Dans la grande majorité des textes bibliques, l’Égypte et son représentant, le pharaon, sont dépeints sous un jour très négatif. Ceci est illustré dans le récit de l’Exode. Dans celui-ci, le roi égyptien répond à Moïse qu’il ne sait pas ce qu’il considère comme le dieu obscur du désert Yahvé et ne suivra certainement pas ses paroles.
מִי יְהוָה אֲשֶׁר אֶשְׁמַע בְּקֹלוֹ, לְשַׁלַּח אֶת-יִשְׂרָאֵל: לֹא יָדַעְתִּי אֶת-יְהוָה, וְגַם אֶת-יִשְׂרָאֵל לֹא אֲשַׁלֵּחַ.
Mi Yahvé ašer ešma bekolov, lešalah et jizrael lo jadati et Yahvé, vegam et jizrael lo ašaleah.
« Quel est ce Yahvé dont je dois écouter la parole en laissant partir Israël ? Je ne connais point Yahvé et certes je ne renverrai point Israël. » (Exode 5:2)
C’est la raison pour laquelle Yahvé exerce son jugement sur l’Égypte et ses divinités. (Ex 12, 12)
וְעָבַרְתִּי בְאֶרֶץ-מִצְרַיִם, בַּלַּיְלָה הַזֶּה, וְהִכֵּיתִי כָל-בְּכוֹר בְּאֶרֶץ מִצְרַיִם, מֵאָדָם וְעַד-בְּהֵמָה; וּבְכָל-אֱלֹהֵי מִצְרַיִם אֶעֱשֶׂה שְׁפָטִים, אֲנִי יְהוָה.
Veavarti ve-erec misrajim balajlah hazeh vehikeiti hol behovr be-erec misrajim, meadam vead behemah uvehol elohei misrajim e-eseh šefatim ani Yahvé.
« Je parcourrai le pays d’Égypte, cette même nuit ; je frapperai tout premier-né dans le pays d’Égypte, depuis l’homme jusqu’à la bête et je ferai justice de toutes les divinités de l’Égypte, moi Yahvé ! »
Dans la version sacerdotale de l’histoire, de l’Exode, Yahvé endurcit Pharaon pour qu’il reconnaisse qui il est (Ex 7, 3-5). En fin de compte, le roi égyptien doit admettre le pouvoir de Yahvé, mais il figure noyé par celui-ci avec son armée dans la mer Rouge (Ex 14). Aussi les oracles prophétiques, qui concernent l’Égypte, la dépeignent pour un ennemi d’Israël et de Yahvé. De ce fait, ils promettent un destin sombre au pharaon, au même degré qu’en Ez 30-11. Dans ce verset, l’Égypte et son roi sont menacés d’une fin terrible qui, comme dans les textes sacerdotaux du livre de l’Exode, doit conduire à la connaissance de Yhwh.
הוּא וְעַמּוֹ אִתּוֹ, עָרִיצֵי גוֹיִם--מוּבָאִים, לְשַׁחֵת הָאָרֶץ; וְהֵרִיקוּ חַרְבוֹתָם עַל-מִצְרַיִם, וּמָלְאוּ אֶת-הָאָרֶץ חָלָל.
Hu veamov itov arisei govjim, muvaim lešahet ha-arec veheriku harvovtam al-misrajim, umaleu et ha-arec halal.
Lui et son peuple avec lui, les plus violents des peuples, seront amenés pour détruire le pays ; ils tireront leurs glaives contre l’Égypte et rempliront le pays de cadavres.
Peu de textes de la Bible hébraïque brossent un tableau différent du roi égyptien. Ici, on pourrait d’abord mentionner le premier des trois récits dans lesquels le patriarche Abraham fait passer sa femme pour sa sœur. (Gn 12, 10-20.) Dans cette narration, Pharaon répond de manière tout à fait appropriée aux « coups » que lui inflige Yahvé, en reprochant à Abraham son mensonge. Lui redonnant sa femme il le renvoie en Canaan sans réclamer sa grâce. Cette histoire peut certainement être lue comme un récit anti-Exode, dans lequel le roi égyptien joue un rôle positif. Dans ce récit, Pharaon écouta la parole divine et il parla à Abraham au nom de Dieu. Un tel scénario ne se produit que dans deux passages de la Bible hébraïque : dans l’histoire de Joseph et dans la version chronique de la mort de Josias.
Comment évaluer historiquement et théologiquement la relation entre ces deux textes au regard de la représentation du roi égyptien ?
Le problème théologique de la mort du roi Josias.
Dans les livres des Rois, Josias apparaît le plus positif de tous les rois de Judée. « Et il n’y eut pas de roi comme lui qui se tournât vers Yahvé de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force, juste comme Moïse l’avait ordonné. Et après lui, personne ne s’est levé comme lui. » (II Rois 23:25)
Dans cet article, Josias est d’abord présenté comme la seule personne dans toute la Bible qui a compris le שמע ישראל, Shema' Yisrael « Écoute, Israël » du verset 6:4 du Deutéronome :
שְׁמַע, יִשְׂרָאֵל: יְהוָה אֱלֹהֵינוּ, יְהוָה אֶחָ
Shemaʿ Yisrā'ēl Yahvé elohénou Yahvé eḥāḏ
« écoute Israël, Yahvé [est] notre Dieu, Yahvé [est] un »
C’est seulement dans ces deux textes que l’unité lexicale est autrement employée que pour adverbe, mais se trouve utilisée comme substantif (« pouvoir, force »). De plus, l’énoncé d’incomparabilité construit un parallèle entre Moïse et Josias : II Rois 23:25.
Une telle déférence pour Josias, qui se fonde uniquement sur ses « réformes » religieuses contraste fortement dans les livres des Rois avec sa mort peu glorieuse, rapportée brièvement et sans aucun commentaire théologique. « En son temps, Necho, roi d’Égypte, monta contre le roi d’Assyrie sur l’Euphrate. Le roi Josias l’a rencontré et l’a tué à Megiddo quand il l’a vu. Ses serviteurs chassèrent le mort de Megiddo, l’amenèrent à Jérusalem et l’enterrèrent dans son tombeau. » (II Rois 23:29-30a)
Cette note laconique a donné bien des maux de tête aux historiens. On suppose souvent que Josias désirait s’opposer militairement au roi égyptien, qui souhaitait se précipiter au secours des Assyriens, afin d’empêcher les Assyriens de reprendre des forces, ce qui pourrait mettre en danger sa politique expansionniste. Ce faisant, il fut tué par Necho après un bref massacre. Cependant, un combat n’est explicitement assumé que dans II Chr.35. Par conséquent II Rois 23:29s, explique parallèlement que Josias était de facto déjà un vassal égyptien et voulait saluer son maître ou négocier avec lui, mais Necho le considérait comme peu fiable et dès lors le tua. Quoi qu’il en soit, la mort de Josias posa aux rédacteurs des livres des Rois un problème théologique. Il apparaît donc possible que la narration laconique actuelle, qui admet diverses interprétations, ait supplanté un autre récit avec l’intention de mettre sous silence la mort du roi exemplaire. La référence de Necho à Élohim apparut commentée de différentes manières. Certains interprètent la déclaration de Necho selon laquelle Dieu figure avec lui comme une allusion à une statue d’un dieu égyptien qu’il aurait emmené au combat. Josias n’aurait pas dû écouter celui-ci. D’autre part, le v. 22 parle du dieu Josias. Cependant, cette ambiguïté ne ressort nullement claire dans le texte. En effet, la conjoncture ne laisse présager aucune discussion polémique contre les dieux égyptiens. Dans le contexte des Chroniques, l’expression que Dieu demeure avec quelqu’un fait référence aux rois pieux de Juda et d’Israël (I Chr 17 :2 : David ; II Chr 1 : 1 : Salomon ; II Chr 15 : 9). Le but du chroniqueur dans cette section est de montrer que le mot Élohim ouvre la possibilité d’un dialogue théologique entre les rois d’Égypte et de Judée. Necho apparaît ainsi identiquement stylisé en tant que serviteur de Dieu et précurseur de Cyrus. L’histoire de Joseph se rapproche le plus de cette théologie universelle, qui figure également susceptible d’être liée au chroniqueur en matière de temps.
Joseph et le Pharaon dans Gn 37-50
Dans l’érudition plus récente, surtout européenne, de l’Ancien Testament, à part quelques exceptions, l’opinion est de plus en plus soutenue que l’histoire originale de Joseph, qui est écrite approximativement en Gn 37* ; 40-45* ; 46:28-33 ; 47:1-12 ; 50:1 — 11.14-21.26 « Après que Dieu vous ait fait connaître tout cela, il n’y a personne d’aussi intelligent et de plus sage que vous. C’est vous qui dirigerez ma maison, et vos ordres seront tous les miens. Les gens obéissent ; c’est seulement pour le trône que je veux être plus haut que toi. » (Gn 41)
Le récit est ici très condensé. Le roi d’Égypte demanda à ses serviteurs s’il pouvait trouver quelqu’un d’aussi doué spirituellement que Joseph. Mais alors, sans attendre de réponse, se tourna directement vers Joseph et légitima son incomparable sagesse en disant qu’elle lui fut donnée par Dieu. Cela signifie que Pharaon possède un rôle quasi prophétique, puisqu’il légitime divinement la nomination de Joseph comme vizir. Ceci est d’autant plus significatif qu’à l’exception du chapitre secondaire de Gn 39, le narrateur de l’histoire de Joseph ne donne jamais directement une interprétation théologique des événements, mais la met toujours dans la bouche des protagonistes. Il choisit le pharaon pour montrer que la brillante carrière de Joseph en Égypte correspond au plan de Dieu.
Comparaison entre Joseph et Josias
Dans II Chr 35 et dans Gen 41, Josias et Joseph se tiennent devant un roi égyptien qui invoque Dieu (Élohim) contre eux. Les auteurs des deux épisodes supposent que les Égyptiens et les Hébreux peuvent se comprendre par rapport à « Dieu ». Le dieu invoqué dans les deux textes n’est ni égyptien ni israélite, il ressort universel. II Chr 35,29-35 ainsi que Gen 41 reflètent un monothéisme inclusif et devraient tous deux appartenir à la fin de la période perse ou au début de la période hellénistique. Le comportement de Josias et Joseph envers le roi égyptien et leurs destins sont diamétralement opposés, mais dans les deux cas le pharaon apparaît comme un agent légitime de la volonté divine. Une image aussi positive du souverain égyptien se trouve inhabituelle dans la Bible hébraïque. Il exprime peut-être une inquiétude de la diaspora juive en Égypte et peut-être une utopie théologique que l’on retrouve dans l’un des textes les plus récents du livre d’Isaïe.