L’imprécation de Paul contre les juifs.

Paul en prison

Vers 48 ou 49 se tient le fameux concile de Jérusalem. Cette assemblée qui réunit notamment Jacques le frère de Jésus, Pierre et Paul, décide des conditions d’admission des non juifs dans le mouvement chrétien. Une année plus tard, autour de l’an 50, l’apôtre Paul écrit à une communauté de Thessalonique en Asie Mineure, cette épître est la plus ancienne des lettres de Paul.

Il y a un problème fondamental qui s’attache à toute la correspondance paulinienne, et c’est l’authenticité des lettres et leur intégrité. Authenticité en ce que Paul est-il l’auteur de ces lettres, dans leur intégrité c’est-à-dire ne sommes-nous pas en présence de compilations, des collages, d’autres lettres. Paul pourrait très bien avoir rédigé ou dicté ses lettres, mais celles qui nous sont parvenues, ne correspondrait pas à un écrit rédigé tel quel. Il s’agit là d’un problème absolument fondamental, car nous savons que sur les quatorze lettres attribuées à Paul dans le Nouveau Testament, en tout cas l’une d’entre elles l’épître aux Hébreux ne peut pas être inclus comme une lettre de Paul dans les bibles protestantes. En ce qui concerne les treize qui restent, il y a trois épîtres qui sont pratiquement et universellement considérées comme non pauliniennes. Il s’agit des écrits ou lettres pastorales : Tite, et première et seconde lettres à Timothée. Il en reste dix qui sont acceptés avec plus ou moins de contestations. Disons qu’il y en a sept qui sont unanimement reconnues comme authentiques, c’est : les épîtres aux Romains, aux Galates, 1 Thessaloniciens, 1 et 2 Corinthiens, Philippiens et Philémon. Enfin, je parle des exégètes contemporains puisqu’au début du XX siècle, un certain nombre de spécialistes, remettaient en question l’authenticité de certaines de ces lettres. Il en reste trois autres qui restent très discutables : 2 Thessaloniciens, Colossiens, et Éphésiens. Donc nous savons déjà que dans ce corpus attribué à Paul il y a un certain nombre de lettres qui ne sont visiblement pas de lui. Deuxième problème, certaines lettres sont visiblement des compositions littéraires. Elles ont été composées à partir de plusieurs écrits de Paul.

En ce qui concerne la première épître aux Thessaloniciens, la majeure partie des exégètes aujourd’hui sont d’accord pour dire que c’est la lettre la plus ancienne de Paul et voir peut-être l’un des plus anciens textes du Nouveau Testament. On considère qu’il s’agit d’un document écrit aux environs des années 50. Or nous savons très peu de choses sur cette époque. Nous ne disposons pas d’écrit antérieur à la première épître aux Thessaloniciens. Nous ne pouvons que lire entre les lignes pour tenter de reconstituer cette période primitive du christianisme.

Or, cette première épître aux Thessaloniciens, cause polémique. Paul qui est en principe l’auteur reconnu de cette épître, écrit entre autres ceci 1 Thessaloniciens versets 14 et 15 (Louis Segond Bible) :

14, Car vous, frères, vous êtes devenus les imitateurs des Églises de Dieu qui sont en Jésus-Christ dans la Judée, parce que vous aussi, vous avez souffert de la part de vos propres compatriotes les mêmes maux qu’elles ont soufferts de la part des Juifs. 15 Ce sont ces Juifs qui ont fait mourir le Seigneur Jésus et les prophètes, qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu, et qui sont ennemis de tous les hommes, 16nous empêchant de parler aux païens pour qu’ils soient sauvés, en sorte qu’ils ne cessent de mettre le comble à leurs péchés. Mais la colère a fini par les atteindre.

Ce texte assez dense est en fait assez complexe et suppose toutes sortes de questions. La première de ces questions à poser c’est, qui sont les compatriotes ? Comment peut-il se faire qu’un groupe de Thessaloniciens ait des ennuis ? A priori, il y a deux possibilités, le mot pour compatriotes est συμπατριώτης, sumpatriôtês qui signifie ce qui appartient à la même tribu ou à la même engeance. Par exemple, Paul et Aquila (le mari de Priscille) étaient de même engeance ou du même parti. Alors ce peut-être compatriote ou ça peut-être de même confession. Alors, essayons les deux. Si ce sont des compatriotes au sens moderne du terme, c’est-à-dire d’autres Thessaloniciens, comment un groupe de Thessaloniciens fidèles de Jésus-Christ ou de Paul pourrait avoir des ennuis avec d’autres Thessaloniciens ? Une possibilité qui n’apparaît pas trop visible dans ce texte serait que ce soit des chrétiens. Alors ce mouvement juif qui passait pour révolutionnaire et agitée, pourrait avoir fait des difficultés à Salonique, Thessalonique comme on disait autrefois. Seulement, il n’y a pas de trace dans cette épître que ce soit de fait un mouvement agité. Alors à ce moment-là l’autre possibilité serait qu’il s’agit des compatriotes au sens simplement de juifs. On voit constamment cette situation dans les Actes des apôtres, où Paul prêcher dans les synagogues, qui est d’abord accueilli puis refusé par des juifs. Donc il existerait à Thessalonique une division au sein des juifs. Alors l’identité des Thessaloniciens tout à fait précédemment nous échappe. J’entends par là que les Thessaloniciens comme c’est le cas dans la totalité des communautés fondées par Paul, sont composées à la fois de juifs d’origines et de non-juifs d’origines. Cela dans des proportions différentes selon la composition religieuse des villes dans laquelle ces groupes se trouvent. Alors il semble bien que dans l’église de Thessalonique les non-juifs soient en majorité, mais la composition exacte nous échappe. Nous n’avons plus la possibilité de la reconstituer, sinon d’attester la présence très ancienne de deux synagogues à Thessalonique. Donc Paul comme il l’a fait partout a créé à Thessalonique avec ses collaborateurs une communauté mixte. C’est d’ailleurs une spécificité de son action missionnaire. Donc les Thessaloniciens font partie d’une communauté ou deux héritages théologiques, spirituels se retrouvent aussi à savoir un héritage gréco-romain et un héritage Juif. C’est seulement dans le dernier livre de la Torah (en hébreu : תּוֹרָה, « instruction ») dans le livre du Deutéronome que l’on retrouve cette tradition de la persécution des prophètes. Dans le Deutéronome les prophètes juifs ne servaient pas où plus à légitimer le pouvoir politique, au contraire, selon le Deutéronome ils le critiquaient ou s’y opposaient au nom de Dieu dont le prophète est le porte-parole. Donc dans ce verset ils ont tué selon Paul le Seigneur Jésus qui serait considéré comme un prophète, un porte-parole de Dieu. Là, nous avons quelque chose de tout à fait intéressant que l’on retrouve ailleurs aussi bien dans Matthieu que dans les Actes des apôtres, on retrouve les termes grecs : φονευσάντων τοὺς προφήτας  (phoneusantōn tous prophētas), c’est-à-dire : « ils ont trucidé tous les prophètes ». C’est tout d’abord une question d’accusation ! Paul accuse les juifs d’avoir tué le Seigneur Jésus le Messie. C’est une accusation que l’on retrouve dans les Actes des apôtres à la fin du premier siècle. C’est à la fois une simplification des faits et une généralisation à l’ensemble des juifs et donc même des judéo-chrétiens qui se considéraient toujours comme de purs juifs !  Donc si Paul était juif et il l’était, il s’accusait lui-même. Or, Jésus n’a pas été exécuté par les juifs, mais par les Romains, sous les ordres de Pilate, avec peut-être la complicité des grands prêtres juifs, mais certainement pas par tous les juifs. Il suffit de lire dans les évangiles l’accueil que les Juifs de Jérusalem firent à Jésus l’or de son entrée dans la ville quelque temps avant la Pâque.

Une foule de Juifs acclame Jésus comme le Messie

« Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna dans les hauteurs » (Mt 21, 9)

En criante : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », les Juifs de Jérusalem reprennent les paroles du psaume 118.

Ce qui pour un connaisseur de la liturgie juive n’est pas très surprenant : le psaume 118 est utilisé lors de plusieurs grandes fêtes (à la Pâque, à Pentecôte, et à la Fête des tentes). C’est donc avec une prière archiconnue que Jésus est accueilli.

L’autre information, c’est qu’en reconnaissant Jésus comme le fils de David, venant au nom du Seigneur, les Juifs de Jérusalem qui accueillent ainsi Jésus le reconnaissent dans sa messianité. Ce Jésus qui entre sur un âne accomplit la promesse divine, récompensant l’attente des Juifs.

L’évangéliste Matthieu, comme tous les auteurs du Nouveau Testament, écrit son évangile en grec. Pourtant, il ne prend pas la peine de traduire le terme Hosanna et se contente de transcrire ce terme hébreu.

Et que ce soit le latin, ou toutes les langues postérieures, toutes préserveront ce terme sans lui trouver d’équivalent. Il n’est donc pas inutile de se pencher sur sa signification. Deux possibilités s’offrent à nous :

1) L’étymologie d’abord. Hosanna signifie littéralement «  sauve ». L’appel à un salut de la part du Fils de David est d’une grande portée dans le cadre d’une entrée messianique à Jérusalem.

2) Déjà à l’époque, ce chant est une acclamation liturgique, un chant de gloire et de joie. Dans notre texte, le fait que l’on colle « au fils de David » au datif (on passe sur ce mode de déclinaison grec…) nous incite à voir le terme « Hosanna » comme une acclamation faite à Jésus et à Dieu.

Comment c’est gens peuvent-ils être responsable de la mort de ce Jésus messie quelque temps après ?

Donc si Paul écrit véritablement ces mots il produit soit une fausse accusation, soit les évangélistes qui nous raconte l’entrée de jésus à Jérusalem sont des menteurs. Si l’on regarde de près, l’on constate que Paul utilise des arguments qui ne sont pas spécifiques à sa pensée propre. Ce n’est pas du tout pour dire qu’il n’est pas capable de les mettre en avant, mais Paul utiliserait ici des clichés qui proviennent premièrement de la tradition juive elle-même. En effet, on retrouve là le motif absolument classique de ce qu’on appelle la tradition deutéronomiste du destin violent des prophètes, c’est-à-dire une tradition qui est née seulement après l’exil, au sein de la réflexion théologique de judaïsme sur lui-même, et qui synthétise d’une manière absolument massive et violente la position d’Israël face aux envoyés de Dieu par une position de rejet violent et c’est le meurtre. Alors, il y a déjà une certaine agressivité « ceux qui ont tué le Seigneur » le verbe est vraiment fort, « et les prophètes », mais dans une certaine mesure même si c’est contre le judaïsme de Jérusalem on est comme nous l’avons vu dans cette vieille tradition deutéronomiste. Il est donc possible que l’on soit, je dirais dans une ligne prophétique et l’on ne serait pas obligatoirement dans une ligne païenne qui s’opposerait au judaïsme. Donc on serait toujours à l’intérieur du judaïsme, mais dans une perspective prophétique qui s’oppose aux chefs d’Israël et au peuple qui les suit et qui n’accepte pas les envoyés de Dieu dont fait parti Paul. Alors maintenant je suis désolé de dire qu’il n’y a malheureusement pas de limite à l’hostilité que peuvent manifester les juifs à l’égard d’autres juifs. On trouve de nombreux exemples dans l’histoire, et même aujourd’hui de cette hostilité que pour des motifs religieux politiques ou n’importe quoi d’autre. Dans l’Antiquité si vous descendiez de Jérusalem et que vous alliez à Qumrân vous trouveriez de nombreux textes juifs qui critiquent violemment d’autres juifs et disent des choses bien plus terribles que cela.

Mais c’est différent ici !

C’est différent parce que Paul dirige une communauté où la plupart sont des non-juifs convertis au christianisme. On aurait pu s’attendre à ce qu’un juif fasse preuve de plus de retenue en parlant à des non-juifs, mais Paul était un homme très spécial. Il s’était engagé dans une interprétation singulière du judaïsme. C’était un personnage capable de grands coups de colère, ils trouvaient de nombreuses raisons d’exprimer son hostilité et sa rancœur à l’égard des autres juifs. Donc Paul se montre un redoutable polémiste pour qui la fin justifierait les moyens contre selon toute vraisemblance il accuse les juifs d’avoir tué Jésus. Comme si l’argument manquait de poids, Paul reprend à son compte les pires slogans de l’antisémitisme païens.

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