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L’expiation de Jésus-Christ une rançon payée, une théologie insoutenable

Quel lien peut-il avoir entre la mort de Jésus-Christ et nos péchés ?

 

Une doctrine est l'ensemble d’opinions, de croyances, de principes, de thèses ou de conceptions théoriques qui font partie d'un enseignement ou/et que l'on adopte. Elles peuvent être d'ordre politique, économique, philosophique, religieux, scientifique… Elles ont pour but d’imposer aux membres d’un groupe une interprétation des faits. Lorsqu'une autorité religieuse, politique… Énonce une doctrine de manière exclusive, on parle alors de dogme.

La doctrine prend une dimension idéologique si elle forme un système unique et cohérent de représentation du monde que l'on accepte sans réflexion critique.

Donc la doctrine de l’expiation des pêchés de l’humanité par la mort violente de Jésus-Christ exige de répondre « OUI » à l’interrogation suivante :

« Était-il nécessaire que Jésus-Christ traverse sa Passion, subisse tant de violence et meurt sur une Croix pour que nous soyons sauvés ? ».

Tout d’abord sachez que l'expiation est une doctrine rencontrée au sein de multiples religions telles que le christianisme, le judaïsme, l'islam et dans la religion du monde indien appelée jaïnisme. Elle décrit la façon dont le péché peut être pardonné par Dieu.

Si au nom de la raison l’on demande pourquoi devrais-je y croire ? La réponse est encore plus interrogative. On vous répondra sans doute :

Cela fait partie du fondement même de la foi chrétienne : « Dieu s'est incarné en Jésus-Christ, et Jésus est mort et il est ressuscité. »

La question tourne donc autour du : Pourquoi l'incarnation, pourquoi la mort et la résurrection de Jésus ?

Dès les premiers Credo chrétiens, la réponse est parfaitement claire : "Pour nous les hommes et pour notre salut". Voilà en ce que vous devez croire.

Pourtant, sachez que ce scénario ne repose sur aucune base scripturaire sérieuse, et incontestable. Toutes les argumentations avancées dans le sens d’une mort de Jésus-Christ pour expier les péchés sont sujettes à interprétation.

Le mot credo est la transcription du latin « Je crois ». Chacun affirme ainsi, personnellement, ce en quoi il croit. Mais aujourd'hui, les chrétiens ne croient plus par obligation, par tradition familiale ou nationale, mais en raison d'une décision personnelle et libre. D'où l'importance accrue de ce « Je », qui débute le Credo.

Mais ce « je crois » qui est demandé comme acte de foi doit être compris comme j’ai la foi en ce que d’autres m’ont dit : c’est en quoi tu dois croire. Mais sachez que ce en quoi on vous demande de croire et placer votre foi n’est basé sur aucun texte scripturaire sérieux. Personnellement, j’attends toujours de leur part de faire la démonstration de leur doctrine de l’expiation.

Après cela, vous pouvez bien refuser l'incroyable scénario d'un Dieu qui, courroucé par le péché des hommes, n'est apaisé que par le sang de son fils !

Donc si vous êtes comme moi, le lien entre la mort de Jésus-Christ et la rémission des péchés vous préoccupe. Vous vous demandez si la mort de Jésus sur la croix était vraiment nécessaire pour nous "racheter". Et pourquoi le Père, pour accepter de "passer l'éponge" sur nos péchés, demanderait à son Fils de souffrir et de mourir. La mort du Christ, un rachat, un paiement ? À qui ? Au Père pour en "apaiser le courroux" ? Au diable qui aurait des droits à faire valoir ? Vous avez raison, tout cela est incroyable.

Le rôle rédempteur de Jésus-Christ est de plus en plus conçu, dans un sens religieux et moral, comme action sur les êtres humains et de moins en moins dans le sens juridique d'un sacrifice sanglant destiné à apaiser la colère de Dieu.

Nombreux sont ceux qui cependant tiennent encore très fortement à la conception de la mort du Sauveur authentiquement renfermée dans le Nouveau Testament et qui souscrivent sans arrière-pensée et sans atténuation à la formule de l’apôtre Paul : « Jésus-Christ, notre Seigneur, qui a été livré pour nos offenses et qui est ressuscité pour notre justification. »

Cependant, à l'heure actuelle la grande majorité des pasteurs ne croient ni ne prêchent plus la doctrine orthodoxe de La Trinité, ni le dogme des peines éternelles ou celui de la satisfaction vicaire sous la forme juridique que lui ont donnée un Anselme de Cantorbery et les scolastiques protestants des siècles passés, à part dans les milieux protestants évangéliques.

Il n’existe pas de terme grec, dans les Évangiles et les épîtres, exprimant directement, et nettement, l’idée d’expiation. On est donc encore là dans un problème de traduction et d’interprétation.

Certains ont trouvé une parenté de cette notion avec les notions de propitiation — hilasmos, hilaskesthaï — (1 Jean 2.3 ; 1 Jean 4.10 ; Hébreux 2.17) ; Or le propitiatoire est le couvercle de l'Arche d'alliance. Le mot est une substantivation, c’est-à-dire la substantivation ou nominalisation qui consiste à transformer en substantif un mot qui n'appartient pas originellement à cette catégorie or cette substantivation qui est antérieure à 1170, mais postérieur au troisième siècle de l'adjectif latin, et français, qui qualifie toute action, dite propitiation, comme un sacrifice, ou tout monument (temple, mausolée) visant à rendre propice, c'est-à-dire à s'attirer les faveurs (pardon, grâce divine) ou la clémence de la divinité, de la puissance ou de l’autorité morale qu’on veut honorer ou dont on veut célébrer le souvenir, la force ou l’importance. Or à l’origine quand les textes évangéliques furent rédigés le terme désignait le couvercle de l’arche de l’alliance et était à comprendre comme l’endroit favorable pour rencontrer ou entré en relation avec Dieu. Ainsi donc doit être compris Jésus-Christ (non pas son sacrifice) mais sa personne comme l’endroit favorable d’une rencontre avec Dieu on est donc loin d’une idée d’expiation. D’autres ont trouvé aussi le terme de rédemption — lutrôsis, apolutrôsis — (Luc 21.28 ; 1 Corinthiens 1.30 ; Romains 3.24 ; Romains 8.23 ; Colossiens 1.14 ; Éphésiens 1.7 ; Éphésiens 1.14 ; Éphésiens 4.30 ; Hébreux 9.12 ; Hébreux 9.15 ; Hébreux 11.35) ; (Marc 10.45 ; Matthieu 20.28; Luc 24.21 ; 1 Timothée 2.6 ; Tite 2.14 ; 1 Pierre 1.18) ; (Galates 3.13 ; Galates 4.5 ; 1 Corinthiens 6.20 ; 1 Corinthiens 7.23 ; 2 Pierre 2.1 ; Apocalypse 5.9) ; (1 Corinthiens 5.11 ; 2 Corinthiens 5.18 ; Romains 5.10 ; Romains 11.16 ; Colossiens 1.20 ; Éphésiens 2.16).

La signification du mot « rédemption » exemple : « votre rédemption approche, » nous dit Jésus. Dans quel sens la Bible parle-t-elle d'une rédemption qui approche ? Comment comprendre qu'elle soit « proche » ? N'est-elle pas déjà arrivée ?

Le terme « rédemption » dans les Écritures correspond dans son essence au mot « salut ». « Votre rédemption approche » signifie « Votre salut approche » Prenons par exemple le premier chapitre de Luc, Luc 1.68-73. Voici les paroles de Zacharie, le père de Jean le Baptiste.

Luc 1.68. Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, d’être intervenu en faveur de son peuple, d’avoir assuré sa rédemption.

69 et de nous avoir suscité une corne de salut (nous voyons ici que 'rédemption' et 'salut' sont mis en parallèle) dans la maison de David, son serviteur,

70 — comme il en a parlé par la bouche de ses saints prophètes d’autrefois

71 un salut (le mot 'salut' apparaît à nouveau) qui nous délivre de nos ennemis et de tous ceux qui nous détestent.

72 C’est ainsi qu’il montre sa compassion envers nos pères et qu’il se souvient de son alliance sacrée,

73 selon le serment qu’il a juré à Abraham, notre père ; ainsi nous accorde-t-il,

74 après avoir été délivrés (c'est-à-dire, 'après avoir été sauvés') des ennemis, de pouvoir sans crainte lui rendre un culte…

Ce passage a pour objet le salut, la délivrance. Nous voyons que le mot « rédemption » est utilisé dans le sens du « salut » et vice-versa.

Le salut est défini comme étant le fait d'échapper à un danger, à un mal, à la destruction etc.

Pour une meilleure compréhension, nous allons recourir au sens étymologique des mots employés dans les écritures pour signifier le salut.

En hébreu, ?????? (yesha‘) est un terme qui peut être traduit en français par sauver, salut, secours, sauveur,.... Il s'applique tant au salut physique qu'au salut spirituel. Pour le Grec : σωτηρ?α, (sôtêria, salut). Ce mot vient du verbe grec, sôzô qui veut dire sauver. le mot sotéria est un mot inclusif. En lui seul, ce mot veut dire : délivrance, sécurité, protection, préservation, guérison, vitalité, santé spirituelle. Donc jésus est le sauveur celui qui apporte la santé spirituelle. On est donc ainsi compris là encore loin du sans de rachat et de rançon.

Aux premiers siècles du christianisme, et plus encore au Moyen-Âge, ont fleuri un certain nombre de compréhensions, d'interprétations, d'explications concernant la manière dont Jésus nous a sauvés et sa mort sur la croix. On les a appelés : enseignements doctrinaux. Il y eut la doctrine dite de la rançon payée. Celle-ci s'appuyait sur des paroles que Jésus, aurait dites : "le Fils de l'homme est venu non pas pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme rançon de plusieurs". Il s’agit bien sûr d’une traduction du grec il en existe une autre que je préfère : « le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie afin d’affranchir une multitude ». De qui parle Jésus quand il parle de « Fils de l’Homme » ? Il parle de lui mais il parle tout autant de chacun de nous. Car « fils de l’homme », c’est littéralement en hébreu un descendant d’Adam, un terrien, un être humain, et si quelques fois cette expression sert à désigner le Messie, la plupart du temps cette expression veut dire dans la Bible « quelqu’un comme vous et moi ». Nous sommes donc, selon Jésus, nous tous, nous toutes et Jésus aussi, appelés à servir et donner notre vie pour d’autres.

Hélas dans certaines de nos traductions, il est traduit : « donner sa vie en rançon pour une multitude ». Cette traduction est à l’origine d’un des plus grands malentendus sur ce que Jésus-Christ nous a apporté, comme si avec sa mort il avait payé pour nous la note, payé à Dieu ou payé au diable ? Qu’importe, cette traduction du mot grec λ?τρον (lutron) ou du verbe lutroo en payer une rançon serait exact en grec classique mais pas en grec biblique et ancien. Car dans la Bible ce verbe veut dire simplement libérer un esclave, sans qu’il soit question de rançon. Par exemple, la Pâque rappelle que Dieu a libéré les Hébreux hors d’Égypte, le terme employé est λ?τρον (lutron), or il n’y a pas été question de rançon, Dieu les a fait s’échapper, il les a nourris et mis en chemin vers la vie en abondance. Ici dans ce verset Jésus, nous appelle à servir en libérant l’autre. En lui permettant de s’épanouir et d’être un lui-même plus en forme, avec ce qu’il peut apporter au monde d’authentique. Pour faire cela, oui, cela demande de se décarcasser un petit peu, peut-être pas de « donner sa vie » au sens de donner sa mort, car alors nous ne serons pas avancés et le monde non plus en étant privé de nous, mais nous pouvons intégrer dans notre vie le sens du service. Donner ou vouer sa vie à une cause ne veut pas dire systématiquement mourir pour cette cause, mais consacrer toute son énergie et tout son temps.

Si la rançon à payer était la vie même de Jésus, dans ce cas, à qui payait la rançon ? La vraie question est là. Or au Moyen-Âge, alors que l’on croyait fortement à l’existence et l’intervention du diable dans la vie des hommes et des femmes, on croyait dur comme fer que Dieu était le payeur et comme Il ne pouvait se payer à lui même il fut dit que c’était le diable qui recevait la rançon. Dans les Mystères représentés sur les parvis des cathédrales, on évoquait souvent cette espèce de marché de dupes que le diable aurait passé avec Dieu, en échangeant les hommes qu'il tenait captifs à cause de leurs fautes contre la personne de Jésus. Ainsi fut incluse dans le Symbole des apôtres, la descente aux enfers de Jésus. Mais, disait-on alors, Jésus étant sans faute, il ne pouvait pas être retenu captif par le diable. Par conséquent, le diable in fine a conclu un marché de dupes. Ainsi, les Mystères représentaient toujours le diable comme dépité.

On a aussi évoqué la doctrine de l'expiation, qui rejoint un peu la position d'Anselme. Là, Dieu est en colère. L'homme n'est pas solvable. Il ne peut payer sa rançon en vue de sa libération. Un généreux donateur vient alors payer à sa place le prix de sa liberté. Celui qui se substitue généreusement est, bien entendu, Jésus. À ce moment-là, celui qui reçoit le prix est Dieu. Dans cette perspective, le diable n'intervient plus. Il s'agit simplement d'apaiser la colère d'un Dieu courroucé qui a, par conséquent, des comptes à régler avec l'humanité.

De façon plus générale, on a aussi parlé au Moyen-Âge de la doctrine de la propitiation. Rendre un culte à Dieu, c'est faire un sacrifice pour se rendre Dieu favorable, propice. Ici encore, Dieu reçoit l'offrande. L'offrande offerte est la personne de Jésus.

Ultérieurement, quelles ont été les propositions ?

La plus officielle est celle de l'église catholique, qui parle du mystère ou de la réalité de la "transsubstantiation". Lorsque le prêtre élève et sanctifie l'hostie et le vin au moment de la messe, ceux-ci deviennent corps et sang de Jésus. Or ce corps et ce sang renouvellent le sacrifice de Jésus. Par conséquent, le prêtre, au nom des fidèles assemblés, offre à Dieu le sacrifice de Jésus. En échange, l'ensemble des fidèles reçoit le pardon de ses fautes. Donc cela reste une perspective sacrificielle. Du côté protestant, en ses débuts et de façon classique, on n’était pas très loin de ce schéma. Karl Barth affirme que la vie de Jésus-Christ est abaissement. Elle est faite d'échecs et non de succès, de souffrance et non de joie. Mises en évidence, la révolte de l'homme contre Dieu et la colère de Dieu contre l'homme en sont les conséquences nécessaires. Voilà ce dont parlait Karl Barth. Mais la révolte de l'homme permet aussi à Dieu de manifester sa miséricorde. Elle lui fait prendre en compte le destin de l'homme, c'est-à-dire son abaissement, ses échecs, ses souffrances, en vue de l'en délivrer. Bien entendu, que ce soit dans la doctrine catholique ou dans la doctrine protestante classique, lorsque la souffrance de Jésus et son rôle sacrificiel sont mis ainsi en exergue, cette souffrance devient exemplaire. Elle est recherchée en elle-même et pour elle-même. L'incidence éthique est que la souffrance est sanctifiée pour elle-même. On va chercher à reproduire les souffrances du Christ et à s'associer à elles pour participer à l'équilibre du monde, à cet acte de sacrifice « qui plaît à Dieu » et qui est nécessaire au salut du monde et de l'humanité. C'est donc symboliquement une invitation à reproduire le chemin de Croix. C'est un sens du devoir. Il faut soi-même se donner, se sacrifier. C'est certes une vision triste et tragique de la vie présente puisque, pour se sauver de cette vie, il faut payer un prix très élevé. Cela va de pair avec la vision d'un Dieu redoutable et redouté, dont il faut apaiser le courroux.

Selon Anselme, la Croix concilie la miséricorde et la justice de Dieu. En fait, sa thèse détruit l’une et l’autre. En quoi Dieu fait-il ici preuve de miséricorde ? Il se préoccupe beaucoup de ses intérêts et de sa gloire. Il envoie son Fils à une mort horrible pour satisfaire son honneur. Il pardonne seulement quand on l’a payé. On est très loin du salut gratuit enseigné dans les évangiles par Jésus lui-même. Et en quoi le supplice d’un innocent à la place d’un coupable satisfait-il la justice ? N’est-ce pas une scandaleuse injustice ?

Cette doctrine, froisse notre conscience, je la considère, et je la ressens comme une sorte d'injure à l'égard du Père céleste, comme une atteinte à sa justice et à sa bonté. Aussi j’ai toujours peine à croire qu'elle puisse être professée de nos jours encore par des chrétiens intelligents et pieux, si je ne savais l'influence énorme de la tradition et de l'éducation sur la formation et la ténacité de nos idées. Ce que je sais aussi, c'est combien nous restons attachés aux formules dans lesquelles nous avons l'habitude d'exprimer des expériences religieuses qui nous sont chères, et quelle peine nous avons à désassocier l'expérience, la vérité religieuse qui est devenue partie intégrante de notre âme et de notre vie, de la formule théologique dans laquelle nous avons appris à l'envelopper. C'est pourquoi, si les pages qui vont suivre sont de nature à scandaliser, ou tout au moins à froisser les sentiments religieux des tenants de la doctrine de l'expiation, que ces frères et sœurs se souviennent à leur tour que cette doctrine nous paraît, et à d'autres aussi, une monstruosité dogmatique après vingt et un siècles de christianisme. Et si je la combats ici, ce n'est ni seulement ni surtout parce qu'elle blesse ma raison laïque, mais bien plutôt parce qu'elle froisse et porte atteinte à la haute idée qui selon l’enseignement de Jésus-Christ nous avons appris à nous faire de Dieu, comme notre Père céleste, et c'est parce que je veux avec son aide et malgré nos faiblesses, contribuer à son honneur, à sa louange et à sa gloire parmi les hommes de notre génération.

Chacun sait que chez le peuple d'Israël, comme chez la plupart des autres peuples, un des éléments essentiels du culte, privé ou public, consistait dans différentes sortes de sacrifices.

Sur ce point, la loi lévitique ne fit guère que développer et codifier des usages déjà existants. C'est ainsi qu'elle institua des sacrifices d'expiation destinés à réconcilier avec l'Éternel le pécheur qui y recourait, autrement dit à lui procurer le pardon de son péché. Seulement ces sacrifices n'étaient valables que pour les péchés commis par erreur et non de propos délibéré. Mais les prophètes et les psalmistes, non contents de réagir contre les abus d'un ritualisme qui conférait au sacrifice une vertu par lui-même, indépendamment des dispositions morales du sacrifiant, se sont déjà élevés à l'idée que la miséricorde de Dieu ne connaît pas de limites et qu'il peut et veut pardonner tout péché quelconque, pourvu que son auteur s'en repente sincèrement et soit disposé à changer de conduite. Voici ci-dessous quelques exemples caractéristiques de cette conception religieuse supérieure.

2 Chron. 7, 14 : « Si mon peuple, sur qui est invoqué mon nom, s'humilie, prie et cherche ma face, et s'il se détourne de ses mauvaises voies, je l'exaucerai du ciel, je lui pardonnerai son péché et guérirai son pays. »

Néhémie 9, 17 : « Mais toi, tu es un Dieu prêt à pardonner, compatissant et miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté. »

Ps. 25, 6, 7, : « Éternel, souviens-toi de ta miséricorde et de ta bonté, car elles sont éternelles. Ne te souviens pas des péchés de ma jeunesse, ni de mes transgressions ; souviens-toi de moi selon ta miséricorde, à cause de ta bonté… C'est à cause de ton nom, ô Éternel, que tu pardonneras mon iniquité car elle est grande. »

Ps. 22, 5 : « Je t'ai fait connaître mon péché, je ne t'ai point caché mon iniquité ; j'ai dit : je veux confesser à l'Éternel mes transgressions, et voici, tu as effacé la peine de mon péché. »

Ps. 51, 18-19 : « Tu ne prends pas plaisir aux sacrifices, autrement je t'en offrirais, et l'holocauste ne t'est point agréable. Les sacrifices agréables à Dieu, c'est un esprit brisé : ô Dieu, tu ne dédaignes pas un cœur brisé et contrit. »

Ps. 103, 3, 8-12 : « C’est l'Éternel qui pardonne toutes tes iniquités… L'Éternel est compatissant et miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté. Il ne conteste pas à perpétuité, il ne garde pas sa colère à toujours. Il ne nous a pas faits selon nos péchés et ne nous a pas rendus selon nos iniquités. Car autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sa bonté est grande sur ceux qui le craignent. Il a éloigné de nous nos transgressions autant que l'orient est éloigné de l'occident. »

Ps. 104. 4 : « Éternel, situe prends garde aux iniquités. Seigneur, qui subsistera mais le pardon se trouve auprès de toi afin qu'on te craigne. »

Esaïe xLiv, 22 : « Israël... j'ai effacé tes transgressions comme

Un nuage et tes péchés comme une nuée : reviens à moi, car je t'ai racheté. »

Esaïe 55, 7 : « Que le méchant abandonne sa voie et le criminel ses pensées : qu'il se convertisse à l'Éternel et il lui fera grâce, à notre Dieu, car il ne se lasse pas de pardonner. »

Jérémie 3, 12 & 13 : « Reviens, infidèle Israël, dit l'Éternel. Je ne veux pas vous montrer un visage sévère, car je suis miséricordieux, dit l'Éternel, et je ne garde pas ma colère à toujours. Seulement, reconnais ta faute, car tu as été infidèle à l'Éternel, ton Dieu. »

Jérémie 3, 22 : « Revenez, enfants rebelles, je pardonnerai vos infidélités. »

Jérémie 5, 1 : « Parcourez les rues de Jérusalem et regardez, informez-vous et cherchez si vous y trouvez un homme, s'il en est un qui pratique la justice et qui recherche la fidélité, et je ferai grâce à la ville. »

Ezéchiel 18, 21-32 : « Si le méchant se détourne de tous les péchés qu'il a commis, s'il observe tous mes préceptes et agit selon le droit et la justice, il vivra, il ne mourra pas. Toutes les transgressions qu'il a commises, on ne s'en souviendra plus; à cause de la justice qu'il aura pratiquée, il vivra. Prendrai-je plaisir à la mort du méchant, dit le Seigneur l'Éternel N'est-ce pas plutôt à ce qu'il se détourne de ses voies et qu'il vive ? »

Ainsi donc, il y a eu en Israël, avant Jésus-Christ, des hommes pieux qui ont fait l'expérience que Dieu fait grâce à qui se repent sincèrement de ses péchés, sans qu'il soit préalablement nécessaire de lui offrir des sacrifices pour le péché. On cherchera à infirmer cet argument par la remarque que les prophètes ont néanmoins entrevu pour l'avenir l'avènement d'une nouvelle alliance entre Dieu et son peuple, d'un nouveau rapport religieux caractérisé précisément par la grâce du pardon. Cette remarque est juste, mais non l'objection qu'on en tire. Il ne faut pas oublier, en effet, que l'Israélite pieux croyait à une corrélation réelle entre le rapport de l'homme avec Dieu et sa condition terrestre. Pour sa conscience, l'homme en état de grâce devant Dieu devait en avoir un signe visible dans sa prospérité matérielle, la bénédiction visible de Dieu devant reposer sur l'homme à qui il fait grâce. Comme l'expérience journalière ne montre pas toujours cette corrélation, il en résultait que l'Israélite pieux était facilement ébranlé dans sa possession de la grâce divine par les malheurs qui lui survenaient. Il y voyait des marques de sa disgrâce devant Dieu, et, par là, ses malheurs lui étaient encore plus durs à supporter. Ce n'est pas un des moindres bienfaits de l'Évangile que de nous avoir appris, par l'exemple même de Jésus-Christ, que l'on peut avoir beaucoup d'afflictions dans ce monde tout en étant l'objet de l'amour de Dieu.

Le second argument biblico-historique que nous relèverons, c'est le fait qu'avant sa mort sur la croix, Jésus a pardonné les péchés en plus d'une occasion, ainsi au paralytique de Capernaum que l’on fit passer par le toit (Marc 2, 1-12), à la pécheresse dans la maison de Simon le pharisien (Luc 7, 37 à 50), à la femme adultère en (Jean ch 8).

Mais mon principal argument contre cette doctrine de l'expiation, et qui doit être décisif pour tous ceux qui suivent avant toute chose l'enseignement de Jésus-Christ, c'est que, non seulement Jésus-Christ ne l'a pas du tout professée, mais qu'elle est absolument contraire à son enseignement.

Notons, en premier lieu, trois paraboles qui traitent précisément des conditions auxquelles Dieu pardonne ou justifie, et par conséquent admet, à entrer en communion avec Lui. C'est la parabole de l'enfant prodigue que l’on retrouve dans Luc au chapitre 15, où, dès que le père, qui représente ici Dieu, voit venir de loin son fils repentant, s'empresse au-devant de lui, l'embrasse et le traite comme un enfant chéri. Évidemment, nous sommes ici aux antipodes des sentiments que la doctrine de l'expiation suppose en Dieu. C'est ensuite la parabole du serviteur impitoyable de Matthieu chapitre 18 (23-35), où le roi remet gratuitement l'énorme dette de l'un de ses serviteurs, parce qu'il est ému de compassion à la vue de la détresse de ce débiteur insolvable qui reconnaît franchement sa dette. Mais ledit serviteur n'ayant pas, à son tour, usé de miséricorde envers un de ses camarades qui ne lui devait que cent deniers, son maître, instruit de ce manque de pitié, le trouve indigne de la compassion qu'il lui a témoignée et le fait jeter en prison jusqu'à extinction de sa dette. Et Jésus de conclure : C'est ainsi que vous traitera mon Père céleste, si chacun de vous ne pardonne pas de tout son cœur. De ce propos, il apparaît clairement que, si le premier débiteur avait remis la dette de son compagnon débiteur, la remise de la sienne lui eût été définitivement acquise, sans qu'il eût besoin d'une tierce personne pour payer sa dette à sa place. C'est enfin la parabole du pharisien et du péager en Luc chapitre 18 (9-14), où il est dit du péager, qui n'osait pas même lever les yeux au ciel tant il se sentait pécheur, et qui demandait humblement pardon à Dieu : « Je vous le dis, celui-ci s'en retourna dans sa maison justifié plutôt que l'autre ». Or pourquoi fut-il justifié plutôt que l'autre ? Ce ne fut pas parce qu'il avait cru en Jésus-Christ et à la vertu expiatoire de son sacrifice, puisqu'il n'en est pas question du tout dans la parabole, mais uniquement parce que son repentir était sincère et profond.

À ces paraboles, on peut ajouter les déclarations suivantes du Maître Jésus dans le sermon sur la montagne :

Mat. « Heureux les miséricordieux, car il leur sera fait miséricorde, » parallèle à Luc ch 6, : « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. »

Mat. 6, 12 : « Remets-nous nos dettes comme nous les remettons, à nos débiteurs, » parallèles à Luc ch 11 : « Pardonne-nous nos péchés, car nous les pardonnons à quiconque nous doit. »

Mat. 6, 14 et 15 : « Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs fautes, votre Père ne pardonnera pas non plus vos fautes, » Parallèle à Marc ch 11, 25 : « Quand vous vous levez pour prier, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos fautes. »

Mat. 9, 13 : « Allez et apprenez ce que signifie cette parole : Je veux la miséricorde et non le sacrifice, » comme au chapitre 18, 21-22 du même auteur : « Alors Pierre, s'étant approché, dit à Jésus : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, quand il aura péché contre moi ? Sera-ce jusqu'à sept fois ? Jésus lui répondit : Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois. » Parallèle à Luc 17 : 3-4 : « Si ton frère a péché, reprends-le, et, s'il se repent, pardonne-lui. Et s'il a péché contre toi sept fois en un jour, et que sept fois il revienne à toi et te dise : Je me repens, tu lui pardonneras. »

Luc 6, 37 : « Ne jugez point, et vous ne serez point jugés ; ne condamnez point et vous ne serez point condamnés ; pardonnez et on vous pardonnera, » parallèle en Matthieu 7, 1-2. : «Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l'on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez. » 

Voilà des paroles singulièrement claires et précises, et qui nous montrent, d'une part, que, puisque Dieu nous pardonne gratuitement nos multiples manquements, à la seule condition que nous le lui demandions avec un sincère repentir, nous aussi, qui devons nous appliquer à être parfaits comme le Père céleste est parfait, nous devons, à notre tour, pardonner les manquements des hommes qui nous ont offensés, dès qu'ils nous en témoignent un sincère regret. D'autre part, elles nous apprennent que, si nous pardonnons à nos frères leurs fautes envers nous, Dieu nous pardonnera aussi les nôtres. Il n'y a pas d'autre condition à son pardon, toujours sous la réserve que le pécheur reconnaisse sa faute et s'en repente sincèrement, attendu que c'est là la sauvegarde de l'ordre moral et de la sainteté de Dieu.

Si l'on voulait affaiblir la portée de ces paroles si significatives de Jésus-Christ en faisant remarquer qu'entre pécheurs le pardon réciproque en présence du repentir de l'offenseur est une obligation bien naturelle, tandis qu'il ne saurait en être de même pour Dieu, toujours juste et bon envers ses créatures, et n'ayant par conséquent nul besoin de pardon pour lui-même, je répondrais simplement par le dilemme suivant : ou bien le pardon gratuit de l'offense commise, quand l'offenseur en ressent et exprime un véritable repentir, constitue une conduite moralement supérieure à celle qui consiste à ne pardonner que sous condition, non seulement du regret de l'offenseur, mais aussi d'un dédommagement offert à l'offensé par l'offenseur ou par une tierce personne; ou bien c'est cette seconde manière d'agir qui est moralement supérieure à la première. Dans le premier cas, on ne peut faire autrement que d'attribuer à Dieu, norme suprême du bien et du mal, la première manière d'agir, et nous devons la pratiquer également dans nos rapports entre hommes. Dans le second cas, qui est celui admis par les tenants du dogme de l'expiation, nous ne devons pas pardonner gratuitement à notre prochain, même quand il exprime ses regrets de sa conduite à notre égard, mais nous devons, puisqu'il nous faut être les imitateurs de Dieu, encore exiger de l'offenseur une compensation pour le tort moral ou matériel qu'il nous a causé ; il doit expier sa faute autrement encore que par le regret qu'il éprouve de sa manière d'agir et par le désir qu'il a d'une conduite meilleure. Or, qui ne se rend pas immédiatement compte qu'une telle manière d'agir serait absolument contraire à l'esprit de l'Évangile, et alors comment, en bonne logique, pourrions-nous approuver et admirer chez Dieu un mode de conduite que nous, chrétiens, nous condamnons chez les hommes ? Comment pourrions-nous attribuer à l'auteur de la loi morale une attitude différente de celle que sa loi prescrit ?

Les déclarations de Jésus-Christ que je viens de relever dans les Synoptiques ne sont d'ailleurs que la conséquence naturelle et logique des conditions générales du salut que Jésus indique dans ces mêmes synoptiques. Ces conditions se résument en une seule : la pratique de la volonté de Dieu, pratique qui, pour des hommes pécheurs, débute par la conversion ou repentance. Jamais Jésus ne fait figurer dans les conditions du salut la foi à la valeur expiatoire de sa mort.

Pour ne pas allonger outre mesure cette étude je me borne à quelques citations caractéristiques :

Mat. 7, 21 : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux, mais ceux-là seulement qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux. »

Marc 3, 35 : « Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, et ma sœur et ma mère. »

Luc 10, 25-28 : « Un docteur de la loi se leva pour mettre Jésus à l'épreuve et lui dit : Maître, que ferai-je pour hériter de la vie éternelle ? Jésus lui dit : Qu'est-ce qui est écrit dans la loi ! Qu’y lis-tu Il répondit : Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. Jésus lui dit : Tu as bien répondu ; fais cela et tu vivras. » (Voir aussi l'histoire du jeune homme riche, Luc 18, 18-28 et parallèles).

Luc 10, 42 : « Une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part qui ne lui sera point ôtée. »

Marc 8, 34-35 : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera. »

Les paraboles des dix vierges et des talents ainsi que le tableau du jugement dernier (voir Mat. 25) ne font également pas la moindre allusion à la mort expiatoire de Jésus-Christ comme condition de l'entrée dans le royaume de Dieu et de la participation à la vie éternelle. On peut encore remarquer que dans Luc 24, 47 « Il est écrit que le Christ devait souffrir… Et qu'on prêcherait en son nom la repentance pour la rémission des péchés », la seule condition indiquée pour obtenir la rémission des péchés, c'est la repentance ou conversion.

En présence de tous ces textes, si précis et si catégoriques, il me paraît évident que l'enseignement de Jésus-Christ, tel que le rapportent les Synoptiques, ignore absolument la doctrine de l'expiation.

Toutefois les partisans de l’exemption ne veulent pas s'avouer battus sur ce terrain-là. Et il prétend retrouver leur doctrine :

a) dans les paroles où Jésus prédit sa mort et la présente comme nécessaire,

b) dans la parole Marc 10, 45 Mat. 20, 28 : « Car le Fils de l'homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour un grand nombre » (κα? δο?ναι τ?ν ψυχ?ν α?το? λ?τρον ?ντ? πολλ?ν.) ces dans les textes relatifs à la Sainte Cène.

Nous examinerons les textes indiqués sous lettre a plus loin, quand nous étudierons comment les quatre évangiles présentent la mort de Jésus-Christ. Mais voyons maintenant les deux autres arguments, et tout d'abord le texte Marc 10, 45 bien que j’ai déjà traité le sujet plus avant.

Le mot λ?τρον sur lequel on insiste, doit être pris ou bien dans son sens propre de rançon, prix de rachat, destiné à libérer un esclave ou un prisonnier, ou bien dans son sens dérivé de moyen de libération, délivrance. Si λ?τρον est entendu dans ce dernier sens, le susdit passage ne veut pas dire autre chose que ceci : parmi vous, mes disciples, il n'en sera pas comme dans le monde. Ici, la grandeur consiste à commander et à être servi. Parmi vous, au contraire, celui-là sera le plus grand qui servira le mieux. Et cela se comprend, puisque moi, le Fils de l'homme, c'est-à-dire le Messie, votre roi et votre maître par conséquent, je suis venu, non pour être servi, mais pour servir et donner ma vie pour la délivrance de beaucoup. — Tout ce raisonnement tend donc à faire saillir cette vérité, c'est que, si le Messie, l'élu de Dieu, s'applique à servir et donne sa vie, il doit en être de même de ses disciples. Et pour la délivrance de qui et de quoi Jésus a-t-il donné sa vie? Le contexte ne le dit pas, mais, puisque le sens général du passage c'est que le Fils de l'homme a donné un exemple afin que ses disciples suivent ses traces, on ne peut songer qu'à la délivrance des pécheurs du péché et de ses funestes conséquences, savoir l'exclusion du Royaume de Dieu et de la vie éternelle.

Si λ?τρον est pris dans son sens propre de rançon, il va de soi que cette rançon doit être payée au maître de l'esclave ou du prisonnier à délivrer, et cela pour libérer celui-ci de la domination de celui-là. Cela étant, il est de toute évidence que cette rançon ne saurait avoir été payée à Dieu, comme le prétend la doctrine de l'expiation, car alors on aboutirait à cette conséquence absurde que la mort de Jésus-Christ aurait eu pour résultat de libérer l'homme pécheur de la domination de Dieu. Si rançon il y a eu, elle ne peut avoir été payée qu'au diable, comme cela fut avancé au Moyen-âge, auquel cas il ne saurait être question de sacrifice expiatoire, et comme nous ne croyons pas, quant à nous, au diable comme à une personnalité distincte, (mais les auteurs du Nouveau Testament y croyaient). Ce qui pour eux était le diable est pour nous la puissance anonyme mais très réelle du mal dans l'humanité. La parole de Jésus signifierait donc que, pour arracher beaucoup d'hommes à l'empire du diable, il a dû aller, lui, jusqu'au sacrifice de sa vie. Cette interprétation revient pour le fond, sinon pour la forme, à la première que nous avons donnée, à savoir que c'est pour nous délivrer de l'empire du péché (personnalisé ou non dans le diable) que Jésus-Christ est mort. (Jean 8, 34-36) : « En vérité, en vérité, je vous le dis, leur répliqua Jésus, quiconque se livre au péché est esclave du péché. Or, l'esclave ne demeure pas toujours dans la maison ; le fils y demeure toujours. Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres. » Ne va pas jusqu’à dire que cette liberté est au prix d’une rançon à payer.

Prenons maintenant les textes relatifs à l'institution de la Cène :

Matthieu 26 - 26,28 : « Pendant qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain ; et, après avoir rendu grâce, il le rompit, et le donna aux disciples, en disant : Prenez, mangez, ceci est mon corps. Il prit ensuite une coupe ; et, après avoir rendu grâce, il la leur donna, en disant : Buvez-en tous car ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des péchés. »

Luc 22, 17 à 20 : « Alors, ayant reçu une coupe et rendu grâce, il dit : « Prenez ceci et partagez entre vous. Car je vous le déclare : désormais, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu ». Puis, ayant pris du pain et rendu grâce, il le rompit et le leur donna, en disant : « Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Et pour la coupe, après le repas, il fit de même, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang répandu pour vous. »

Marc 14, 22-24 : "Prenez, ceci est mon corps. Ayant aussi pris la coupe et rendu grâces, il la leur donna et ils en burent tous. Et il leur dit : Ceci est mon sang, le sang de l'alliance (ou de la nouvelle alliance) qui est répandu pour beaucoup."

En lisant ces paroles de Jésus, il est difficile de ne pas y voir une allusion à la parole de Moïse, Exode 24, 8 : « Après avoir offert des sacrifices à l'Éternel, et lu au peuple le livre de l'alliance, Moïse aspergea le peuple de sang en disant : Voici le sang de l'alliance que l'Éternel a faite avec vous sur toutes ces paroles ». Si ce rapprochement est fondé, comme il me semble, Jésus, dans l'institution de la Cène, présenterait sa mort comme un sacrifice destiné à sceller, à consacrer solennellement la conclusion d'une nouvelle alliance, c'est-à-dire d'un nouveau rapport religieux entre les hommes et Dieu. Que Jésus ait ajouté que ce sacrifice de sa vie était fait pour beaucoup, cela se conçoit puisque c'est par amour des hommes et pour leur salut que Jésus a prêché l'Évangile au péril de sa vie et qu'il a été fidèle à sa mission jusqu'à la mort. Jusqu'ici il n'y a rien qui parle d'expiation — attendu que donner sa vie pour quelqu'un ne signifie pas expier les péchés de ce quelqu'un — sauf pourtant trois mots, que Matthieu seul ajoute en parlant du sang versé pour beaucoup. Ces trois mots sont : ε?ς ?φεσιν ?μαρτι?ν traduit par « pour la rémission des péchés. »

ει?ς Suivit de l'accusatif (ce qui est le cas ici avec αφεσιν) veut dire "vers, dans, en ce qui concerne, en vue de, pour". Ce mot dérive de ε?ν "dans" d'où la notion de "mouvement vers" ou "vers l'intérieur", c’est-à-dire que ce qui est désigné ensuite est la conséquence de ce qui précède (cf Grammaire de grec ancien, A.Lukinovitch et M. Rousset - ces deux auteurs sont des linguistes et ne sont pas engagés dans une quelconque œuvre théologique).

Le petit dictionnaire abrégé Ingelaere dit :

ει?ς prep ; avec accusatif : dans, vers, à, jusqu'à, en vue de, pour, en ce qui concerne.

Donc ει?ς peut avoir un sens différent de "pour". Traduire par  « A cause de » n'est pas absolument impossible, mais ne serait pas l'expression de la conséquence, mais plutôt de la nécessité. Le contresens qui est alors possible pour les lecteurs pousse tous les traducteurs ou presque à laisser "pour". De plus ce sens de "à cause de" est statistiquement très rare en grec mais pas impossible.

De là on peut donner à sa mort également une valeur symbolique, et affirmer, dans un premier sens, qu’il est « mort pour nos péchés », en ce sens, « à cause de, du fait de nos péchés, victime de nos péchés », en se rappelant que le péché collectif des hommes à l’égard de Dieu est l’incrédulité. Que Jésus soit mort parce que beaucoup de ses coreligionnaires n’ont pas cru en lui et que quelques-uns des plus influents rejetaient ses prétentions et lui reprochaient ses provocations religieuses, parce que la foule ne l’a pas soutenu, et que le scepticisme politique de Pilate l’a abandonné à son sort ; bref que Jésus soit mort victime de l’incrédulité des hommes, c’est une vérité historique.

Ces mots, qui ne se trouvent ni dans Marc, ni dans Luc, ni dans le onzième chapitre de la première épître aux Corinthiens, je suis tout disposé à croire qu'ils signifient que le sang de Jésus a été versé à cause de beaucoup de rémissions de péchés, par l'expiation de ceux-ci. C’est un des grands reproches que lui faisaient les religieux contemporains celui que « pardonner les péchés ». La notion de l'expiation des péchés par le moyen des souffrances et de fa mort des hommes justes était, en effet, courante dans la théologie juive du temps. Mais ils cadrent si peu avec l'enseignement explicite de Jésus-Christ, qu'ils ne sauraient prévaloir contre celui-ci, d'autant qu'ils constituent une exception unique dans les Synoptiques, et sont, de ce chef, fortement suspects d'être une adjonction interprétative du rédacteur de notre premier évangile.

On peut remarquer aussi que, dans cet évangile, il n'est question qu'une seule fois de rémission des péchés, savoir lors de la première apparition du Christ ressuscité à ses disciples réunis, ce Recevez le Saint-Esprit, leur dit-il à cette occasion. « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». Ainsi le droit conféré aux disciples de remettre ou de retenir les péchés est rattaché à la présence en eux du Saint-Esprit. Il n'est dérivé en rien du fait que leur Maître ayant, par sa mort, expié en principe les péchés de l'humanité, il leur concède le droit de déterminer qui est dans les conditions propres à bénéficier de cette expiation. Jamais, dans le quatrième évangile, Jésus ne fait la moindre allusion à sa mort comme ayant un caractère expiatoire ou propitiatoire.

Il s'agit maintenant d'aborder l'objection que l'on tire des paroles où Jésus, en parlant à l'avance de sa mort, la présente comme nécessaire.

Dans les Synoptiques, Jésus ne parle pas de sa mort à ses disciples avant la scène de Cesarée de Philippe et la confession de Pierre : et Dès lors, dit Matthieu 16, 21, Jésus commença à montrer à ses disciples « qu'il lui fallait aller à Jérusalem et souffrir beaucoup de la part des anciens et des principaux sacrificateurs et des scribes, et être mis à mort, et ressusciter le troisième jour ». Et il leur réitère à diverses reprises cette annonce, voir Mat. 19, 9-13 Marc 9, 9-13 ; Mat. 17, 22-23 Marc 9, 3o-32 Luc 9, 43-45 ; Luc 18, 25 ; Mat. 20, 17-19 Marc 10, 32-34 Luc 18, 32-34- Il y fait également allusion dans Mat. 20, 28 Marc 10, 45, le passage que nous avons étudié plus haut; dans Luc 12, 5o : « II est un baptême dont je dois être baptisé, et combien je suis dans l'angoisse jusqu'à ce qu'il soit accompli » ; dans la parabole des vignerons Mat. 21, 33-46 Marc 12, 1-12 Luc 20, 9-19, ainsi que dans Mat. 26, 31 Marc 14, 27 : « Alors Jésus leur dit : Je serai, cette nuit, pour vous tous, une occasion de chute, car il est écrit : Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées ». L'agonie de Gethsémané et l'institution de la Cène montrent également chez Jésus l'attente de cette mort violente par la main des hommes. Deux ou trois fois, soit avant sa passion (Marc 9, 12 ; Luc 18, 31 ; Mat. 26, 56 Marc 14, 49), soit après sa résurrection (Luc 24, 25-27, 45-47), Jésus marque à ses disciples que sa mort et ses souffrances ont été prédites par les Écritures, et doivent par conséquent nécessairement s'accomplir. À l’exception de deux passages : Ps. 118, 22 :  « La pierre rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue la pierre de l'angle » (voir Mat. 21, 41 et parallèles) et Zacharie 13, 7 : « Frappe le berger et que les brebis soient dispersées » (Mat. 26, 31 Marc 14, 27), les évangiles ne disent pas dans quelles paroles de l'Ancien Testament Jésus voyait la prédiction du sort tragique qui l'attendait.

Ce sort, Jésus ne paraît pas l'avoir prévu dès le début de son ministère, du moins d'après les Synoptiques. Ce qui me le fait penser, ce n'est pas seulement le fait, déjà relevé, qu'il n'en parle pas à ses disciples avant la confession de Pierre, c'est aussi la manière dont, avant ce moment-là, il caractérise sa mission. Dans Luc 4, 43, il déclare qu'il a été envoyé pour annoncer la bonne nouvelle du Royaume de Dieu. — « Je ne suis pas venu, dit-il (dans Mat. 9, 6 et parallèles), appeler des justes mais des pécheurs. » Lors de ses recommandations aux Douze, envoyés pour la première fois en mission, il se borne à les avertir qu'ils auront des difficultés et des persécutions, « car le disciple n'est pas au-dessus de son maître… S'ils ont appelé le père de famille Béelzébul, combien plus ceux de sa maison » A Cesarée, quand Pierre essaie de dissiper dans l'esprit de son Maître cette perspective douloureuse, la sévère réplique de Jésus : « Arrière de moi, Satan, tu m'es en en scandale » paraît dénoter que ce n'est pas sans de pénibles et récentes luttes intérieures que Jésus a compris et accepté le sacrifice que la fidélité à la mission reçue allait lui imposer. Aussi, encore en Gethsémané, il demande à son Père céleste d'éloigner de lui cette coupe amère, si c'était possible.

Si ma supposition est vraie, si Jésus n'a entrevu la perspective d'une mise à mort de sa personne par les chefs de son peuple qu'après quelques mois de ministère, ce fait est un nouveau témoignage contre ceux qui veulent faire de la doctrine de l'expiation une doctrine chrétienne. Comment se fait-il, en effet, qu'en prédisant sa mise à mort à ses disciples, prédiction qui heurtait de front toutes leurs espérances messianiques, à tel point que, malgré ces avertissements préalables de leur Maître, son arrestation et sa mort sur la croix les laissèrent complètement désemparés, comment se fait-il que Jésus ne leur ait jamais fait entendre que cette mort était nécessaire pour l'expiation et la rémission des péchés de l'humanité. Cette indication leur aurait fait comprendre et accepter la croix du Christ, puisqu'elle était dans le courant des idées juives. Aussi bien le Christ crucifié n'a-t-il plus été un scandale pour l'apôtre Paul, comme il l'était pour ses compatriotes, dès qu'il crut voir dans la mort du Christ un sacrifice d'expiation destiné à réconcilier Dieu et les hommes. Pourquoi Jésus a-t-il tu une vérité religieuse qu'aujourd'hui tant de chrétiens estiment une vérité capitale, peut-être même la plus essentielle de l'Évangile, à en juger par les représentants de la théologie du sang ?.. À cette question, il n'y a qu'une réponse plausible, c'est que Jésus n'a jamais envisagé sa mort comme un sacrifice d'expiation destiné à permettre à la miséricorde de Dieu de s'exercer envers les hommes.

Cette réponse s'impose également, même si l'on admet, selon le quatrième évangile, que Jésus a prévu, dès le commencement de son ministère, la mort qui l'attendait. Là, en effet, il y fait déjà allusion dans l'entretien avec Nicodème, et nous voyons par 6, 64 et 70, qu'il savait dès le début celui qui le trahirait. Cela n'a du reste rien d'étonnant de la part d'un être qui, suivant 2, 25, « n’avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage d'aucun homme, car il savait par lui-même ce qui était dans l'homme ». Aussi les allusions à sa mort se rencontrent-elles dans la bouche de Jésus dans tout le cours de l'Évangile, par exemple 6, 51 ; 7, 19 ; 8, 28, 40 ; 10, 11-18; 12, 23-27. Si maintenant on se demande comment, d'après les quatre évangiles, Jésus est arrivé à entrevoir la probabilité, puis la nécessité de sa mise à mort par ses ennemis, on en discerne immédiatement une première raison : la constatation de l'opposition de plus en plus vive que rencontrent sa personne et sa prédication. Cette opposition, marquée surtout chez les docteurs de la loi et les prêtres, dont il ne se gênait pas de critiquer la piété formaliste et la propre justice, Jésus la constate déjà lorsqu'il envoie pour la première fois les Douze en mission : ce « Je vous envoie, leur dit-il, comme des brebis parmi des loups… Soyez en garde contre les hommes… S'ils ont nommé Béelzébul le maître de la maison, combien plus les gens de sa maison » (Mat. 10, 16, 17, 26.) Dans la parabole des vignerons, il montre à ses auditeurs que le sort du Messie sera celui des prophètes : mauvais traitements et mort. Mais pas un mot dans la parabole n'assigne au meurtre du fils du propriétaire de la vigne, donc au Messie, une autre cause et une autre signification qu'au meurtre des serviteurs, c'est-à-dire des prophètes. De cette opposition, le Christ discerne nettement la cause. Le monde le hait, parce qu'il témoigne contre lui que ses œuvres sont mauvaises (Jean vu, 7). Aussi n'a-t-il pas de peine à deviner que ses adversaires ne demandent pas mieux que de se saisir de lui et le faire disparaître (Jean vu, 3o-32, 45 ; 8, 37, 59 ; 10, 30 ; 11, 53). Et c'est précisément parce qu'il discerne dans cette opposition à sa personne l'opposition à la vérité qui juge et condamne le mal et ceux qui s'y plaisent, qu'il sait qu'il ne sera pas seul à en souffrir, ce Comme ils m'ont persécuté, dit-il à ses disciples, ils vous persécuteront aussi. » (Jean 15, 20) Comme le monde a haï Jésus, il haïra aussi les siens (Jean 15, 18 ; 17, 14).

Dire aux hommes la vérité qui les démasque, les juge et les condamne, alors même que c'est pour leur bien, n'a jamais été le moyen de se rendre populaire. Énoncer des principes tendant à transformer l'ordre établi n'est point la voie à suivre pour plaire à ceux qui profitent de cet ordre et y exercent l'autorité. Dans le milieu où agissait Jésus et étant donné les passions de l'homme, il ne pouvait pas poursuivre fidèlement sa mission de prédicateur et de fondateur du Royaume de Dieu, sans heurter de front les chefs de son peuple et s'exposer à leur opposition puis à leur haine. Ce fut là la cause historique et pleinement suffisante de sa mort sur la croix.

Si cette mort, bien loin de constituer un échec définitif pour la mission de Jésus-Christ, devint en réalité pour elle une raison de succès, il faut évidemment ne pas s'en tenir à cette cause purement historique, la seule dont fasse mention Jésus-Christ dans les Synoptiques. Mais, dans le quatrième évangile, nous rencontrons maintes paroles de Jésus qui précisent la signification qu'il donnait à sa mort, et nous expliquent d'une manière plus profonde pourquoi cette mort par la main de ses ennemis a été une cause de succès pour l'action de Jésus dans l'humanité.

Il y a tout d'abord à ce fait une première raison qui se rattache étroitement à la cause historique précédemment indiquée. Cette hostilité contre Jésus, cette mise à mort du Saint et du Juste par les chefs religieux, par les conducteurs spirituels du peuple juif, du peuple qui, à cette époque de l'histoire, était peut-être le plus religieux et le plus moral, quelle manifestation plus typique de la gravité de l'état de péché de l'humanité. Un homme d'une parfaite pureté de mœurs, un homme dont la bonté était insurpassable, n'a pas pu vivre au milieu de ses semblables et leur parler selon la vérité sans soulever une opposition telle qu'il en a été la victime : quoi de plus propre à montrer la profondeur et l'étendue du mal moral, l'urgente nécessité d'une réaction vigoureuse contre lui Et n'est-ce pas là la vérité que suggèrent des paroles comme Jean 16, 8-10 :

« Quand le consolateur sera venu, il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement : de péché, parce qu'ils ne croient pas en moi ; de justice, parce que je m'en vais au Père et que vous ne me verrez plus ; de jugement, parce que le prince de ce monde est juge ». Oui, maintenant que l'esprit de Jésus-Christ a quelque peu pénétré et transformé le monde, nous voyons clairement que le monde qui a crucifié le Saint et le Juste et a préféré qu'on fît grâce à un meurtrier est un monde de péché. Oui, le principe de ce monde est jugé, condamné, comme un principe d'égoïsme et par là de nuisance et de mort. Il faut lui en substituer un autre, celui-là même qu'il a crucifié au Calvaire, celui de l'amour saint, source de bonheur et de vie. C'est ainsi que la croix de Jésus-Christ, en tant que manifestation patente de l'état de péché de l'humanité et des principes funestes qui peuvent entraîner l'âme des foules comme leurs chefs, a amené plus d'un individu à rentrer en lui-même, à se frapper la poitrine et à se dire : je ne suis pas meilleur que ceux qui ont bafoué, raillé, maltraité, mis en croix Jésus.

Faisant allusion au genre de supplice qui sera le sien, à son élévation sur la croix qui le rendra bien visible à la foule, et attirera à lui les regards de tous les hommes, Jésus compare le Fils de l'homme crucifié au serpent d'airain que Moïse éleva dans le désert. Cette comparaison ne peut guère signifier autre chose que ceci : de même que la vue du serpent d'airain procurait la guérison aux Israélites qui le regardaient, de même la contemplation du Christ crucifié, cette contemplation faite avec foi, est le principe de la vie éternelle (Jean 6, 40) par les réflexions, les sentiments et les résolutions salutaires qu'elle éveille dans l'esprit de ceux qui s'y livrent. Mais l'idée de l'expiation est totalement absente de cette comparaison.

Elle ne se trouve pas davantage dans Jean 6, 51 : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c'est ma chair. » Le contexte montre, en effet, que, pour avoir la vie éternelle, il faut manger la chair et boire le sang du Fils de l'homme (5. 53-58). Que l'on prenne cette expression dans son sens réaliste ou dans un sens spirituel, elle montre dans la communion avec le Christ la source de la vie éternelle et rien de plus.

L'allégorie du bon berger, qui donne sa vie pour sauver ses brebis de l'étreinte mortelle du loup, ne peut pas non plus être invoquée en faveur de la doctrine. On n'a jamais considéré le berger qui, pour sauver son troupeau de la dent des bêtes féroces, le défend au péril de sa vie et succombe, comme expiant les fautes de ses brebis. Son sacrifice est un acte de dévouement destiné à préserver de dommage son troupeau, mais non pas à effacer la coulpe amassée par ses fautes. Il est une preuve d'amour du berger pour ses brebis, car il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (15, 13). Cette dernière déclaration est, elle aussi, l'énoncé d'une des raisons qui ont fait de la mort de Jésus une cause de son ascendant sur les cœurs. Rien mieux que l'amour n'éveille l'amour, et rien ne prouve mieux la grandeur et l'intensité de son amour que de se dévouer pour ceux que l'on aime, de se dévouer jusqu'à la mort même s'il le faut. Si Jésus n'avait pas aimé les siens jusqu'à donner sa vie pour eux, il n'aurait pu conquérir au même degré leur affection, ni leur demander avec la même autorité de s'aimer les uns les autres (Jean 15, 2), encore moins leur inspirer ce sentiment.

— Justement, nous fera-t-on observer, c'est par amour pour ses disciples, pour leur assurer la rémission de leurs péchés, que Jésus a donné sa vie pour eux. — Alors, répliquerais-je, pourquoi Jésus ne le leur a-t-il fait entendre en aucune manière ? Pourquoi, au contraire, a-t-il attiré leur attention sur d'autres causes de sa mort prochaine ? Ainsi, dans Jean 12, 27, Jésus s'écrie : « Père, délivre-moi de cette heure Mais, c'est pour cela même que je suis venu jusqu'à cette heure. » On s'attend à ce que Jésus va indiquer la raison de cette nécessité mystérieuse, et il la donne, en effet, dans les versets 24 et 25 de ce même chapitre : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de froment ne meurt après être tombé en terre, il demeure seul ; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra ; et celui qui hait sa vie en ce monde la conservera pour la vie éternelle. » La raison de cette mort qu'il sent nécessaire au succès de son œuvre, c'est cette grande loi du monde physique et moral, que Jésus semble être le premier à avoir nettement perçu, parce que le premier il l'expérimentait chaque jour sur lui-même, c'est que la vie sort de la mort, c'est que toute vie supérieure a pour condition nécessaire la mort d'une vie inférieure ou à une vie inférieure. Jésus nous a donné là un exemple afin que nous suivions ses traces. Mais rien dans ces paroles ne nous permet d'interpréter ces paroles dans le sens de la doctrine de l'expiation.

L'étude des paroles mêmes de Jésus nous permet donc d'entrevoir comment il est arrivé à comprendre non seulement la nécessité historique de sa mort en présence des dispositions hostiles des chefs de son peuple, mais aussi sa nécessité psychologique et morale pour le triomphe de sa cause. Toutefois ce n'est point sans peine que Jésus, qui se savait le Messie, le fils en qui Dieu a mis toute son affection, est arrivé à accepter ce sort douloureux et d'abord imprévu. Aussi, jusqu'à la veille même du supplice, a-t-il demandé à Dieu de faire passer cette coupe loin de lui, si c'était possible. « Toutefois, a-t-il ajouté (Luc 22, 42), que ta volonté soit faite et non pas la mienne. » Et il a bu la coupe amère.

S'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis, il n'y a pas non plus de plus grande preuve d'obéissance à Dieu, de soumission au devoir, que d'être obéissant jusqu'à la mort, c'est-à-dire de préférer la mort, et surtout une mort cruelle et ignominieuse, au renoncement au devoir. Dans cet exemple donné par Jésus, il y a aussi une raison de son ascendant moral sur l'humanité, et par conséquent une condition du succès de son œuvre. Les plus beaux discours et les plus convaincus ne valent pas une leçon de choses. Pour apprendre aux hommes à aimer Dieu de tout leur cœur, de toute leur âme et de toute leur pensée, et par conséquent à préférer sa volonté, la communion avec lui, à tout, même à la vie, condition première de tous les autres avantages, il n'aurait pas suffi à Jésus de le prêcher et même de le montrer dans la pratique d'une vie humaine ordinaire, avec sa part moyenne de difficultés et d'épreuves. Pour faire éclater la majesté du devoir, il fallait obéir jusqu'à la mort, jusqu'à la mort même de la croix. Il fallait à Jésus le triomphe dans cette preuve suprême d'obéissance à Dieu, pour lui donner l'auréole de la sainteté. Il peut demander à ses disciples d'être fidèles jusqu'à la mort au devoir entrevu, parce qu'il l'a été lui-même. Il peut leur dire au milieu des dangers et des persécutions qui risquent de lasser leur courage et de faire défaillir leur volonté : Prenez courage, j'ai vaincu le monde. (Jean 16, 33.) Les Évangiles ne nous rapportent qu'une parole de Jésus marquant ce côté-là de la nécessité morale de la croix pour l'œuvre du Rédempteur, c'est Jean 14, 31 : « Il faut que le monde connaisse que j'aime le Père et que je fais ce que le Père m'a commandé. » C'est à la croix, en effet, que le monde peut voir que Jésus, plutôt que de renoncer à sa mission divine, rendre témoignage à la vérité (Jean 18, 37), a préféré la mort. Jésus a aimé Dieu jusqu'à donner sa vie pour l'œuvre que le Père lui avait donnée à faire, et c'est parce que le Père savait Jésus intérieurement disposé à ce sacrifice suprême que le Père l'aimait, (Jean 10, 17-18), et que Jésus ne se sentait jamais seul (Jean 16, 32), entouré, pénétré qu'il était par l'affection du Père.

Très bien, nous dira-t-on, mais alors comment expliquer que, sur la croix, Jésus ait pu être abandonné de Dieu et qu'à Gethsémané son âme ait été triste jusqu'à la mort ? N’y a-t-il pas là l'indice que sa mort revêtait un caractère tout particulier, et que, s'il a été un moment abandonné de Dieu, c'est qu'il était appelé par Dieu à souffrir toutes les peines du pécheur pour expier le péché du monde.

À cette objection, je réponds tout d'abord que la tristesse mortelle et la douloureuse lutte intérieure de Gethsémané se comprennent parfaitement sans qu'il soit aucunement besoin de faire intervenir la notion d'expiation, dont le récit biblique ne dit d'ailleurs pas un mot. La tristesse de Jésus s'explique par diverses raisons : la perspective d'un supplice douloureux et infamant ; l'angoisse d'abandonner son œuvre et ses disciples, l'œuvre du salut de son peuple qu'il voudrait tant arracher à sa ruine, ses disciples auxquels il est profondément attaché et qu'il sent encore bien imparfaits. À tout cela, ajoutez la difficulté — difficulté qui se retrouve dans la vie de beaucoup de chrétiens — de comprendre pourquoi et comment son Père céleste, ce Père qu'il sait tout-puissant, dont il se sent l'enfant bien-aimé et auquel il a toujours obéi, le met en face d'une si terrible perspective, lui, le Messie auquel les prophètes avaient prédit une si glorieuse destinée. Certes il y avait là de quoi être triste jusqu'à la mort, et rien n'est plus naturel, plus humain que cette supplication : « Père, toutes choses te sont possibles ; détourne de moi cette coupe ; toutefois, non ce que je veux, mais ce que tu veux ». (Marc 14, 36.) Et que la raison de cette volonté de Dieu se trouve dans les considérations marquées plus haut et indiquées par des paroles de Jésus, ou qu'elle consiste dans la nécessité de subir en sa personne le châtiment mérité par l'humanité pécheresse, la situation de Jésus dans le second cas n'était pas plus douloureuse que dans le premier.

Quant à ce cri d'angoisse : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » il s'explique tout naturellement par les circonstances où se trouvait Jésus. Sur une croix, les minutes paraissent des heures. Le sentiment que Dieu nous aime n'empêche pas la souffrance physique de se faire sentir. Et sous l'étreinte de cette souffrance, augmentée encore par la douleur morale provoquée par les railleries de la foule, l'abandon des disciples, l'inquiétude sur l'avenir de son œuvre, comment ne surgirait pas dans l'esprit de Jésus la pensée que le Dieu qui peut délivrer et ne délivre cependant pas celui qui a toujours fait sa volonté, l'a abandonné à ses bourreaux et à son funeste sort ? Ce fut là pour Jésus le moment de l'épreuve suprême, celui où Dieu demanda à son fils de lui rester fidèle et de ne pas renier son œuvre alors que ce fils se croyait abandonné de Dieu. Épreuve suprême, terrible, mais dont Jésus triompha comme des épreuves précédentes. Malgré tout il resta fidèle, et, dans le sentiment qu'il n'avait jamais failli à l'ordre de son Dieu, il reprit courage ; il sentit de nouveau l'amour de Dieu qui l'entourait et mettait fin à son supplice plusieurs heures avant le temps ordinaire ; aussi ses dernières paroles furent-elles de nouveau des paroles de confiance : « Père, je remets mon esprit entre tes mains » (Luc 23, 46).

J’ajouterais qu'il manquerait quelque chose à l'action rédemptrice de Jésus-Christ, si lui aussi n'avait pas passé par cette heure critique où tant de croyants sont appelés à passer.

On le voit, pour expliquer l'agonie de Gethsémané et le sentiment d'abandon de Dieu sur la croix, il n'est point nécessaire de voir dans la mort de Jésus un sacrifice d'expiation, ce que, d'ailleurs, rien ne marque dans le texte. Nous sommes ainsi parfaitement autorisés à conclure de cette étude des paroles de Jésus dans les quatre évangiles que jamais Jésus n'a considéré ses souffrances et sa mort comme un sacrifice destiné à expier nos péchés et à permettre ainsi à Dieu de nous les pardonner.

Le seul texte qui pourrait marquer positivement cette idée, et que nous avons signalé, Mat. 26, 28, texte qui manque à Marc et à Luc, ne saurait prévaloir contre tous ceux qui sont nettement contraires à cette conception et ceux où Jésus envisage à de tout autres points de vue la nécessité de sa mort pour son œuvre rédemptrice, et qui plus est je l’ai démontré peut-être traduit assez différemment et porter une tout autre interprétation.

On a essayé d'infirmer la valeur du témoignage de Jésus sur le point qui nous occupe en faisant remarquer qu'il n'a pas dit à ses disciples tout ce qu'il sentait et pensait, laissant à l'Esprit saint la mission de les conduire dans toute la vérité. C'est ainsi, nous dit-on, que l'apôtre Paul, les auteurs de l'épître aux Hébreux, de la première de Pierre et de l'Apocalypse, sont arrivés à saisir dans la mort de Jésus le sacrifice expiatoire par excellence, celui qui devait suppléer et mettre fin à tous les autres, à cause de sa perfection. En ce faisant, ils n'ont fait que mettre au jour la pensée intime du Christ ou du moins ils l'ont développée dans son sens organique.

Certes, je reconnais pleinement le droit et le devoir de l'esprit chrétien de chercher à comprendre et à déployer toujours mieux la richesse de l'Évangile. La parole de Jésus n'est pas un code, mais une semence de vérité et de vie qui ne grandit qu'au grand air de la liberté. C'est ainsi que l'apôtre Paul, en détachant nettement le christianisme du judaïsme, a eu raison de faire ce que Jésus n'avait pas fait, mais ce qui était dans la ligne de son Évangile. Seulement il ne faut pas oublier que Jésus a vécu dans un milieu où l'on pratiquait des sacrifices expiatoires et où l'on croyait à la vertu expiatoire des souffrances du juste. En présentant sa mort sous cet angle-là, bien loin de choquer ses disciples, il leur eût facilité la compréhension de sa mort sur la croix. Elle aurait dès l'abord cessé de leur paraître un scandale, comme elle le fut d'abord pour eux, comme elle le fut pour l'apôtre Paul, jusqu'au jour où il vit en Jésus une victime expiatoire établie par Dieu lui-même (Rom. 3, 25). Ce qui semble avoir apporté une scission avec les Juifs/Chrétiens de Jérusalem, et notamment Jacques le frère de Jésus. Si Jésus ne l'a pas fait, s'il a compris et présenté sa mort à d'autres points de vue, s'il a fait dépendre le pardon de Dieu de toutes autres conditions, s'il s'est rattaché à la ligne religieuse des prophètes et des psalmistes, non à celle de la loi, c'est que, pour lui, le Père céleste est d'avance décidé à ouvrir ses bras à l'enfant qui revient à lui repentant et humilié, sans que le Père ait besoin qu'une tierce personne vienne, par sa souffrance, expier les fautes de l'enfant. Si Paul ne l'a pas compris, c'est que, plus que son Maître, il a subi l'influence de la pensée des docteurs de son peuple, c'est qu'il ne pouvait concevoir autrement un Messie crucifié ; c'est que surtout son expérience religieuse, moins profonde, moins intime, moins filiale que celle de Jésus, ne lui a pas permis de sentir et de saisir avec la même intensité la grandeur de l'amour de Dieu.

Est-il besoin d'ajouter que pour nous qui n'avons qu'un seul maître, Jésus-Christ, et qui pensons qu'entre disciples nous avons le droit et le devoir de penser par nous-mêmes, nous mettons Jésus au-dessus de Paul et des autres auteurs sacrés quels qu'ils soient. Voilà pourquoi je bornerais cette étude exégétique aux seules paroles du Maître Jésus. Ce qu'elles nous ont dit clairement, qu'il nous soit permis de le confirmer encore par quelques considérations qui ne me paraissent pas sans valeur, car j’estime que la raison — raison pratique autant que théorique — a aussi et plus peut-être que les dogmes, son mot à dire dans la tractation des problèmes religieux.

 

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