Rédaction de la Bible

Théorie des fragments

&

Théorie des compléments

L’histoire de la rédaction du Pentateuque demeure une question assez complexe et qui suscite une recherche intense des spécialistes depuis des siècles. Pendant longtemps, la rédaction des cinq premiers livres de la Bible se présente comme attribuée à Moïse lui-même. Bien évidemment, cette solution ne tenait pas compte de la complexité du problème. Déjà au XIIème siècle, Ibn Esra évoquait la possibilité que d’autres auteurs aient pu « compléter » l’œuvre de Moïse. Vers 1700, un chercheur nommé Richard Simon pose une thèse révolutionnaire pour l’époque : Moïse ne peut être l’auteur de tous les livres qui lui sont attribués. La recherche des auteurs et de l’histoire du Pentateuque était lancée !

Vers la fin du XIXème siècle, un exégète, Julius Wellhausen, pose les bases d’une théorie permettant selon lui d’expliquer l’ensemble de la rédaction du Pentateuque. Pour Wellhausen (et ses nombreux successeurs qui développeront et compliqueront à l’extrême sa théorie), le Pentateuque résulte de la fusion de DOCUMENTS, c’est-à-dire de livres ayant été rédigés de manière autonome et publiés en l’état. Chacun de ces livres, ou documents, pouvait se trouver l’œuvre d’un ou de plusieurs auteurs exploitants diverses sources orales ou écrites antérieures. L’hypothèse de Wellhausen comporte quatre documents de base.

Tableau dicuments

Dans un premier temps, le document E, originaire du royaume du Nord (Samarie) est arrivé à Jérusalem après la chute de la ville de Samarie en 722. Il fut alors fusionné au document J, formant ensemble le document jéhoviste (JE).

Après l’exil à Babylone (582-538), le document sacerdotal (P) reçut des ajouts de type législatif (codés Ps) puis fut fusionné à JE pour donner le Tétrateuque (JEP) c’est-à-dire les quatre (tetra) premiers livres de la Bible.

Enfin, le Deutéronome fut ajouté à l’ensemble pour former le Pentateuque actuel (JEDP).

Du dogme à sa critique

       

La théorie documentaire a pratiquement été érigée en dogme dans certains milieux de la recherche biblique. Il restait possible d’y ajouter quelques fioritures, mais l’ensemble de la théorie ne figure pas remis sérieusement en question pendant des décennies. Progressivement, diverses critiques ont vu le jour contre un système loin de rendre compte de la complexité du texte.

Tout d’abord, le document dit « Elohiste » (ainsi nommé parce que son auteur supposé appelle Dieu « Elohim ») fut remis en question. Les textes qu’on lui attribue demeurent très fragmentaires et il apparaît improbable qu’ils aient pu faire partie d’un livre à part entière (ce qui est, rappelons-le, la base de la théorie documentaire). Peu d’exégètes croient aujourd’hui en l’existence de ce document en tant que tel.

Le document « Yahviste » (ainsi nommé parce que son auteur supposé appelle Dieu « Yahvé ») apparaît très difficile à délimiter. Presque chaque commentaire du Pentateuque propose un découpage différent et attribue ou non certains passages à ce document sans toujours bien préciser les raisons de ce choix. La datation de ce document fut également remise en cause, certains proposant d’en faire un document beaucoup plus récent (VIIème siècle ou après).

Enfin, il apparaît manifeste que des blocs entiers de certains livres semblent complètement ignorer l’existence d’autres passages, ce qui demeure peu compatible avec l’hypothèse de la fusion de livres complets racontant la même histoire.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Au vu de toutes ces variantes, jusqu’à la fin des années 1980, la plupart des spécialistes se fondaient sur la théorie ou l’hypothèse documentaire. Faute de pouvoir répondre à toutes les objections, quelques spécialistes peu convaincus ont proposé des théories alternatives qui possèdent aujourd’hui la faveur des biblistes.

Hypothèses alternatives et état de la recherche

La théorie des fragments propose de voir dans le Pentateuque la mise en forme de multiples traditions véhiculées de manière indépendante. Une ou plusieurs compositions littéraires auraient regroupé ces traditions indépendantes en fonction de leurs thèmes.

La théorie des compléments postule l’existence d’un seul document de base qui figure retouché à plusieurs reprises, notamment par l’adjonction de textes complémentaires.

On peut placer ces trois approches dans un petit tableau comparatif :

3 Théories

Actuellement, la recherche met en évidence le travail fondamental de deux écoles rédactionnelles principales :

L’ECOLE DEUTERONOMISTE (DTR)

Elle rédige principalement à Babylone au début de l’exil. Elle est composée de scribes exilés, dont probablement un certain nombre demeurent très proches des milieux prophétiques, notamment les disciples de Jérémie. Le souci premier de l’école deutéronomiste reste d’expliquer pourquoi Israël s’est retrouvé en exil après avoir perdu sa terre, son temple et son roi. Elle rédigera essentiellement la grande histoire d’Israël qui va de Josué aux livres des Rois. On appelle cette école « deutéronomiste » parce qu’elle apparaît également responsable de la mise en forme du Deutéronome.

L’ECOLE SACERDOTALE (P)

Elle rédige également en exil, peut-être un peu plus tardivement que l’école deutéronomiste. Elle se trouve composée, comme son nom l’indique, de membres évoluant dans le milieu du clergé d’Israël. Elle se caractérise par un souci du détail, des précisions chronologiques et des listes généalogiques.

APRÈS l’EXIL, ces deux écoles rédactionnelles vont continuer à retoucher le texte du Pentateuque jusqu’à lui donner sa forme actuelle. On parle alors de relectures post-sacerdotales ou post deutéronomiste.

Si aujourd’hui aucun exégète ne conteste que les livres du Pentateuque (et de la plupart des autres livres du Tanakh) figurent le résultat d’une compilation de traditions diverses et de leur édition par plusieurs auteurs successifs. Selon Thomas Römer, pratiquement plus aucun spécialiste n’admet « l’existence de “sources” indépendantes écrites, qui auraient d’abord existé chacune pour elle-même et qui n’auraient été agencées ensemble qu’au cours d’un stade rédactionnel secondaire ».

Depuis une trentaine d’années, cette théorie fut largement remise en question, notamment par des gens comme Thomas Römer, qui détient actuellement la chaire « Milieux bibliques » au Collège de France. Pour résumer les choses très simplement, on peut dire que deux des quatre sources (Yahviste et Élohiste) ont tout simplement disparu et, par conséquent, la date de composition de certains textes demeura abaissée de plusieurs siècles. Les partisans de la nouvelle théorie, dite « des fragments », estiment que la composition du Pentateuque date essentiellement de l’exil à Babylone et du retour (« période perse », voire « période grecque »).

Ils pensent en effet que les conditions n’étaient pas réunies pour envisager un début de rédaction à l’époque monarchique. Il existe aussi des chercheurs, comme « l’école de Copenhague », qui ont même envisagé une rédaction du Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible) au cours de l’époque hellénistique ; (c’est-à-dire entre la conquête d’Alexandre le Grand et l’arrivée de Pompée, IIIe-Ier siècle av. J.-C.) estimant que la Bible plagiait Platon et divers récits grecs. Cette position encore extrême n’a cependant connu qu’un écho très limité dans le monde académique, la plupart des savants se ralliant plutôt à la position précédente. C’est le cas notamment de « l’archéologue Finkelstein ».

Toutefois, à côté de ces théories, qui reposent essentiellement sur de la spéculation littéraire, d’autres alternatives, défendues plutôt par des historiens, furent aussi proposées, dont la théorie de la « rédaction scribale ».

Cette théorie a la particularité d’envisager un temps d’écriture beaucoup plus long, qui commence effectivement dès l’époque monarchique, voire même, pourquoi pas, un peu avant, durant la période des Juges.

Aujourd’hui quels sont les débats autour de la formation du Pentateuque, qui regroupe les cinq premiers livres dans la Bible et comment la théorie documentaire a-t-elle été remise en question ?

Dans une interview de 2018, donnée à Protestinfo en Suisse, Thomas Römer explique que : « Lire le texte biblique de manière attentive permet de comprendre que ce n’est pas un discours cohérent par lequel un dogme veut s’imposer au lecteur. La Bible elle-même nous encourage à respecter l’analyse historico-critique. » Or l’approche de la formation du Pentateuque s’est modifiée, comme nous l’avons vu dans le cours précédent. 

Thomas Römer rappelle : 

Jusqu’au milieu des années 1970 dominait la « théorie documentaire ». Cette théorie postulait du fait qu’à l’origine le Pentateuque était composé de quatre documents : le yahviste, l’Élohiste, le Deutéronome et l’écrit sacerdotal — documents jadis indépendants, que l’on aurait fusionnés, comme si l’on avait réuni les quatre évangiles dans un seul écrit. L’exégète et théologien allemand Gerhard von Rad avait même parlé des Lumières salomoniennes dans lesquelles il situait le plus ancien des quatre documents, le yahviste.

Aujourd’hui, cette vision est abandonnée, au moins en Europe. L’archéologie nous a permis de vérifier que l’existence d’un empire salomonien qui aurait dominé les peuples et les territoires de l’Égypte à l’Euphrate figure tout simplement historiquement impossible.

Dans cette même interview, Thomas Römer indique :

On repère les textes P — rédigés par des prêtres, d’où le sigle P — que l’on peut facilement identifier par le style, le vocabulaire, voire par la théologie — et dont on peut bâtir un récit indépendant. Mais les autres textes, dits « non-P », se trouvent dater de nos jours d’une époque plus récente que le règne de Salomon.

Enfin en conclusion, il note :

Comme je le dis à mes étudiants, le fait qu’il n’existe pas de modèle capable de faire l’unanimité doit être saisi comme une chance. Ainsi pouvons-nous disposer d’une véritable liberté d’interprétation. N’ayons pas peur de l’analyse, le texte résiste bien.

Comment les grands récits des Patriarches et de l’Exode figurent-ils deux mythes d’origine indépendants et différents ? s’interroge aujourd’hui Thomas Römer, avant de questionner la formation de livre des « Nebi’im », les prophètes. 

Quelle est l’importance de la découverte de l’histoire du deutéronomiste et pourquoi peut-on travailler sur l’hypothèse d’une bibliothèque deutéronomiste avec plusieurs scribes en charge de différents livres ? 

Mais avant de découvrir ces grandes questions, nous retrouvons la théorie documentaire autour du Pentateuque. 

Rappelons que le Pentateuque regroupe la Genèse, récit sur la création du monde, l’Exode qui raconte la vie de Moïse et la sortie des Hébreux d’Égypte, le Lévitique sur les lois religieuses et les rites, les Nombres qui mêle récits, lois et recensements des tribus d’Israël et enfin le Deutéronome, « Récit de la fin de l’errance toujours au seuil de la Terre promise. Ce dernier texte comprend aussi le discours et la mort de Moïse et une deuxième série de lois. »

 

 

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