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Les mythes fondateurs de la Bible
Les mythes fondateurs de la Bible.
La Bible s'ouvre par un récit de création du ciel et de la terre.
Celui qui ouvre la Bible lit en son début un (ou plutôt des) récit(s) de la création du monde; tel est en effet le thème des trois premiers chapitres de la Genèse. Il risque dès lors d'être induit en erreur, de lire en fonction d'une fausse perspective. C'est que pour être premiers dans le texte canonique, les récits de la création ne sont pas premiers quant à la chronologie, en tout cas dans leur état rédactionnel présent Je parle ici de l'état rédactionnel reçu. Qu'Israël ait eu, très primitivement, à s'expliquer avec le réel - ses énigmes, ses menaces, ses résistances, ses promesses possibles - est parfaitement évident.
Israël a fait l'expérience du monde, éprouvant la précarité de l'existence et le fait de la création, conquête et institution d'un ordre, de règles, de loi, de frontières, etc.).
Or, cela ne peut aller sans conséquences quand il s'agira de les interpréter théologiquement.
Donc Genèse 1 n'est pas le premier écrit "historique" de la Bible. Il aurait été rédigé par des prêtres juifs au 6ème siècle avant notre ère, une époque fort troublée pour le peuple Israélien dont une grande partie des élites est déportée en Babylonie. Le pays, la royauté, le Temple, la pratique du culte et de ses lois, tout ce qui faisait la richesse et la fierté d'Israël est anéanti. Sous le choc de cet exil qui laisse l'impression amère et forte que Yahvé, le Dieu d'Israël, a abandonné son peuple. Des prophètes et des prêtres se lèvent alors pour lui redonner espérance. Face à la puissance de Babylone et à ses divinités, apparemment triomphantes, ils affirment que leur Dieu est au-dessus de celles-ci et qu’il a créé toutes choses. Le récit de Gn1 entre en polémique à l’égard des mythes babyloniens qu'ils réécrivent.
Si Genèse 1 présente la création dans une perspective globale du monde, celui de Genèse 2-3 (récit plus ancien et donc antérieur) le fait à partir de l'être humain et de ses relations avec son environnement. D’autres textes bibliques parlent de la création, par exemple certains psaumes (104, 148), le livre de Job ch 38-41, les Proverbes ch 8. ou même l’Apocalypse.
Le récit de Genèse 1 pose la question de l'origine et certaines des grandes questions de l'existence humaine en termes généraux sans le préalable d'une tradition religieuse quelconque. Il fait partie d'un ensemble littéraire qui s'étend jusqu'au chapitre 11 de la Genèse, sorte d’ouverture à la Bible où apparaissent déjà les thèmes qui y seront joués, comme dans un opéra. Ce récit a marqué notre civilisation, mais souvent il a été très mal compris, il mérite pourtant une attention particulière, et cela même au 21ème siècle. Son genre littéraire est un hymne liturgique, solennel et poétique qui exprime joie et louange à Dieu qui a voulu le monde. On peut aussi le lire comme une confession de foi qui proclame la grandeur et la beauté de la création issue de la Parole Divine voulant ainsi témoigner de la puissance et de la bonté de Dieu. Ce récit n'a donc pas un caractère historique ou descriptif. Ce n'est pas non plus un texte scientifique; inutile d'y chercher des théories cosmologiques, physiques ou biologiques contemporaines. D'ailleurs avec quelle théorie scientifique aurait-il dû être en accord ?
Les peuples de l'Antiquité ont élaboré de nombreux mythes de création qui permettent de se situer face aux puissances de la nature et de donner sens à l'existence. Généralement le monde et l'humanité y sont présentés comme étant engendrés par les divinités elles-mêmes, souvent à partir de combats sanglants entre elles. Par exemple pour les Babyloniens, le monde est issu du dieu Mardouk qui coupe en deux le corps (comme celui d’un poisson) de Tiamat, divinité de la Mer, généralement représentée comme un monstre (un serpent) marin, à partir duquel il façonne le Ciel et la Terre. Les êtres humains, eux sont formés à partir du sang d'un dieu coupable et ont pour rôle le soulagement des dieux dans leurs tâches pénibles. Des éléments du monde ou des forces de la nature sont divinisés, par exemple la Mer, la Terre, les astres, le Soleil, certains animaux, etc.
D'où viennent les réminiscences des mythes mésopotamiens dans la Bible?
Un monde tiré des eaux, un homme pétri dans l'argile, un jardin paradisiaque, un serpent tentateur, un déluge, un bateau empli d'animaux, une colombe…, toutes ces images de la Genèse, si familières, sont pourtant loin d'être une pure création des auteurs bibliques. On les rencontre déjà dans les récits des origines des Mésopotamiens, et les peuples voisins d'Israël, au IIe millénaire avant Jésus-Christ : les mythes d'Enki et Ninhursag, d'Atrahasis, l'Épopée de Gilgamesh, celle de la Création (ou Enuma-Elish) des textes anciens écrits en caractères cunéiformes, en sumérien ou en akkadien, sur des tablettes découvertes au XIXe siècle et traduites notamment par un savant français, Jean Bottéro. À l'époque, la découverte de ces ressemblances n'a pas manqué d'étonner, voire de déstabiliser plus d'un croyant convaincu jusqu'alors que le récit biblique était unique…
La raison en est simple :
Le pays de Canaan est, dans l'Antiquité, le plus petit territoire du Proche-Orient. Mais c'est aussi un carrefour commercial et militaire, et celui-ci est emprunté par tous les grands empires: assyrien, babylonien, perse, grec, Etc.… Aussi les Hébreux sont-ils imprégnés de la culture de tout le Proche-Orient ancien que l'on dénomme "le croisant fertile". En 586 av. J.-C., le peuple est déporté à Babylone. Les rédacteurs bibliques, encore plus après l'exil, prirent, connaissent des mythes mésopotamiens et ceux-ci s'en serviront pour écrire à leur tour, et à leur manière et ceci afin de rassembler la diaspora, qui n'a plus de temple, et fédérer les exilés autour d'une histoire commune.
Ainsi le langage biblique retraverse-t-il les mythes antiques et puise dans leur grand réservoir d'images, mais pour exprimer son propre message : confesser sa foi en un Dieu unique et Créateur. En ce sens, l'intérêt de la comparaison des récits de création bibliques et mésopotamiens, enracinés dans un fonds culturel commun, est de mettre en relief l'originalité de la foi d'Israël dans l'univers des religions de l'Orient ancien.
La croyance en une origine divine du monde n'est bien entendu pas propre à Israël. Ce qui est original chez eux, c'est la façon de l'exprimer. Les historiens des religions reconnaissent que le récit de la Genèse a été un texte révolutionnaire face aux mythes de création dans la mesure où il présente une création totalement dédivinisée. Ainsi pour la Bible, Dieu est l'auteur de toutes choses, comme en dehors de sa création; face à lui les dieux babyloniens ne sont que des constructions humaines, des idoles, dont le prophète Esaïe se rit (voir Esaïe ch 44.13-19).
Les correspondances entre ces différents textes.
Les réminiscences sont nombreuses. À l'origine, par exemple, l'univers est un mélange indifférencié d'eau douce et d'eau salée. Il est formé par séparation et la terre surgit de la masse des eaux.
« Lorsqu'en haut le ciel n'était pas encore nommé,
Qu'en bas la terre n'avait pas de nom ils n'existaient pas},
Seuls l'Apsû [l'océan d'eau douce] primordial qui engendra les dieux,
Et Tiamat [la mer] qui les enfanta tous,
Mêlaient leurs eaux en un tout.
Nul buisson de roseaux n'était assemblé, Nulle cannaie n'était visible [la végétation n'existait pas],
Alors qu'aucun des dieux n'était apparu,
N'étant appelé d'un nom ni pourvu d'un destin,
En leur sein, des dieux furent créés. »
(Épopée de la Création.)
L'homme est créé dans une certaine proximité avec la divinité : à partir du sang d'un dieu et d'argile pétrie, raconte le mythe d'Atrahasis. Tandis que les animaux et les plantes sont aussi classifiés « selon leurs espèces ». Plus largement, les cadres utilisés sont relativement semblables, notamment pour le Déluge que l'on trouve aussi dans le mythe d'Atrahasis et sur la 11e tablette de l'Épopée de Gilgamesh : des pluies torrentielles, un seul homme sauvé, un bateau construit sur les mêmes dimensions, des oiseaux (un corbeau, une colombe, et pour le mythe d'Atrahasis, une hirondelle en plus).
Contrairement à ce qui se déroule dans les récits d'origine des peuples voisins, Israël ne prétend pas avoir été engendré directement par une divinité. Mais, il est considéré comme choisi parmi toutes les nations par Dieu, sans aucun mérite de sa part, en vue d'une mission : être signe de Dieu qui veut la justice et le respect de l'être humain. Ainsi, le peuple d'Israël connaît son Dieu à travers une histoire mouvementée et singulière : Dieu le libère de l’oppression de l’Égypte et fait alliance avec lui. C'est à la lumière de la libération (le récit de la traversée salvatrice de la mer symbole du chaos, dans Exode 14 évoque par certains mots le récit de Genèse 1) qu'Israël saisit que son Dieu est aussi le Créateur de toutes choses, et cela dans une perspective foncièrement positive. Ainsi le Dieu d’Israël est le Libérateur de l’oppression parce qu'il est le Créateur.
Les différences .
Dans les chapitres 1 et 2 de la Genèse, les éléments de l'univers ne sont pas divinisés, alors que les Mésopotamiens honoraient les astres, la Lune et le Soleil, comme des divinités. La Bible, qui mentionne simplement « le grand et le petit luminaire », semble opérer une « démythologisation »: le récit est sobre, sans descriptions superflues, au service d'une confession de foi en Adonaï, Dieu créateur. Aussi, il s'agit plus d'une rupture que d'une différence, en opérant une transformation afin de mettre ces récits mythiques au service du monothéisme, en présentant un Dieu qui fait alliance avec des humains, des notions totalement absentes de la culture mésopotamienne. Culture où l'homme est placé dans un rapport d'obéissance, de dominant/dominé avec ses dieux.
Si, toute fois la notion de désobéissance existe aussi dans les récits bibliques, la réponse divine n'est pas la même. À la fin du mythe, Atrahasis, sauvé du déluge, sacrifie aux dieux qui ont infligé aux hommes des sanctions (souffrances, maladies, mortalité infantile). Il en est de même dans le récit du déluge biblique, mais Noé, qui joue le rôle d'Atrahasis si lui aussi, offre des sacrifices à Dieu qui vient de provoquer le déluge, mais ce dernier, respire la bonne odeur de son offrande, comme s'il se laissait émouvoir par l'homme qu'il a créé, et décide de ne plus le détruire par le déluge. Ainsi dans la Bible apparaît la notion du pardon qui se manifeste sous la forme d'une alliance avec les hommes, Dieu couvrant Adam et Ève chassés de l'Éden d'un vêtement de peau, puis donnant à Noé le signe d'un arc-en-ciel après le déluge. L'humanité est sauvée une seconde fois, par la nouvelle alliance établie par Dieu.
Au fond, les mythes mésopotamiens font intervenir des dieux créés à l'image des hommes. Ces dieux partagent les turpitudes humaines. Ils créent le monde en s'unissant à une déesse ou en sacrifiant une autre divinité. Le Dieu de la Genèse, lui, est transcendant et crée par sa Parole. Lorsqu'il exprime sa colère dans le Déluge, c'est contre la méchanceté et l'immoralité des hommes, et non, comme dans le mythe d'Atrahasis, contre leur vacarme qui dérange le panthéon mésopotamien.
Dans la Bible, par ailleurs, les hommes sont créés pour eux-mêmes, gratuitement, et non dans une relation de nécessité, d'esclavage, pour remplacer à la tâche les dieux qui ne voudraient pas travailler (mythe d'Atrahasis). Certes, l'homme est aussi voué au travail, mais par ce travail, Dieu lui a donné domination sur la terre, il est invité à poursuivre sa Création. La grande originalité des textes fondateurs dans la Bible, c'est en effet que l'homme est créé à l'image de Dieu. Il est invité à une relation d'égal à égal avec Dieu, sans intermédiaire entre eux. L'injonction de Dieu n'est pas une menace de mort mais une mise en garde qui laisse à l'homme son libre arbitre et sa responsabilité.
Leur rédaction.
Comme dans tous les autres récits de la création au Proche-Orient ancien, le récit biblique reflète l’identité de l’humanité par rapport à Dieu, au monde, aux animaux et à la nature. Parfois, l’identité biblique de l’humanité est en conformité avec celle des récits de la création du Proche-Orient ancien ; mais, à d’autres moments, la Bible offre une interprétation subversive de l’identité de l’humanité. Néanmoins, les auteurs bibliques ont tenté de construire leur anthropologie en la confrontant avec celle des cultures qui les entouraient. Quelque chose d’essentiel et d’unique est dit à propos de l’humanité dans le récit biblique de la création. Quatre dimensions fondamentales de l’existence humaine (la relation avec la terre, les animaux, la femme, et son Créateur) sont énoncées dans Genèse 2-3.
Comme dans tous les autres mythes du monde antique, les êtres humains dans la Bible sont créés par Dieu. Définir les humains comme des créatures de Dieu est conforme aux mythes des alentours. De plus, l’intimité créée par le bouche-à-bouche du souffle de vie par lequel Dieu introduit la vie dans l’être humain (Gn 2, 7) se trouve aussi chez les Babyloniens et dans les mythes égyptiens. Cependant, le récit biblique introduit de nouvelles idées.
1. Tous les humains sont égaux devant Dieu. À titre d’exemple, on peut se référer au thème de la respiration de Dieu qui devient souffle de vie dans la narine de l’homme en 2,7, ce qui introduit une nouvelle conception de la relation entre Dieu et les humains. Ce thème montre que tous les êtres humains sont créés égaux devant Dieu. Gn 2,7b semble également offrir des preuves de modélisation sur un prototype de royauté en effet, l’expression, souffle de vie, est un titre royal dans le Proche-Orient ancien, notamment dans Enuma Elish, où Marduk remplace Enlil, celui qui « donne le souffle de vie aux seigneurs qui mettent leur confiance en toi ». Ainsi, « l’homme » en 2,7 apparaît l’équivalent du lu-gal (grand homme) mésopotamien ou du roi. De la même façon, l’expression « souffle de vie » est appliquée à un roi en Lm 4,20 où l’écrivain déplore la capture du roi Sédécias à la fin de la monarchie davidique dans les termes suivants : « Le souffle de nos narines, le messie du Seigneur, est captif dans leurs oubliettes, lui dont nous disions : « Sous sa protection, au milieu des nations, nous vivrons. » Bien que le terme « souffle » soit dans Gn 2,7b נִשְׁמַת et dans Lm 4,20 רוּחַ, les deux termes sont utilisés conjointement en Gn 7,22 et 2 S 22,16 et par un synonyme parallèle en Job 27,3. De la démonstration ci-dessus, on peut conclure que l’auteur biblique a en quelque sorte démocratisé la mythologie royale en lien avec la foi d’Israël liée à l’alliance. Selon ce verset ADAM, le premier Homme père de tous les hommes, est dénommé «NeFeSh HaYah נֶפֶשׁ חַיָּה , «une âme vivante». Ce terme renferme en son sein deux dimensions: physique עָפָר מִן-הָאֲדָמָה , poussière détachée du sol et spirituelle נִשְׁמַת חַיִּים, un souffle de vie Il est probable que le נִשְׁמַת חַיִּים « souffle de vie » attribué aux rois dans les mythologies est donné à Adam et à travers lui à l’ensemble de l’humanité, ce qui démontre que tous les hommes sont égaux devant Dieu.
2. La relation de l’homme avec Dieu est libre et gratuite. Bien que le « souffle de vie » ne signifie rien de divin, Dieu en est le propriétaire. Du point de vue de l’homme, il le reçoit de Dieu comme un don. Par conséquent, parmi tous les dons divins qui vont tisser les relations de l’homme à Dieu, le « souffle de vie » est le premier de tous ces dons. Quel genre de relation établit-il ? Ce n’est pas une relation de nécessité, mais une relation désintéressée, gratuite. Pour comprendre la nature de cette relation et percevoir la subtilité du texte, elle doit être comparée à la création de l’homme dans les mythes du Proche-Orient ancien. Dans ces derniers, l’homme est créé pour le service des dieux, afin d’accomplir à la place de ceux-ci des tâches ménagères, comme la préparation des repas. En conséquence, l’homme est nécessairement lié au monde des dieux. Pour cette raison, la chair et le sang des dieux sont mélangés avec de l’argile pour créer les êtres humains (Atrahasis). La création de l’homme ainsi établie révèle que nous ne sommes pas là dans une relation désintéressée, mais dans une relation de dépendance, de nécessité qui s’établit entre dieux et humains. Dans cette optique, la relation qui s’établit entre Dieu et les humains par le « souffle de vie » dans Gn 2,7 est quelque chose de nouveau et d’unique dans le monde antique, parce qu’elle est de l’ordre du don gratuit de Dieu aux hommes.
3. Les êtres humains entretiennent leur relation avec Dieu par l’obéissance aux lois qu’ils ont reçues de lui. Dans le récit biblique, Dieu leur donne une loi immédiatement après leur création. La loi ne vient pas après la désobéissance de l’homme à Dieu, comme la conséquence de son péché. Cela montre que la loi est une réalité antérieure au péché et qu’elle est quelque chose d’essentiel dans l’existence humaine. Les nations environnantes se sont aussi prononcées pour la nécessité de la loi dans la vie humaine. Alors que dans les mythes du Proche-Orient ancien on parle de la loi comme étant donné par les rois, le récit biblique en revanche insiste sur le fait que c’est Dieu lui-même qui donne la loi. L’ancien Israël est le seul à avoir transformé le législateur humain en un législateur divin et même les rois doivent s'y soumettre. En outre, selon la foi israélite, les êtres humains ont besoin de lois pour maintenir des relations harmonieuses avec Dieu, avec les autres humains et avec la nature.
Pour la première fois dans la Bible, une loi divine est introduite, et elle l’est dans le récit du Jardin d’Eden ; on peut donc suggérer que cette loi divine est proposée ici comme un système complémentaire de médiation avec Dieu, à la manière de Gn 1 qui a introduit le culte comme système de médiation avec lui. Le mot דלהתמ Delham signifiant la présence de Dieu dans Genèse 3,8, ne se trouve que dans Gn 1-11 (Gn 5,22.24 ; 6,9) et il semble y avoir un lien avec Lv 26,12.
Dans ce contexte, quel est le sens de ce lien ?
Il semble interpréter la bénédiction fondamentale de Dieu due à sa présence au milieu du peuple dans Lv 26,12 comme la restauration de la relation entre Dieu et l’homme qui existait en Israël avant le déluge, reliant ainsi la conclusion du Lévitique avec le début de la Genèse. Le sens de la présence de Dieu en 3,8 et Lv 26,12 semble être similaire. Soulignons que le livre du Lévitique, Lv 26,12, prend un nouveau développement et va au-delà de la médiation offerte par le culte sacrificiel. Contrairement à ce qui est le cas dans Gn 1-Lv 16, la médiation avec la présence de Dieu est maintenant entièrement dépendante de l’obéissance d’Israël aux lois et aux commandements (Lv 26,3) donnés par Yhwh aux fils d’Israël, ce que la formulation elle-même de Lv 26,3-13 et 14-39 indique clairement. On peut trouver un sens théologique similaire dans Gn 3,8 : Adam et Ève peuvent vivre dans la présence de Dieu dans le jardin, mais ceci est conditionné par leur observance du commandement de Dieu. Après avoir désobéi, ils sont envoyés hors du jardin, hors de la présence de Dieu. C'est ce qui arrive et explique au peuple d'Israël le pourquoi il doit quitter la terre promise pour Babylone, parce que comme Adam et Ève il n’a pas suivi la Torah (la loi). Ainsi le serpent dans Genèse 2 et 3 n'est pas une figure de Satan "tentateur" comme le pensent certains, mais une représentation des idoles ou divinités étrangères qui ont séduit le peuple d'Israël. C’est en Gn 1 qu’est introduit un système cultuel comme moyen de médiation avec Dieu, et en Gn 2-3, le verset 3,8 établit une loi divine comme système complémentaire de médiation avec Dieu.
4. Les êtres humains sont libres et responsables devant Dieu. Ils disposent d'un libre arbitre. Dans les mythes du Proche-Orient ancien, les dieux et les humains sont placés dans une relation de nécessité et de servitude. Il n’y a pas de place pour la liberté et la responsabilité. Les humains ont un destin imposé par les dieux, donc au tuppi simati des dieux . Ce n’est pas le cas dans le récit biblique de la création. Les humains se tiennent libres et responsables devant Dieu. La loi, dans une formulation négative en 2,16-17, crée un espace dans lequel certains détails peuvent être laissés à la liberté et à la responsabilité des humains. C’est la raison pour laquelle les humains dans Gn 2-3 assument la responsabilité de leurs torts moraux après leur transgression de la loi de Dieu. Ils deviennent responsables de la corruption de la création. Gn 2-3 propose une solution spécifique aux « problèmes de la théodicée », ce qui est différent avec ce qui est formulé dans la pensée-simtu mésopotamienne : si l’être humain est dans une vie ralentie, dans laquelle il est fatalement empêtré, c’est lui-même qui en porte la responsabilité, et cette responsabilité appartient à son humanité et non pas à Dieu .
5. La communauté humaine est une « communauté du temple ». Les deux fonctions שָׁמְרָ et עָבְדָ en 2,15 pourraient définir les êtres humains comme des « serviteurs de Yhwh » et Yhwh comme le roi sur ses terres du temple. Une telle pensée est présente dans Lv 25,42.55. Cette conception de Lv 25,42.55 semble être inspirée par la tradition juridique du temple en Mésopotamie et ailleurs dans le Proche-Orient ancien, où un territoire spécifique est accordé par le roi à une divinité et devient donc soumis à l’autorité de ce temple. On peut suggérer qu’une telle conception du temple en tant que domaine ait aussi inspiré Gn 2,15b, où Yhwh apparaît comme un roi et l’humanité comme une communauté dont le rôle est de servir Yhwh dans son domaine du temple. Cela démontre la relation étroite entre Lv 25,42.55 et Gn 2,15b. En outre, cette définition biblique de l’être humain dans Gn 2,15b fait écho à celle des mythes du Proche-Orient ancien. Dans les mythes de création sumériens et babyloniens, il est dit que les humains ont été créés pour mener à bien l’œuvre des dieux ou les soulager de leur lourde charge de travail (creuser des canaux pour l’irrigation des champs, nettoyer les rivières et les canaux du limon accumulé) permettant aux dieux de mener une vie oisive et heureuse. La même image est évoquée ici, mais le service, au sens physique du terme, est absente du récit biblique. Les deux fonctions שָׁמְרָ (« garder, tenir ») et עָבְדָ (« travailler ») ont une connotation sectaire. Ils définissent les êtres humains en tant que communauté liée au temple dont le rôle est de servir Yhwh, le Dieu de l’univers, à l’intérieur de son sanctuaire ; pour effectuer cette tâche, cette communauté doit se sanctifier en permanence en obéissant aux lois de Yhwh. Cela démontre comment les auteurs bibliques utilisent le même langage que les cultures environnantes, mais transforment sa signification et construisent ainsi leur propre identité religieuse et anthropologique. Un effort semblable peut être observé en 3,21. La forme hiphil du verbe לְבִּשֵׁ (porter ou vêtir) a deux utilisations principales : soit quand le roi revêt certains de ses sujets pour les honorer (par exemple Gn 41,42 ; 1 S 17,38), ou pour l’habillage des prêtres dans leurs ornements sacrés, habituellement vêtus par Moïse. Souvent il les habille de leurs tuniques (par exemple, Ex 28,41 ; 29,8 ; 40,14 ; Lv 8,13). La comparaison de Gn 3,21 avec Lv 8,13 révèle une correspondance entre les deux. En Lv 8,13, Moïse devient l’agent actif, tandis que c’est Dieu qui l’est en Gn 3,21. Le premier couple reçoit en Gn 3,21 des vêtements de peau, tandis que les prêtres reçoivent des tuniques dans Lv 8,13. Deux termes clés (כֻּתֳּנֹת et לְבִּשֵׁ) se correspondent dans les deux textes. Cette comparaison semble montrer que le premier couple humain est investi d’une fonction qui n’est pas sans rapport avec la fonction sacerdotale. Si tel est le cas, Gen 3 oriente vers une compréhension de l’Israël postexilique comme nation sacerdotale, liée au temple.
L’homme en relation avec la femme
La création de la femme dans Gn 2 souligne deux aspects importants de la relation humaine. Premièrement, la femme est créée à partir de l’homme. Ceci indique qu’ils sont de même nature et qu’ils sont proches l’un de l’autre. Le jeu de mots hébreux entre איש Ish et אִשָּׁה Isha le démontre. Deuxièmement, la vie humaine est un partenariat entre l’homme et la femme. Le récit de la création de Gn 2 s’ouvre avec la création de l’homme. Mais la création n’est pas terminée : quand l’homme est seul, il est incomplet. Et ce n’est pas « bon » (v 18), l’homme a besoin d’une aide qui lui corresponde un « vis-à-vis ». C’est ainsi que commence la quête de l’homme pour satisfaire sa « faim de partenariat » qui lui a été insufflée par son Dieu. Dieu amène les animaux à l’homme pour qu’il leur donne un nom, afin qu’il puisse se rendre compte que cette faim n’est pas satisfaite par ses compagnons animaux. Ainsi, le cours du récit conduit à la création de la femme qui sera à ses côtés, comme l’aide qui lui correspond. Dieu crée en 2,7 הָאָדָם Adam mais « l’humain » en Gn 2, 7 n’est pas un homme mais une « créature de la terre ». Ce n’est qu’avec la création de la première femme – donc Ève – à partir d’un morceau du corps de l’être humain, que l’homme existe. De 2,7 à 2,20 cette créature n’a pas de nom, pas de sexe et aucune activité. Avant 2,21, הָאָדָם Adam est asexué ; il devient spécifiquement « homme » au même moment que celui où la « femme » est créée. La vie humaine est donc présentée comme un partenariat entre l’homme et la femme. L’homme trouve sa propre identité grâce à la femme. Selon la foi d’Israël, la pleine signification de l’existence humaine n’est pas mâle ou femelle isolément, mais dans leur communion mutuelle. Par conséquent, la théologie biblique de la création insiste sur le fait que Dieu a créé la bipolarité des sexes dès le début. La distinction sexuelle entre hommes et femmes est fondamentale pour comprendre le sens de ce qu’est un « être humain ».
Cette pensée biblique dans Gn 2,18-24 montre l’originalité de la foi d’Israël dans le contexte des cultures du Proche Orient ancien. L’affirmation de la pleine égalité et de la réciprocité de l’homme et de la femme dans le récit de la création en Gn 2 est très importante lorsqu’on la compare avec les autres récits de création qui ne contiennent pas de narration séparée de la création de la femme. Par son long et distinct récit de création de la femme en Gn 2, la Bible valorise la femme en la mettant sur un pied d’égalité avec l’homme, et fait de cette égalité un cas unique dans la littérature du Proche-Orient ancien.
Les humains en relation avec la terre
Le récit biblique de la création de Gn 2-3 ne manque pas de souligner la relation de l’homme avec la terre. Le verset 2,7 décrit l’homme créé à partir de la terre. Le jeu de mots הָאָדָם Adam et הָאֲדָמָה adama en 2,7 met l’accent sur cette relation étroite entre les deux. Il montre également que les humains ne font pas partie du monde divin. Ce point de vue a une longue préhistoire, prenant racine dans les cultures environnantes.
Les textes mésopotamiens et égyptiens traitent aussi de la création des êtres humains à partir de la terre et de l’argile, mais ce qui semble original dans le récit biblique est le thème de « l’écologie morale » en 3,17-19. La proximité de l’homme avec la terre est à nouveau reprise lorsque Dieu maudit le sol à cause de la désobéissance de l’homme. Après la transgression du commandement de Dieu, Dieu s’adresse à l’homme en disant : « le sol sera maudit à cause de toi » (3,17). Le péché de l’homme affecte la nature, ce qui rend la vie humaine dure et difficile. La parfaite harmonie de l’homme avec la nature est perturbée par sa transgression. Une des conséquences du comportement humain est la souffrance de son environnement. Après la chute, le sol devient « non-coopératif ». La terre devient un « environnement moins hospitalier », et l’homme doit lutter davantage pour dominer la terre. Elle produit des « épines et des chardons » qui diminuent la production et rendent la récolte difficile. Par conséquent, la fertilité du sol dépend du comportement moral de ses habitants. Gn 3,17-19 montre ainsi que le désordre introduit par le premier péché a des conséquences même sur le sol. Une telle théologie d’écologie morale dans Gn 3,14-19 est proche de textes tardifs comme Lv 18, 24-28 ; 20,22 ; 26 et Dt 28,33. Le comportement moral de l’homme est important afin de maintenir une relation harmonieuse avec la terre. Quand il transgresse la loi de Dieu, la terre est maudite. Par conséquent, pour la foi israélite, l’être humain et son comportement moral sont profondément liés à la terre.
À ce stade, il devient évident que tout ce passage de 3,14-19 témoigne de l’effort fait pour compléter Gn 1. Le récit de création en Gn 1,31 : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour ». Mais il y a encore un manque de logique dans le récit de Gn1 : le monde n’est apparemment pas comme il doit être selon le projet de création de Dieu ; en effet, Gn 1 ne nous dit pas comment le monde est rempli de souffrances et de difficultés. Néanmoins, le passage de 3,14-19 semble être lié à Gn 1 et semble nous fournir une étiologie de la corruption de la création de Dieu. La corruption de la création de Dieu et la moins bonne qualité de vie des êtres humains (Gn 3,14-19) qui en résulte sont liées à la transgression du commandement divin par les êtres humains. La malédiction de 3,14-19 présuppose la bénédiction de 1,28-29. La fertilité de la femme, qui est une bénédiction en 1,28 (« Soyez féconds et multipliez-vous… ») devient douloureuse dans la malédiction de 3,16 (« Je multiplierai grandement votre douleur et votre grossesse… »). En 1,29, Dieu bénit l’homme avec de la nourriture (et Dieu dit : « Voici, je vous donne toute herbe… ce sera votre nourriture »), alors que dans 3,18b, obtenir la même nourriture devient une tâche difficile avec la malédiction de Dieu (3,17-18 : « dans la peine… tu mangeras l’herbe des champs » ). Cette correspondance entre la bénédiction de Gn 1 et la malédiction de Gn 3 semble être intentionnelle. La séquence de malédiction dans Gn 3,14-19 vise à compléter la bénédiction de Gn 1, 28-29.
Après la désobéissance du premier couple, la punition a pris deux formes : des malédictions (3,14-19) et l’expulsion du jardin (3,22-24). Toutefois, selon le récit, l’expulsion (3,23) aurait pu être une punition appropriée pour la transgression de la loi divine, car elle s’insère bien dans la structure du récit dans la mesure où Dieu a mis l’homme et la femme dans le jardin – Dieu les a même conduits au jardin. Les punitions des versets 14-19, au contraire, n’ont pas de lien direct avec la structure du récit. À la lumière de ce qui précède, les malédictions des versets 14-19 peuvent avoir été ajoutées pour harmoniser Gn 3 avec Gn 1 et nous fournir une étiologie de la corruption de la création de Dieu. En outre, le langage au pluriel divin (1,26) est utilisé en 3,22 afin de compléter la relation homme-Dieu telle qu’exprimée en Gn 1 : la relation harmonieuse qui existait entre Dieu et l’homme (Gn 1) est rompue à cause de la désobéissance de l’homme au commandement de Dieu.
Les humains en relation avec les animaux
Enfin, le récit biblique fait écho à la relation entre humains et animaux. Ce thème biblique semble avoir des racines profondes dans la culture du Proche-Orient ancien. On peut observer qu’Enuma Elish ne donne pas de détails sur la création des animaux. Mais un récit mettant en scène Enkidu souligne que les êtres humains appartiennent au monde animal. Au début, Enkidu vit avec les animaux, mais il est séparé du monde animal et devient un être humain au sens le plus complet du mot à cause d’un incident particulier, une relation avec une prostituée envoyée par les dieux.
Ce récit concernant Enkidu a des similitudes frappantes avec Gn 2-3 : comme Enkidu, Adam se trouve en présence d’animaux. Comme Enkidu, Adam ne devient un être humain que lorsque la femme apparaît. Cependant, les auteurs bibliques ont utilisé ce motif des cultures environnantes d’une manière créative et originale : en effet, il existe des différences importantes avec elles. Selon Gn 2,18-23, la création des animaux n’est pas secondaire dans le récit, servant de préparation à la création de la femme : elle a son propre but et semble souligner trois éléments.
1. Il n’y a pas de différence ontologique entre l’homme et les animaux, parce que les deux ont été « formés » à partir de la terre (2,7.19).
2. Les animaux ont été créés pour vivre en relation avec l’homme. En 2,18-19, Dieu a créé les animaux avec un but précis : soulager la solitude de l’homme.
3. L’animal est envisagé comme une « aide » pour l’homme. Mais contrairement à la scène avec Enkidu, le récit biblique dit avec insistance que les animaux peuvent ne pas être une aide qui corresponde à l’homme. Néanmoins, il faut rappeler que la foi israélite ne sépare pas les animaux du monde humain, mais relie les animaux aux humains en donnant à l’homme le pouvoir de les nommer et donc d’être dans une position responsable vis-à-vis d’eux. Cette vision biblique de la relation entre les humains et les animaux semble plus positive.
L’analyse ci-dessus montre que les auteurs bibliques de Gn 2-3 ont réfléchi sur des questions importantes : Dieu, l’homme, la femme, les animaux, la nature et les difficultés humaines. Que vont-ils tirer de cette réflexion sur ces questions, qui avaient également fait l’objet d’une réflexion dans les cultures environnantes ?
Certaines de ces questions ont des liens avec les cultures environnantes et d’autres semblent être spécifiques à la Bible. Cela montre que les auteurs bibliques ont réfléchi à ces questions fondamentales dans une rencontre créative avec les cultures autour d’eux. Cette rencontre entre la foi israélite et les cultures environnantes révèle une double attitude de continuité et de discontinuité : ils parlent dans la culture à laquelle ils appartiennent, en utilisant ses concepts, même s’ils n’étaient pas en accord avec ces derniers.
En même temps, il convient de relever qu’une telle rencontre créative n’a pas eu lieu pour rien. Au contraire, les auteurs bibliques semblent avoir composé ce récit pour servir d’outil à la communauté juive pour définir son identité religieuse, culturelle et anthropologique et témoigner ainsi de ses convictions religieuses les plus profondes. Ce lien entre « renouveau religieux et reprise textuelle met clairement l’accent sur le rôle des scribes techniquement formés comme des agents du changement culturel ». Les auteurs bibliques semblent avoir créé une contre-culture pour la communauté juive et avoir attiré ainsi l’attention sur son identité particulière. Ils sont entrés en discussion subtile avec les convictions théologiques et anthropologiques dominantes de l’Umwelt d’Israël qui, du point de vue de la société dans tous ses aspects (politique, militaire, culturel et économique), était une menace permanente pour Israël. Dès le milieu du VIIIe siècle av. J.-C., l’état relativement insignifiant d’Israël est devenu la toile de fond de multiples invasions par les grandes puissances de l’époque. Ces invasions ont non seulement donné lieu à des opérations militaires sans fin et à un essai de destruction, mais elles ont également préparé le terrain à l’importation d’influences culturelles étrangères qui ont élargi l’horizon religion-historique de l’ancien Israël, elles ont contesté ses traditions établies et l’ont contraint à remettre en question sa propre identité .
Cela montre que le récit actuel raconté dans Gn 2-3 est essentiellement un document de foi qu’Israël a élaboré pour tous les âges. Il n’a pas été écrit comme argument scientifique mais comme expression de la foi et pour témoigner de cette foi. Les questions portant sur la science n’ont pas leur place ici. C’est purement une œuvre religieuse.
La réponse biblique aux défis du judaïsme à la période perse
Dans le cadre de la composition de ce récit, les écrivains bibliques semblent avoir tenté de répondre aux défis du judaïsme dans la période perse. On peut identifier au moins trois de ces tentatives.
Unifier les différents judaïsmes de l’époque.
Le passage de Gn 2,10-14 semble fait pour élargir l’image du jardin en y ajoutant quatre rivières et les terres éloignées du jardin. Leurs noms sont connus (Euphrate et Tigre) et inconnus (Pishôn du pays de Hawila et Guihôn du pays de Koush). Quel peut être le but théologique de l’ajout de ces nouveaux éléments géographiques dans le jardin ? Le nombre « quatre » pourrait signifier l’exhaustivité spatiale ou les quatre coins du monde, ce qui lui donnerait une perspective plus large. Les jardins persans, en particulier à Pasargades, semblent avoir eu quatre parties. La botanique exotique venue des quatre coins de l’empire a été transplantée dans les jardins de la capitale signifiant la souveraineté œcuménique du roi . Derrière la structure en quatre parties du jardin d’Eden en 2,10-14, on peut percevoir une compréhension universaliste qui désignerait au moins toute la province perse de au-delà de l'Euphrate. Qu’est-ce qui a nécessité cette compréhension universaliste du jardin ? Il pourrait s’agir d’une tentative d’intégrer les terres de la diaspora dans les frontières de la Terre Promise et de présenter la région où les Juifs de la diaspora ont vécu comme faisant partie de la terre d’Israël, car le Tigre et l’Euphrate mentionnés en 2,10-14 renvoient à des frontières de la Terre Promise citées en Gn 15,18. Ces ajustements géographiques semblent avoir eu lieu dans des textes comme Dt 1,7 ; 11,22-25 ; 12,20-28 ; Jos 1,3-4 ; 22,9-34 pour déclarer l’ensemble de la province perse de Transeuphratène situé à l'ouest de l'Euphrate comme une terre où les Juifs ont la possibilité de vivre. Si cette interprétation est possible, alors le but théologique de ces versets pourrait être double : il pourrait être une stratégie visant à donner une légitimité à la possibilité de vivre en dehors de la Terre Promise et il pourrait être aussi une tentative d’unifier le public visé par le Pentateuque pendant les principales étapes de sa composition (par exemple, les résidents de la province persane de Yehud, la diaspora de Judée déjà bien établie et la communauté yahviste de la province perse de Samarie). Il est remarquable que les détails géographiques de ce texte permettent à tout Juif d’interpréter le jardin comme étant tout près de son propre pays, ceci étant particulièrement vrai pour la diaspora babylonienne.
Redéfinir Israël comme le centre cultuel de l’univers
Si ces données géographiques signifient une tentative de déclarer l’ensemble de la province persane de Transeuphratène comme un pays où les Juifs pourraient vivre, l’utilisation de trois éléments du sanctuaire en relation avec Pishôn et le pays de Hawila (2,11-12) pourrait démontrer une tentative de transformer l’identité d’Israël pour s’adapter à son contexte politique. Il est surprenant que Gn 2-3 consacre deux versets (2,11-12) pour décrire seulement Pishôn et le pays de Hawila, en y associant trois éléments liés au sanctuaire : l’or, le bdellium et la pierre d’onyx. Ces éléments liés au sanctuaire ne font pas partie du jardin : ils se trouvent dans le pays de Hawila. Pourquoi l’auteur biblique n’a-t-il attaché ces éléments qu’à la terre de Hawila ? Si ces éléments sont utilisés dans ces versets, que signifient alors « Pishôn » et « le pays de Hawila » ? Il y a là une différence frappante avec la mention des autres rivières. Pour y répondre, il faut porter une attention toute particulière aux détails fournis pour « Pishôn » et « le pays de Hawila ». Le pays de Hawila est décrit avec le même vocabulaire que le tabernacle en Ex 25-27. Cela pose la question du rapport existant entre « Pishôn », « pays de Hawila » et Terre Promise.
La mention de l’Euphrate et du Tigre peut également être rattachée à la description de la Terre Promise (cf. en particulier Gen 15,18). il fut en conclure que le texte biblique construit des comparaisons entre les événements de l’histoire primitive et les événements et les lieux spécifiques de l’histoire d’Israël.
Tout cela donne une dimension universelle à la foi d’Israël. Yhwh, le dieu national d’Israël devient le Dieu unique, que les autres nations adorent comme le Dieu créateur de la terre et des cieux. Le culte israélite cesse d’être un culte strictement national. Le culte de Yhwh et du second Temple de Jérusalem, dans la perspective sacerdotale, est devenu le lieu de médiation entre particularité et universalité. Le « cercle sacerdotal » fait naître « un monothéisme yahviste » plus inclusif. Dans ce contexte, on pourrait faire valoir que les trois éléments du sanctuaire relatifs à Pishôn et au pays de Hawila sont utilisés ici pour intégrer cette transformation de la pensée sacerdotale de la période perse.
Tenter de transformer la nostalgie nationaliste de « la Terre Promise perdue »
Si nous considérons 3,23 comme la conclusion initiale, on pourrait dire que le jardin et le repos donnés par Dieu (2,15a) sont perdus. Cette fin pourrait très bien être une évocation de l’expérience désastreuse d’Israël pendant son exil de la Terre Promise. Au contraire, les auteurs bibliques semblent avoir ajouté le motif de l’arbre de vie en 3,22.24 pour se dégager de la nostalgie nationaliste du « paradis perdu ». Le dernier verset (3,24) du récit donne l’impression que ce que l’humanité a perdu est l’arbre de vie. En se concentrant sur l’arbre de la vie, il nous fait oublier le jardin. L’expérience nationaliste semble être neutralisée dans le contexte plus large de l’humanité en conformité avec les conclusions des mythes du Proche-Orient ancien comme l’Épopée de Gilgamesh, le mythe d’Adapa et la Descente d’Ishtar : les humains ont perdu l’immortalité. La conclusion en 3,24 avec l’arbre de vie, un symbole commun à l’ensemble du Proche-Orient ancien, transforme la nostalgie nationaliste de « la terre promise perdue » en nostalgie universelle de « l’immortalité perdue ».
Datation rédactionnelle.
Les textes de Genèse 1 et 2 sont, dans leur rédaction actuelle, relativement tardifs : le premier pourrait dater de la seconde partie du VIe siècle environ (dû à l'école sacerdotale, il serait rédigé durant la période de l'exil); quant au second - qui lui est en fait antérieur -, on a longtemps pensé qu'il avait vu le jour aux alentours de l'an 950, sous David ou Salomon. Sa datation est aujourd'hui entièrement remise en cause. Ces deux textes sont en toutes hypothèses, précédés des diverses traditions relatives aux Pères (Abraham, Isaac, Jacob) et à la sortie d'Égypte, la traversée du désert et le don de la terre promise. Ils sont aussi précédés, bien sûr, de tout un matériel traditionnel relatif à la création.
Tout texte peut — et, à un certain niveau, doit — être lu tel qu'il se présente, dans son autonomie de texte et sa synchronie propre. Il faudra donc bien rendre compte du fait que les récits de la création sont en tête du texte biblique global. Cette place à aussi ses raisons théologiques. Et c'est même sur cette priorité-là du texte de la création que portera l'accent majeur de cet article. Elle fut en effet, à une époque récente, quelque peu négligée.
Mais il ne faut pas aller trop vite. Le commencement qu'on nous présente est un résultat, non un premier terme. Et pour bien comprendre le texte, il peut être utile de le situer et de suivre les étapes qui en ont précédé l'énoncé. Ignorer la genèse du texte biblique, c'est je crois, s'exposer à malentendu et risquer de s'enfermer - comme le montre l'histoire de la théologie, moderne notamment - dans de regrettables apories théologiques. C'est en tout cas risquer d'interroger le texte à partir de questions inadaptées. Il en va ici finalement du statut de l'énoncé de foi, et donc de notre tâche présente, aussi vrai qu'elle ne peut se comprendre qu'en analogie avec celle qu'ont accomplie nos prédécesseurs. Tout texte est le résultat d'une production. Redire le texte d'hier pour aujourd'hui n'ira pas sans le détour d'un examen de sa production même.
Les récits bibliques de la création ne sont pas premiers. Ils naissent au sein d'une histoire et du sein de cette histoire, ils valent même, à certains égards, comme interprétation de cette histoire. Ce qui est premier, chronologiquement, c'est ce que vit et a vécu Israël; c'est l'expérience d'un certain nombre d'événements dont, l'exil babylonien. Ce qui est premier, c'est l'expérience que, au travers de son histoire, le peuple a faite du monde, de l'homme et ce qu'il appelle Dieu; l'expérience de ce qu'était là, pour lui, la création.
La question des origines de l’être humain préoccupe les religions, les systèmes philosophiques et, bien sûr, aussi la science. Dans les grands récits de création du Proche- Orient ancien, la question de la création de l’être humain s’accompagne d’une réflexion sur son lien avec les dieux.
Dans les deux grandes épopées mésopotamiennes, Enuma Elish et Athrahasis, les humains sont créés avec de l’argile, mais l’être humain ne devient vivant que grâce au sang, mêlé à l’argile, d’un dieu mis à mort.
Selon l’épopée d’Enuma Elish, l’humanité est créée à partir du sang d’un dieu rebelle :
« Ils l’enchaînèrent et le tinrent devant Ea, ils lui imposèrent le châtiment, ayant tranché ses veines. De son sang, il créa l’humanité, il lui imposa la corvée des dieux » (VI, 31-34)
De manière similaire, dans le mythe d’Athrahasis, « avec la chair de ce dieu que Nintou (la déesse de la vie) mélange d’argile afin que le dieu même et l’homme se trouvent mélangés dans l’argile » (lignes 210-216). Ensuite la déesse découpe 14 morceaux d’argile : elle fabrique ainsi sept mâles et sept femelles qui sont à l’origine de l’humanité. L’épopée mésopotamienne décrit ainsi l’origine des êtres humains d’emblée dans une altérité sexuelle. Les humains sont créés immédiatement mâles et femelles, et ils ont en eux une « essence divine ».
Dans la Bible hébraïque, la réflexion sur l’origine des êtres humains apparaît plus complexe. D’abord, et cela a depuis longtemps intrigué les commentateurs, on trouve dans les trois premiers chapitres du livre de la Genèse deux récits de création qui présentent l’origine de l’homme et de la femme de manière différente. Dans le premier récit (Gn 1,1–2,3), l’homme et la femme sont créés en même temps, alors que dans le deuxième récit (Gn 1,4–3,24), il n’y a, selon la lecture traditionnelle du récit, que l’homme à l’origine, alors que la femme serait créée bien plus tard, après les animaux. Cette compréhension mérite cependant un nouvel examen. Nous le verrons, les deux récits sur l’origine de l’être humain ont été combinés par des rédacteurs ultérieurs puisqu’ils réfléchissent tous les deux sur la complémentarité du masculin et du féminin.
Le premier récit (Genèse 1,1–2,3) inscrit la création du monde et des humains dans le cadre chronologique d’une semaine, six jours de travail divin et un jour de repos. Le style, le langage, la vision du monde et les préoccupations exprimées par ce texte indiquent qu’il provient de prêtres judéens exilés à Babylone à la suite de la destruction de Jérusalem en 587 avant l’ère chrétienne ou revenus de Babylone, probablement vers la fin du VIe ou le début du Ve siècle. Ces prêtres ont eu connaissance, lors de leur séjour à Babylone, des cosmogonies ainsi que des réflexions mathématiques et astrologiques des Babyloniens. Ils ont donc repris le savoir et les concepts de cette civilisation tout en les adaptant à la théologie du judaïsme naissant.
La création se met en place, dans ce récit, selon un rythme qui n’est que rarement interrompu. Ce texte est scandé par une parole créatrice : « Dieu dit : … ». On trouve aussi régulièrement une formule de confirmation : « Il en fut ainsi », qui peut être combinée avec une remarque concernant l’action divine (« et Dieu fit ») ou la participation d’un des éléments créés (« que la terre produise ») ainsi qu’une formule d’appréciation : « Dieu vit que cela était bon. » S’y ajoutent l’appellation et le comptage des jours : « Il y eut un soir, il y eut un matin : n-ième jour. »
Le récit de Genèse 1 présente ainsi l’œuvre créatrice d’une manière très ordonnée et harmonieuse.
Cependant au moment de la création de l’être humain, au 6e jour, ce rythme paisible et ordonné est interrompu. Au moment où Dieu, appelé en Genèse 1 ’elohîm, décide de créer l’homme, on trouve un discours au pluriel (Gn 1,26-27) :
« Dieu (‘elohîm) dit : faisons un être humain à notre image, selon notre modèle (à notre ressemblance). Il subjuguera le poisson de la mer, l’oiseau du ciel et l’animal, tout (ce qui vit sur) la terre, toutes les bestioles qui fourmillent sur la terre. Alors Dieu créa l’homme à son image, à l’image de dieu il le créa, mâle et femelle il les créa. »
Le pluriel dans cette délibération est étonnant et mérite explication. Certains commentateurs ont voulu l’expliquer par un pluriel de majesté. Mais cette forme de style n’est pas répandue en hébreu biblique. On pourrait alors imaginer une sorte de cour céleste où le dieu suprême s’adresse à ses ministres, comme c’est, par exemple, le cas dans le prologue au livre de Job. Mais cela n’explique pas le fait que Dieu, dans la suite, crée en même temps un mâle et une femelle à son image (au pluriel). Le pluriel « faisons l’homme à notre image » pourrait du coup refléter un couple divin.
Il ne fait guère de doute que Yahvé, le dieu d’Israël, durant la première partie du premier millénaire avant l’ère chrétienne, était vénéré, dans certains milieux, en compagnie d’une parèdre, d’une déesse, dont le nom était Ashéra, déesse qui apparaît dans le livre de Jérémie sous le nom de « Reine du ciel ». Plus tard, après la destruction de Jérusalem et de son temple, lorsque les théologiens en exil et à Jérusalem comprennent que le dieu d’Israël n’est pas le dieu tutélaire d’un peuple mais le dieu unique, la déesse qui lui avait été associée disparaît.
Néanmoins, il est fort possible que le premier récit de création garde le souvenir du couple divin et le transpose désormais sur le couple humain. Pour les auteurs de Genèse 1, Dieu avait sans doute déjà « perdu » sa femme. Mais d’une manière consciente ou inconsciente, ils avaient vu dans le couple humain un reflet ou peut-être mieux : une sublimation du couple divin.
Dans le premier chapitre de la Bible « Dieu » est appelé « ’elohim », c’est un mot qui peut être compris soit comme un singulier soit comme un pluriel. Le dieu « ’elohim » exprime donc une unité qui inclut en elle la diversité des représentations du divin et aussi l’altérité du masculin et du féminin. On pourrait même parler d’un « monothéisme inclusif » pour lequel le dieu unique peut être représenté aussi par un couple divin.
En quoi l’homme et la femme sont-ils alors « image » du ou des dieux ?
Cette question a occupé, des siècles durant, des théologiens et des philosophes. Dans le contexte du Proche-Orient ancien, cette question ne paraît pas si compliquée. Rappelons que les récits de création mésopotamiens donnent aux hommes une composante divine via le sang. Ici, nous avons à la place du sang, l’idée de l’image. L’être humain est lié à Dieu puisqu’il est son représentant.
En Égypte et en Mésopotamie, ce titre « image du dieu » est un titre royal. Il indique que le roi reflète la divinité face au peuple, il est son représentant sur terre, le médiateur entre le dieu et le peuple.
Puisque le texte de Genèse 1 a été écrit à un moment où il n’y avait plus de roi en Israël, on peut comprendre l’application de ce titre à toute l’humanité comme une sorte de « démocratisation » de l’idéologie royale. Par l’ordre donné de « soumettre », cette fonction royale de l’être humain est encore soulignée.
Le couple humain, en tant qu’image d’’elohîm a deux fonctions : la procréation et le gouvernement. Mais la soumission des animaux n’implique pas (encore) que les hommes les tuent pour les manger ni que les animaux s’entre-tuent. Selon Genèse 1, l’homme et l’animal sont en effet créés végétariens, et c’est seulement après le déluge que Dieu concède la consommation de viande.
Le premier récit de la Bible véhicule donc une image de Dieu et des humains qui est très éloignée des représentations artistiques d’un dieu créateur, seul, vieillard et barbu. L’image de Dieu, selon Genèse 1, est à la fois masculine et féminine. À une époque où la femme devait se soumettre à l’homme, c’est une idée assez révolutionnaire.
Qu’en est-il alors de l’histoire dite d’Adam et Ève ou de l’expulsion du paradis ? Dans cette histoire, probablement plus ancienne que la première, Dieu, appelé ici Yahvé crée d’abord un être humain, ’adam, le « terreux », puisque formé à partir de la terre, ’adamâ. Alors que, dans les mythes mésopotamiens, les humains sont formés par un mélange d’argile et de sang divin, en Gn 2, la composante divine est le « souffle » de Yahvé. Cependant l’allusion au sang n’a pas totalement disparu car le lexème ’adam n’évoque pas seulement le terme de ’adamâ mais aussi celui de dam (sang). Ce premier être humain est-il mâle ? Notons d’abord que ’adam n’est pas (encore) utilisé comme nom propre mais comme un nom générique pour désigner l’être humain. D’où l’idée rabbinique selon laquelle le premier être humain aurait été créé comme un être asexué, voire androgyne.
En effet, la différenciation entre le masculin et le féminin n’intervient que plus tard et, comme en Genèse 1, après la création des animaux. Suite au constat anthropologique selon lequel l’homme n’est pas fait pour rester seul, Yahvé crée curieusement d’abord les animaux, non pas pour qu’ils servent de nourriture à l’homme mais comme un vis-à-vis potentiel.
C’est seulement après que ’adam a nommé les animaux, signe de sa supériorité sur eux, que Yahvé crée la femme. Pour être plus précis il faudrait cependant parler non pas de la création de la femme, mais d’une sorte de différenciation sexuelle.
Contrairement à une compréhension courante, la femme n’est pas créée de la « côte » de l’homme, le terme hébreu signifie plutôt « le côté, la face » et renvoie ainsi à une sorte de dédoublement.
Car c’est seulement après cet acte que l’auteur utilise les termes ’ish (homme, mâle) et ’ishshâ (femme) pour parler du premier couple humain. Mais la différenciation n’est pas encore complète. Selon le récit, l’homme et la femme vivent dans le jardin dans un état de sexualité indifférenciée ; ils sont nus, mais ne s’en rendent pas compte.
C’est seulement suite à la transgression de l’interdit touchant les fruits de l’arbre au milieu du jardin, provoquée par le serpent, que la différenciation entre l’homme et la femme est définitivement acquise. Le serpent avait promis à la femme que le premier couple humain deviendrait comme des dieux, par la connaissance du bien et du mal. Or, la connaissance que l’homme et la femme acquièrent après avoir mangé le fruit concerne leur nudité et donc leur différence sexuelle. L’homme et surtout la femme sont devenus comme des dieux par leur pouvoir de procréer, de donner la vie.
L’expulsion du jardin est certes présentée comme une punition, mais c’est en même temps une nécessité. Les sanctions divines – l’enfantement dans la douleur, l’hostilité entre les animaux et les humains, le travail pénible, ainsi que la mort – décrivent en effet la condition humaine telle que la vivaient les premiers destinataires du récit. En même temps, la sortie du jardin est la condition sine qua non pour que la complémentarité entre l’homme et la femme puisse se réaliser dans la mise en place de l’histoire de l’humanité via la succession des générations. C’est seulement après la sortie du jardin que l’homme appelle la femme Ḥawwâ, Ève, la vivante ou celle qui peut donner la vie. Ainsi donc, le deuxième récit de la création de l’homme et de la femme n’est pas, comme le veut une certaine tradition chrétienne, une étiologie du « péché originel », mais davantage une réflexion sur la condition et l’autonomie humaines.
Lors de la compilation de la Torah, du Pentateuque, qui est intervenu entre 350 et 300 avant l’ère chrétienne, les rédacteurs ont combiné les deux récits sur la création de l’homme et de la femme. Ils ne souhaitaient pas choisir un récit au détriment de l’autre, les considérant sans doute comme complémentaires. En plaçant le récit sacerdotal en premier les rédacteurs du Pentateuque ont voulu insister d’emblée sur le fait que l’idée d’image de Dieu s’applique aussi bien aux hommes qu’aux femmes (n’en déplaise à Thomas d’Aquin !).
Ainsi les deux récits qui ouvrent la Bible hébraïque, réfléchissent à la nécessité mais aussi à la difficulté de cette altérité entre le masculin et le féminin.
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