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Abraham et Melkisédeq

Abraham et Melkisédeq

 

 

Abraham et melkise deq

Abraham et Melchisédech, mosaïque du XIIIe siècle, Basilique San Marco, (Venise, Italie)

Genèse ch 14 V 17 à 24 (Tob) :

17 Le roi de Sodome s’avança vers la vallée de Shawé, c’est-à-dire la vallée du roi, à la rencontre d’Abram qui revenait victorieux de Kedorlaomer et des rois qui l’accompagnaient. 18 C’est Melkisédeq, roi de Salem, qui fournit du pain et du vin. Il était prêtre de Dieu, le Très-Haut, 19 et il bénit Abram en disant : « Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui crée ciel et terre !

20 Béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes adversaires entre tes mains ! »

Abram lui donna la dîme de tout. 21 Le roi de Sodome dit à Abram : « Donne-moi les personnes, et reprends tes biens. » 22 Abram lui répondit : « Je lève la main vers le SEIGNEUR, Dieu Très-Haut qui crée ciel et terre : 23 pas un fil, pas même une courroie de sandale ! Je jure de ne rien prendre de ce qui est à toi. Tu ne pourras pas dire : “C’est moi qui ai enrichi Abram.” 24 Cela ne me concerne en rien, sauf la nourriture de mes jeunes ; quant à la part des hommes qui m’ont accompagné, Aner, Eshkol et Mamré, ils la prendront eux-mêmes. »

Qui est ce Melkisédeq ?

Il existe une bouteille de champagne, d’une contenance de trente litres, qui porte le nom de Melkisédeq. Bien que j'écrive cet article deux jours après Noël et quelques jours avant la nouvelle année 2021, ce n’est malheureusement pas notre sujet  ; mais cela apporte la preuve que ce nom est très répandu dans les domaines les plus divers.

Melkisédeq, comme son nom le suggère, est donc un roi de justice et de paix. Il bénit Abram, reconnaissant qu’il a promu la vie par la victoire que lui a accordée le créateur, le Très-Haut. Abram partage alors avec lui le fruit de cette bénédiction en lui donnant la dîme de ce qu’il a ramené, contribuant ainsi à bénir concrètement celui qui l’a béni. En revanche, quand le roi de Sodome, qui avait fui l’affrontement et abandonné son peuple, lui propose un marché inspiré par la convoitise – « Donne-moi les gens, et les biens prends-les pour toi » –, Abram déclare solennellement qu’il ne veut pas avoir le moindre lien avec lui et que son expédition n’était en rien intéressée. Ainsi, dans cet épisode surprenant où, au détour d’une phrase, on apprend qu’Abram a conclu une alliance avec Mamré et ses frères (14,13), l’élu fait la preuve de sa capacité à faire rayonner la bénédiction et à dire non à la convoitise.

Le personnage de Melkisédeq est énigmatique et mystérieux ; il apparaît brièvement en Genèse 14,18-20 où il est présenté comme roi de Salem, dont la localisation est inconnue. Certaines traditions juives et chrétiennes ont proposé d'identifier “Salem” à “Jérusalem” ; la racine est en effet la même, et fait référence au dieu Shalem (le nom “Jérusalem” signifie “Fondation du dieu Shalem”). 

En même temps, il est présenté comme prêtre du dieu Élyôn, et non du dieu Shalem. La tradition postérieure a associé ce dieu à Yhwh, le dieu des Israélites, de façon à confondre les deux noms. Ce double changement — de lieu et de dieu — fait de Melkisédeq un prêtre du dieu Yhwh à Jérusalem.

En Josué 10,1, le roi de Jérusalem s'appelle Adonisédeq, un nom qui peut être interprété “Seigneur de justice”. La sonorité et le sens sont proches de Melkisédeq, qui peut être interprété “Roi de justice”. Les deux personnages ont donc été confondus dans certaines traditions, si bien que certains manuscrits de ce verset lisent Melkisédeq au lieu de Adonisédeq.

Quant à Melkisédeq, on le retrouve mentionné dans le Psaume 110 verset 4, où il est question d'être prêtre “à cause de (ou à la manière de) Melkisédeq”. Le contexte de ce psaume est messianique, et évoque une prêtrise éternelle. Il est donc juste de se demander si Melkisédeq n'est pas un être créé pour un midrash et hors du temps, peut-être même un être divin, à l'instar des anges, à qui une prêtrise éternelle aurait été confiée. Cela expliquerait son caractère mystérieux. 

Justement, à Qumrân, parmi les célèbres manuscrits de la mer Morte, on trouve deux personnages opposés : Melkisédeq et Melkirésha (“Roi d’impiété”), qui représentent d'une certaine manière l'opposition entre les forces du bien et les forces du mal. (Voir notamment les manuscrits 4Q280, 4Q401, et surtout 11Q13.) Il semble que ce ne sont pas de simple être humains, mais des êtres divins.

Le Nouveau Testament ne comporte qu’une mention de Melkisédeq : il s’agit des chapitres 5 à 7 de l’épître aux Hébreux, et plus particulièrement au chapitre 7 des versets 1-3 qui peut se lire ainsi :

« Ce Melkisédeq donc, roi de Salem, Prêtre du Dieu Très-Haut, qui alla au-devant d’Abraham revenant de défaire des rois, et le bénit, auquel aussi, Abraham attribua la dîme de tout, qui est d’abord interprété roi de justice, et ensuite aussi roi de Salem c’est-à-dire de paix, sans père, sans mère, sans généalogie, n’ayant ni commencement de jours ni fin de vie, rendu semblable au fils de Dieu, (il) demeure Prêtre durablement. »

Les problèmes soulevés.

Ce texte très dense pose de nombreuses questions, tant sur la forme que sur le fond.

Sur la forme les spécialistes des textes sacrés ont démontré que son attribution à l'apôtre Paul ne correspondait pas à la réalité ; en effet on ne retrouve pas ici le style de l'apôtre des Gentils dont les épîtres sont adressées à l'ensemble d'une communauté chrétienne, or notre texte s'apparente plus à un traité de théologie ne visant qu'un groupe restreint de destinataires, des responsables sensibilisés à la question du sacerdoce. Et dans son écriture il serait très proche des textes construits par les érudits d'Alexandrie proches du philosophe Philon ; selon les chercheurs cette hypothèse serait soutenue sur le plan de l'écriture par les tournures utilisées et sur le plan historique par le fait que des allusions sont faites au Temple comme lieu de prière à l'époque où les textes sont écrits, or le Temple sera détruit en 70 par Titus et donc le texte est nécessairement antérieur.

Sur le fond l'épître aux Hébreux confirme certaines données des textes de l'Ancien Testament : Melkisédeq est roi de justice et Prêtre du Très-Haut ; il règne sur Salem qui est assimilée à Jérusalem. En revanche certains éléments ont disparu : il n'est plus question de l'offrande du pain et du vin ni non plus des bénédictions.

Mais le texte apporte par ailleurs des informations nouvelles ; certaines sont le développement des textes précédents : ainsi en accentuant le lien entre le double aspect « justice » et « paix » (sédeq et salem) de Melkisédeq l'auteur de l'épître fait ressortir les caractéristiques qui définissent dans la Bible les Temps messianiques ce qui évidemment donne une ampleur « extraterrestre » ou plutôt spirituelle à notre personnage !

Et cette volonté de faire de Melkisédeq une figure qui dépasse la simple humanité est illustrée par l'apport essentiel du texte : profitant du silence des textes antérieurs sur les ascendants de Melkisédeq l'auteur proclame que notre personnage est « sans père ni mère, sans généalogie, n'ayant ni commencement de jours, ni fin de vie » ce qui se traduit au final par l'affirmation que Melkisédeq est éternel ! Et pour qu'aucun doute ne soit permis il est enfin écrit qu'il est ainsi « rendu semblable au fils de Dieu ».

Lorsqu'on fait la synthèse des différents aspects de Melkisédeq au travers des textes des deux Testaments il apparaît clairement que le Judaïsme et le Christianisme qui n'est au départ qu'une branche "dissidente" du Judaïsme ont tous deux à résoudre les mêmes problèmes mais se présentant de façons différentes mais issues des mêmes interrogations suscitées par ce personnage plus que jamais énigmatique, tout particulièrement à un moment de l'Histoire où l'apparition du christianisme ouvert au Gentils, naît indiscutablement à partir du judaïsme, amènent très vite les deux parties à s'affirmer en se confrontant.

Les Juifs doivent nécessairement « capter » Melkisédeq, le faire leur, alors qu'à la lecture des textes il est le Prêtre d'un Dieu qui n'est pas présenté comme celui d'Abram. Il n'est pas acceptable pour le judaïsme qu'Abram, élu par Dieu et vainqueur des Rois accepte les offrandes, soit béni et paie la dîme, c'est-à-dire se reconnaisse le vassal d'un autre sauf si cet autre est au moins le représentant du Dieu unique Yahvé ; le problème devient plus aigu encore avec l'épître aux Hébreux : pour un juif ce qui n'est pas dans la Torah n'est pas dans l'univers : ce roi mystérieux n'a pas de généalogie or le seul personnage -si on peut dire- qui puisse être sans généalogie ni père ni mère, ni commencement de jours ni fin de vie, c'est Dieu lui-même ! Face à ces équivoques il est impératif de faire clairement de Melkisédeq une figure biblique « orthodoxe », intégrée à la saga du peuple juif.

Évidemment pour les Chrétiens qui doivent convaincre de la personnalité divine de Jésus et diffuser la Bonne Nouvelle, Melkisédeq apparaît comme une figure qui démontre que de tout temps Jésus était annoncé : le roi offre le pain et le vin, bénit Abram qui vient à lui (et qui figure l'humanité puisqu'il n'est pas encore Abraham patriarche juif) ; autant d'éléments qui font bien que Melkisédeq est « rendu semblable au Messie ». Mais c'est bien là que commence la difficulté : semblable au Christ veut-il signifier que Melkisédeq préfigure le Christ ? Ou bien qu'il s'identifie au Christ ? Dans cette seconde hypothèse Melkisédeq serait le Christ éternel apparu sous une forme humaine à Abram pour le bénir et confirmer sa mission. Dans un cas comme dans l'autre la « légitimité » du Christianisme était démontrée, sa qualité de Messie prouvée !

Nous cherchions des réponses à nos questions mais clairement le Nouveau Testament, s'il apporte quelques compléments d'informations, soulève surtout des interrogations majeures..

Au final, les traditions juives qui se sont développées autour du personnage mystérieux de Melkisédeq ont contribué, dès les origines du christianisme, à la représentation de Jésus-Christ — tant sa nature que sa mission.

D'où ces paroles de Jésus dans Jean 8:58 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, je suis. » En effet lors de la rencontre avec Melkisédeq Abraham n'était encore qu'Abram, Dieu changera le nom d'Abram en celui d'Abraham après lui avoir fait la promesse d'une grande descendance (Genèse 17.5). D’où « avant qu'Abraham fût ».

La tradition midrashique a fait de Melkisédeq un prêtre éternel, sans commencement ni fin, à qui même les Juifs devaient rendre hommage. À partir de la référence au psaume 110 qu'il cite de He .6, l'auteur des Hébreux à interpréter Jésus comme le prêtre parfais à la manière de Melkisédeq.

Dans la version massorétique de l'Ancien Testament nous lisons :

« Et Malki-Tsédeq, roi de Salem, fit sortir pain et vin, et lui, Prêtre Pour El Elyon. Et il le bénit et dit Béni (soit) Abram par El Elyon possédant cieux et terre, Et béni (soit) El Elyon, qui a livré tes ennemis dans ta main » Et il lui donna la dîme de tout.»

Dans la version « septante » de l'Ancien Testament le texte est :

« Et Melchisédech, roi de Salem, apporta des pains et du vin. Il était Prêtre du dieu très-haut et il bénit Abram et dit : « Abram est béni par le Dieu très-haut, lui qui a créé le ciel et la terre, et il est digne d’être béni, le dieu très-haut, celui qui a livré tes ennemis entre tes mains ». Et il « lui donna le dixième de tout. »

Il faut bien le reconnaître, que ce soit l'un ou l'autre de ces deux textes, ceux-ci ne se distinguent pas par leur clarté ! Et de surcroît ils n’apportent rien à l’ensemble de ce chapitre 14 de la Genèse. Les exégètes des études bibliques estiment qu’ils pourraient être supprimés sans que le sens du chapitre 14 ne soit en rien altéré ! Ce qui nous amène à formuler l’hypothèse qu’il s’agirait de versets insérés, ajoutés, au texte initial, un « targoum ». Les Targoums sont des textes juifs qui commentent, lorsqu’ils ne les réécrivent pas, les textes bibliques. Au tournant de l’ère chrétienne ils ont souvent pour objectif de lutter contre le christianisme naissant.

La seconde mention de Melkisédeq constitue le psaume 110, 4 dans le texte en hébreu :

« Le seigneur a juré et ne se repentira pas : tu es Prêtre à jamais à la manière de Malki- Tsédèq »  et le psaume 109, 4 dans la version septante :

« Le seigneur a juré et ne se repentira pas : tu es Prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech ».

On pourrait d’ailleurs mentionner que tant pour le texte de la Genèse que pour le Psaume il existe d’autres interprétations et bien des nuances ; ainsi le Psaume 110, 4 dont on pense qu’il est un des plus anciens fait de David qu’il viserait soit un Prêtre « à la manière » ou « selon l’ordre » ou encore chez les syriaques « à la ressemblance » de Melkisédeq : autant de variations qui ouvrent des possibilités infinis aux exégètes !

Richesses et ambiguïtés des textes.

Cependant, les textes nous fournissent de nombreuses informations qui toutes sont sources de questions ; il n’est pas dans mes intentions de résoudre tous les problèmes ainsi posés, j'en serais d'ailleurs bien incapable, mais chacune des informations données mérite cependant quelques développements.

Ces informations concernent :

Le nom du personnage : Melkisédeq.

Ses rôles et fonctions.

La ville dont il est le roi.

Le Dieu dont il est le Prêtre.

L’offrande du vin et du pain.

Les bénédictions.

La dîme versée.

Le second personnage en cause : Abram.

La version « massorétique » est celle qui résulte de la fixation du texte hébreu au terme de quatre siècles de travaux menés à Babylone et en Palestine. La version « Septante » est elle la forme grecque mise en forme pour les Juifs de la diaspora qui ne comprenaient plus l’hébreu ni l’araméen mais pratiquaient le grec.

Quel est le contenu de chacune de ces informations ?

Le nom Melkisédeq, se compose de deux mots hébreux, melki qui signifie roi et sédeq dont la traduction est juste/justice. Il faut cependant remarquer que si son nom nous apparaît sous une forme hébraïque notre personnage appartient évidemment à un peuple installé dans la région avant les Hébreux et vraisemblablement cananéen. Viendra le temps où les Hébreux ne pourront plus accepter que Melkisédeq ne soit pas l’un des leurs et ils tenteront de le rattacher à Noé ; ainsi le targoum Tg Néofiti assimile Melkisédeq à Sem, fils de Noé tandis que le Pseudo-Jonatham occulte purement et simplement le nom de Melkisédeq et écrit « le roi juste c’est Sem, fils de Noé roi de Jérusalem. »

Les rôles et fonctions de Melkisédeq :

Les textes sont ici parfaitement clairs : Melkisédeq est roi. Les problèmes commencent lorsqu’on analyse son nom et ses gestes : son nom ????????-????? peut se traduire par « mon roi est juste » ou mon « roi est justice » : est-ce à dire que nous sommes en présence d’un monarque qui a le sens de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ou bien qui concrètement est amené à rendre la justice ? Ce qui ne serait pas anormal puisque la fonction de juge est attachée au statut de roi et que la main de justice est l’un des insignes régaliens. Enfin Melkisédeq est incontestablement Prêtre, quel que soit la version de la Genèse ou du Psaume prise en considération. Mais alors de quelle prêtrise s’agit-il ?

Parmi les apocryphes de l’ancien Testament découverts à Qumran un texte dit « légende hébraïque de Melkisédeq » paraît faire une synthèse en conférant à notre personnage le rôle d’un roi-Prêtre qui au dernier jour aura à juger les saints de Dieu !

Roi, Prêtre, Juge : trois fonctions, trois pouvoirs : une trilogie qui ne peut que nous interpeller.

La ville dont il est roi :

Salem,  ce nom désigne-t-il Jérusalem ? Les commentateurs l’affirment généralement. Flavius Josèphe soutient cette thèse dans son ouvrage « antiquités juives » et précise même dans le livre VI de sa « guerre des juifs » que Jérusalem fut fondée par « un prince des Cananéens, surnommé « le juste » à cause de sa piété ; il consacra cette ville à dieu en lui bâtissant un Temple et changea son nom de Salem en celui de Jérusalem. Mais il existe d’autres écoles qui considèrent que Salem pourrait bien n’être pas un nom de lieu ; en effet en hébreu le mot peut aussi signifier « sain et sauf » comme dans Genèse 33, 18 ou « allié » dans Genèse 34, 21. D'autre part, Salem et Shalom, qui signifie « paix » ont une racine identique. Lorsqu’on sait que la rencontre de Melkisédeq et d’Abram se produit au lendemain de combats victorieux des Hébreux contre des rois de la région, l’hypothèse d’un Melkisédeq qui serait le roi « allié » ou porteur de la « paix » n’est pas sans intérêt !

Le Dieu dont Melkisédeq est le Prêtre :

El Elyon n’est pas un inconnu mais bien un Dieu attesté au 1° millénaire avant notre ère. On le trouve cité chez les Phéniciens puis chez les Perses mais aussi chez les Cananéens et les Araméens ; il sera, semble-t-il, supplanté dans cette partie du Moyen-Orient par Baal. Parmi les dieux de cette époque et de cette région El Elyon avait eu la mission éminente de créer le ciel et la terre ! Ce qui était exactement le rôle imparti à El Shaddai le Dieu d’Abram.

Bien évidemment qu’Abram soit béni par le Prêtre d’un dieu qui n’est pas celui des Hébreux pose problème et nous aurons à en reparler !

Relevons encore qu’El Elyon peut sans doute être rapproché d’Ahura-Mazda, divinité perse dotée du même rôle de créateur du ciel et de la terre : ce qui confirmerait d’une certaine manière que ce texte a bien été ajouté à la Bible à l’époque perse.

L’offrande du pain et du vin : certains exégètes ont imaginé que le pain et le vin apporté par Melkisédeq à Abram seraient très simplement le ravitaillement fourni à une armée de retour des combats par le roi de Salem, ville dont le nom peut signifier « allié » ; il se serait alors agi soit d’une action très concrète soit d’un acte symbolique renouvelant un rituel d’alliance.

Les Hébreux avaient peut-être une certaine difficulté à vivre le monothéisme dont ils étaient à l’époque les seuls véritables tenants ; d’où des noms et qualificatifs divers et liés aux différents aspects de la divinité unique : El shaddaî, Adonaî, le Tétragramme traduit par Yavéh étant, bien qu’imprononçable, le nom en quelque sorte de synthèse !

Les bénédictions :

La version massorétique ne permet pas de savoir qui bénis qui ! La version « Septante » est claire : c’est bien le roi-Prêtre qui bénit le patriarche Abram. Mais alors un autre problème apparaît : il est proprement scandaleux qu’Abram soit béni avant le Très-Haut, qu’une créature soit sanctifiée avant le Créateur ! Diverses explications ont été présentées ; par exemple Philon d’Alexandrie dans « Sur Abraham 235 « justifie la situation par l’idée que Melkisédeq a compris que les victoires d’Abram ne pouvaient avoir été acquises qu’avec le soutien et l’alliance de Dieu et c’est en réalité ce qu’il a bien dit (bénédiction : bien dire) dans un premier temps avant de rendre grâce à Dieu dans un second temps ! Un autre aspect est à souligner : Abram a déjà bénéficié d’une bénédiction, donnée par Dieu lui-même (Genèse 12, 2,3) et  Melkisédeq ne fait que reprendre, reproduire et confirmer cette bénédiction ce qui amène à penser que le Dieu d’Abram et celui de Melkisédeq sont une même entité connue de chaque protagoniste sous un nom différent.

La dîme versée :

L’une et l’autre des versions de la Genèse sont ici particulièrement imprécises et ne permettent pas véritablement de savoir qui donne la dîme à qui ! Donner la dîme est reconnaître la supériorité de celui qui la reçoit ; c’est surtout participer au bon fonctionnement d’un Temple puisque la dîme est un impôt qui a un caractère religieux ; il faut aussi préciser qu’il est du par tous, depuis le roi jusqu’au plus humble des sujets. Il y a donc deux aspects : la reconnaissance par Abram de son devoir vis-à-vis de Melkisédeq, la reconnaissance par Abram du Dieu de Melkisédeq puisqu’il participe à l’entretien de son culte. Voilà qui est pour le moins troublant sauf à affirmer une fois encore qu’Abram et Melkisédeq servent un même Dieu et qu’en outre le roi Melkisédeq est un représentant, un envoyé de ce Dieu unique. C’est sur ces fondements sans doute que la tradition et les auteurs ont tranchés : c’est bien Abram qui verse la dîme à Melkisédeq (ou plutôt au Dieu de Melkisédeq)

Abram :

Il faut rappeler que le second personnage de ce récit n’est pas encore Abraham et ne le deviendra que lorsque Dieu aura décidé de faire de lui son allié privilégié : « voici mon alliance, que je fais avec toi. Tu deviendras père d’une multitude de nations. On ne t’appellera plus Abram ; mais ton nom sera Abraham ».

Abram signifie « père relevé » ce qui introduit une notion connue des initiés : celle de l’élévation ! Abram est choisi, élu, par Dieu qui lui promet la création d’une grande nation et des bénédictions multiples. Dans ce contexte la rencontre avec Melkisédeq peut s’interpréter comme la confirmation des engagements pris par Dieu avant la transformation décisive d’Abram en Abraham. Notons cependant que selon le professeur Römer il est abusif de tirer des textes que le nom Abraham puisse signifier « père de la multitude » ; en réalité ce nom n’a aucun sens connu, ce qui confère à Abraham la qualité de figure légendaire échappant au cadre étroitement concret de l’histoire !

La légende Hébraïque de Melkisédeq

Il s’agit d’un texte retrouvé parmi les manuscrits de la mer morte et sans doute antérieur au 1° siècle, vraisemblablement avant la destruction du Temple. Le nom de Melkisédeq, « mon roi est justice » met en avant le rôle de juge et la vertu de justice qui sont étroitement liés à la fonction sacerdotale et au Temple : le Prêtre fondateur du premier Temple s’appelait Sadoq (être-juste), celui du second temple Jésus fils de Yéhosadaq (celui de Yahvé-a-justifié), second Temple qui fut restauré par Simon dit « le juste » tandis que le Maître de la communauté des Esséniens (auxquels certains exégètes ont rattaché Jésus-Christ) portait le titre de « Maître de justice ». Melkisédeq qui les a tous précédés est donc bien la source et le modèle de ceux dont la mission est de mener le peuple au seuil du monde nouveau, à l’instant choisi pour que soit rendue la justice. Il est le premier des juges de la fin des temps, en charge de juger les élus, les « Saints de Dieu ».

Le second livre d’Hénoch.

Cet ouvrage a connu une vie quelque peu complexe ! Composé en grec il ne nous est parvenu qu’au travers une traduction slave tardive (XIV-XVII° siècle). Les spécialistes continuent de débattre à propos de sa date de rédaction mais aussi de son origine juive ou chrétienne ; si on suit Bernard Barc auquel j'emprunte ces données, l’œuvre, contemporaine de l’Épître aux Hébreux serait finalement d’un auteur juif mais le texte aurait été remanié par des chrétiens.

L’idée centrale est que l’histoire telle qu’elle se déroule depuis le déluge ne fait que reprendre celle qui a précédé cette catastrophe, elle-même due à l’ingratitude des hommes vis-à-vis du créateur. Le Melkisédeq qui apparaît à Abram tout comme celui qui viendra juger à la fin des temps ont un ancêtre antédiluvien !

Dans cet ouvrage, dicté au patriarche Hénoch transporté pour l’occasion à travers les sept cieux jusqu’au trône de Dieu, nous retrouvons nombre de mythes qui fondent les grands courants religieux, aussi est-il intéressant d’en tracer en quelques lignes le scénario.

Hénoch dont le nom signifie « fais la dédicace du Temple » remonte auprès de Dieu après avoir laissé pour consigne à ses fils, dont l’aîné est Mathusalem, de demander au Très-Haut de se choisir un Prêtre ; or voici que Dieu bouleverse les usages et les règles en ne choisissant pas l’aîné de Mathusalem, Lamech, ni même l’aîné des petits-fils, Noé, mais le jeune frère de celui-ci Nêr !

Nous retrouvons une donnée fréquente dans les mythologies et les textes sacrés : ce n’est pas l’aîné qui reçoit l’héritage ; les exemples sont multiples, que le droit d’aînesse soit perdu pour un plat de lentilles (Esaü) ou le choix du cadet fait par le patriarche ou le roi (Jacob qui deviendra Israël, Salomon désigné par David).

Et bien d’autres encore pour marquer que c’est le choix et l’élection qui prévalent sur les us et coutumes.

Mais reprenons notre histoire : de Noé sortiront les douze tribus dont celle des Lévi qui assurera le service du Temple ; de Nêr viendra Melkisédeq (qui remarquons le au passage a une généalogie) Nêr dont le nom signifie « lampe perpétuelle » et dont l’épouse, la mère de notre personnage, s’appelle Sophonim qui signifie « fin des douleurs », de là à imaginer qu’avec la vraie lumière qui jamais ne s’éteint le malheur disparaîtra il n’y a qu’un pas aisé à franchir ! mais l’histoire est plus dramatique (mélodramatique) car si Melkisédeq hérite des vertus de sa mère à l’instant de sa naissance c’est que celle-ci est morte en le mettant au monde ; d’une certaine manière notre personnage préfigure le christ revenu des enfers et sortant du tombeau ; il nait mais à une vie qui n’est pas celle du commun puisque aussitôt Dieu l’appelle à Lui, le met en quelque sorte « en réserve » dans l’attente du jour du jugement : ainsi le fils du premier Prêtre, lui-même Prêtre va-t-il exercer son sacerdoce dans l’autre monde, au ciel, tandis que les Lévites sont les desservants ici-bas. En fait Melkisédeq, être parfaitement saint n’aurait été envoyé bénir Abram que pour fonder un sacerdoce particulier, incarné dans des personnages d’exception comme Abram, David et enfin Jésus ! Ce dernier étant d’une certaine manière la synthèse des types rencontrés avec cet apport déterminant qu’est l’action : nous ne sommes plus en présence d’un personnage mystérieux plus ou moins insaisissable, Prêtre, roi et prophète mais du fils de l’Homme qui enseigne comment par son activité « hic et nunc » chacun prépare son accès à la renaissance dans l’autre monde, le jugement à venir étant en quelque sorte déjà prononcé et le verdict de clémence acquis par la réalité du sacrifice du christ.

Un manuscrit découvert à Nag-Hammadi et dont on estime qu’il fut rédigé entre 150 et 225, établit que Jésus seul est le Prêtre céleste du très-Haut, ce que ne peuvent accepter certains gnostiques qui n’hésiteront pas à faire de Melkisédeq un personnage supérieur à Jésus. Est ainsi affirmé que Simon le mage, fondateur du gnosticisme est une réincarnation de Melkisédeq, « puissance de Dieu » dont le Christ n’est qu’une figuration : d’où il ressort évidemment que le gnosticisme est légitime et supérieur au christianisme ! Vers 375 il se crée même une secte, les melkisédéciens, qui fonde sa doctrine sur cette thèse en précisant que l’âme de chaque gnostique est en quelque sorte Melkisédeq et mène une guerre avec les puissances du Mal en vue d’établir un monde sur lequel régnera le moment venu le vrai Messie. La secte est bien sûr condamnée comme hérétique !

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