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Judas l’apôtre qui trahit Jésus. (Midrash)
Judas est Ioudas en grec des évangiles.
Il apparaît évident que ce Judas des évangiles et quand bien même les textes grecs ajoutent un sigma à son nom, possède le même nom que le Juda du livre de la Genèse. À savoir le quatrième fils de Léa, première femme de Jacob, celle-ci la épousé par ruse, alors que Jacob désirait se marier avec sa sœur cadette, Rachel et aima Rachel plus que Léa. À sa naissance, Léa dit : « cette fois, je rendrai grâce au Seigneur » ; c’est pourquoi elle l’appela Juda (Genèse 29,35). Juda (Judas) figure יְהוּדָה Yehoudah en hébreu et vient en effet d’une racine verbale ידה yadah : louer, rendre grâce. Juda signifie donc : louange à Dieu.
Une singularité :
Il apparaît curieux, et aussi important de noter que le nom de Juda a la particularité de comporter et ceux-ci dans l’ordre les quatre lettres du Tétragramme sacré, le nom de Dieu imprononçable, יהוה YHVH. On peut transcrire Juda en יהודה YHVDH. C’est à ma connaissance le seul patronyme hébreu qui a cette particularité.
En ce qui concerne notre Midrash :
Avec le personnage de Judas, nous ne quittons pas notre midrash sur les marchands du Temple (article précédent). Dans les Actes des Apôtres retranscrit en hébreu au chapitre 1 verset 17 le texte dit de Judas :
כִּי־הָיָה נִמְנֶה אִתָּנוּ וְזָכָה בְּגוֹרַל הַשֵּׁרוּת הַזֶּה׃ Ki-hajah nimneh itanu vezahah begoral hašerut hazeh. « parce qu’il comptait avec nous et a gagné dans le destin de ce service »
On infère ici la présence des mots נִמְנֶה nimneh (compter) et זָכָה zahah (gagner). Le midrash sur Judas apparaît en effet marqué par le nombre, la comptabilité la vente et le gain. Les prêtres lui comptent trente pièces d’argent, afin qu’il livre ou qu’il leur sert Jésus. On retrouve l’expression הַשֵּׁרוּת hašerut qui peut se traduire aussi par « prestations de service ». Il tient la caisse, ou la bourse commune, etc. Certains voient dans ce verset une reprise de la tradition contenue dans le Targum Néofiti de Genèse 44,18. Ce dernier texte rapporte un discours de Juda, le patriarche devant Joseph qui est devenu le bras droit de pharaon, pour défendre son frère Benjamin :
« N’as-tu pas entendu parler de ce que firent Siméon et Lévi, mes deux frères, dans la place forte de Sichem ? Ils y sont entrés et y ont tué tous les mâles parce qu’ils avaient souillé Dinah, notre sœur, qui ne fait pas partie du nombre des tribus et qui n’a ni part ni héritage dans le partage du pays. Combien plus à cause de Benjamin, notre frère, qui תנת מָנָה (tnit manah) fait partie du nombre (littéralement : donner du nombre) des tribus et qui à part חוֹלֵק (kholek) et héritage dans le partage du pays ».
La formule finale du Targum semble reprise par l’auteur des Actes quand il parle de Judas qui avait rang et qui avait part parmi les apôtres. La version syriaque d’Actes. 1,17 traduit le verbe avoir rang par maneh hayya, verbe qui est employé dans le Targum au participe hitpael. L’auteur des Actes effectuera un jeu de mots sur kholek et le transformera en khakel, (Akeldama חקל דמא - khakel dama - « le champ de sang ») par une simple interversion des consonnes et un changement des voyelles. Cette technique, appelée al tiqre, figure fréquente dans les midrashim juifs. Actes 1,20 mentionne deux psaumes : dans la première citation l’auteur adapte le pluriel du psaume 69,26 « leurs demeures » ; et il en présente un singulier « sa demeure », et dans la seconde citation l’auteur change la forme grammaticale du verbe λάβοι laboi (LXX) psaume 109,8, en labeto. Ce n’est donc pas sur la version des LXX que le rédacteur se base.
Dans le Midrash Rabba, Juda (Yehuda, le fils de Jacob, que nous écrivons sans « S » pour le distinguer du Judas des évangiles) est désigné pour celui qui sauva Joseph en le vendant, plutôt que de le laisser tuer par ses frères. Si les évangiles s’appuient bien sur le midrash juif et le prolongent, comme nous le disons, nous devrions retrouver cette représentation positive de Judas dans nos textes. Or, Judas ne possède pas précisément une image positive dans les évangiles. Notre thèse figurerait-elle ici prise en défaut ? Ce n’est pas certain. Car au niveau de la tradition orale, la citation de l’Écriture figurait probablement en araméen. Si nous consultons la version araméenne des psaumes dans le Targum, force nous est de constater qu’elle apparaît presque littérale. Pour le psaume 69,26, le parallélisme se trouve plus explicite : « Que leurs demeures soient désertées. Que dans leurs demeures personne n’habite (yateb) ». Quant à la citation du psaume 109,8, elle reste légèrement différente : « Qu’un autre hérite le nombre de ses années (minian shenoi) ». Si ces écrits sont repris au niveau de la tradition orale, on constate que le premier texte se trouve relié au contexte par le mot-crochet « habitant » (yateb) au verset 19 qui parle des habitants de Jérusalem. Le psaume 109,8 demeure rattaché au contexte par le mot « nombre » (minian) qui renvoie au verbe « il avait rang » (mitmaneh) du verset 17 et réalise une sorte d’inclusion. Cette relation des versets rapportés avec la conjoncture demeure obligatoire dans le midrash rabbinique. Dans le verset mentionner un lien avec la circonstance figure nécessaire. C’est ainsi que l’écrit cité instruit le paysage.
Soulignons cependant que notre écrit ne cherche pas à interpréter un texte de l’Écriture par un autre texte. Non, c’est un événement historique qui est situé dans l’histoire du salut et qui apparaît éclairé par un texte des Écritures. C’est là une différence essentielle entre le midrash rabbinique et le midrash chrétien.
La narration de la mort de Judas tel que l’auteur du livre des Actes l’explique apparaît comme un midrash cela ne fait aucun doute parce qu’il se termine par des citations de l’Écriture. Mais un midrash explicite peut se trouver enrichi par un midrash implicite et peut comporter des allusions indirectes à des événements de l’histoire sainte. Il me semble que l’histoire de la mort de Judas a contenu au niveau de la tradition orale des allusions au meurtre de Caïn. C’est ce que je voudrais démontrer maintenant.
Une des différences principales entre le récit de Matthieu 27 et des Actes des apôtres réside dans le fait que selon les Actes c’est Judas lui-même qui achète le champ. Or le thème de l’achat pourrait provenir de Genèse. 4,1 où le verbe קָנִיתִי qaniti « acheter » explique l’étymologie du nom de Caïn :
וַתַּהַר, וַתֵּלֶד אֶת-קַיִן, וַתֹּאמֶר, קָנִיתִי אִישׁ אֶת-יְהוָה.
vatahar vateled et-kajin, vatomer kaniti iš et-Yahvéh.
« Elle l’appelle Caïn en disant : j’ai acheté cet homme (son fils Caïn) de par Dieu »
Dans la transcription araméenne du Targum de Genèse 4,1, c’est le même verbe qanah qui est employé. Dans la version araméenne, le récit de la mort d’Abel fait suite à une longue discussion entre les deux frères. Cette réflexion a pour thème la bonté et la justice de Dieu. Le thème abordé apparaît ancien, puisqu’il est connu dans le Talmud et attribué aux pharisiens et aux sadducéens. Dans la discussion, il apparaît également la question du salaire des justes. Le terme utilisé par le Targum est celui de agar. Or ce vocable figure présent en Actes. 1,18 où il est question « du salaire du forfait ». La version syriaque des Actes. 1,18 recourt au mot « agar ». Dans le Targum, Caïn invite son frère à sortir avec lui aux champs. Pour désigner l’expression de « champ » le Targum Onkélos emploie « haqel » terme repris en Actes. 1,18. Enfin le terme du sang דָּם « dam » est contenue dans la tradition de Caïn et d’Abel et dans celle du meurtre de Judas. (Genèse 4,10) :
קוֹל דְּמֵי אָחִיךָ, צֹעֲקִים אֵלַי מִן-הָאֲדָמָה.
kol damei ahiha, soakim elai min hadamah.
Le cri des sangs de ton frère s’élève, jusqu’à moi, de la terre.
Le thème de Caïn et d’Abel était entré dans la méditation de la communauté chrétienne primitive. Jean 8,59 répète ce sujet lorsqu’il dit que les juifs ramassèrent des pierres pour les lancer à Jésus. Selon la version du Targum Jonathan, c’est avec des pierres que Caïn avait tué Abel. Jean 3,12 reprend le thème de Caïn. La lettre aux Hébreux 11,4 reçoit également écho à la foi d’Abel. La tradition rabbinique, de son côté, attachera une grande importance au texte de Genèse. 4,1. Dans la Mishnah Sanhédrin 4,5, nous lisons : « Dans les procès criminels, le sang de l’innocent et le sang de toutes les générations sont suspendus sur le faux témoin jusqu’à la fin du monde. C’est ce que nous trouvons à propos de Caïn qui avait tué son frère ainsi qu’il est dit : les sangs de ton frère crient (Genèse. 4,10). On ne dit pas le sang, mais les sangs de ton frère, parce que le sang avait giclé sur les bouts de bois et sur les pierres ».
Dans le Targum Jonathan Gen, 4,10 était traduit ainsi : « La voix des sangs de ton frère qui a été avalé par l’argile crie de la terre en ma présence ».
Étant donné l’importance du thème de Caïn et d’Abel dans la communauté primitive, et étant donné les indices littéraires que nous avons relevés dans le récit des Actes ; il ne demeure pas exclu que la narration de la mort de Jésus reprenne des traditions qui circulaient à propos de Caïn et d’Abel.
La version matthéenne de la mort de Judas figure également un midrash puisqu’elle contient une citation d’accomplissement. Matthieu annonce un passage de Jérémie et c’est un extrait composite que nous avons dans de texte où Zacharie 11,11-13 apparaît aux côtés de Jérémie 32,10-14 et de Jérémie 19,4. Cette composition matthéenne a pour but d’éclairer le sort de Judas à la lumière des Écritures.
Zacharie 11,11-13 : Il fut donc dénoncé, en ce jour-là, et les trafiquants du troupeau qui m’observaient reconnurent que c’était là une parole du SEIGNEUR. 12 Alors je leur déclarai : « Si bon vous semble, payez-moi mon salaire, sinon, laissez-le. » De fait, ils payèrent mon salaire : trente sicles d’argent. 13 Le SEIGNEUR me dit : « Jette-le au fondeur, ce joli prix auquel je fus estimé par eux. » Je pris les trente sicles d’argent et les jetai au fondeur, dans la Maison du SEIGNEUR.
Jérémie 32,10-14 : Je rédigeai un contrat sur lequel je mis mon sceau, en présence des témoins que j’avais convoqués, et je pesai l’argent sur une balance. 11 Je pris le contrat de vente, l’exemplaire scellé — les prescriptions et les règlements ! — et l’exemplaire ouvert, 12 et je remis le contrat de vente à Baruch, fils de Nériya, fils de Mahséya, en présence de Hanaméel, fils de mon oncle, en présence des témoins qui avaient signé le contrat de vente et en présence de tous les Judéens qui étaient là dans la cour de garde. 13 En leur présence, je donnai cet ordre à Baruch : 14 « — Ainsi parle le SEIGNEUR le tout-puissant, le Dieu d’Israël — prends ces documents, le contrat de vente scellé que voici et le document ouvert que voilà, et place-les dans un récipient de terre cuite pour qu’ils se conservent longtemps.
Jérémie 19,4 : Vu qu’ils m’abandonnent, qu’ils aliènent ce lieu en n’y brûlant des offrandes à d’autres dieux qui ne se sont occupés ni d’eux ni de leurs pères ni des rois de Juda, qu’ils remplissent ce lieu du sang d’enfants innocents.
À côté de cette citation composite, le texte de Matthieu recours à de nombreuses techniques midrashiques au niveau de la tradition orale. Matthieu joue tout d’abord sur de doubles sens du terme דָּם dam « sang » qui au singulier signifie le sang et au pluriel דְּמֵי daméi le prix, en hébreu et en araméen. Le verbe « livrer » que Matthieu emploie deux fois dans la péricope est en araméen la forme haphel du verbe שָׁלֵם shalem (payer). Le verbe אָשֵׁם ashlem (être coupable) renvoie donc d’une certaine façon au thème de l’argent. Le verbe « ramasser » (Mt. 27,6) se traduit en araméen par « sheqal » et évoque le terme de שֶׁקֶל sheqel (sicle) qui demeure le prix de la trahison.
Un sheqel (une pièce d’argent) apparaît égal à 4 deniers. Un denier figure le salaire journalier d’un ouvrier dans une vigne (Mt. 20:2) ou le coût d’un quinix de blé (la ration journalière d’un homme) (Apoc. 6:6). Il faut environ 4 mois de travail à la vigne pour obtenir une trentaine de pièces d’argent. Encore une fois, l’huile avec laquelle Marie de Béthanie a oint Jésus (Marc 14:5) a coûté 300 deniers, ce qui équivaut à 75 pièces d’argent, soit un peu moins d’un an de travail à la vigne.
Quant au terme de “קרבן korban, signifiant « approcher, apporter » il s’agit d’une offrande rituelle décrite et prescrite dans la Torah pour le culte du sanctuaire. Elles étaient « apportées » par les israélites au Cohen, le « prêtre » lévite. Bien qu’on rende généralement le terme par « sacrifice », il recouvre en fait une notion toute différente. Il peut désigner également « trésor ». Le verbe « acheter » זְבַן zeban signifie au pael vendre. On le voit ce thème de la vente est sous-jacent à toute la péricope. Signalons aussi le verbe apprécier qezaz en araméen qui évoque d’une certaine façon de terme qez (la fin). Enfin, le verset 4 comporte un parallélisme antithétique typique : Ian mah Ian, at yada'at. (Nous quoi à nous, Toi, sachant toi). On le voit donc, les allusions demeurent multiples et les doubles sens ne manquent pas.
En ce qui concerne la citation composite des l’Écriture, remarquons tout d’abord que les mots-crochets avec le contexte sont nombreux. On peut se demander pourquoi la tradition a rapproché les paroles de Zacharie 11 et de Jérémie 19 et 32. Pour répondre à cette question, rappelons-nous que, pour la tradition juive, citer un texte c’est évoquer en même temps son contexte. Or ce qui se trouve caractéristique des paroles citées par Matthieu et par la tradition, c’est qu’ils contiennent le terme de Juda (Jer. 19,4 : rois de Juda ; Zach. 11,3 : maison de Juda ; Jer. 32,10-14 : Jehoudaei). Puisque le thème apparaît celui de la fin de Judas, Matthieu reprend des textes où il demeure question de Juda, de même que l’auteur des Actes avait repris, la tradition targumique où Juda défend Benjamin. On pourrait dire que Matthieu en reprenant ces différents textes emploie le principe de la gezera shawa (comparaison d’expressions ou de lois similaires), dans laquelle une inférence figure faite par analogie. Ces textes sont réunis parce qu’ils contiennent la même allusion à la maison de Juda. Il demeure possible que Zach. 11,13 et Jér. 32,9 apparaissent reliés entre eux par les termes כֶּסֶף'kesef « argent » et שֶׁקֶל sheqel (sicle). L’écrit de Matthieu ne fait plus allusion au récit de Genèse. 4,1 comme le faisaient les Actes des apôtres. Mais il met au centre de sa composition le sang de Jésus.
Au niveau de la rédaction finale, les techniques midrashiques ont disparu parce que le grec ne permet plus tous les jeux de mots et les allusions qu’effectuait la tradition orale araméenne. Il n’en reste pas moins que le texte se présente comme un midrash.
Restituer l’épisode de la mort de Judas dans le contexte du midrash sur le salut, ce n’est pas nier son historicité. C’est souligner seulement que les Écritures ne séparent pas le fait de son interprétation religieuse. Le problème de la responsabilité de Judas n’en demeure pas supprimé pour autant. Il prend cependant une nouvelle dimension du fait qu’il est inséré dans l’ensemble de l’histoire du salut.
Une tradition juive bien établie connaît un messie, fils de Joseph, qui devait mourir lors d’un grand combat, et être le précurseur du Messie fils de David. Or, il est question d’un combat dans des versets comme Mt 26, 47, « et avec lui une bande nombreuse armée de glaives et de bâtons, envoyée par les grands prêtres et les anciens du peuple ». lci, les ennemis du Messie sont les Juifs eux-mêmes. Au même degré que les ennemis de Joseph étaient ses propres frères, Judas vend Jésus, tout comme Juda vendit Joseph. Jésus est dit (entre autres) fils de Joseph dans les évangiles, et comme Joseph Jésus (enfant) doit séjourner en Égypte, etc..
Le midrash juif, répétons-le, lui impute à crédit. Dans les évangiles, Judas reçoit certes un שָׂכָר (sakhar) « salaire », mais ce terme s’entend souvent comme récompense ou rétribution morale (dans le monde futur, par exemple) et n’a donc pas un sens forcément péjoratif. Son surnom (lscariot) conjoint cette notion de « récompense » à l’idée de signe lot, en hébreu. Or Juda est lié au « signe » du fait de l’épisode de Tamar, qui fait irruption, sans raison apparente, dans le récit de la vente de Joseph. Tamar produit des signes de reconnaissance que Juda reconnaît. lci, c’est Judas qui donne des signes et des codes :… celui à qui je donnerai un baiser… En Gn 37, 25 lors du récit du rapt de Joseph, on lit que ses frères, s’assirent tranquillement pour manger. Pendant ce temps, Josèphe demeure dans les affres du « bar », de la fosse, terme qui évoque, en hébreu, la mort. C’est pourquoi, dans nos évangiles, Judas apparaît à l’occasion de repas. Au voisinage de ces scènes, Jésus est saisi d’une grande angoisse, tout comme Joseph.
L’idée du complot contre Jésus provient également de la Genèse : (Gn 37,18) « Ils le virent de loin. Avant qu’il ne fût près d’eux, ils complotèrent de le faire mourir ».
De même, le mobile vient de Genèse 37, c’est vis-à-vis de Joseph, à cause de ses rêves de domination annoncée, à entendre en plusieurs sens.
Cette jalousie se retrouve dans es évangiles. En élaborant cette idée de domination, les évangiles lui donnent la forme suivante : la condamnation de Jésus est due à sa prétention à être Roi des Juifs. « melekh ha yehudim » à la place de Juda qui, selon la tradition, devait régner sur ses frères, Jésus apparaît donc bien dans la position de Joseph, dont les frères disent qu’il veut les dominer (dans ses rêves). Autre trace de cette élaboration de Gn 37 : la question de savoir qui, parmi les frères, « domine sur les autres ». Elle surgit soudainement, sans raison, en plein milieu de la Passion, dans ce verset de Luc :
Lc 22. 2-3 Il s’éleva aussi entre eux une contestation : lequel d’entre eux pouvait être tenu pour le plus. Grand ?
La prophétie disait en effet en Gn : 49. l0 : « Le sceptre ne s’écartera pas de Juda, ni le bâton de commandement d’entre ses pieds jusqu’à ce que vienne celui auquel il appartient et à qui les peuples doivent obéissance. »
C’est cette prophétie qui accomplit, puisque shilo est arrivé en la personne de Jésus nouveau Moïse. (Dont la valeur numérique correspond à shilo). À de très nombreuses reprises, les évangiles nous montrent les pharisiens occupés à attendre une « occasion » pour s’emparer de Jésus et le tuer. D’où vient cette embuscade permanente ?
Le midrash sur les Proverbes a une idée sur la question :
‘prenons l’affût (nispenah) contre l’innocent, sans raison’ ceci se réfère aux frères de Joseph qui attendaient (meappin) [une occasion] et disant. « Quand le temps viendra-t-il où nous pourrons le tuer ? » Quand il vint vers eux, ils commencèrent à se dire, « c’est le jour, c’est l’heure. C’est le moment ! » Et la Shekina rit d’eux en disant. « Malheur à vous pour le sang de cet homme juste ! » Ainsi, il est dit, « prenons l’affût contre l’innocent. Sans raison ». D’entre tous, Ruben seul souhaita le sauver, comme il est dit. « Mais Ruben entendit et il essaya de le sauver de leurs mains » (Gn 37. 2 l). Il leur dit, « Venez, Lévis vous donner un conseil ». Ils lui demandèrent : « Quel conseil nous donneras-tu ? » Il leur dit : « Jeton le vivant dans la fosse, mais ne portons pas la main sur lui ».
D’autres emprunts attestent que le passage sur Judas résulte d’une lecture midrashique de la Genèse. (Gn 37,29) Par exemple, lorsque Ruben, constate que Joseph n’est plus dans la citerne.
וַיָּשָׁב רְאוּבֵן אֶל-הַבּוֹר, וְהִנֵּה אֵין-יוֹסֵף בַּבּוֹר; וַיִּקְרַע, אֶת-בְּגָדָיו.
Vaijašav reuven el-habovr, vehineh ein jovsef babovr vaijikra et begadav. (Gn 37,29)
Quand Ruben revint à la fosse, Joseph n’y était plus. Il déchira ses vêtements.
Il déchire ses : וַיִּקְרַע, אֶת-בְּגָדָיו vaijikra et begadav. Or, cette expression évoque, par sa sonorité, une autre idée, celle d’אֲמָנָה ‘amanah qui se traduit : (accord financier, salaire) qui se déchire קָרוּעַ Qara` [kaw-rah']
Or, précisément, Judas est dit se fendre par le milieu en Actes 1,18 et ses entrailles קְרָבַיִים — qeravayim se répandent. C’est là une petite contribution à l’explication de l’un des nombreux mystères des évangiles. Judas y meurt de deux manières différentes selon qu’on lit Matthieu 27, 3-10, dans lequel il se pend, ou des Actes 1, 15-20 où il s’éventre en tombant. Preuve indirecte que les évangiles doivent se trouver perçus « à l’origine » comme un midrash : si ces textes revêtaient une considération d’un récit historique, quelqu’un aurait pensé à harmoniser.
L’Église catholique ignorant la culture juive et la lecture midrashique le fera avec Jérôme dans la vulgate (trois siècles plus tard). Ce dernier dans un souci d’harmonisé (sens doute) fait une entorse au texte grec en traduisant le mot πρηνης prênês, « qui tombe la tête en avant » par suspensus, en Latin qui signifie évidemment suspendu (pendu). Mais au seizième siècle la Néo-Vulgate traduira cette fois πρηνης prênês par pronus et viendra ainsi effacer cette entorse faite par Jérôme.
Et dans une homélie Jean Chrysostome, au cinquième siècle, affirme que Pierre avait dit : (Judas) s’étant pendu, il s’est brisé par le milieu du corps, et ses entrailles se sont répandues sur la terre… (Homélie III sur les Actes des Apôtres). Ici encore l’on assiste à une tentative par Jean Chrysostome cette fois d’harmonisation en supprimer l’apparente incohérence des deux récits qui sortent aux yeux si on les regarde évidemment d’une façon historique ou littérale.
Alors, suicide ou accident ? Nous n’avons qu’une façon possible de régler le problème, nous devons aborder ces textes dans le genre qu’ils furent écrits, c’est-à-dire comme un enseignement midrashique. Mais, dans l’un et l’autre cas, que penser de l’affirmation de Paul à propos des actions de Jésus après la Résurrection : je vous ai donc transmis (…) qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures, qu’il est apparu à Céphas, (Pierre) puis aux douze… ? (1 lettre aux Corinthiens 15,3-5) On objecte généralement à cet argument que Paul a écrit ce texte bien plus tard et qu’il n’a pas été témoin de l’événement, ou qu’il voulait dire les apôtres. Mais alors, pourquoi n’écrit-il pas aux apôtres (mot qu’il utilise 15 fois dans ses épîtres), mais aux douze (mot qu’il n’utilise qu’une fois — ici — dans toutes ses épîtres) ? Traditionnellement le douzième c’est lui ? Judas demeurait donc avec eux ! C’est donc qu’il se trouvait encore vivant après la Résurrection de Jésus !
Ruben, on l’a vu, donne un « conseil » à ses frères, des frères qui, eux-mêmes, se « concertent ». On reconnaît ici une élaboration midrashique sur le mot עֵצָה ‘Etsah (conseil, concertation, complot) qui ressemble au mot עֵץ ‘ets (arbre). Dans le Targum sheni sur Esther, les arbres tiennent conseil pour savoir sur lequel d’entre eux Haman sera suspendu. Cela confirme que le choix de la mort de Jésus, la suspension au bois (grec σταυρός stauros, un bois, devenu une crux en latin, une croix en français) demeure de nature midrashique. Les frères prirent la tunique de Joseph (les Romains prirent aussi la tunique de jésus) et, ayant égorgé un bouc שָׂעִיר (Sa`iyr), ils trempèrent la tunique dans le sang pour la montrer à Jacob le père. Ce bouc est devenu « Satan qui entre dans Judas » il devient un adversaire, comprendre aussi מִדְבַּר יְהוּדָה, Midbar Yehuda « le désert de Juda » où Jésus fut tenté par le diable après être rentré dans le désert. Or עזאזל Azazel est un terme énigmatique que l’on trouve dans le Tanakh (Bible hébraïque) ainsi que dans certains apocryphes. Il ferait référence à un antique démon que les anciens Cananéens croyaient habiter le désert. Azazel apparaît dans la Bible (Lévitique 16:7-23) dans la description du rituel du Grand Jour des Expiations, le Yom Kippour. ‘Aaron prendra ces deux boucs et les placera devant l’Éternel à l’entrée de la tente d’assignation. Il tirera les sorts pour les deux boucs, attribuant un sort à l’Éternel et l’autre à Azazel. Aaron offrira le bouc sur lequel est tombé le sort « À l’Éternel » et en fera un sacrifice pour le péché. Quant au bouc sur lequel est tombé le sort “À Azazel”, on le placera vivant devant l’Éternel pour faire sur lui le rite d’expiation, pour l’envoyer à Azazel dans le désert.’
Un bouc émissaire vendu pour le rachat des péchés en le sacrifiant pendu au bois après un conseil, et un second bouc émissaire donné à Azazel (Satan)… vous commencer à comprendre !
« Aaron lui posera les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des enfants d’Israël, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi chargé la tête du bouc, il l’enverra au désert sous la conduite d’un homme qui se tiendra prêt, et le bouc emportera sur lui toutes les fautes en un lieu aride. »
Le Talmud, dans le traité Yoma 67 b, identifie Azazel à une montagne au sommet de laquelle le bouc était sacrifié. Cette version est confirmée par le plus grand des commentateurs bibliques, Rashi, qui affirme qu’Azazel signifie « falaise ». Rav Abraham Ben ‘Ezra pense que le terme désigne une montagne du Sinaï en particulier. (Luc 4:29) : « et s’étant levés, ils le chassèrent hors de la ville, et le menèrent jusqu’au bord escarpé de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie, de manière à l’en précipiter. » (Darby)
Dans Matthieu, nous voyons Judas se repentir. Mt 27, 3 « Alors Judas, qui l’avait livré, voyant qu’il avait été condamné. fût pris de remords ».
C’est là une réutilisation de la capacité de Juda à reconnaître ses fautes. Tamar lui dit en effet : reconnais-tu ces signes ? et Juda reconnaît sa faute en lui disant : « tu as été plus juste que moi ». On possède ici un nouvel effet de la double entente. Juda disant d’une Cananéenne, Tamar, « tu as été plus juste que moi », on obtient ici un nouvel effet de la double entente. Judas disant d’une Cananéenne Tamar « tu as été plus juste que moi », voilà qui nous ramène à l’entrée possible des païens dans l’alliance. Le discours chrétien sur la « justification » provient de là.
Cependant, malgré ces remords, Judas sera exclu aussi bien par la Bible que par le midrash juif et chrétien.
Il arriva, vers ce temps-là, que Juda se séparât de ses frères (Gn 38, l). Ce passage a sans doute été lu au futur, comme prophétie à cause de l’expression בָּעֵת הַהִוא baet hahiv, en ce temps-là.
Le Midrash Rabba avait lui aussi élaboré, de son côté, cette chute de Juda :
Quand les frères de Joseph le vendirent et qu’ils allèrent consoler leur père sans y réussir, ils dirent ; c’est Juda qui est responsable de toutes ces difficultés. Si en effet il ne nous avait pas demandé de le vendre, nous ne l’aurions pas vendu. En effet, nous lui avions déjà obéi lorsqu’il nous avait dit de ne pas le tuer. Si donc il nous avait dit de ne pas le vendre, nous lui aurions obéi. Or il nous dit : « Allons vendons-le aux Ismaélites » (Gn 37,27). Ainsi donc, Judas fut banni par ses frères, comme il est écrit : « Il advient qu’en ce temps-là, Juda descendit loin de ses frères » (Gn 38,1). Le texte aurait pu dire : Juda s’en alla. En fait, Juda subit une descente du fait de ses frères. Par conséquent, le « il descendit » qui figure un peu plus loin (Ex 32,15) désigne bien un bannissement. Tout comme le « descends » qui figure ici. (Exode Rabba 42,3)
Cette exclusion de Juda se trouve reprise et accentuée dans le midrash chrétien par la référence des Évangiles à Zacharie 11,12 où ce midrash « trouve » les 30 pièces d’argent ; ainsi que l’idée de rompre la fraternité entre Juda et Israël.
Le livre de la Genèse ne se trouve pas le seul midrash chrétien, relatif à Judas. Il apparaît en effet question d’une trahison de Juda (mais en tant que tribu, donc une faute collective) dans le livre de Josué, et plus précisément dans l’épisode d’akan.
Les fils d’Israël commirent un acte d’infidélité à l’égard de l’interdit : Akân, fils de Karmi, fils de Zavdi, fils de Zérah, de la tribu de Juda, prit de ce qui était interdit et la colère du SEIGNEUR s’enflamma contre les fils d’Israël.
Akân (de la tribu de Juda) a dérobé, Judas sera donc, dans les évangiles un voleur גַנָב (ganav). Mais double entente oblige, au sens de Dt 24,7 ‘celui qui enlève (vole) un homme pour le vendre’. On reste donc dans le midrash.
En réalité, si Judas est un voleur, c’est parce que Joseph dit, en Gn 40,15 : כִּי-גֻנֹּב גֻּנַּבְתִּי Ki gunov gunavti « car j’ai été enlevé ». Littéralement : volé. Mieux : l’association de Juda avec le gain, l’argent, l’intérêt vient fondamentalement d’une expression malheureuse de Gn 37,26 :
וַיֹּאמֶר יְהוּדָה, אֶל-אֶחָיו: מַה-בֶּצַע, כִּי נַהֲרֹג אֶת-אָחִינוּ, וְכִסִּינוּ, אֶת-דָּמוֹ
Vaijomer jehudah el-ehav mah besa ki naharog et ahinu, vehisinu et damov.
Juda dit à ses frères : ‘Quel avantage, si nous tuons notre frère et si nous scellons sa mort ?
Problème d’arithmétique : sachant que Juda (ou Judas) est devenu le représentant des juifs et l’argent, depuis deux mille ans pour le christianisme.
Judas détenait, selon les évangiles, la bourse commune. Information historique ? Pas vraiment, mais le midrash sur les Proverbe a entendu parler, lui de cette bourse. (Pr 1, 10-14)
10 Mon fils, si des mauvais garçons veulent t’entraîner, n’accepte pas ! 11 S’ils disent : “Viens avec nous, embusquons-nous pour verser le sang ! Par plaisir, nous allons surprendre l’innocent ! 12 Comme fait le Séjour des morts, nous l’avalerons tout vif, tout entier, tel ceux qui descendent dans la fosse. 13 Nous trouverons toutes sortes de biens précieux. Nous remplirons nos maisons de butin. 14 Tu tireras ton lot avec nous car il n’y aura qu’une bourse pour nous tous !”
Ce midrash réfère d’ailleurs tout le début du livre des Proverbe à la vente de Joseph. Le grec γλωσσόκομον glossokomon pour “bourse”, traduit aussi אָרוֹן ’arown, l’arche, qui était d’ailleurs supposée contenir les restes de Joseph. L’arche se trouve bien en Juda (Judée), puisqu’elle demeure à Jérusalem. Voilà une autre bonne raison, pour un midrash, d’associer Juda à la bourse.
Toutes ces raisons ne s’excluent pas, elles convergent, elles saturent le texte. Elles mettent le texte dans tous ses états, au comble de ses sens.
Judas est très lié aux prêtres du Temple. Pourquoi cette insistance relative aux prêtres ? On passe ici à un autre thème : celui du sacrifice du Christ. On ne figure plus ici dans le registre de la trahison, mais dans celui du sacrifice volontaire « expiatoire » du Christ pour sauver son peuple. (Une théologie toute paulinienne).
Ce qui, logiquement, figure contraire à l’idée de trahison.
L’accord s’effectue par Gn 45,7 :
וַיִּשְׁלָחֵנִי אֱלֹהִים לִפְנֵיכֶם, לָשׂוּם לָכֶם שְׁאֵרִית בָּאָרֶץ, וּלְהַחֲיוֹת לָכֶם, לִפְלֵיטָה גְּדֹלָה.
Vaijišlaheni elohim lifneihem, lasum lahem šerit ba-arec ulehahajot lahem, lifleitah gedolah.
Dieu m’a envoyé devant vous pour vous constituer des réserves de nourriture dans le pays, vous permettre de vivre et à beaucoup d’entre vous d’en réchapper.
Ici, Joseph déclare que c’est Dieu qui a permis qu’il se trouve vendu par ses frères afin de sauver son peuple. Puisque le midrash sur la vente de Joseph est maintenant achevé, le rôle de Judas est terminé. On entre dans un nouveau midrash. Dans ce nouveau midrash Jésus est l’agneau sacrificiel qui va offrir sa vie pour sauver son peuple.
Le midrash mishlé (midrash sur les Proverbe, chapitre 1) contient d’autres détails qui suggèrent une élaboration midrashique du récit de la Cène. Ce midrash, curieusement, attribue la responsabilité principale de l’attentat contre Joseph, à deux frères en particulier, Siméon et Lévi. (Gn 49,5-6)
Siméon et Lévi sont frères, leurs accords ne sont qu’instruments de violence. 6 Je ne veux pas venir à leur conseil, je ne veux pas me réjouir à leur rassemblement ; car dans leur colère ils ont tué des hommes, et dans leur frénésie mutilée des taureaux.
Or, ce sont ces noms que l’on retrouve principalement dans les évangiles.
Le midrash relève encore que les frères de Joseph partagèrent tous « la même table au banquer »
« À partir du jour où Joseph fut séparé de ses frères, il ne goûta pas de vin, mais quand il les retrouva, ils burent ensemble du vin ».
Le midrash glose longuement sur la coupe que Joseph cache dans le sac de Benjamin. Les retrouvailles de Joseph et de ses frères figurent comparées par le midrash à la donation de la Loi au Sinaï. D’où la fraction du pain et le partage du vin. Le midrash chrétien est tellement persuadé de l’identité entre Jésus et Joseph qu’il forge même un personnage midrashique qui survient ou plutôt revient « après la mort de Joseph ». AHaré mot yosseph devient Joseph d’Arimathie. Le terme employé dans le texte grec de Matthieu se trouve Ἀριμαθαια, Arimathaia. Celui de la Bible des Septante est quasiment identique : Άρμαθαια, Armathaia. La racine hébraïque רם (RM) signifie hauteur, endroit élevé, et se retrouve dans le nom de plusieurs localités. Ha-Ramathaïm veut donc dire, littéralement, les hauteurs. Nous l’avons vu le Talmud, dans le traité Yoma 67 b, identifie Azazel à une montagne au sommet de laquelle le bouc était sacrifié. Dans le texte évangélique, Joseph d’Arimathie est un membre du Sanhédrin secrètement converti à l’enseignement du Christ. Il apparaît pour la première fois après la crucifixion, lorsqu’il demande à Ponce Pilate l’autorisation d’emporter le corps de Jésus. Ensuite, il l’ensevelit dans son propre sépulcre, taillé dans le roc.
Arimathie apparaît aussi comme un artefact calqué sur aHare mot. En effet, le nom Arimathie évoque également l’expression hébraïque aharé mot, « après la mort » (אחרימות), qui apparaît dans la Bible au début de Josué et des Juges. Dans cette optique, le nom Arimathie insisterait sur le fait que Joseph est venu après la mort du Christ.
Or la Paracha A’haré-Mot décrit en détail le cérémonial dans le Temple le jour de Yom Kippour. Elle décrit en particulier, le tirage au sort qui permettait de désigner, parmi deux boucs, celui qui sera offert dans le Temple ; et celui qui sera envoyé dans le désert à Azazel (précipité de la falaise) Arimathie pour y expier les fautes d’Israël. Elle se termine par l’interdiction d’offrir des sacrifices dans un autre lieu que le Temple et l’interdiction des relations interdites (inceste, adultère, etc...).
Joseph doit en effet revenir, du moins dans le midrash, et ce pour une raison tout à fait essentielle ; sans laquelle l’on ne comprend rien à la « raison midrashique » ; et qui se trouve le mot de Rachel que l’on peut lire dans bien des sens (Gn 30,24)
:
וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ יוֹסֵף, לֵאמֹר: יֹסֵף יְהוָה לִי, בֵּן אַחֵר.
Vatikra et-šemov yossef lemor yossef Adonaï li ben aher.
: yossef adonaï li ben aHer, : Dieu m’a ajouté un autre fils, ou : que Dieu m’ajoute un autre fils, ou encore : Dieu m’ajoutera un fils autre (un messie), ou : Joseph est un fils autre, etc.
Concluons. L’épisode de la vente de Joseph occupe dans la Bible une taille restreinte. Or, dans le midrash juif, cet épisode apparaît transfiguré et prend une importance démesurée. Ce n’est plus un épisode romanesque, simple transition entre le cycle des Patriarches et la Saga de l’Exode. Il est devenu un événement d’une immense importance. Certains midrashim indexent la vente de Joseph comme étant, rien moins que la cause de la destruction du Temple, de l’exil, et des souffrances permanentes d’Israël. Par exemple le midrash appelé « Zohar sur les Lamentations », en fait un événement d’ordre cosmique, qui affecte même l’économie de la divinité. Ce midrash nous indique que depuis le rapt de Joseph, Satan (l’accusateur) ne cesse de plaider devant Dieu contre Israël. D’où sans doute Luc 22, 3 : « Or Satan entra dans Judas (ou : en Judée ?) ». Joseph est devenu une figure messianique. À partir de lui fut élaborée l’idée d’un messie précurseur, qui doit mourir lors d’un combat, mais précéder de peu l’avènement du Messie davidique. C’est pourquoi il existe la question d’un combat dans des versets comme Mt 26, 47 : « Et avec lui une bande nombreuse armée de glaives et de bâtons, envoyés par les grands prêtres et les anciens du peuple. »
Juda et Thomas
Les Actes de Thomas* nous fournissent une autre confirmation de l’élaboration midrashique relative à Judas. Thomas est l’un des 12 apôtres. Il porte un deuxième nom, Didyme. Ceci est assez fréquent dans les évangiles (Simon-Pierre, Matthieu-Lévi, Thomas-Didyme). Dans Jean, Thomas apparaît dans la péricope de la résurrection de Lazare. (Jn 11, 16). Alors Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples : « Allons, nous aussi, pour mourir avec lui ! ». Cette volonté d’aller vers la mort figure en réalité une volonté d’idolâtrie. En Jean 20, 27 Thomas reçoit l’attribut qui le distingue : l’incrédulité. Jésus dit à Thomas : voici mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne deviens pas incrédule, mais croyant. Thomas devient donc le paradigme de l’incrédulité puisqu’il demande à toucher les plaies de Jésus pour croire. Dans les « Actes de Thomas », Thomas apparaît appelé frère jumeau de Jésus. Pourquoi cette appellation ? Thomas possède enfin un troisième nom : il se nomme en effet « Juda Thomas dit aussi Didyme. » Que signifie cette série de noms ? Didyme signifie en grec Jumeau, et Jumeau se dit תָּאוֹם Ta'owm en hébreu, d’où le nom de Thomas. On a donc voulu garder le lien phonétique avec l’hébreu.
Pourquoi ? Ce rapport avec la gémellité, bien rendue par un tableau du Caravage, est un rapport avec le double. Thomas demeure un double, et, nous annoncent les Actes de Thomas, un double du Christ. C’est que les apôtres (sheliHim, envoyés) sont les mandataires de Jésus, qui est lui-même l’envoyé par excellence. Ils possèdent tous les pouvoirs du mandant. C’est pourquoi Jésus apparaît souvent, dans les Apocryphes, sous les traits des apôtres.
* Il s’agit d’un apocryphe qui relate la vie du disciple du Christ, Thomas, à partir du moment où, les apôtres s’étant partagé les contrées à évangéliser par tirage au sort, il lui échut l’Inde. Il y gagnera la confiance du roi Goudnaphar (Gondopharès I) et y accomplira de nombreux prodiges. Le récit se termine par son martyre, décidé par le roi Mazdaï, suivi d’une apparition posthume. Le texte semble demeurer le résultat d’une élaboration complexe. Les hérésiologues chrétiens y détectent des « déviations » gnostiques et encratismes. Il témoigne d’une certaine connaissance de l’Inde sans que l’on puisse confirmer ni infirmer la réalité de la fondation par Thomas de l’Église du Kérala dont celle-ci se prévaut. De façon tout à fait exceptionnelle pour un texte qualifié d’hérétique, déclaré apocryphe dès le VI siècle par l’Église romaine et figurant sur certains décrets ordonnant sa destruction. Il nous est parvenu cependant intégralement et en bon état dans plusieurs manuscrits rédigés soit en grec, soit en syriaque (un dialecte de l’araméen). Celle-ci se trouve sûrement l’original, rédigé dans la première moitié du III siècle dans la région d’Édesse, par un rédacteur de langue syriaque. La version grecque, presque aussi ancienne, est reproduite dans plusieurs manuscrits ; on en possède une traduction arménienne, une autre éthiopienne et des traductions latines. Le récit des « Actes de Thomas » a servi de base à l’histoire de Thomas que l’on trouve dans l’Histoire des combats des apôtres ; un ouvrage qui retrace les missions et la mort de la plupart des apôtres, attribué à Abdias, premier évêque présumé de Babylone.
L’Évangile selon Thomas figure comme un évangile qui ne comporte que des paroles attribuées à Jésus. Il a probablement été écrit en grec et contient des logia peut-être antérieurs à l’écriture des plus anciens évangiles canoniques. Il a par la suite été déclaré apocryphe par la Grande Église au point de totalement disparaître. Contrairement aux autres apocryphes rejetés pour l’absence de message spirituel de leurs anecdotes, il ne contient guère d’anecdotes ni de narratif et consiste presque exclusivement en messages spirituels. Ce « cinquième évangile » pourrait provenir d’un milieu syriaque ou palestinien, et avoir été rédigé par une série de rédacteurs entre les I et II siècles. Certains chercheurs y détectent des éléments présynoptiques. Il s’agit d’un recueil de sentences, des logia qui, selon l’incipit du texte, auraient été prononcées par Jésus et transcrites par « Didyme Jude Thomas », c’est-à-dire l’apôtre Thomas. Au nombre de 114, les logia sont ainsi le plus souvent précédés de la mention « Jésus a dit ». Bon nombre possèdent leur parallèle dans les évangiles selon Matthieu et selon Luc ainsi que (bien qu’en moindre mesure), dans l’Évangile selon Marc. Ces parallèles présentent souvent une rédaction et une conclusion différentes de ce qu’on trouve dans les synoptiques.
Enfin, Thomas est aussi Juda « Jude ». Que signifie cette nouvelle identité ? Au début des « Actes de Thomas », Jésus vend Thomas comme esclave à un marchand indien. Nous tenons là, la raison de l’identification de Thomas avec Juda : Juda (Yehuda, le fils de Jacob) avait vendu Joseph à des marchands. Le texte des Actes de Thomas figure bien entendu un midrash. En vertu du principe d’inversion eschatologique, c’est Jésus (figure de Joseph) qui vend maintenant Juda à des marchands. Le vendeur est vendu. Juda, qui était voleur dans la Bible distribue ici aux pauvres l’argent avec lequel il devait construire un palais au roi. On retrouve la polémique sur le Temple. Juda (les Juifs) au lieu de s’enorgueillir de son rôle de constructeur du Temple de Jérusalem, ferait mieux d’effectuer l’aumône aux pauvres. La zone d’apostolat assignée à Juda-Thomas est l’Inde car son nom, Yehuda, sonne comme hodu (en hébreu : l’Inde). Ce n’est qu’une fois vendu que Juda change de nom. De même que Saül devient Paul, Juda devient Thomas. Comme Paul, Thomas doit maintenant porter la parole aux Nations, mais comme Jonas, il regimbe. Il alla chez le marchand Abbanès, n’ayant absolument rien emporté avec lui que le prix de sa vente. Le Seigneur le lui avait en effet donné avec ces mots : « Que le prix de ta vente soit avec toi ». Autre indice que Thomas est Judas : seul Thomas fait mention des clous de la crucifixion מַשְׂמֵרָה Masmerah, or c’est Judas qui livre מָסַר masar (livrer offrir) Jésus.
Judas et la Passion
Judas n’apparaît pas seulement dans les évangiles pour celui qui vend Jésus. Dans l’épisode de la pécheresse pardonnée, il apparaît, nous l’avons vu, comme celui qui ne supporte pas l’entrée des païens, c’est-à-dire l’arrivée précoce du Messie. Il pense que le parfum (les bonnes actions) devrait être réservé aux pauvres (aux Juifs). Il existe ici la trace d’une révolte contre une certaine idée de la rétribution, les bonnes actions étant en quelque sorte monnayées. Cette révolte sera d’ailleurs au cœur de la Réforme qui la retournera contre l’Église romaine : on ne saurait avoir prise sur Dieu.
Judas se rend donc chez les prêtres et leur propose de leur livrer le Messie. Le marché de Judas avec eux apparaît pour le moins curieux. Il leur propose de leur livrer Jésus… et ils acceptent, tout de suite… en lui donnant même de l’argent. Or contrairement à ce qu’on entend souvent, c’est bien eux qui lui en donnent, sans qu’il en ait demandé. Alors qu’ils pouvaient évidemment arrêter Jésus dans le Temple ou ailleurs, « sans frais » et quand ils le voulaient. D’ailleurs, Jésus le leur dit lui-même : chaque jour, j’étais auprès de vous dans le Temple, à enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté ; mais c’est pour que les Écritures s’accomplissent… (Marc 14,50) Jésus nous dit que cela s’est fait ainsi pour accomplir les Écritures (comprendre le midrash).
Et les arguments des évangélistes sur la peur que les Grands Prêtres auraient eue de la foule, pour justifier qu’ils ne l’aient pas arrêté avant, ne sont pas très convaincants. Même on doit accepter le fait qu’il y a (vu de l’extérieur) une trahison qui arrangeait malgré tout assez bien les Grands Prêtres. En effet mieux vaut soudoyer un agent double, qui permet de procéder discrètement à l’arrestation que de risquer un esclandre plus ou moins important dans le Temple.
Il semble donc que tout cela s’est passé pour que les Écritures s’accomplissent : Judas est-il donc resté l’instrument du dessein divin, de la propre volonté de Dieu et de Jésus ? (Comme dans l’histoire de Joseph vendu par ses frères à l’initiative de Juda). Alors qu’elle figura sa culpabilité ? Était-il prédestiné à commettre cet acte ? Était-il notre deuxième bouc « émissaire » celui de אחרי מות A’haré-Mot ? Ou cette trahison a-t-elle été lue avec le temps comme une sorte de fait providentiel ? Comme il peut arriver dans notre vie pour telle ou telle épreuve dont nous voyons finalement qu’elle nous a aidés à grandir ?
Le midrash (GnR 98,9) nous explique le sens de ce troc dans un passage qui jette un éclairage direct sur la controverse qui faisait rage dans le Judaïsme entre les tenants d’une loi immuable, et ceux qui soutenaient que le Messie abolirait la loi juive. Une partie du Judaïsme défendait en effet l’idée d’une loi immuable, même après la venue du Messie. R. Hanin a dit : Israël n’a pas besoin de l’enseignement du Roi messie, car il est dit : « … à lui s’adresseront les Nations (pas les Juifs) » (Is 11, 10), mais il viendra seulement pour réunir les exilés et donner aux païens trente commandements, comme il est écrit (Za 11,12) ils pesèrent mon salaire : trente sicles d’argent. (GnR 98,9)
Le midrash nous explique donc ici que ces trente sicles se trouvent les lois données aux païens à la fin des temps. Voilà à quoi se réduit la venue messianique. Les évangiles répondent : si le Messie ne sert qu’à apporter trente lois aux païens, c’est que l’idée messianique ne vaut plus grand-chose aux yeux des Juifs. Voilà pourquoi les évangiles font évaluer Jésus par les prêtres juifs à ce prix. On voit donc que la Passion ne figure pas un épisode déconnecté de la problématique centrale des évangiles, à savoir l’entrée des païens à la fin des temps. Le récit de la Passion accorde même une place essentielle aux païens, comme nous allons le voir maintenant en analysant la suite de notre passage.
Pris de remords, Judas revient voir les Prêtres. Comme la vente de Joseph et la sous-évaluation du Messie sont maintenant condensées, Judas regrette ici, midrashiquement, d’avoir vendu son frère Joseph et aussi, narrativement, d’avoir sous-évalué le Messie. Joseph fit carrière (si je puis dire) en Égypte pour sauver (dans de dessein de Dieu) ses frères et leur père Jacob Israël. De même, Jésus nouveau Joseph vendu par Judas (les juifs) aux grands prêtres comme bouc émissaire pour être sacrifié pour les goïm (les païens) fait carrière dans le Monde non juif, pour sauver à la fin des temps Israël. C’est ce que nous raconte notre midrash.
Mt 27,4 j’ai péché, dit-il, en livrant un sang innocent. Mais ils dirent : que nous importe ? À toi de voir.
Judas est tellement pris de remords qu’il se sent obligé d’accomplir le passage de Zacharie que nous venons de voir cité par R. Hanin.
Yahvé me dit : jette-le au fondeur, ce prix splendide auquel ils m’ont apprécié ! Je pris donc les trente sicles d’argent et les jetai à la Maison de Yahvé, pour le fondeur (Za 11,13).
Judas jette l’argent et décide de se pendre ou de s’étrangler :
Mt 27,5 Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. Ayant ramassé l’argent, les grands prêtres dirent : Il n’est pas permis de le verser au trésor (otsar), puisque c’est le prix du sang. Après délibération, ils achetèrent avec cet argent le champ du potier (yotser) comme lieu de sépulture pour les étrangers.
C’est ici que nous allons retrouver nos païens. Cette idée de « sépulture pour les étrangers » פּבר גֵּרִים (qbr gerim) fait jeu de sons par inversion avec celle de קרב גֵּרִים qrb gerim (rapprocher, c’est — à-dire convertir, les étrangers). Réduire à néant le Messie, c’est-à-dire renoncer à sa venue, équivaudrait donc à condamner les païens à la mort (l’idolâtrie). D’autre part (toujours la surdétermination), acheter un champ équivaut à nier la proximité des temps messianiques. Pour ceux qui trouveraient ce résumé trop rapide, le Pasteur d’Hermas** nous explique cela en détail :
50,1 Similitude I. Il me dit : « Vous savez que vous habitez sur une terre étrangère, vous les serviteurs de Dieu. En effet, votre cité est loin de celle-ci. Si donc vous connaissez, dit-il, votre cité, celle que vous devez habiter (un jour), pourquoi vous procurer ainsi des champs, des installations coûteuses, des édifices, des demeures inutiles ? Celui qui se procure ces choses dans cette cité ne s’attend donc pas à retourner dans sa propre cité. Insensé, inconstant, malheureux ! Ne comprends-tu pas que tout cela est étranger et au pouvoir d’un autre ? Car le maître de cette cité dira : “je ne veux pas que tu habites dans ma cité ; va-t’en de cette cité, puisque tu n’obéis pas à mes lois.” Toi donc, qui possèdes des champs, des maisons et beaucoup d’autres biens, expulsés par lui, que feras-tu de ton champ, de ta demeure et de tout le reste que tu t’étais préparé ? Car le maître de ce pays te parle justement : “? Ou bien obéis à mes lois, ou bien sors de mon pays.” Que feras-tu donc, toi qui suis la loi de ta propre cité ? À cause de tes champs et du reste de tes biens, renieras-tu tout à fait ta loi et marcheras-tu selon la loi de cette cité-ci ? Prends garde qu’il ne soit dangereux de renier ta loi, car si tu veux retourner dans ta cité, crains qu’on ne t’y accueille plus, pour avoir renié la loi de ta cité, et que tu en sois exclu. Veilles-y donc : puisque tu habites sur une terre étrangère, ne te réserve rien de plus que le strict nécessaire et sois prêt : ainsi, lorsqu’il plaira au maître de cette cité de t’expulser pour opposition à ses lois, tu sortiras de sa cité, tu rejoindras la tienne et tu vivras selon ta loi, sans dommage, dans la joie.
** Le Pasteur d’Hermas figure une œuvre chrétienne de langue grecque datée du début du second siècle. Considérée d’abord comme canonique, notamment par Irénée de Lyon ou Clément d’Alexandrie, elle n’a finalement pas été retenue pour figurer parmi les textes du Nouveau Testament, lorsque la définition de son corpus est devenue définitive.
Notons qu’on n’inverse pas ici les mots קרב et קבר (qrb, qbr) pour le simple plaisir de faire des calembours, mais parce qu’on traite de la fin des temps qui représente l’inversion généralisée.
Mt 27,8 Voilà pourquoi ce champ-là s’est appelé jusqu’à ce jour le Champ du Sang. 27,9 Alors s’accomplit l’oracle de Jérémie le prophète : Et ils prirent les trente pièces d’argent, le prix du Précieux qu’ont apprécié des fils d’Israël, 27,10 et ils les donnèrent pour le champ du potier, ainsi que me l’a ordonné le Seigneur.
On posséderait ici une élaboration midrashique illustrée par ce verset d’Isaïe :
Is 29,16 Quelle inversion ! Le potier ressemble-t-il à l’argile pour qu’une œuvre ose dire à celui qui l’a faite : Il ne m’a pas faite, et un pot à son potier : Il ne sait pas travailler ?
En hébreu, ce verset dit :
הַפְכְּכֶם--אִם-כְּחֹמֶר הַיֹּצֵר, יֵחָשֵׁב: כִּי-יֹאמַר מַעֲשֶׂה לְעֹשֵׂהוּ לֹא עָשָׂנִי, וְיֵצֶר אָמַר לְיֹצְרוֹ לֹא הֵבִין.
Hafkehem, im kehomer haijoser jehašev ki jomar maseh leosehu lo asani, vejeser amar lejovsrov lo hevin.
Ce qui expliquerait la présence, dans Matthieu, de cette incompréhensible histoire de potier et de trésor יּוֹצֵר yotser qui est aussi le créateur, et otsar, le trésor.
דם (dam) est un mot hébreu qui signifie sang. On retrouve ce nom dans le nom de lieu : Akeldama (orthographié autrefois Aceldama) qui signifie terre de sang (terrain), champ de sang. De l’araméen : חקל דמא (Haqeldama). Il se situe dans la Géhenne (vallée qui se prononce comme “gué” de Hinnom) גיא הנום ou plutôt גיא בן הנום avec “ben” : fils de Hinnom. Elle est située au sud de Jérusalem. Ce lieu est associé à Judas.
Potier : יצר (yatsar) celui qui travaille l’argile ; or l’argile est rouge, c’est la adama de laquelle est tiré Adam. C’est la couleur rouge (adom), la couleur du sang (dam). Propriété du Sang : Qerithâ dademâ, “terrain, champ du Sang”. Le sang de la victime innocente, du nouvel Adam, est répandu. Zacharie 11, 13 :
וַיֹּאמֶר יְהוָה אֵלַי, הַשְׁלִיכֵהוּ אֶל-הַיּוֹצֵר, אֶדֶר הַיְקָר, אֲשֶׁר יָקַרְתִּי מֵעֲלֵיהֶם; וָאֶקְחָה שְׁלֹשִׁים הַכֶּסֶף, וָאַשְׁלִיךְ אֹתוֹ בֵּית יְהוָה אֶל-הַיּוֹצֵר.
Vaijomer YHVH elai hašlihehu el haiyotser, eder hajkar, ašer jakarti mealeihem vaekhah šelošim hakesef, va-ašlih otov beit YHVH el haiyotser.
« Le Seigneur me dit : Jette-le au Trésor (Yotser), le prix magnifique dont j’ai été estimé par eux. Et je pris les trente pièces d’argent et les jetai au Trésor (Yotser), dans la maison du Seigneur. »
Le texte hébreu demeure sensiblement différent du passage dans les évangiles. Le mot habituel, en hébreu, pour dire “trésor”, c’est וֹצֵר otsar et non יּוֹצֵר yotser, mais en hébreu, יּוֹצֵר yotser, signifie partout ailleurs “potier”, “créateur”, de la racine yatsar “créer”, “façonner”, “pétrir” : “Et le Seigneur Dieu façonna וַיִּיצֶר (wayitser) Adam, poussière de adama…” Il apparaît étonnant de ne trouver que dans ce passage de Zacharie, cité par l’évangile, ce double sens de potier et de trésor ! On pourrait dire que les prêtres jettent au trésor et dans les mains du Créateur, malgré tout et contre leur volonté, le prix du Précieux.
L’inversion dont parle Isaïe se trouve la הָפַךְ haphak inversion qui fait que la créature juge son créateur, que l’argile (Homer) se moque du potier. Le midrash chrétien profite de l’occasion pour y lire un autre reproche fait par certains à Dieu : lo hebin, il ne comprend pas où : il ne peut produire de fils (de messie).
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