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À l’origine qu’est-ce que l’Église ?

 

Selon une formule célèbre, d’Alfred Loisy qui écrivait vers 1900, « Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Église qui est venue » (L’Église et l’Évangile, 1902)

Cet éloignement entre le royaume et l’Église ne demeure-t-il pas la distance qui sépare l’enseignement de Jésus et celui de l’Apôtre Paul ?

L’Apôtre Paul ne serait-il pas le véritable inventeur de cette nouvelle religion dénommée christianisme ?

Sommes-nous en présence de l’Église ou est-ce d’abord un ensemble de communautés qui se trouvent unies par la même foi ? Celles-ci ne forment pas encore ce que l’on appelle l’Église avec un grand « E », c’est-à-dire une organisation structurée. Ou alors des communautés qui possèdent des rapports entre elles, et présenteraient en même temps des institutions centralisées ? L’Église c’est quand même cela ! ce n’est pas simplement une pléiade de communautés ; c’est des gens qui annoncent la même chose qui lisent la même chose et qui acceptent la même discipline les mêmes dogmes à l’intérieur d’un système de culte. Mais au premier siècle, on n’en figure pas encore là, on ne rencontre pas encore de culte chrétien. La foi en Jésus le Nazaréen se vit au sein des synagogues au milieu de la croyance juive.

Au premier siècle, il n’existe pas de christianisme tel qu’il se trouve présent aujourd’hui. Nous devons préférablement parler de communautés. On peut employer l’expression église à domicile, on souligne ainsi que nous, ne nous trouvons pas face à une Église à titre d’institution ; mais de petits groupes de fidèles de Jésus qui se retrouvent dans une maison en petit nombre. Ce qui apparaît bien sûr très différent de notre conception du christianisme en tant que religion mondiale.

Le mot ecclésia demeure un mot grec qui désigne « une assemblée » dans la démocratie athénienne, et il s’emploie pour signifier toutes sortes de rassemblement. Il dénomme tout simplement une assemblée au sens politique. Il peut aussi être employé pour désigner une assemblée synagogale, l’assemblée des fidèles. Or c’est une véritable tentation si l’on interprète ecclésia par Église ; de lui donner l’air d’une institution chrétienne et cette traduction apporte le concept et un poids qu’il ne pouvait absolument pas posséder au milieu du premier siècle. D’un point de vue linguistique, nous savons que l’utilisation d’ecclésia dans d’autres contextes n’avait jamais cette connotation institutionnelle. Ce qui paraît intéressant à noter c’est seulement au chapitre 5 des Actes des apôtres rédigés au cours des années 80-90 que pour appeler cette communauté l’on emploiera le terme Église. On nous dit tout simplement que tout naturellement la communauté ne s’est pas d’abord préposée en tant qu’Église elle s’est désignée comme communion des disciples ; et puis c’est vrai à la foi en raison de la tradition d’Israël où dans la Bible en grec le mot église ecclésia désigne la communauté d’Israël rassembler. Aussi le fait que dans le monde grec le même mot désigne la communauté des hommes libres qui prend en main son destin à l’intérieur d’une ville ; on va rencontrer ce terme église qui en plus évoque les appelés rend parfaitement compte de la nature de la communauté. Peu à peu, cette expression va s’imposer comme un terme privilégié, un terme essentiel pour dénommer la communauté des disciples de Jésus. Donc quand Paul écrit assez vite toutes ses lettres c’est à l’église, c’est-à-dire à la communauté des corinthiens ou à la communauté, « à l’église » qui se trouve à telle ou telle ville ; ou encore dans les finales des lettres on va appeler par ecclésia une petite communauté qui se rassemble chez telle ou telle personne. On aura par exemple Paul qui va évoquer à plusieurs reprises l’ecclésia « l’église » ou la communauté qui se réunit chez Priscille et Aquilas. (1 Co 16.19 : « Les églises d’Asie vous saluent. Aquilas et Priscille, avec l’église qui est dans leur maison, vous saluent bien dans le Seigneur. ») Donc ce mot église va rentrer tout naturellement dans le langage chrétien et va à un moment être privilégiée. Mais nous ne sommes pas encore à cette construction hiérarchisée d’une l’Église avec un grand « E » et son culte bien établi. Donc si réellement Jésus a prononcé ces paroles : « tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Matthieu 16,18) elle ne pouvait avoir pour Jésus (qui parlait araméen) le sens que les chrétiens lui ont accordé au second siècle. Personnellement, j’aperçois dans ce verset un ajout tardif pour donner la primauté de l’Église de Rome à l’apôtre Pierre.

Le royaume de Dieu annoncé par Jésus reste vraiment très différent de la nouvelle Église. La nouvelle Église créée entre la mort de Paul et l’an 150 s’est éloignée de plus en plus de ce qu’elle apparaissait à l’origine, à l’intérieur du judaïsme. Si jamais Jésus était revenu vers l’an 150 et s’il avait regardé autour de lui, s’il avait vu ce qu’était devenue pour ses fidèles sa pensée et son enseignement, c’est-à-dire cette nouvelle religion, d’abord créée par Paul, puis sans cesse développée, il se serait sens doute évanoui. Tout au moins, il n’aurait rien reconnu. On ne peut certes pas imaginer qu’il demeure un blanc entre la crucifixion de Jésus et le moment où Paul devient une figure importante du christianisme primitif. Mais ce que Paul va faire est tout à fait nouveau et part ailleurs occasionnel. Nous ne connaissons de Paul qu’un certain nombre de lettres qui veulent aider à de jeunes communautés venant en grande partie du monde païen à bien vivre et à bien comprendre sa vision toute personnelle du christianisme ; et donc non pas sur ce qu’a enseigné Jésus des évangiles, mais sur sa propre opinion du Christ ressuscité. Alors de ce point de vue là, l’apport de Paul se trouve absolument déterminant pour ce christianisme naissant. Paul va contribuer à façonner le christianisme tout au moins ses fondations, celles d’un christianisme avec sa théologie, tel que nous les connaissons aujourd’hui, mais encore sans culte bien défini. Il reste essentiel de prendre conscience de la différence de points de vue avec le contemporain ou le témoin du premier siècle. Parce que l’on observe cela avec 20 siècles de distance, et avec peu de sources, et hormis ce recul nous possédons peu d’informations en dehors des épîtres de Paul qui ne sont pas non plus nombreuses. Elles ne forment pas non plus trente tomes dans une bibliothèque. Mais c’est le personnage sur lequel nous détenons le plus de renseignements. Alors forcément, on le voit avec un rôle beaucoup plus important que les autres ; dès l’instant où c’est la seule documentation que l’on a à notre disposition. Si Paul obtient tellement de succès, ce n’est peut-être pas du fait que c’est Paul ; mais qu’il s’agit de son opinion sur le Christ qu’il propose. C’est sa vision qui a tellement de retentissement auprès des non-juifs. Les évangiles revêtiront eux aussi énormément de prospérité au second siècle, parce qu’ils s’orienteront sur l’opinion de Paul. Du moins, l’opinion de Paul sur le Christ influencera fortement les évangiles, mais à l’époque de Paul ils ne se trouvent pas encore rédigés. Donc on peut affirmer que dès cette époque, la base du christianisme repose plus sur l’opinion que se fait Paul de Jésus crucifié, que sur ce qu’a enseigné Jésus de Nazareth vivant. Forcement puisque Paul n’a pas connu Jésus vivant. On rencontre dans l’opinion de Paul quelque chose de totalement nouveau et de très séducteur, un élément dans les nouvelles mythologies qui finalement se résume à des nombres limités de points. N’est-ce pas, un homme qui a vécu en Palestine et a prêché le salut, qu’il est mort et est ressuscité. C’est la résurrection qui forge l’opinion de Paul, pas la vie et les dires de Jésus historique. Sans elle, nous ne trouverions pas de théologie paulinienne et dès lors plus de christianisme.

Paul a certainement pris une importance considérable ultérieurement d’abord parce que ç’a été le grand apôtre auprès des gentils ; et les chrétiens d’origine non juive ont fini par constituer la grande majorité du mouvement. Donc Paul est largement devenu celui dont l’opinion a dirigé ces gentils et qui leur avait apporté sa conception du Christ. À l’instant où l’on songe à Paul en tant que fondateur du christianisme, l’on pense au christianisme inventé à la suite des débats théologiques entre intellectuels au milieu du deuxième siècle. Mais ce n’est pas exactement ce christianisme-là que celui de Paul. Paul, on pourrait dire qu’il va former le terreau et c’est son opinion qui va conduire à ces débats qui alors deviennent dans les siècles suivants en quelque sorte inévitables. Paul enseigne son opinion tout à fait singulière ; c’est-à-dire un christianisme qui par principe réfute l’observation du Shabat et commence à critiquer la circoncision et pour finir la Torah, la tradition juive, que l’on désigne improprement par « la Loi ». Ce christianisme qui refuse de manger casher et ne respecte plus les fêtes juives, un christianisme qui divinise le messie juif pour en faire un fils de Dieu.

Le fait demeure que le christianisme qui s’est défini petit à petit au fil des premiers siècles reste un christianisme foncièrement paulinien. Dans une grande, mesure un christianisme qui prend ses distances avec le judaïsme et la figure juive de Jésus. C’est-à-dire la figure historique de Jésus de Nazareth qui n’apparaît pas chez Paul. Paul a transformé Jésus le Nazaréen en Jésus-Christ. Il l’a transformé en une personnalité divine et celle-ci n’a plus directement et uniquement à voir avec la figure du Prophète et du Messie tel que le concevaient une grande partie des juifs du premier siècle. Dans cette nouvelle religion, le Juif n’a plus sa place en tant que Juif, comme fils d’Israël.

Plus le temps passe à l’époque du Nouveau Testament et après ; plus le besoin devient pressant de s’éloigner du Jésus terrestre, du Jésus de chair, du Jésus Juif, car il ne sert pas théologiquement à une chrétienté composée de gentils qui calquent leur l’opinion sur celui de Paul. Jésus de Nazareth, l’enseignant, le prédicateur juif des évangiles, le Sage Nazaréen, ne sert pas à étayer l’opinion paulinienne, et donc Paul l’ignore. Au début, Jésus était vu comme le fils de David le Messie d’Israël, les espérances étaient fondées sur le royaume d’Israël, mais tout cela personne chez les gentils n’en a l’utilité. Qu’en ont-ils à faire d’un Messie d’un roi pour Israël ? La pression grandit pour en faire plus tôt que le fils de David celui qui était le fils de Dieu dès l’origine. Dès lors, il devient nécessaire d’immatérialiser Jésus et d’en faire un être divin, c’est là que se trouve le nœud de l’affaire, tout se trouve là. La spiritualité juive de Jésus incomprise doit être transformée et retravaillée dans le chaudron des mythes et du mystère. Alors elle devient une religion à la grecque à la romaine, et donc assimilable par les gentils, c’est-à-dire les étrangers à la culture juive. Dans ce christianisme des gentils Paul va sublimer Jésus en Seigneur Jésus qui devient à la fois homme et Dieu, le verbe incarné le « logos » et finalement Dieu lui-même. Si les fidèles de Jésus ne l’avaient pas admis dans la profession de foi, « Jésus est Dieu », nous ne pourrions pas parler de religion chrétienne. Nous serrions toujours dans une secte juive. Tout compte fait, Jésus lui-même évolue à l’intérieur du judaïsme même s’il peut être considéré comme un hérétique du judaïsme. Mais la religion chrétienne commence à se former au moment où des personnes affirment que selon leur opinion « Jésus est Dieu ». C’est-à-dire au moment où une profession de foi reconnaît et déclare en confessant publiquement la divinité de cet homme Jésus. Alors né quelque chose de totalement nouveau.

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