Tamar et Juda l'ouverture au Gentils

Genèse chapitres 37 et 38

Genèse 37 (résumé) :

D'après le récit biblique, Joseph est le fils préféré de son père, Jacob. Celui-ci reporte probablement l'amour qu'il avait pour sa femme préférée Rachel, morte à la naissance de Benjamin, sur leur premier fils. Cette préférence du père, qui se manifeste sous la forme d'une tunique offerte en cadeau à ses 17 ans, entraîne la jalousie des demi-frères de Joseph. D'autant que Joseph leur raconte coup sur coup les deux rêves qu'il fait. Dans le premier, onze gerbes des champs (représentant ses onze demi-frères) s'inclinent devant la gerbe de blé de Joseph. Dans le second rêve, onze étoiles (représentant ses onze frères), le soleil (Jacob ?) et la Lune (Léa ?) se prosternent devant Joseph. Le récit de ces deux rêves ne fait qu'accroître la jalousie des frères.

Un jour où Joseph rejoint ses frères partis faire paître les troupeaux, les frères complotent contre lui. L'aîné, Ruben, ne souhaite pas que Joseph soit tué. Il sera plutôt dépouillé puis jeté au fond d'un puits. Juda propose de vendre Joseph à une caravane de marchands ismaélites. Mais des marchands madianites, qui passent par là, tirent Joseph de la citerne. Ils le vendent pour vingt pièces d'argent aux ismaélites, qui l’emmènent en Égypte. Ses frères utilisent la tunique et du sang d'agneau pour faire croire à la mort de Joseph à leur père Jacob inconsolable.

Genèse 38 : (résumé) :

Faisant textuellement suite à la vente de Joseph, l’histoire se concentre sur l'instigateur de la vente, Juda. Ce dernier épouse Bat Choua qui lui donne successivement trois fils. Le père comblé choisit pour Er, son fils aîné, une épouse du nom de Tamar qui signifie « palmier ». Celui-ci meurt avant de lui avoir donné des enfants et il en est de même pour son frère Onan. Juda, le père mettant ces malheurs sur le compte de sa bru, la renvoie chez son père, sans lui donner en mariage son troisième fils Chêla. Cependant, la femme flouée piègera Juda. Elle en est réduite à utiliser un stratagème (se prostituer, lire : rester dans l'idolâtrie), pour pouvoir avoir un fils. En fait elle parvient à avoir deux enfants jumeaux de lui dont descendront, au final, David et le Christ.

L’épisode de Juda et Tamar n’a pas manqué d’intriguer lecteurs et commentateurs depuis l’ère biblique jusqu’à l’époque contemporaine : pourquoi avoir inclus cet interlude dans l’histoire de Joseph ? Où s’insère-t-il exactement ? Que penser de Juda, le patriarche éponyme de la nation juive et ancêtre de la maison royale, qui épouse la fille d’un Cananéen, induit volontairement sa bru en erreur et la condamne à la réclusion tandis qu’il convole avec une femme qu’il a prise pour une prostituée ? Pas très juste cet homme ! Que penser de Tamar, qui induit volontairement son beau-père en erreur, et de leurs rapports qui, tenant doublement de l’adultère et de l’inceste, leur auraient valu d’être lapidés à mort en vertu de la loi biblique ultérieure, alors qu’ils mettent au monde la lignée du Messie ? Est-il loisible de faire connaître un épisode si fortement connoté ? Enfin, s’agit-il, comme le veulent Spinoza et la critique radicale, d’un ajout tardif au cycle de Joseph ou en est-il au contraire une partie intégrante sans laquelle ce cycle ne pourrait se comprendre.

Il est vrai que dans ce passage du livre de la Genèse, on peut s’interroger sur la raison de la présence du chapitre 38, qui nous raconte les démêlés scabreux de Juda avec sa belle-fille Tamar, qui semble s’insérer de façon incongrue dans l’histoire de Joseph et de ses frères, qui commence au chapitre précédent. Que vient faire cet épisode en décalage qui peu sembler une unité complètement indépendante, sans aucun rapport avec le drame de Joseph, dont il interrompt le récit.

Les deux indices verbaux du lien entre l’histoire de Joseph et celle de Juda et Tamar ont été relevés il y a plus de quinze cents ans par les maîtres du Midrash : (Bereshit Rabba, 84,11.12) : « D.ieu — dit à Juda : “Tu as abusé ton père avec un agneau. (Allusion Genèse 27, 15-17 ) Par ta vie, Tamar t’abusera avec un agneau” … D.ieu — dit à Juda : “Tu as dit à ton père : reconnais donc (haker-na). Par ta vie, Tamar te dira : reconnais donc (haker-na)” ».

Parce que Juda a demandé à Jacob de « reconnaître » la tunique de Joseph, Tamar lui demandera de « reconnaître » ses signes d’identité.

Gn 37, 31-32

Gn 38, 25-26

Puis ils envoyèrent la tunique à manche et la firent parvenir à leur père, en disant : « Nous avons trouvé ceci : reconnais donc (hakēr-nā’) si c’est la tunique de ton fils ou non ! ». Il la reconnut (wayyakîrāh) en disant : « La tunique de mon fils ! »

Comme on la faisait sortir, elle envoya dire à son beau-père : « De l’homme à qui appartiennent ces choses je suis enceinte ! » Puis elle dit : « Reconnais donc (hakēr-nā’) à qui appartient ce sceau, ces cordons, ce bâton ! ». Juda les reconnut (wayyakēr) et dit : « Elle a été plus juste que moi ! 

Reprenant les nombreuses allusions à Peretz (en hébreu פָּרֶץ / Péreṣ) ou encore (Pérets, Pérez ou Pharès)  à travers la Bible qui est le, le premier fils de Juda et Tamar, et le frère jumeau de Zérah. Il est aussi l’ancêtre de David et, par conséquent, de Salomon et Jésus de Nazareth. Le Midrash rappelle que c’est à lui que reviennent la force et la royauté, de lui que viendra le Messie et comme lui il agira. Quant à Zera’h, son frère jumeau, des traditions préservées dans les recueils yéménites voient dans le fil écarlate noué à sa main une allusion au fil rouge placé à l’entrée du tabernacle et symbole de la propitiation des péchés d’Israël (d’après Isaïe 1:18) ou au fil placé à la fenêtre de Rahab lors de la prise de Jéricho (voir le midrash des « parfumeuses » au chapitre précédent).

L’histoire de Tamar en Gn 38 interrompt donc l’histoire de Joseph au moment où celui-ci après avoir été vendu par ses frères, arrive en Égypte. Le changement soudain de l’unité narrative ne pose pas de problème, puisque le narrateur a pris soin de noter, à l’aide d’une répétition, qu’il reprend au chapitre 39 le fil des événements laissé pendant en 37,36. L’action de cet épisode est bien unifiée et n’a rien à voir directement avec la vente de Joseph ou le deuil de Jacob rapportés au chapitre précédent. Enfin, à l’exception de Juda, les personnages sont différents et évoluent en d’autres lieux, ce que souligne d’emblée l’amorce du récit (v. 1).

Comme pour Rahab (voir midrash des parfumeuses), la littérature rabbinique va développer grandement le thème de Tamar. Mais ces morceaux de conceptions midrashiques sont fragmentaires, et éparpillés sur de nombreux textes. Pour comprendre le mode de production du midrash sur Tamar, il nous faut aller rechercher ces fragments dans un ensemble de textes qui va du Targum Néofiti à Onqelos en passant par le Pseudo-Philon ou le livre des Jubilés. Il est donc presque impossible de le reconstituer entièrement.

Pour Rachi, ce récit interrompt la trame de l’histoire de Joseph pour nous enseigner que les frères de Juda lui ont retiré l’autorité qu’ils lui accordaient auparavant. Car lorsqu’ils virent la souffrance de leur père, qu’ils comprirent leur erreur (à défaut de leur faute), ils reprochèrent à  Juda, de n’avoir pas su les conseillers. Rachi cite le Midrach Tan’houma: "C’est toi qui nous as dit de le vendre ! Si tu nous avais conseillé de le ramener à la maison, nous t’aurions écouté!" Juda s’éloigne alors de ses frères, et commence pour lui une existence  solitaire  faite d’errements et de retour sur soi.

 Pour Ibn Ezra, il s’agit de toute autre chose. Le récit des déboires familiaux de Juda ne fait pas suite à la vente de Joseph. S’il interrompt l’histoire de Joseph, c’est uniquement pour souligner indirectement la grandeur de ce dernier. Le récit de Juda et Tamar prend en effet immédiatement place avant le récit de Joseph et de la femme de Putiphar. Contrairement à Joseph qui fuit les avances de l’épouse de son maître, Juda une fois rendu à sa solitude, va succomber à la tentation lorsque son chemin va croiser celui d’une prostituée, Il mènera une négociation surréaliste avec elle, lui  laissera 3 gages en paiement de ses services. Peut-être la Torah a-t-elle situé ce récit à cet endroit de la trame narrative juste pour souligner la différence entre Juda et Joseph.

1- Quels arguments et quels parallèles peut-on trouver entre les personnages pour justifier l’enchaînement de ce récit avec celui de la vente de Joseph par ses frères ?

Tromperie, mensonges situations en miroir, tous les événements rapportés dans cette paracha concourent à les relier les uns aux autres, voyons tout d’abord :

Vivre un deuil interminable :

Tamar nous dit le texte porte toujours ses habits de veuve, grâce auxquels elle est connue, elle est toujours en deuil depuis la mort de son premier mari, ce deuil interminable est sans justificatif apparent et il dépasse largement le temps requis puisque Chela le 3eme fils de Juda a eu le temps de devenir un homme. Rachi nous éclaire sur ce point, en disant que tant que Tamar n’aura pas ressuscité le nom et la lignée de son mari Er par une naissance, elle est inconsolable de n’être ni épouse, ni mère, et ne peut donc suspendre son deuil.

Jacob quant à lui dont la mort de son fils n’est pas prouvée « refusa d’être consolé et dit : "Non car je descendrai vers mon fils"endeuillé dans la Tombe. » (Genèse 37 : 35),

Deux enfants sont partis et on a peur pour le 3ème :

Séparé de ses frères, Juda se marie, il a des enfants et perd ses deux garçons plus âgés Er et Onan en pleine force de l’âge. De fait il a peur de perdre son troisième fils, Chéla. Il en est de même pour Jacob. Il a déjà perdu Josheph, qui sera emprisonné en Egypte. Jacob lui non plus ayant perdu deux fils, n’acceptera pas de laisser partir Benjamin, de peur de le perdre.

Ce qui est marquant, c’est que ces pertes et ces craintes sont similaires.

A. Qu’est-ce qui cause la perte de ’Er et de Joseph ? Un comportement mauvais.

(Genèse 38:7): Er, (hébreu : עֵר « éveillé ») que l’on peut lire « ra » ayant déplu au Seigneur, le Seigneur le fit mourir Béréchit 37:2 On retrouve la même terminologie de mal – ra’ – dans ce qui a causé la vente, de Joseph : « Joseph débitait sur leur compte des médisances à leur père ».

b. qu’est-ce qui cause la perte de Onan et de Siméon ? L’absence de loyauté envers leur frère

chapitre 37 versets 27: Juda sauve la vie de Joseph, disant car il est notre frère mais le vend aussitôt à des marchands ambulants pour en retirer un avantage financier avant de tromper son père, de même Onan assume formellement sa responsabilité en « [venant] à la femme de [s]on frère afin de donner une postérité, mais il abuse en vérité son père, corrompant sa semence « lorsqu’il [vient] à la femme de son frère […] afin de ne pas donner de postérité à son frère » pour des considérations  également matérielles, en l’occurrence ses droits sur le patrimoine (Genèse 38:8-9)14.

Aussi en vertu du principe de midda kenegged midda (« mesure pour mesure »). Juda qui a endeuillé Jacob par la perte d’un fils connaît lui, la douleur de perdre femme et enfants. On peut s’étonner de l’attitude de Juda qui après la perte de ses fils aurait pu assumer sa responsabilité dans la vente de son frère en allant trouver son père pour lui dire “Joseph est vivant” il n’en est rien et Juda reste silencieux.

C’est exactement pareil pour Siméon, Pourquoi est-ce lui que Joseph a emprisonné en Égypte ? Le texte nous dit que Joseph a entendu ses frères parler en Hébreu, Ruben dit à ses frères : « Pourquoi ne m’avez-vous pas écouté ? Voilà que maintenant nous payons pour le mal que nous avons causé à Joseph ! ». Joseph comprend de là que Ruben n’est pas responsable de ce qui lui est arrivé, il prend donc le deuxième plus grand de la fratrie, c’est-à-dire Siméon.

c. la crainte du mal qui pourrait survenir au 3 eme fils.

Juda et Jacob s’expriment de la même manière Juda ne souhaite pas mettre en danger son fils Chéla, il dit (Genèse 38:11) : « de peur qu’il ne meure comme ses frères ». Jacob dit en parlant de Benjamin (Genèse 42:4) : - « Il pourrait lui arriver malheur ».

Le Vêtement et les gages

Vêtement identificateur, vêtement libérateur ou  vêtement accusateur c’est ce que nous trouvons dans la paracha 3 épisodes miroirs les uns des autres concernant le vêtement :

1- Chapitre 37 versets 31 et 32 :

Ils prirent la robe de Joseph, égorgèrent un chevreau et trempèrent la robe dans le sang, ils envoyèrent cette robe à leur père en disant « Reconnais s’il te plaît si c’est la robe de ton fils ou non » Haker na ha kotonet

- Chapitre 38 versets 25 :

Comme on l’emmenait elle envoya dire à son beau-père, je suis enceinte du fait de l’homme à qui ces choses appartiennent, “reconnais je te prie” à qui appartiennent ce sceau, ce vêtement et ce bâton. Haker na lemi ha- hotémét, ve ha petilim ve ha mate. Nos maîtres font remarquer que “ha petilim” peut devenir “ha tephilin” les phylactères, le bâton est celui avec lequel Moïse frappera les eaux du Nil et produira des miracles. Tamar dans un éclair de prophétie avait demandé trois objets qui devinrent les insignes de ses descendants : le sceau de la royauté, la robe du juge au futur sanhedrin, et le sceptre du Messie.

Le Midrash rabba berechit 84.19 fait remarquer qu’il n’y a dans toute la Torah que 2 occurrences de ces deux mots, ce qui ne peut qu’accréditer le lien entre ces 2 narrations. Dans les 2 cas la demande est faite à un père ou un beau-père, dans les deux cas le vêtement est envoyé et non apporté, et dans les 2 cas il doit reconnaître.

Tamar disposait donc de toutes les preuves, pour identifier le père de l’enfant. Elle aurait pu, se protéger et prouver que l’homme dont elle était enceinte n’était autre que Juda, son beau-père, le juge qui venait de la condamner à mort. Tamar qui risque sa vie, ne se défend pas, n’accuse personne, elle se tait elle aussi.

Le Midrash nous amène à comprendre que la relation entre Juda et Tamar est directement liée à la relation entre Juda et son père. En effet, Pour leurrer Juda, qui a trompé son père en envoyant la tunique de Joseph barbouillée du sang d’un bélier, Tamar demande à se faire envoyer un chevreau en salaire et lorsque Tamar dit les mots "reconnaît s'il te plaît à qui appartiennent ce sceau, ce bâton et ce manteau", Juda - enfin - entend l'écho de ses propres paroles, bien des années auparavant, quand il a regardé son père et l’a brisé en lui disant "Reconnais s'il te plaît, est-ce le manteau de ton fils ?" La faute de Juda est ainsi réhabilitée par Tamar. Tamar n’est pas sauvée pour autant, car rien n’empêche maintenant le Juge Juda, de faire disparaître ces preuves compromettantes. Il a même tout intérêt à les escamoter sans quoi c’est lui qui sera couvert de honte en plein tribunal. C’est lui ou elle. Juda, ne jouera pas à être un « cynique sans scrupule ». Il ne fera pas disparaître les objets qui servent à identifier le père. Bien au contraire, il aura l’immense courage de reconnaître publiquement : « C’est elle qui a raison et non pas moi » « Juda » c’est celui qui est « Modé », celui qui « reconnaît » ses torts.(Juda vient de la racine H-D-H : reconnaître, remercier) Ne se souciant ni du « qu’en-dira-t-on », ni du respect de la chose jugée, Juda reconnaît la vérité.

Tamar a certes  piégé  Juda mais  c’est grâce à elle que  s’interrompt la chaîne de tromperie de génération en génération Juda ayant abusé son père qui avait lui-même abusé le sien.

Par ailleurs, face à Joseph qui a reproduit les conditions de sa vente en faisant accuser Benjamin de vol et en donnant la possibilité à ses frères de s’en retourner en “vendant” leur frère, Juda qui a compris le lien entre ses fautes et la perte de ses fils et le message de Tamar sur l’importance des gages, se proposera comme garant de Benjamin à son père.

Chapitre 39

Joseph abandonne son vêtement entre les mains de la femme de Potiphar, le vêtement n’est plus libérateur, mais objet d’accusation. Contrairement à l’attitude de Tamar qui ne compromet que elle-même, la femme de Potiphar nuit par ses agissements à Joseph, les preuves produites par Tamar rétablissent la vérité tandis que celles de la femme de Potiphar accréditent ses mensonges et Joseph finit une nouvelle fois en prison.

Ces quelques exemples nous permettent d’affirmer que ce récit est non seulement à sa juste place, mais qu’il relie parfaitement l’histoire de Joseph à celle de Juda.

Quelques mots maintenant sur l’attitude de Tamar, prostituée ou femme vertueuse ?

Juda fils de Joseph pouvait-il aller voir une prostituée ?

Le Midrash Rabba 85 nous rapporte que Juda n’avait pas l’intention d’aller vers cette femme placée sur son chemin ; mais Dieu dépêcha un ange préposé à la concupiscence qui lui dit : où vas-tu Juda ? D’où viendront donc les rois et d’où viendront les libérateurs ? Pour Rachi c’est parce qu’elle vivait vertueuse dans la maison de son beau-père que D.ieu. a décidé qu’elle donnerait naissance à des rois et que la lignée royale en Israël sortirait de la tribu de Juda.

Pourquoi Rachi nous fait-il cette présentation vertueuse de Tamar ?

Reprenons le verset 14 : elle quitta ses vêtements de veuve, prit un voile et s’en couvrit, ce verset nous renvoie à une autre femme Rebecca qui s’est elle aussi enveloppée d’un voile lors de sa rencontre avec Isaac.”elle prit son voile et s’en couvrit” chapitre 25 verset 65, Le texte poursuit verset 67 “Isaac la conduit dans la tente de Sarah, il prit Rivka pour femme et il l’aima “. Le rituel des noces stipule que la fiancée se voile devant son promis. On peut penser que pour Tamar se voiler était la métaphore de ses fiançailles et de son mariage léviratique avec Juda; Tamar se transforme donc en fiancée et fait de Juda son mari.

Deux femmes par pudeur se voilent et ces deux femmes vont accoucher de jumeaux Jacob et Essaü pour Rivka ; Pérets et Zéra’h, pour Tamar. Alors que certaines similitudes marquent les deux naissances, certaines différences les opposent également,

Isaac et Rivka furent mariés pendant vingt ans sans avoir d’enfants. Ils prièrent, chacun évoquant l’intégrité de l’autre dans leur requête à D.ieu. Leur union produisit deux fils bien différents : Jacob et Essaü

Les jumeaux de Tamar furent conçus dans des circonstances bien moins nobles, puisque c’est déguisée en prostituée qu’elle séduit Juda son beau-père. Et pourtant, contrairement aux fils d’Isaac et de Rivka, les jumeaux nés de cette union moralement douteuse furent tous deux des hommes justes. En fait, tous les rois d’Israël, depuis David jusqu’au Messie sont issus de ces jumeaux.

Les Rabbins, soulignent la phraséologie différente concernant les deux grossesses, expliquent que Rivka eut une grossesse “remplie” de neuf mois entiers alors que Tamar donna le jour après une grossesse “non remplie” de sept mois. Ils relèvent également que le mot “jumeaux”, Théonyme, est différemment orthographié dans les deux récits. Dans celui de la naissance de Paierez et Sera, le mot Teomim apparaît dans son orthographe complète, mais dans celui de la naissance de Jacob et Essaü, il apparaît dans sa forme déficiente, y manquant les lettres Aleph et Youd. Les commentateurs expliquent que cela fait allusion au fait que les jumeaux de Tamar “étaient tous deux justes, alors que dans le cas (de Rivkah), l’un était juste et l’autre impie”.

La Méguila de Ruth se termine par l’annonce de la descendance de Perets “ Boaz engendra Oved, Oved engendra Yichaï et Yichaï engendra David, et par une bénédiction adressée au couple léviratique formé par Ruth la Moabite et Booz « Que ta maison soit comme la maison de Perets, que Tamar a enfanté à Juda, grâce aux enfants que l’Eternel te fera naître de cette femme» - Ruth 4:12

Tamar, selon le midrash, était une fille de Sem, le fils de Noé. Or Sem était un prêtre, et quand Tamar fut accusée d’immoralité et condamnée à être brûlée, ce serait, nous dit Gn Rabba 85, 11 selon les dispositions du verset Lv 21, 9 qui traite du cas des filles de prêtres. Tamar se voit donc reliée comme RaHab à la prêtrise. Un passage agadique du Talmud nous apprend que, dans la maison de son beau-père Juda, Tamar était si vertueuse et réservée, qu’elle veillait à maintenir constamment son visage recouvert d'un voile, raison pour laquelle Juda ne parvint pas à la reconnaître quand il la vit assise au bord du chemin (Sota 10b ; GnR 85, 9). Tamar priait D.ieu pour qu’il lui accorde de ne pas rester stérile dans la maison de Juda (GnR 85, 8). En réponse aux questions de Juda, elle déclare qu'elle n'est pas idolâtre et qu'elle est célibataire (GnR 85 9; Sota 10a). Quand elle devient enceinte, elle n'a pas honte de son état, mais se vante au contraire d’être la future mère de rois et de rédempteurs (GnR 85, 11). Lorsqu'elle est accusée d’immoralité, elle ne veut pas révéler qu'elle est enceinte de son beau-père, car elle craint qu'une telle divulgation ne l’humilie, elle préfère mourir plutôt que l’incriminer (Berakhot 43a; Sota 12b). Elle espère toutefois qu'il avouera de lui-même qu'il est responsable de sa situation embarrassante, et lui envoie à cet effet les trois objets qu’il lui avait donnés en gage. Curieusement, contrairement à ce que nous dit la Bible, un passage du Talmud (Sota 10b) croit savoir que Juda continua à vivre avec elle maritalement. Cette élaboration midrashique d’ensemble semble donc avoir pour but de justifier Tamar, tout comme les paroles de Juda qui affirme qu’elle est plus juste que lui. En Gn R85,9 le midrash attribue à Tamar un esprit de sainteté ce qui la rapproche de Rahab :

(Juda) demanda : Quel gage te donnerai-je ? et elle répondit : Ton sceau et ton cordon et la canne que tu as à la main (38,18). R. Hunia a dit : L’Esprit saint l’illumina. Ton sceau fait référence à la royauté, selon le verset : même si Konias, fils de Joiaqim, roi de Juda, était un sceau à ma main droite, je t'arracherais de là ! (Jr 22,24) ; ton cordon (petilekha) fait référence au Sanhédrin, selon le verset : et de mettre un fil de pourpre violette à la frange (Nb 15, 38) la canne (maté) fait référence au roi messie, selon le verset : Ton sceptre (maté) de puissance, Yahvé l'étendra depuis Sion (Ps 110,2).

Tamar partage donc plusieurs points communs avec Rahab: La prostitution, l’esprit de sainteté, la prêtrise, le fil rouge. Le Midrash haGadol (péricope Haye Sara 94) identifie les espions cachés par Rahab aux fils de Tamar. Tamar partage enfin avec Ruth le thème du lévirat.

La construction midrashique du récit de Tamar.

La prise en considération de l'ensemble des fragments midrashiques sur Tamar confirme que l’élaboration relative à Tamar est bien un midrash centré sur l’entrée des païens à la fin des temps, tout comme les récits de Rahab et Ruth. Même le texte biblique devient limpide à condition d'intégrer la double entente. Les trois fils de Juda ne veulent pas que Tamar (les païens) ait un fils (un messie). La Bible ne nous disait pas pourquoi Er mourut, mais le Testament de Juda nous révèle le motif secret d’Er : Er ne voulait pas que Tamar ait un fils. Onân, est puni, non pas parce qu’il commet une faute par rapport au mariage ou à la sexualité mais parce qu’il ne veut pas que Tamar bénéficie de la loi du lévirat. Or la Loi n’ayant pas encore été donnée, cette loi du Lévirat ne peut être ici qu’une allusion au messie, ce pourquoi cette loi prend tant de place dans le livre de Ruth. Il s’agit d’un simple effet de gematrie (ybm ayant la valeur de 52 qui est celle du messie). Quant à Shela, ce nom s’orthographie comme Shilo qui est un des noms du messie. Or Tamar commence à ouvrir les yeux (Tamar se tient même en un lieu nommé petaH ‘enayim, l’ouverture des yeux). Ce qui lui permet de commencer à apercevoir le vrai Dieu malgré son voile. Elle voit surtout que Shela grandit (le messie va arriver) et qu’elle n’y aura pas droit (elle n'est toujours pas entrée/mariée verbe kns). Le contexte eschatologique est indiqué par l’inversion : ‘Er ער (protecteur) s'inverse en ra’  רע (mauvais). Or à la fin des temps, les païens doivent entrer, au lieu qu’ici Juda veut faire sortir Tamar (Gn 38,24). Et la brûler, ce qui est la punition pour l'idolâtrie (Cf. Sodome, l'Apocalypse...). Mais ce terme brûler est ici trop expliqué (Tamar, fille de prêtre...) pour ne pas être lui-même une élaboration, d'autant que Juda est le Hama (beau-père/feu du soleil) de Tamar comme nous le rappelle le Targum Pseudo-Jonathan ou le Néofiti sur Gn 38,15.

Quelques caractéristiques du récit de Tamar.

- La tonte des moutons est ici un équivalent de la période des moissons qui, dans le livre de Ruth, vise la fin des temps. La tonte des moutons est d'ailleurs précédée, comme il se doit, du bain des animaux. Certains ont même envisagé d'étendre ce bain à d'autres animaux plus sauvages.

- Juda pensa qu'elle était une prostituée: la forme "féminine" de Gn 38, 15 (va-yeHashbea, ויחשׁבה) ne se trouve que 3 fois dans toute la Bible. Dans les deux autres occurrences : en 1S 1, 13 dans le récit de la prière de Hanna et en Gn 15,6 (Abram crut en Dieu qui le lui compta comme justice) le contexte est à chaque fois la foi dans la promesse d'un fils. Sans même utiliser la gezera shava, on peut penser que le texte a utilisé cette forme rare pour nous faire comprendre que Tamar, dans sa recherche d'un fils est aussi juste qu'Abram et Hanna. Par le plus grand des hasards va-yeHashbea possède la valence messianique (52). Pas de doute, la caractérisation du messie comme fils est bien d'origine juive et de nature purement midrashique.

Les Targumim et l'ouverture des yeux.

Le lieu où est assise Tamar est donc petaH 'enayim, expression qu'il est très simple de traduire en Araméen. Mais le Targum est aussi un midrash et ici les trois targumim majeurs ont choisi de rendre cette expression de trois manières différentes. Onqelos opte pour parashut 'enayim בְפָרָשׁוּת עֵינַיִם

Le targum pseudo-Jonathan opte pour parashat orHin  פרשת אורחין

Le Néofiti opte pour parshut orHata   פרשות אורחתה

Or parashut 'enayim peut-être lu : des yeux trop explicites (désirants) ; parshut orhata peut-être compris comme la croisée des chemins ou la séparation des routes, tandis que parashat orHim peut évoquer le partage du messie ou son explication. En effet, le terme orHim (voyageurs) possède la valence messianique.

Les jeux de sonorités dans le récit de Tamar.

'er ער signifie à la fois ennemi (1S 28, 16, Ps 139, 20) et défenseur (Ml 2, 12 sens incertains)

'erev: ערב se porter garant, cautionner, donner en gage, 'eravon: gage

'erev: se mêler à, plaire, soir, non-israélite, arabe, désert, insecte, corbeau

Anagrammes :

r'v, רעב re'avon = famine

r' רע : malice, pensée, intention, mal, laideur, prochain, ami, autre

r'h: paître, conduire un troupeau

Conclusion.

Le récit de Tamar est donc une élaboration qui semble explorer par la pensée l'entrée des païens dans le Judaïsme à la fin des temps (au jour de Yahvé). Il met en scène les positions possibles face à cette entrée: l'horreur traditionnelle face aux idolâtres et, en même temps, une plaidoirie pour la justification des païens au jour de Yahvé. La victoire ultime de la divinité ne peut signifier, à terme, rien d'autre que l'entrée des païens, comme le prévoient les Prophètes et notamment Zacharie 14,9: Alors Yahvé sera roi sur toute la terre; en ce jour-là, Yahvé sera unique, et son Nom unique, verset que les Juifs disent en principe chaque matin. Le personnage de Juda (le Judaïsme) commence par refuser l'entrée aux païens, mais il finit par endosser cette plaidoirie: il ne cesse de reconnaître son erreur. Il reconnaît que Tamar est plus juste que lui, il reconnaît les signes messianiques qu’elle lui montre. Le targum traduit même la reconnaissance de paternité de Juda ainsi : mineh hi me’avra, elle est enceinte de moi, ce qui peut aussi se lire : elle a péché à cause de moi. On ne peut pas reprocher leur paganisme aux païens et leur refuser la conversion. Les Évangiles, en revanche, ont besoin que les Juifs soient fautifs, sinon le messie ne peut advenir (puisqu'il ne vient qu'au comble de la faute) les Pharisiens y figurent donc en tant, qu’ils refusent la conversion aux païens. Cf. Vous n'entrez pas et vous empêchez les autres d'entrer. Plus un midrash est simple et sommaire, plus il a de chance de se diffuser. Le midrash juif, dispersé et complexe, est resté dans les limbes.

Dédoublement de personnalité.

La Bible connaît une autre Tamar, sœur d’Absalon, et victime de la passion (un des sens du mot Hama) de son demi-frère Amnon. Ce dernier l’abandonne après l’avoir déshonorée. Elle retourne ensuite en larmes chez Absalom, où elle finit sa vie. Absalom vengera sa sœur en tuant Amnon (2S 13) tout comme David vengea les Gabaonites. Tamar serait, selon le midrash, la fille naturelle de David et d’une captive qu’il épousa après qu’elle a quitté le paganisme et qui lui donna aussi Absalon. Tamar aurait donc pu (selon le midrash et contrairement aux lois du Lévitique) épouser Amnon si celui-ci avait simplement voulu attendre un peu. Amnon est ici la figure de l’impatience face à l'entrée des païens, qu’il ne faut faire entrer ni par violence, ni avant terme. Seul le Roi (lire : Dieu) peut hâter ce terme (2S 13, 13). Comme le mariage avec la demi-sœur est interdit par le Lévitique, cette autorisation correspond à l'allègement de la loi de la fin des temps. Les récits des deux Tamar seraient donc des élaborations proches puisque nous y retrouvons des thèmes communs comme celui de la tonte des moutons. En fait, on retrouve dans ce récit les mêmes éléments mais agencés autrement: Tamar est ici vierge et non prostituée, c'est Amnon qui agit par ruse en faisant semblant d'être malade, le thème de la prostitution (zenut) est présent sous la forme de la nourriture (mazon) que prépare Tamar, Tamar reste ici stérile. Cet attribut classique des païens signifie ici que l'admission trop hâtive des païens ne résout pas le problème de leur stérilité (absence de fils, c'est-à-dire de messie).

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