bibliques qu’à partir de l’époque perse. Et on peut se demander si son apparition est influencée par un certain dualisme perse [Ahura-mazda versus Angra Mainyu (Ahriman)].

 

Résistances au monothéisme

Le discours monothéiste va devenir le marqueur identitaire, à l’époque hellénistique, du judaïsme, qui va intriguer les intellectuels grecs et romains et aussi séduire une partie de l’aristocratie de l’empire romain.

Néanmoins, nous savons que l’idée monothéiste ne s’est pas imposée d’emblée. L’exemple le plus évident est la communauté juive d’Éléphantine. On y trouve à côté de Yhwh la vénération d’une déesse du nom d’Anat, ensemble avec Bétêl, divinité des Araméens de Syène ; ces deux dieux font partie d’une triade divine.

 

L’avènement de la Torah et du judaïsme

La petite province de Yehud ne retenait guère l’attention des Perses ; nos informations sur les faits d’histoire de cette région proviennent majoritairement de récits bibliques (surtout les livres d’Esdras, Néhémie, Aggée et Zacharie) qui reflètent l’idéologie de l’élite judéenne durant la période perse. Il est très difficile de donner une indication précise aussi longtemps que l’on ignore l’extension (...)

Nous n’avons pas d’informations précises sur les frontières ou la population du Yehud de l’époque perse. Le nombre de 42 000 exilés rentrés de Babylone en Juda selon Esdras 2 et Néhémie 9 est clairement irréaliste. Durant la première période perse, il y avait beaucoup moins d’habitants en Yehud et surtout à Jérusalem. Il existe actuellement un débat assez enflammé sur la population de Jérusalem à l’époque perse. Certaines estimations minimalistes arrivent à 200-300 personnes, alors que d’autres optent pour environ 1000 personnes. Il est possible que Jérusalem ait été surtout le lieu du temple, et l’administration perse située peut-être comme à l’époque assyrienne et aussi babylonienne, à Ramat Rahel.

C’est probablement entre 400 et 350 que les écrits fondateurs de P, le début de l’histoire deutéronomiste et d’autres traditions furent réunis pour former le Pentateuque, la Torah [excluant dans un premier temps les livres prophétiques et l’histoire de la conquête jusqu’à l’exil babylonien (Jos-Rois)]. Cette exclusion reflète deux constellations : méfiance de l’élite religieuse et laïque quant au prophétisme et implication importante des Samaritains qui n’apparaît pas dans la perspective de la Bible judéenne.

Le mythe fondateur de la Bible hébraïque attribue la promulgation du Pentateuque à Esdras qui serait venu avec une lettre d’accréditation du roi perse pour faire accepter la « Loi du dieu des cieux » et la loi du roi. L’édition de la Torah est avant tout un phénomène interne aux Judéens et Samaritains avec une forte implication de la Golah (qui a dû se reconnaître dans la figure d’Esdras).

Avec la Torah, le judaïsme devient définitivement mobile et une religion de la Diaspora. Yhwh n’a plus besoin du temple, il est un dieu unique, mobile, qui garde cependant une relation spécifique avec son peuple qui vit selon les prescriptions de la Torah.

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