La première des attitudes :
C’est celle de comprendre ce que l’on croit, ce qui semble évident, mais qui est cependant une attitude peu répandue.
Le protestantisme libéral se veut à la recherche d’une foi intelligente. Il rejette la séparation entre la religion et la réflexion. On rencontre trop souvent dans le christianisme une infinité de courants (cependant tout à fait respectables), qui voient dans la foi un saut dans l’irrationnel, une rupture avec les logiques humaines, une acceptation d’un mystère indépassable. Ces courants de pensée opposent, comme le faisait Pascal, le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, au Dieu des philosophes et des savants. Dans leur vision religieuse, la révélation biblique n’a rien de commun avec la pensée philosophique, et la foi demande qu’on impose silence à la raison, bref que l’intelligence se soumette.
Le protestantisme libéral qu’en a lui prône : continuité, cohérence, corrélations, correspondances. Il instaure une forme de dialogue avec la culture. Sans nier qu’il y ait du mystère, mais sans opposer la foi à la raison, il cherche au contraire, à les faire se rencontrer et collaborer. Comme l’écrit Paul Johannes Tillich : « Contre Pascal, je dis : le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et celui des philosophes est le même Dieu ».
Albert Schweitzer est le penseur qui illustre le mieux cette première préoccupation et orientation. Il souligne que la pensée est très menacée dans notre monde. La société moderne ne fait pas très grand cas de la réflexion ; elle lui préfère l’action et la technique. Elle cherche l’efficacité, la rentabilité ; elle se méfie de ceux qui s’interrogent, qui posent des questions, qui mettent en cause ses postulats. Ils troublent, dérangent, perturbent, et on les écarte autant que possible. De plus, la vie moderne consomme énormément de temps. Elle fait de nous des êtres agités et superficiels. Quantité de choses, aussi intéressantes les unes que les autres, nous sollicitent. Nous sommes sans cesse obligés de nous dépêcher, d’aller vite, de sauter d’une occupation à une autre, dans une sorte de perpétuel zapping. De plus, la pensée nous fatigue, souvent elle nous trouble, nous inquiète, et nous dérange. Pourtant, elle fait la grandeur et la dignité de l’être humain. Y renoncer revient à appauvrir, à mutiler notre humanité.
La religion a besoin de la pensée pour ne pas s’égarer ou se rabougrir. La spiritualité trouve en elle non pas un adversaire, mais une alliée précieuse, voire indispensable. La raison bien conduite, la raison authentique, la raison raisonnable n’est pas, en effet, rationaliste. Elle reconnaît que quantité de choses lui échappent, qu’elle est incapable de percer le mystère de l’univers et de la vie. Elle accepte ses propres limites, et donc l’existence de dimensions qui la dépassent. Cependant, elle entretient un esprit de critique et d’ouverture. Elle empêche de croire, de dire ou de faire n’importe, quoi.
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Actuellement, on voit apparaître des formes de piété émotives et exubérantes, que les sociologues qualifient de « chaudes ». Elles cultivent l’affectivité, et elles craignent la pensée. On voit aussi se développer des groupes très dogmatiques, des courants intégristes qui enseignent à leurs adhérents ce qu’ils doivent faire, affirmer, et qui les dispensent donc de l’effort de chercher, de réfléchir, de juger, de se faire par eux-mêmes une opinion. Ils offrent le confort et la paresse des certitudes toutes faites. Ils épargnent des remises en question et des interrogations parfois pénibles. Pour le protestantisme libéral, le croyant est toujours quelqu’un en quête de la vérité, quelqu’un qui ne la possède pas, mais qui doit sans cesse la découvrir, et, une fois qu’il l’a découverte, l’explorer. La foi a, certes, besoin de ferveur, de conviction et de sentiments ; bien sûr, elle expérimente l’ineffable ou l’incompréhensible, et elle respecte le secret ou le mystère de Dieu. Mais n’oublions pas que la Bible nous demande d’aimer Dieu non seulement de tout notre cœur et de toutes nos forces, mais aussi de toute notre pensée. Loin d’affaiblir et de menacer la foi, la réflexion l’approfondit et la consolide. Elle constitue la meilleure défense contre les extrémismes politiques et les intégrismes religieux qui nous guettent et nous menacent.
D, D