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Jésus était-il le Messie ? Était-il Dieu ?
Jésus était-il le Messie ? Était-il Dieu ?
Cette interrogation en général fâche les chrétiens "classiques" ou "non libéraux". Mais aujourd'hui la plupart des exégètes conviennent que Jésus ne s'est jamais déclaré directement Messie, pas plus que Dieu, laissant délibérément ouverte la question de son identité. Ces titres lui ont été attribués après sa mort par ses disciples. Dans cette optique, Jésus ne se serait pas perçu lui-même comme le Christ rédempteur de l'humanité, et n'aurait pu prévoir dès le début de son ministère son rejet, sa mort et sa résurrection. Selon les tenants de cette position, une telle conception messianique était inconnue du judaïsme, qui privilégiait la figure d'un messie politique libérant Israël de son oppresseur romain.
On l’aura compris notre démarche se veut historienne et elle se doit d’exposer, les démarches, du moins les résultats de recherches poursuivies selon les règles de la méthode historico-critique. Mais cette approche critique elle-même nous amènera à mieux mesurer la variété et la convergence des différentes compréhensions offertes par les églises et les écrivains théologiens qui ont composé le Nouveau Testament.
Dans la recherche sur Jésus, on s’accorde à penser que ses disciples en ont dit davantage sur lui après Pâques que Jésus lui-même ne l’avait fait avant Pâques. Depuis la croix et la résurrection, Jésus, aux yeux des disciples, a pris place à côté de Dieu. Cela a jeté une lumière nouvelle sur tout ce qui s’était passé auparavant. Il en fut ainsi particulièrement sur deux points : l’ombre de la croix et la lumière de Pâques ont pénétré tous les souvenirs qu’ils avaient de lui, et aussi les récits. Partout où la souveraineté de Jésus transparaît, sa dignité peut être un éclat de la lumière pascale. Partout où un sens est donné à la mise à mort de Jésus, il peut s’agir d’une interprétation postpascale.
Mais tout n’est pas projection rétrospective.
Le Jésus historique a déjà possédé un charisme extraordinaire ; il a déjà subi le rejet et la stigmatisation. Il existe des signes d’une souveraineté de Jésus sortant de l’ordinaire déjà avant Pâques. Mais quel rapport a-t-elle avec la vénération postpascale de Jésus ?
On voit le problème : quelle fut effectivement l’attitude de Jésus lui-même et comment ses disciples des premières générations qui ont écrit les textes que l’Église devait considérer, au deuxième siècle, comme sa norme de foi, comment ces disciples ont-ils compris et transmis l’enseignement du Maître ?
L’exégèse qui s’applique à rejoindre la forme la plus ancienne de la tradition évangélique, reconnaît deux ensembles importants : une source commune de logia que Matthieu et Luc ont connue et utilisée en fonction de leur interprétation et, d’autre part, le recueil de traditions utilisées par Marc pour composer son évangile. La source commune, plus ancienne que Marc, rapporte une parole de Jésus qui atteste la conscience qu’il avait de la nouveauté par rapport à la Loi, de l’Évangile du Royaume. Après l’avoir étudiée, nous nous attacherons à la vision des choses que Marc nous offre.
Jésus surpasse tous les prophètes qui l’ont précédé, y compris le dernier d’entre eux, Jean-Baptiste, au sujet duquel Jésus a dit : « Je vous le dis en vérité, parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’en a point paru de plus grand que Jean-Baptiste. Cependant, le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. » (Mat 11,11).
Il ne veut pas seulement être l’ultime prophète du judaïsme, il veut être davantage que tous les prophètes. En lui les prophètes parviennent à leur accomplissement. Il a une conscience eschatologique de son pouvoir.
Jésus annonce le royaume des cieux et le plus petit dans ce royaume est plus grand que le plus grand des prophètes.
Certains exégètes considèrent que Jésus a attiré sur sa personne des attentes messianiques et cela ne fait selon moi aucun doute. La confession messianique de Pierre a été jusqu’ici souvent interprétée dans l’exégèse comme une confession postpascale antidatée dans la vie de Jésus. Peut-être pas la première partie : « Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » (Matthieu 16, 13-14). La réponse de Pierre en Matthieu 16,16 : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » est considéré de son côté comme l’expression d’un malentendu politique causé par des attentes messianiques. Que Jésus ait été mis à mort en tant que « roi des Juifs » ne permet évidemment pas de conclure qu’il se considérait lui-même comme tel. On s’accorde pourtant aujourd’hui sur le minimum suivant : puisque le titre de « Christ » ne se trouve presque jamais dans la bouche de Jésus, il ne correspond sans doute pas à la compréhension qu’il avait de lui-même. Il est cependant possible que d’autres aient nourri à son égard de telles attentes. Mais la christologie évoquée rencontre clairement un accord moins large que la christologie implicite outre le fait que les attentes messianiques que d’autres ont placé en Jésus sont souvent considérées comme sans importance pour la compréhension qu’il a pu avoir de lui-même.
Si Jésus s’est attribué à lui-même un titre de souveraineté, ce ne peut être que l’expression « Fils de l’homme ». Cette expression ne se rencontre que dans sa bouche. Mais il y a débat sur le point de savoir si « Fils de l’homme » est vraiment un titre et quelles sont les paroles relatives au Fils de l’homme qui sont authentiques.
Une première position ne considère comme authentiques que les paroles sur le Fils de l’homme à venir. Puisque Jésus parle du Fils de l’homme à la troisième personne, c’est qu’il désigne ainsi une autre personne. Jésus se serait compris comme le précurseur d’un autre personnage salvateur ? Ce n’est qu’après Pâques que les disciples l’auraient identifié à cette figure salvatrice. Cette position est en tension avec la christologie implicite. Il faut être bien au clair : ou bien Jésus avait une conscience eschatologique de son pouvoir et de sa supériorité sur tous les prophètes, ou bien il s’est compris, à l’instar du Baptiste, comme le précurseur d’un plus grand que lui.
Une deuxième position soutient que seules sont authentiques les paroles sur le Fils de l’homme présent, c’est-à-dire les sentences sur l’autorité du Fils de l’homme pour rompre le sabbat, ou sur son absence de demeure sur la terre. Là, « Fils de l’homme » signifie « l’homme » ou « moi en tant qu’homme ». Si ces paroles révèlent la conscience que Jésus avait de lui-même, il ne s’est évidemment attribué aucune autorité particulière qui le distinguerait des autres hommes. Il dit : « Moi en tant qu’homme, je suis maître du sabbat » (Mc 2, 28) ; « Moi en tant qu’homme, je vais et viens sur cette terre sans avoir de demeure, contrairement aux renards et aux oiseaux » (Mt 8, 20). Là aussi, il y a une tension avec la christologie implicite, à moins de rendre plausible que Jésus, par la manière dont il a employé l’expression « Fils de l’homme », l’aurait à tel point revalorisé qu’elle ait pu devenir un titre de souveraineté.
Une troisième position plaide pour l’inauthenticité de toutes les paroles sur le Fils de l’homme. Les premiers chrétiens auraient interprété leurs visions pascales à l’aide de la vision de Daniel 7. Ils auraient eu la vision d’un personnage « comme un fils d’homme » à qui Dieu remettait l’autorité et le jugement (Dn 7, 13-14). Ils auraient identifié ce personnage avec Jésus. Mais il subsiste ici une énigme historique. En Daniel 7, il est question d’un personnage « comme un fils d’homme », alors que dans les paroles de Jésus sur le Fils de l’homme on ne rencontre jamais une telle particule de comparaison. À cela s’ajoute que le « Fils de l’homme » n’est mentionné dans aucune des apparitions pascales?et qu’aucune des paroles sur le Fils de l’homme ne peut être comprise uniquement à partir de motifs pascals.
Une quatrième position considère que Jésus pensait à lui-même aussi bien en parlant du Fils de l’homme présent que du Fils de l’homme à venir. Il s’attendait à être investi dans le rôle du Fils de l’homme à venir. Ici, il n’y a certes aucune tension avec la conscience eschatologique de son autorité, mais on se heurte à deux autres problèmes. Premièrement, Jésus parle du Fils de l’homme à la troisième personne : pourquoi s’exprime-t-il de façon si énigmatique s’il veut parler de lui-même ? En second lieu, le passage de son activité présente sur la terre à son rôle souverain dans le ciel demeure énigmatique. Celui qui apparaît depuis le ciel doit au préalable avoir été élevé dans le ciel ! Mais les paroles sur le Fils de l’homme ne soufflent pas mot d’une telle élévation. Même lorsqu’elles prédisent la passion et la résurrection du Fils de l’homme, il n’est pas question de son élévation.
La compréhension de soi de Jésus
Jésus a été perçu comme un maître et comme un prophète. Dans les deux cas, il s’agit de rôles assez profilés. On savait à peu près ce qu’on devait attendre d’un maître et d’un prophète. Ces deux rôles pouvaient être « joués » par plusieurs personnages. En revanche, « Messie » et « Fils de l’homme » désignent des rôles qui ne peuvent être tenus que par une seule personne. Dans la règle, il n’y a qu’un seul Messie – et quand il y en avait plus d’un, il n’y avait chaque fois qu’un messie royal et un messie sacerdotal. De même, il n’y avait qu’un seul Fils de l’homme, qui devait venir du ciel en une manifestation cosmique et apparaître comme l’éclair. En même temps, il s’agit là de deux rôles relativement flous. On ne sait pas exactement ce qu’on doit attendre d’un messie, et même pas du tout quelles sont les tâches du « Fils de l’homme ».
Jésus, « Fils de l'Homme. »
En Hébreux, l'expression "fils d'homme" a juste la signification d"être humain", car ce qui définit qu'un être vivant est humain, c'est qu'il a été engendré par un autre être humain, qu'il est donc "fils d'homme" ; on définit de la même façon un cheval comme étant un "fils de cheval", un mouton comme un "fils de mouton", etc.
"Fils de l'homme" a cependant un sens un peu différent, du fait de l'article défini. Or, toujours en Hébreux, le mot homme se dit "adam", comme le premier être humain, et s'il n'est pas interdit de traduire "le adam" par "l'homme", on ne doit pas non plus perdre de vue que "le adam" sert aussi à désigner "Adam", la personne du récit du jardin d'Éden. Ce qui a été traduit par "Fils de l'homme" pourrait très bien l'être par "Fils d'Adam".
D'un côté, on pourrait dire que ce n'est qu'une nuance : se définir comme fils d'homme, c'est quand même aussi se définir comme descendant d'Adam, puisque tous les hommes sont censés descendre d'Adam. Mais en se disant "fils de l'homme", et non "fils d'homme" comme le voudrait l'hébraïsme usuel, Jésus voulait certainement se référer explicitement au tout premier homme créé par Dieu, comme si lui, Jésus, représentait l'étape suivante dans l'évolution.
Une certaine théologie ultérieure le définira d'ailleurs comme le "nouvel Adam", mais cette idée n'est pas exactement la même. Se rattachant à la notion du péché originel, le nouvel Adam est celui qui a rétabli, rattrapé, l'erreur de l'Adam originel. Le concept de Fils d'Adam, de son côté, parle seulement de la marche suivante dans l'histoire de l'humanité : Adam et l'humanité adamique ont joué leur rôle, et voici maintenant le temps des Fils d'Adam.
Or, ce qui définit, qui caractérise, les Fils d'Adam, Jésus l'explique dans l'entretien avec Nicodème (Jean 3, 1s), c'est qu'ils sont nés une seconde fois, ils sont nés à l'Esprit, ils ont découvert, comme lui, leur nature divine : un peu paradoxalement, le Fils de l'Homme, c'est l'homme qui a expérimenté qu'il est Fils ...de Dieu. Mais le paradoxe n'est qu'apparent, tant ces deux pôles — l'Homme et Dieu — ne peuvent être l'un sans l'autre, et l'autre sans l'un !
Jésus dans le rôle du maître
La christologie implicite de Jésus est en réalité beaucoup moins « implicite » – c’est-à-dire indépendante de l’emploi d’un titre – qu’on ne le suppose habituellement. En effet, elle est fondée sur les attentes qu’on mettait en Jésus dans ses rôles de maître et de prophète. Rappelons-le encore une fois : il y a dans la recherche un certain consensus pour dire que la christologie implicite se manifeste dans la manière dont Jésus a compris l’histoire, la Torah et Dieu. Jésus s’est mis lui-même en relation avec les prophètes par la conscience qu’il avait de l’accomplissement ; il s’est mis lui-même en relation avec la Torah par l’interprétation qu’il donnait de la Loi. Il s’est montré supérieur à Moïse dans son rôle de maître, et supérieur aux prophètes dans son rôle de prophète. À cela s’ajoute sa compréhension de Dieu, qui embrase les deux rôles. L’usage d’« amen » pour introduire ses paroles fait partie de son rôle de prophète, dans la mesure où il signale son inspiration ; le recours à l’image de Dieu comme père relève de son rôle de maître de sagesse. Dans le Siracide en effet, le maître de sagesse s’adresse à Dieu comme à son père (Si 51, 1). Jésus a ainsi articulé comme maître et comme prophète la conscience de son autorité, mais il a aussi transcendé les attentes liées à ces rôles qui lui étaient adressées. Il nous faut démontrer deux choses : d’abord, que ces attentes lui ont effectivement été adressées, et deuxièmement qu’il y a répondu, sans s’attribuer explicitement le rôle du maître ou celui du prophète, mais en les acceptant cependant implicitement pour lui.
En ce qui concerne le rôle du maître, les attentes sociales sont évidentes. L’interpellation de Jésus comme « Maître » se rencontre fréquemment dans la bouche de ses interlocuteurs. Dans l’Évangile de Matthieu, on ne trouve l’apostrophe « Maître » que dans la bouche de gens qui ne sont pas des disciples, à une exception près : Judas salue Jésus en disant « Rabbi » (Mt 26, 49). Les autres disciples s’adressent à lui en disant « Seigneur ». Dans l’Évangile de Matthieu, pourtant, Jésus est le maître par excellence, puisque les disciples ne doivent avoir aucun autre maître en dehors de lui (Mt 23, 8).
En tant que maître, Jésus a fasciné la foule. Il enseignait « avec autorité, non pas comme les scribes » (Mc 1, 22). Il est ainsi entré en conflit avec d’autres rôles. Ses compatriotes se demandent : « Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée ? […] N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie ? » Son rôle de membre d’une famille et de villageois entre ici en conflit avec son rôle de maître (Mc 6, 1 sqq.). On discerne aussi chez Jésus une interprétation individuelle de ce rôle : en tant que maître itinérant, il se distingue d’autres maîtres. L’existence de maîtres itinérants n’est pas attestée avec certitude dans le judaïsme de cette époque. Les autres maîtres ne dispensaient leur enseignement qu’à de jeunes hommes. Mais parmi les auditeurs de Jésus, il y avait aussi des femmes. Jésus s’adressait consciemment à elles puisque les exemples qu’il donnait étaient aussi bien féminins que masculins.
Ce qui est frappant, c’est que le terme de maître ne se trouve jamais comme désignation explicite quand Jésus parle de lui-même, mais seulement comme un rôle assumé de manière implicite. La seule exception qu’on pourrait citer est Mc 14, 14. Jésus charge ses disciples de chercher un lieu pour y célébrer le repas pascal, et ils doivent dire en son nom : « Le maître dit ». Partout ailleurs, on ne trouve que des affirmations générales au sujet du « maître » qui englobent aussi Jésus : « Le disciple n’est pas plus grand que son maître » (Mt 10, 24-25) ; « Ne vous faites pas appeler “Rabbi”, car un seul est votre maître, mais vous êtes tous frères » (Mt 23, 8). Ici, Jésus ne parle de lui comme maître que de façon indirecte, à la troisième personne. Il ne se désigne pas directement comme maître, mais se définit « implicitement » comme tel. Il en va de même pour son appel au salut : tous ceux qui sont fatigués et chargés peuvent venir recevoir l’enseignement de Jésus (Mt 11, 28-30). Il apparaît également comme maître de sagesse dans la parole sur la reine du Midi qui est venue écouter Salomon : Jésus est plus grand que Salomon (Mt 12, 42). Mais là aussi, il n’y a pas de titre explicite. Le rôle de maître reste donc implicite, mais Jésus a sans aucun doute accepté ce rôle qu’on lui attribuait.
Jésus dans le rôle du prophète
Il en va de même pour le rôle de prophète. Dans ce cas aussi, le titre se rencontre dans la bouche des autres et reflète les attentes qui s’adressaient à Jésus. Le peuple le considère comme un prophète (Mc 6, 15 ; 8, 28). Il proclame à la suite d’un miracle : « Un grand prophète s’est levé parmi nous » (Lc 7, 16). La foule de Jérusalem (Mt 21, 11) et les disciples d’Emmaüs (Lc 24, 19) voient en lui un prophète. Ce rôle aussi a été accepté indirectement par Jésus. Le titre de « prophète » se rencontre d’ailleurs dans sa bouche, par exemple dans la parole sur le prophète qui n’est pas accueilli dans sa patrie (Mc 6, 4). Dans ce cas, Jésus parle en termes généraux du rôle de prophète, qu’il prend à son compte, mais il ne se désigne jamais directement comme prophète.
Les rôles du maître et du prophète se recoupent, mais ils se rapportent à des aspects différents de sa vie. En tant que maître, Jésus fascine et connaît la réussite, mais en tant que prophète il est rejeté. Cela s’inscrit dans la tradition de la mort violente des prophètes. On rencontre ce motif dans la parabole des vignerons (Mc 12, 1 sqq.), dans la déclaration selon laquelle un prophète ne doit pas mourir en dehors de Jérusalem (Lc 13, 33), dans la parole sur la sagesse qui a envoyé des prophètes et des apôtres qui ont été tués (Lc 11, 49 ; 13, 34). Dans ce cas aussi, un conflit de rôles surgit dans sa ville d’origine. Jésus interprète le refus auquel il se heurte à Nazareth à partir de son rôle de prophète : un prophète est méprisé dans sa patrie (Mc 6, 4). Alors que Jésus en tant que maître manifeste son charisme, qui surpasse l’attrait exercé par Salomon sur la reine de Saba, en tant que prophète il doit aussi connaître la stigmatisation. C’est le propre du prophète que d’être rejeté ou d’échouer dans sa mission, comme Jonas.
Là aussi, Jésus s’exprime toujours à la troisième personne, dans des déclarations générales qui l’incluent comme locuteur, mais qui ne se rapportent pas exclusivement à lui. Nous ne trouvons aucune parole où Jésus se désignerait explicitement comme prophète, comme s’il craignait de s’attribuer directement ce statut. Il est indéniable que la contingence du statut vaut aussi pour le rôle du prophète. Aucun prophète ne peut savoir de lui-même s’il est un prophète. Une parole prophétique de Jésus exprime bien cette conscience de la contingence du statut : « Je suis venu pour allumer un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il brûle déjà ! Mais je dois être baptisé d’un baptême, et comme cela me pèse jusqu’à ce qu’il soit accompli » (Lc 12, 49-50). Nous trouvons ici une activité, la mission d’« allumer un feu », et en même temps un événement subi, un baptême (un « être baptisé », baptisqh`nai). Quelle que soit la signification de cette image, il est clair que Jésus ne peut pas se donner à lui-même l’élément décisif ; il doit le recevoir, comme on reçoit un baptême.
Résumons le résultat de notre analyse : des indices clairs montrent que Jésus avait conscience d’être un maître et un prophète,, mais il ne l’a pas exprimé de manière directe, il le traduisait par l'expression : «Fils de l'Homme ». Jésus a accepté ces deux rôles. Il les a associés dans une double sentence, où il est question de Jonas qui appelait les Ninivites à la repentance et de Salomon dont la reine du Midi admirait la sagesse (Mt 12, 41-42 ; Lc 11, 31-32). La pointe est ici que Jésus est plus que Jonas et plus que Salomon. Il surpasse aussi bien le prophète que le maître de sagesse. Dans ces deux rôles, il manifeste son charisme en accueillant les attentes traditionnelles liées à ces rôles et en les transcendant. Dans ces deux rôles, Jésus prend place dans une lignée de maîtres et de prophètes.
On peut en tirer une conclusion importante : si Jésus a « accepté » ces rôles, s’il s’est identifié à eux, cela signifie, selon la théorie des rôles de la psychologie de la religion, qu’il a « repris » à leur lumière le rôle de Dieu qui leur correspondait, c’est-à-dire qu’il a considéré Dieu comme celui qui l’avait envoyé comme maître et comme prophète. Selon cette théorie, une telle acceptation des rôles est la condition de l’expérience religieuse. Pour être prophète, il faut vivre une expérience de vocation. Si on découvre dans la tradition sur Jésus des traces d’une telle expérience, il faut les prendre au sérieux. Le rôle de prophète implique aussi la conscience d’avoir été envoyé. Le rôle de prophète implique encore qu’on est rejeté par le peuple. Les déclarations qui vont dans ce sens sont des traces du Jésus historique.
Mais Jésus, en tant que charismatique, a transcendé les attentes qui lui étaient adressées : il était plus qu’un maître, et plus qu’un prophète. Cela signifie-t-il que les rôles singuliers de Messie et de Fils de l’Homme sont pour lui plus caractéristiques ?
Le Messie Fils de l'Homme comme rôle de Jésus
C’est en tant que Messie que Jésus a été attendu et espéré par les autres, mais aussi combattu et mis à mort. Le terme de Messie (Christ) se trouve presque exclusivement dans la bouche des interlocuteurs de Jésus ; lui-même ne l’emploie jamais. Les rares exceptions sont facilement explicables. L’interprétation la plus simple de ces données est que des attentes messianiques se sont portées sur Jésus – indépendamment de la question de savoir s’il s’est lui-même compris comme Messie. Je mentionnerais cinq arguments qui vont dans ce sens.
Une génération avant Jésus, les espérances en l’avènement d’un roi indigène étaient vives dans le pays. Au temps de ce qu’on appelle la guerre des brigands (4 av. J.-C.), Simon et Athrongès s’étaient présentés comme des rois pour le peuple. Ils ne s’étaient peut-être pas donné le nom de « Messie », mais ils avaient en tout cas répandu autour d’eux une aura charismatique. Le berger Athrongès s’était donné l’air d’un nouveau David (Josèphe, Antiquités juives, 17, 278-285), éveillant très probablement ainsi les espérances messianiques d’un « nouveau David ». Puisqu’on peut démontrer l’existence d’espérances messianiques une génération avant Jésus, il est historiquement possible que Jésus ait lui aussi été confronté à de telles espérances.
D’après le titulus crucis (Mc 15, 26), Jésus a été exécuté comme « roi des Juifs ». Nous savons que les inscriptions de ce genre indiquaient parfois le motif de la condamnation. Mais ce n’est pas un trait typique des exécutions qu’on aurait pu inventer après coup sans base historique. Le titulus crucis est donc historique. Il permet de conclure que Jésus a dû être confronté pendant son procès à la question de savoir s’il était le roi des Juifs, et qu’il ne s’est pas distancié devant Pilate de l’accusation d’être le « roi des Juifs ». S’il l’avait fait, on aurait pu jeter le trouble durablement dans l’esprit de ses partisans. Mais on ne voit nulle part qu’ils ont dû se défendre contre l’idée que leur maître aurait mis en doute cette prétention. Il n’est donc pas seulement historiquement possible que Jésus ait été confronté à des attentes messianiques, c’est un fait.
Cela est confirmé par le fait que, dans les Évangiles, les partisans de Jésus comme ses adversaires lui attribuent un « rôle de messie ». Pour les uns c’était là l’objet de leur espérance, pour les autres l’objet de leurs craintes. Pierre confesse que Jésus est le Messie (Mc 8, 29). Le peuple attend, lors de son entrée à Jérusalem, « le règne qui vient, le règne de David, notre père » (Mc 11, 10). Les Romains l’exécutent comme « roi des Juifs » (Mc 15, 26), ce à quoi ses adversaires font allusion quand ils se moquent de lui comme « le messie, le roi d’Israël » (Mc 15, 32). Lorsque partisans et adversaires sont d’accord, on ne peut pas être loin de la vérité historique.
Il faut en outre prendre en considération un argument relevant de l’histoire de la tradition. La notion d’un messie souffrant n’est pas attestée avant le christianisme ; on ne connaît que le messie victorieux (cf. Psaumes de Salomon 17 et 18). L’idée du messie victorieux n’a probablement été convertie en idée du messie souffrant qu’à la suite de la crucifixion de Jésus. On peut en trouver l’attestation dans les sources chrétiennes elles-mêmes : les disciples d’Emmaüs doivent apprendre de la bouche du ressuscité que le messie devait souffrir (Lc 24, 26.46) ; ils ne le savaient donc pas auparavant. Cette transformation de la notion de messie se comprend plus facilement si on admet que cette notion était déjà associée à Jésus avant sa passion. En effet, après son exécution, il y aurait eu peu de raisons d’appliquer à Jésus crucifié une notion auréolée de gloire. La notion de messie a donc probablement joué un rôle décisif dans le procès et la passion de Jésus.
Un dernier argument plaide à mon avis contre la thèse répandue qui fait dériver la foi messianique de la foi pascale. Nous n’avons dans l’histoire aucun cas analogue, où quelqu’un aurait été proclamé messie en raison de ses apparitions post mortem ; mais nous avons bien des exemples montrant qu’une personne a été déclarée messie de son vivant. Rabbi Akiba a proclamé Bar Kochba messie (Talmud de Jérusalem, Taanith, IV, 68d). Josèphe a reconnu en Vespasien l’accomplissement d’une prophétie messianique de son peuple et l’a déclaré souverain universel (Josèphe, Guerre des Juifs, 3, 40). En Mc 13, 21-22, on attend des faux messies qu’ils soient déclarés messies par d’autres, qui diront : « Vois, le Messie est ici ! Vois, il est là ! ». Pourquoi Pierre n’aurait-il pas, lui aussi, déclaré Jésus messie de cette manière ?
Alors que Jésus a indirectement accepté le rôle de maître et celui de prophète, se désignant comme « Fils de l'Homme », il ne l’a pas fait pour le rôle de messie. Et on peut comprendre pourquoi il s’est montré aussi réticent face à ce rôle.
Le rôle de messie recèle en effet des contradictions. Dans Psaume de Salomon 17, la tâche du messie consiste d’un côté à chasser les ennemis hors du pays : il purifiera Jérusalem des païens et les anéantira sous ses pieds (Ps Sal 17, 22). Mais par ailleurs, quand il se sera imposé, les païens viendront volontairement des extrémités de la terre pour contempler sa gloire (17, 31). Son action est elle aussi décrite de manière contradictoire : d’une part, il agira par les armes (17, 21 sqq.), (ce qui n'est pas compatible avec l'enseignement de Jésus), d’autre part, il vaincra par la parole de sa bouche (17, 24). Il renoncera aux armes de guerre : « Il n’espérera pas dans le cheval, le cavalier ni l’arc […] le Seigneur est son roi, son espérance ; sa force (réside) dans son espoir en Dieu » (17, 33-34). Deux éléments du rôle amènent là un conflit à l’intérieur de ce rôle. Nous sommes en présence d’un conflit entre l’attente de l’anéantissement des païens et l’espérance en une reconnaissance de leur part.
Quelle a été la position de Jésus face à ces attentes du Messie ? D’après Psaume de Salomon 17, 26, le Messie devait avoir pour tâche de « juger les tribus du peuple ». Jésus a transmis ce mandat aux Douze, sans pour autant leur conférer explicitement la dignité messianique. Ils n’en reçoivent pas moins une tâche de caractère messianique : ils devront juger avec lui les tribus d’Israël rassemblées. De cette manière, Jésus a transformé une attente messianique qui s’adressait à une seule personne en un messianisme de groupe. Il a fait du cercle des disciples un collectif messianique. Cela a dû éveiller chez les disciples des attentes très vives. Lorsque les deux fils de Zébédée demandent à Jésus de pouvoir occuper les places d’honneur à ses côtés dans son royaume, il leur dit qu’il n’en dispose pas (Mc 10, 35-45). Une conscience de la contingence du statut l’empêche d’en dire davantage sur le sujet. Pierre aussi a essuyé une rebuffade, quand il a voulu attribuer à Jésus la dignité de Messie. Pierre avait probablement en vue un Messie politique. Il se pourrait que la parole où il est apostrophé comme Satan ait été la réponse originelle de Jésus à sa confession : « Écarte-toi de moi, Satan, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mc 8, 33). Par cette parole, Jésus ne repousse pas la messianité en soi, mais les pensées de Pierre. L’attente du Messie était très floue à cette époque. Elle pouvait avoir en vue un Messie combattant, aussi bien qu’un Messie non violent, un Messie qui expulse les païens aussi bien qu’un Messie qui les attire et les conduit dans la terre sainte. Cette attente contenait en elle un conflit interne au rôle. C’est peut-être ce conflit qui a causé le rejet de Jésus lorsque, devant Pilate, il ne s’est pas clairement distancié du rôle de Messie.
Mais ce ne sont pas seulement les contradictions internes de l’attente messianique qui expliquent la réserve de Jésus à l’égard de la dignité de Messie. L’axiome de la contingence des statuts a joué ici aussi un rôle décisif. Jésus ne peut pas s’attribuer à lui-même la dignité messianique. Une tradition juive citée par Justin l’exprime clairement : « Même si le Messie est né et se trouve en quelque endroit, il est inconnu, car il est ignorant de lui-même et n’a aucune puissance jusqu’à ce qu’Élie vienne l’oindre et le manifester aux yeux de tous » (Justin, Dialogue avec Tryphon, 8, 4). Il s’agit là d’un statut dont la justification et la proclamation sont contingentes. Dans Psaume de Salomon 17, la royauté illégitime est condamnée parce qu’elle s’est instituée elle-même : « Dans la splendeur, ils ont érigé (ethento) une royauté (une couronne ?) à cause de leur orgueil, ils ont dévasté le trône de David, dans le bruit de leur outrecuidance » (Ps Sal 17, 6). L’image opposée est celle du Messie qui reçoit son pouvoir de Dieu. Il est dit de lui : « Regarde, Seigneur, et suscite (anastèson) leur roi, le fils de David » (Ps Sal 17, 21). Il est probable que Jésus n’a pas accueilli ouvertement les attentes messianiques qui se portaient sur lui parce qu’il était convaincu que Dieu seul pouvait conférer ce statut et le faire connaître. L’Évangile de Jean contient un souvenir de cette réserve de Jésus vis-à-vis du titre de Messie. À la suite du discours sur le berger, « les Juifs firent cercle autour de lui et lui dirent : “Jusqu’à quand vas-tu nous tenir en suspens ? Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement.” Jésus leur répondit : “Je vous l’ai dit, et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père, ce sont elles qui me rendent témoignage” » (Jn 10, 24-25).
La divinité de Jésus
Jésus, dit-on, est le Fils de Dieu depuis toujours... Mais que faisait-il avant sa naissance ?
Ma préférence intellectuelle serait de dire que Jésus est né comme tout homme, est devenu un Maître de sagesse et un grand prophète comme toute la lignée des grands prophètes, reconnut comme tel par une grande partie de ses contemporains. Jusqu'à devenir intime avec Dieu dont-il avait une conscience très élevée comme un fils envers son Père et compris ainsi que son Père est Amour et non pas le dieu vengeur et jaloux d'Élie et de Jean-Baptiste. Ce Dieu d'Amour se révèle en le proclamant son Fils par l'acte de la résurrection, "visible" pour montrer que tout être humain peut être et devenir « Fils de l'Homme », c'est-à-dire : Fils de Dieu par adoption.
La divinité de Jésus a longtemps posé un problème aux Églises et les grands conciles de Nicée (325) et de Chalcédoine (451) n’ont pas vraiment clarifié la question. Ils ont employé des termes abstraits que chacun comprenait différemment suivant sa culture. Ainsi en va-t-il du mot grec omo ousios que l’on peut comprendre comme de « même substance », ou « de même essence » ou encore « de même nature ». Et le mot hypostase peut être aussi compris comme la substance ou la personne. Entre la substance, la personne et la nature, les conclusions des conciles n’ont pas été limpides et ne veulent rien dire. Même substance, ok mais laquelle ? Somme-nous en droit de demander ! Quelle est la substance de Dieu ? Personne n'est en capacité de nous répondre ! Aussi ont-ils plutôt compliqué la question de sorte que les disputes, excommunications, violences et assassinats ont encore continué pendant des siècles autour de cette question.
Aujourd’hui encore, certains théologiens voient dans le Nouveau Testament l’affirmation que Jésus était Dieu, alors que d’autres y voient, au contraire, la négation de cette affirmation. Clément de Rome, dans sa deuxième épître, écrit vers 120 : « Frères, il nous faut considérer Jésus Christ comme Dieu ». Ceci prouve bien que, en ce début du deuxième siècle, la divinité de Jésus n’était pas admise partout. Mon sentiment est que cette idée a dû commencer à se répandre assez largement dans le christianisme justement au tournant du premier et du deuxième siècle.
Une évolution perceptible dans le Nouveau Testament
Ainsi Paul, qui écrit entre les années 50 et 60, ne confond jamais Jésus et Dieu. Pour l’apôtre, Jésus est le Messie annoncé par les prophètes. Il n’a jamais été question que ce Messie soit un Dieu. Lorsque Paul écrit en I Co 11 : « Le chef de la femme c’est l’homme, le chef de l’homme c’est le Christ et le chef du Christ c’est Dieu », il établit une hiérarchie, certes discutable, mais il montre bien que pour lui le Christ n’est pas Dieu. Évidemment le mot Seigneur (Kurios) qu’il emploie aussi bien pour désigner Dieu que Jésus peut prêter à confusion. L’expression montre surtout le respect que l’on doit aux deux personnages. Comme le maître de maison, l’empereur est aussi Kurios.
Les évangiles synoptiques, écrits entre 70 et 90, ne parlent pas davantage d’un Jésus qui serait Dieu. Encore moins l’Évangile apocryphe de Thomas. Cependant, on s’en rapproche plus avec l’Évangile de Jean et particulièrement son prologue. Mais justement une partie de cet évangile notamment le prologue a été écrit aux alentours des deux premiers siècles et l’idée d’un Jésus-Dieu avait fait son chemin dans certains milieux. L’école johannique développe une sorte de fusion entre Dieu et Jésus. Et lorsque ce dernier déclare qu’il est « sorti de Dieu » (Jean 8,42) on peut se demander si c’est Jésus qui parle ou l’évangéliste. Le Jésus johannique est bien davantage « uni au Père » que le Jésus des synoptiques.
Quoi qu’il en soit, à partir du deuxième siècle, et pour longtemps encore, ont coexisté des doctrines opposées : celles qui niaient la divinité de Jésus, et celles qui niaient son humanité. Avec toutes les hypothèses intermédiaires. Comme déjà dit, les grands conciles ont trouvé des compromis pour maintenir l’unité de l’Église et de l’Empire, imaginant que Jésus pouvait être à la fois vrai homme et vrai Dieu. Ils ont eu bien du mal à convaincre. On se rend compte aujourd’hui que le problème était mal posé.
Saviez-vous que Jésus-Christ n’est pas le seul Fils de Dieu ? En effet, les Écritures nomment ainsi les membres du peuple d’Israël (Psaume 29:1), Jésus promet à ceux qui procurent la paix qu’ils seront appelés ainsi (Matthieu 5:9), Paul nous dit que nous sommes fils de Dieu, adoptés par Dieu, de telle sorte que nous appelons Dieu notre Père (Romains 8:14,15) et Dieu promet au vainqueur qu’il sera pour lui un Dieu et que le vainqueur sera pour Lui un fils. Comment alors concilier ça avec les passages dans le prologue de Jean qui présentent le Christ comme le Fils unique (Jean 1:14) .
Nous sommes des fils de Dieu.
Dans notre bouche, le titre de Fils de Dieu est le plus souvent attribué à Jésus. Dans la Bible, il s’agit cependant d’une expression polysémique. Elle a donc plusieurs sens et peut comprendre d’autres catégories de personnes. Ce titre implique-t-il automatiquement la divinité de la personne concernée ? Qu’ont en commun les différents référents ?
Fils de Dieu : un être créé par Dieu
Dans l’Ancien Testament, il y a l’idée de Dieu comme père dans l’action créatrice (Ml 2.10) ; dans le Nouveau Testament, on trouve une fois l’expression fils de Dieu attribuée à une créature humaine dans sa relation au créateur. La formule vise donc dans ce cas un aspect de la théologie de la création et non de la rédemption (Lc 3.38).
Fils de Dieu : les anges
L’expression peut aussi désigner en hébreu, au pluriel, des êtres célestes, comme les anges (Jb 1.6 ; Ps 29.1), ce qui témoigne de leur relation particulière avec Dieu et met en évidence leur différence avec les êtres humains.
Fils de Dieu : un être lié à Dieu par une alliance
Troisièmement, la formule peut exprimer une appartenance à Dieu au sens moral, religieux et dans le cadre d’une alliance : cela concerne Israël (Ex 4.22 ; Rm 9.4), le peuple de l’alliance, et les croyants qui sont devenus enfants de Dieu par adoption (Jn 1.12 ; Rm 8.14ss). Quand la Bible présente Dieu comme Père, ce mot n’est pas compris au sens physique – même si des métaphores de naissance et d’enfance sont utilisées – mais désigne quelqu’un qui prend soin de nous à l’image d’un père (Lc 11.11-13 ; Jc 1.17). Il y a donc une relation privilégiée, dépassant le rapport existant entre le créateur et ses créatures, qui lient certains êtres humains à Dieu. Interprétés dans ce sens, les mots fils de Dieu peuvent aussi désigner ceux qui agissent comme Dieu, en adoptant certaines de ses caractéristiques et en l’imitant (Lc 6.35 ; 1 Jn 3.9), et qui, par cela, jouent le rôle de ses représentants.
Fils de Dieu : le Messie
Bien évidemment, l’expression a aussi un sens messianique, ou royal : le roi davidique est adopté par Dieu (2 S 7.14 ; Ps 2.7), comme cela était la coutume dans le Proche-Orient ancien où l’intronisation d’un roi correspondait à son adoption par la divinité du peuple. Ceci met en évidence que ce sens n’implique pas nécessairement la divinité de la personne concernée.
Fils de Dieu : la relation unique qui lie Jésus à son Père
Finalement, le titre Fils de Dieu peut avoir un sens théologique, ou ontologique. Jésus peut être appelé Fils de Dieu à cause de la révélation qu'il nous fait de Dieu. "Celui qui m'a vu a vu le Père" en nous présentant son Père au travers sa personne, celui-ci en le ressuscitant des morts ne le révèle comme tel. L’expression met alors l’accent sur son identité divine, car le Fils est celui qui révèle la présence de Dieu.
Dans les cas où Jésus figure comme seul référent possible, ce titre reflète la relation particulière et unique qui unit Jésus à son Père. Il s’agit d’une relation d’intimité qui s’exprime par l’obéissance (Hé 5.8) et l’engagement en vue de l’accomplissement du rôle qui lui a été confiée (Jn 4.34). Ces éléments montrent que la filiation du peuple de Dieu, mentionnée plus haut, avec ses différences et ses ressemblances, est étroitement liée à celle de Jésus. Concernant Jésus, la distinction entre sens messianique – sens visant l’alliance, exprimant une relation privilégiée avec Dieu –, et sens théologique n’est pas toujours évidente.
Conclusion
Il semble donc clair que l’expression Fils de Dieu en elle-même n’implique pas automatiquement que le référent soit de nature divine, et que c’est davantage celui ou ceux qu’elle désigne qui détermine(nt) la compréhension de l’expression.
Le point commun entre ces différentes significations se trouve dans la notion de paternité de Dieu, qui exprime une relation particulière. Indépendamment de la nature et de l’identité des référents, ce titre n’a jamais un sens physique, charnel ou temporel, mais communique une réalité spirituelle et s’inscrit dans le cadre de l’alliance. En outre, il convient de relever qu’à l’exception de Jésus et des rois à certains endroits, ce titre ne s’applique pas aux individus, mais à des groupes de personnes, le peuple de Dieu le plus souvent.
Puissions-nous, à l’exemple de notre frère aîné (Rm 8.29), être bel et bien des fils et des filles de Dieu qui marchent sous son regard de Père (1 Jn 3.1) !
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