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Des visiteurs chez Abraham
Des visteurs chez Abraham
DIEU, ABRAHAM ET SODOME
Apparition de Mamré
Genèse chapitre 18
l’annonce de la naissance d’un enfant. (1-15)
1Le SEIGNEUR apparut à Abraham aux chênes de Mamré alors qu’il était assis à l’entrée de la tente dans la pleine chaleur du jour. 2Il leva les yeux et aperçut trois hommes debout près de lui. A leur vue il courut de l’entrée de la tente à leur rencontre, se prosterna à terre 3et dit : « Mon Seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, veuille ne pas passer loin de ton serviteur. 4Qu’on apporte un peu d’eau pour vous laver les pieds, et reposez-vous sous cet arbre. 5Je vais apporter un morceau de pain pour vous réconforter avant que vous alliez plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur. » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. » 6Abraham se hâta vers la tente pour dire à Sara : « Vite ! Pétris trois mesures de fleur de farine et fais des galettes ! » 7et il courut au troupeau en prendre un veau bien tendre. Il le donna au garçon qui se hâta de l’apprêter. 8Il prit du caillé, du lait et le veau préparé qu’il plaça devant eux ; il se tenait sous l’arbre, debout près d’eux. Ils mangèrent 9et lui dirent : « Où est Sara ta femme ? » Il répondit : « Là, dans la tente. » 10Le SEIGNEUR reprit : « Je dois revenir au temps du renouveau et voici que Sara ta femme aura un fils. » Or Sara écoutait à l’entrée de la tente, derrière lui. 11Abraham et Sara étaient vieux, avancés en âge, et Sara avait cessé d’avoir ce qu’ont les femmes. 12Sara se mit à rire en elle-même et dit : « Tout usée comme je suis, pourrais-je encore jouir ? Et mon maître est si vieux ! » 13Le SEIGNEUR dit à Abraham : « Pourquoi ce rire de Sara ? Et cette question : “Pourrais-je vraiment enfanter, moi qui suis si vieille ?” 14Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le SEIGNEUR ? A la date où je reviendrai vers toi, au temps du renouveau, Sara aura un fils. » 15Sara nia en disant : « Je n’ai pas ri », car elle avait peur. « Si ! reprit-il, tu as bel et bien ri. »
projet divin de destruction & Intercession d’Abraham (16-33)
16Les hommes se levèrent de là et portèrent leur regard sur Sodome ; Abraham marchait avec eux pour prendre congé. 17Le SEIGNEUR dit : « Vais-je cacher à Abraham ce que je fais ? 18Abraham doit devenir une nation grande et puissante en qui seront bénies toutes les nations de la terre, 19car j’ai voulu le connaître afin qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie du SEIGNEUR en pratiquant la justice et le droit ; ainsi le SEIGNEUR réalisera pour Abraham ce qu’il a prédit de lui. » 20Le SEIGNEUR dit : « La plainte contre Sodome et Gomorrhe est si forte, leur péché est si lourd 21que je dois descendre pour voir s’ils ont agi en tout comme la plainte en est venue jusqu’à moi. Oui ou non, je le saurai. » 22Les hommes se dirigèrent de là vers Sodome. Abraham se tenait encore devant le SEIGNEUR, 23il s’approcha et dit : « Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le coupable ? 24Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville ! Vas-tu vraiment supprimer cette cité, sans lui pardonner à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? 25Ce serait abominable que tu agisses ainsi ! Faire mourir le juste avec le coupable ? Il en serait du juste comme du coupable ? Quelle abomination ! Le juge de toute la terre n’appliquerait-il pas le droit ? » 26Le SEIGNEUR dit : « Si je trouve à Sodome cinquante justes au sein de la ville, à cause d’eux je pardonnerai à toute la cité. » 27Abraham reprit et dit : « Je vais me décider à parler à mon Seigneur, moi qui ne suis que poussière et cendre. 28Peut-être sur cinquante justes en manquera-t-il cinq ! Pour cinq, détruiras-tu toute la ville ? » Il dit : « Je ne la détruirai pas si j’y trouve quarante-cinq justes. » 29Abraham reprit encore la parole et lui dit : « Peut-être là s’en trouvera-t-il quarante ! » Il dit : « Je ne le ferai pas à cause de ces quarante. »
30Il reprit : « Que mon Seigneur ne s’irrite pas si je parle ; peut-être là s’en trouvera-t-il trente ! » Il dit : « Je ne le ferai pas si j’y trouve ces trente. »
31Il reprit : « Je vais me décider à parler à mon Seigneur : peut-être là s’en trouvera-t-il vingt ! » Il dit : « Je ne détruirai pas à cause de ces vingt. » 32Il reprit : « Que mon Seigneur ne s’irrite pas si je parle une dernière fois : peut-être là s’en trouvera-t-il dix ! » – « Je ne détruirai pas à cause de ces dix. » 33Le SEIGNEUR partit lorsqu’il eut achevé de parler à Abraham et Abraham retourna chez lui.
Genèse chapitre 19
Visite chez Lot et la destruction de Sodome et Gomorrhe (1-29)
1Les deux anges arrivèrent le soir à Sodome alors que Loth était assis à la porte de Sodome. Il les vit, se leva pour aller à leur rencontre et se prosterna face contre terre. 2Il dit : « De grâce, mes seigneurs, faites un détour par la maison de votre serviteur, passez-y la nuit, lavez-vous les pieds et de bon matin vous irez votre chemin. » Mais ils lui répondirent : « Non ! Nous passerons la nuit sur la place. » 3Il les pressa tant qu’ils firent un détour chez lui et arrivèrent à sa maison. Il leur prépara un repas, fit cuire des pains sans levain et ils mangèrent. 4Ils n’étaient pas encore couchés que la maison fut cernée par les gens de la ville, les gens de Sodome, du plus jeune au plus vieux, le peuple entier sans exception. 5Ils appelèrent Loth et lui dirent : « Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit ? Fais-les sortir vers nous pour que nous les connaissions. » 6Loth sortit vers eux sur le pas de sa porte, il la ferma derrière lui 7et dit : « De grâce, mes frères, ne faites pas de malheur. 8J’ai à votre disposition deux filles qui n’ont pas connu d’homme, je puis les faire sortir vers vous et vous en ferez ce que bon vous semblera. Mais ne faites rien à ces hommes puisqu’ils sont venus à l’ombre de mon toit. » 9Ils répondirent : « Tire-toi de là ! » et ils dirent : « Cet individu est venu en émigré et il fait le redresseur de torts ! Nous allons lui faire plus de mal qu’à eux. » Ils poussèrent Loth avec violence et s’approchèrent pour enfoncer la porte. 10Mais les hommes tendirent la main pour faire rentrer Loth à la maison, près d’eux. Ils fermèrent la porte, 11et frappèrent de cécité les gens qui étaient devant l’entrée de la maison, depuis le plus petit jusqu’au plus grand ; ils ne purent trouver l’entrée. 12Les hommes dirent à Loth : « Qui as-tu encore ici ? Un gendre ? Tes fils ? Tes filles ? Tout ce que tu as dans la ville, fais-le sortir de cette cité. 13Nous allons en effet la détruire, car elle est grande devant le SEIGNEUR, la plainte qu’elle provoque. Il nous a envoyés pour la détruire. » 14Loth sortit pour parler à ses gendres, ceux qui allaient épouser ses filles, et il leur dit : « Debout ! Sortez de cette cité car le SEIGNEUR va détruire la ville. » Mais aux yeux de ses gendres, il parut plaisanter. 15Lorsque pointa l’aurore, les anges insistèrent auprès de Loth en disant : « Debout ! Prends ta femme et tes deux filles qui se trouvent ici de peur que tu ne périsses par la faute de cette ville. » 16Comme il s’attardait, les hommes le tirèrent par la main, lui, sa femme et ses deux filles car le SEIGNEUR avait pitié de lui ; ils le firent sortir pour le mettre hors de la ville. 17Comme ils le menaient dehors, ils dirent à Loth : « Sauve-toi, il y va de ta vie. Ne regarde pas derrière toi, ne t’arrête nulle part dans le District ! Fuis vers la montagne de peur de périr. » 18Loth leur dit : « A Dieu ne plaise ! 19Voici, ton serviteur a trouvé grâce à tes yeux et tu as usé envers moi d’une grande amitié en me conservant la vie. Mais moi, je ne pourrai pas fuir à la montagne sans être atteint par le fléau et mourir. 20Voici cette ville, assez proche pour y fuir, et insignifiante. Je voudrais m’y réfugier. N’est-ce pas demander peu de chose pour rester en vie ? » 21Il lui répondit : « Vois ! je te fais encore cette faveur et je ne bouleverserai pas la ville dont tu me parles. 22Réfugie-toi là-bas au plus vite, car je ne peux rien faire jusqu’à ce que tu y sois arrivé. » C’est pourquoi on appelle cette ville Çoar. 23Le soleil se levait sur la terre et Loth entrait à Çoar 24quand le SEIGNEUR fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu. Cela venait du ciel et du SEIGNEUR. 25Il bouleversa ces villes, tout le District, tous les habitants des villes et la végétation du sol. 26La femme de Loth regarda en arrière et elle devint une colonne de sel. 27Abraham se rendit de bon matin au lieu où il s’était tenu devant le SEIGNEUR, 28il porta son regard sur Sodome, Gomorrhe et tout le territoire du District ; il regarda et vit qu’une fumée montait de la terre comme la fumée d’une fournaise. 29Or, quand Dieu détruisit les villes du District, il se souvint d’Abraham, et il retira Loth au cœur du fléau, quand il bouleversa les villes où Loth habitait.
l’histoire de Lot et de ses filles qui se termine par la naissance de Moab et Ammon (30-38)
30Loth monta de Çoar pour loger à la montagne, et ses deux filles l’accompagnaient. Il craignait en effet d’habiter Çoar et il logea dans une caverne, lui et ses deux filles. 31L’aînée dit à la cadette : « Notre père est vieux et il n’y a pas d’homme dans le pays pour venir à nous selon la coutume du pays tout entier. 32Allons ! Faisons boire du vin à notre père et nous coucherons avec lui pour donner vie à une descendance issue de notre père. » 33Elles firent boire du vin à leur père cette nuit-là, et l’aînée vint coucher avec son père qui n’eut conscience ni de son coucher ni de son lever. 34Or, le lendemain, l’aînée dit à la cadette : « Vois ! J’ai couché la nuit dernière avec mon père. Faisons-lui boire du vin cette nuit encore, et tu iras coucher avec lui. Nous aurons donné vie à une descendance issue de lui. » 35Cette nuit encore, elles firent boire du vin à leur père. La cadette alla coucher avec lui ; il n’eut conscience ni de son coucher ni de son lever. 36Les deux filles de Loth devinrent enceintes de leur père. 37L’aînée donna naissance à un fils qu’elle appela Moab ; c’est le père des Moabites d’aujourd’hui. 38La cadette, elle aussi, donna naissance à un fils qu’elle appela Ben-Ammi ; c’est le père des fils d’Ammon d’aujourd’hui.
La cohérence narrative de Genèse chapitres 18 & 19.
Dans Gn l8-l9, on peut distinguer les récits suivants : la visite des trois hommes chez Abraham et Sarah qui se termine par l’annonce de la naissance d’un enfant (l8,l-l5), la discussion entre Abraham et Yahvé sur le pouvoir des «justes» et le projet divin de destruction (18,16-33), la visite chez Lot et la destruction de Sodome et Gomorrhe (19,1-29) et, finalement, l’histoire de Lot et de ses filles qui se termine par la naissance de Moab et Ammon (19,30-38). À première vue, il s’agit là d’une collection d’histoires assez disparates. En même temps, ces différentes histoires sont très fortement reliées entre elles: — Le comportement d’Abraham et de Lot vis-à-vis des visiteurs est construit d’une manière parallèle. Dans les deux cas, les deux héros montrent une hospitalité exemplaire et on trouve nombre d’expressions identiques dans les deux récits. — La discussion entre Abraham et Yahvé sur la justice divine ne peut se comprendre indépendamment du récit de la destruction de Sodome. À la question du ch 18v. 23 : הַאַף תִּסְפֶּה, צַדִּיק עִם-רָשָׁע «Vas-tu enlever le juste avec le coupable?», il faut comparer l’avertissement adressé à Lot en 19,15: הַנִּמְצָאֹת--פֶּן-תִּסָּפֶה, בַּעֲוֺן הָעִיר «de peur que tu sois enlevé/supprimé par la faute de cette ville». La racine hébraïque נשׂ n-s-’ naw-saw' ( נָשָׂא enlever [la faute]) utilisée en 18, 26 est repris en 19, 21 lorsque Lot obtient la faveur de s’enfuir à Tsoar. — L’histoire de la naissance incestueuse des descendants de Lot reste incompréhensible sans l’épisode précédent: la constellation présupposée en l9,30-38 est préparée par la catastrophe décrite en 19,23-29. Le fait que les filles de Lot utilisent leur père fait écho à la proposition de Lot d’utiliser ses filles en 19,8 afin de protéger ses invités de l’agression des habitants de la ville. Ces liens multiples montrent que les chapitres l8 et 19 ont été arrangés d’une manière délibérée: cela n'exclut pas le fait qu’ils soient le résultat de l’intervention de plusieurs rédacteurs, rédacteurs qui ont également emprunté trois thèmes des mythologies grecque et proche-orientale.
La visite de la triade chez Abraham en Gn ch18, v1-16
En lisant cette histoire, on est frappé par l’alternance entre des formes verbales au singulier et au pluriel. Le verset 1a, veut résoudre le problème en constatant: « Yhwh apparut à Abraham», mais il s’agit là très clairement d’un titre ajouté par un rédacteur qui veut donner l’interprétation de la suite. Ce changement entre singulier et pluriel a incité certains exégètes à résoudre le problème par l’idée de deux documents. Ainsi, Kilian propose un «document pluriel» et un «document singulier ». Van Seters pense que le récit ancien ne contenait que les versets 1a.10-l4 et aurait été complété par l’ajout des versets lb-95. Mais au niveau littéraire, ce «récit primitif» reste incohérent, parce que la promesse du fils est ici formulée comme récompense de l’hospitalité exemplaire d’Abraham. En revanche, l'hypothèse de Van Seters peut mettre sur une piste. La tension entre le verset l et 3 s’expliquerait peut-être par le fait que l’auteur de notre texte aurait combiné deux motifs traditionnels différents, à savoir le A thème d’une visite de trois divinités chez un vieillard ou un couple âgé pour tester leur hospitalité et le motif de L’oracle de naissance délivré par un être divin ou un prêtre à une femme (voir par exemple L'oracle adressé à Hagar en Gn 16). Il est en effet possible que notre récit ait d’abord eu une suite ou une fin différente. Ainsi 1’annonce de Yahvé (aux versets 10 et 14): «je dois revenir à pareille époque dans un an » n’est pas suivie d’effet dans le cycle d’Abraham, et Sarah, après sa «défense» au v. 15, disparaît de manière abrupte. Il est donc possible que l’histoire se soit terminée par la naissance du fils, fin qui aurait été remplacée par la version sacerdotale en Gn 21,1ss. Mais il nous est impossible de reconstruire cette fin «primitive».
Contrairement au lecteur, Abraham ne sait pas qu'il a affaire à des visiteurs divins, mais chaque hôte a droit au meilleur accueil, la tradition d’hospitalité étant un des piliers des sociétés du Proche-Orient ancien. Et bien qu’Abraham ait ignoré, dans le récit, l’identité des visiteurs, les massorètes ont vocalisé son invitation du v. 3 d’une manière ambiguë: on peut comprendre «mes seigneurs», donc les trois hommes, mais aussi voir la vocalisation du terme אֲדֹנָי «Adonay» (Seigneur) qui remplace la prononciation du tétragramme יחוח YHWH. De même, un glossateur a ajouté au verset 6 après קֶמַח «farine » le terme סֹלֶת solèt qui manque dans la Septante, et qui désigne, notamment dans le livre du Lévitique, la farine utilisée pour des sacrifices. Puisque le visiteur est Yahvé, il faut lui donner à « manger» ce qui est prévu par la législation sur les sacrifices. Notons encore que le repas proposé par Abraham correspond au repas que, dans un texte ougaritique, (KTU 1. 17 [= CTA 17] V 1-31) :
Dnil est assis à la porte de la ville, (comme Lot est assis à la porte de Sodome au chapitre 19,v1) entouré par les notables, exerçant la justice suivant des coutumes patriarcales, assez différentes du fastueux appareil bureaucratique des cours syriennes de l'époque du Bronze Récent : soudain Kothar apparaît devant lui, avec un arc et des flèches dont le destinataire est inconnu. Le roi Dnil offre tout de suite son hospitalité au voyageur divin et il charge sa femme s’apprêter de la nourriture et des boissons pour l'hôte inattendu. Voilà le passage en question:
«Alors Dnel... interpelle à voix haute sa femme: “Ecoute, Demoiselle Danatay, apprête un agneau avec de la farine..., nourris, abreuve le Dieu; sers-le, honore-le…”. Demoiselle Danatay, obéit. Elle apprête un agneau avec de la farine... Elle le sert, et l’honore. .. ».
Contrairement aux interprétations rabbiniques et chrétiennes esquissées en ouverture, le texte biblique insiste sur la présence de Yahvé lors de la visite des trois hommes. Le chiffre «trois» peut être traditionnel, car il existe dans différentes cultures un récit type dans lequel des dieux, souvent au nombre de trois, visitent de manière incognito les hommes. Ceux qui leur offrent l'hospitalité sont récompensés et ceux qui la refusent, punis. Un parallèle assez proche de Gn 18 se trouve dans la visite de Jupiter, de Neptune et de Mercure chez le vieillard Hyriée, relatée par Ovide dans les Fastes, ouvrage écrit vers l’an l5 de notre ère, reprenant des traditions de la mythologie grecque:
Jupiter et son frère, qui règne sur les mers immenses, et Mercure, voyageaient un jour ensemble. C’était le moment où les bœufs ramènent la charrue retournée, où la brebis rassasiée se penche vers 1’agneau pour lui donner son lait. Le vieil Hyriée, qui cultive un modique héritage, [5, 500] les voit par hasard, comme il se tenait debout sur le seuil de sa chétive chaumière. «La route est longue, leur dit-il; il vous reste bien peu de jour; ma porte est ouverte aux hôtes.» L’expression de son visage répond à ses paroles, il renouvelle sa prière; les dieux se rendent à tant d’instances, mais sans
ce faire connaître. [5, 505] Ils entrent dans la demeure du vieillard, toute noircie par la fumée. Un peu de feu se conservait sur un tison de la veille; le vieillard s'agenouille; son souffle réveille la flamme; il va chercher des éclats de bois qu'il divise encore; il approche deux vases dont l'un contient quelques herbes de son potager, et le plus petit des fèves; [5, 5l0] et bientôt on les voit fumer tous deux et le couvercle soulevé par les efforts de l'eau bouillante. En attendant, d'une main tremblante il verse un vin rouge à ses hôtes; le dieu des mers prend le premier la coupe, et quand il l'a vidée: « Donne-la maintenant, dit-il, à Jupiter; qu'il boive à son tour.» Ce nom de Jupiter fait pâlir le vieillard [5, 5l5] Dès qu'il s'est remis, il va immoler le bœuf qui laboure son petit champ, et le fait rôtir à grand feu; puis il tire d'un baril enfermé le vin qu'il y a entonné jadis aux premières années de sa jeunesse. Tout est prêt; les dieux prennent place sur des lits dressés avec des joncs de rivière recouverts d'une toile de lin, et qui s'élèvent à peine au-dessus de la terre. [5, 520] Alors les mets, alors les vases pleins de vin brillent sur la table; le cratère est d'une argile rouge et les gobelets sont de hêtre. Jupiter prononce ces mots: « Que désires-tu ? dis-le; rien ne te sera refusé. » Paisible vieillard répondit: [5, 525] « J'avais une épouse chérie, affection de ma première jeunesse; vous me demanderez où elle est maintenant? Une urne renferme ses cendres. “Tu seras ma seule épouse," lui ai-je dit autrefois, et en lui faisant cette promesse solennelle, je vous ai pris à témoin de mes paroles. Tel fut mon serment, et j'y serai fidèle pourtant je voudrais concilier [5, 530] deux désirs qui me partagent, être père, sans être époux.» Les dieux accueillent sa demande; ils se placent tout près de la peau du bœuf; mais la pudeur ne permet pas que j'achève... Cette peau ainsi humectée, ils la recouvrent de terre; dix mois s'écoulent, et un enfant est né.
L'auteur de Gu l8,l-l5 s'est sans doute inspiré d'une tradition comparable à celle que rapporte Ovide. Dans le récit d‘Ovide, le vieillard se trouve seul, alors que le récit biblique met en scène le couple Abraham et Sarah qui ont cependant perdu l'un et l’autre leur capacité de procréer (Gn l8,l2). Dans les deux cas, l'enfant est un don des dieux en récompense à l'hospitalité qui est offerte avec insistance, et les deux hôtes découvrent peu à peu la vraie identité de leurs invités. Dans les deux cas, ce sont les dieux qui la révèlent (voir Fana! 5,5l4-5l5 et Gn l8,l4). Mais il y a encore une autre explication possible pour le chiffre «3 ». Gn l8,l reprend le fil narratif de Gn l3. Ce chapitre prépare Gn 18-19 puisqu'il raconte la séparation d’Abraham et de Lot. Lot s'installe à Sodome, dam une région paradisiaque (l3,l0-l 1) alors qu’Abraham s'installe au chêne de Mamré, près d‘Hébron. Et c'est donc à cet endroit qu'il reçoit ses visiteurs. Or, Hébron est associé dans d’autres textes bibliques au chiffre «trois». Les textes de Nb 13,22; Jos 15,14; Jg 1,10 mentionnent trois «Seigneurs» d’Hébron: Shesai, Ahiman, Talmaï, et en Gn l4,l3.l4 Abraham a trois alliés à Hébron. Les noms de ces trois personnages restent assez obscurs. On a voulu y voir des noms hourrites mais les étymologies sont peu claires. Il est cependant intéressant de noter qu’ils sont appelés «Anakim», un mot qui se trouve parfois en parallèle avec «Rephaïm» lesquels, à Ougarit, désignent des ancêtres divinisés et que la Bible a « déclassés » en les transformant en habitants archaïques du pays de Canaan. On a parfois voulu voir dans les Anakim des géants.
Le sens du mot fait également objet de débat («ceux qui ont un long cou » ? ). Puisque les racines sémitiques ne donnent pas de résultats satisfaisants, on peut imaginer un lien avec ävaḉ qui en grec désigne un « seigneur», en parlant notamment des dieux. Il est donc possible qu’il y ait eu une tradition de trois ancêtres fondateurs d’Hébron (des ancêtres divinisés) que l’auteur de Gn 18,1-15 aurait reprise et «yahwisée». Ainsi, malgré l’idée dominante dans la Bible hébraïque d’un seul Yahvé (Dt 6,4-5), il existe des textes qui tentent de combiner l'affirmation d’un dieu unique avec un héritage polythéiste. Ceci est également le cas pour le récit de la destruction de Sodome et de Gomorrhe.
Gn 19,1-29: la destruction de Sodome
Il est clair que le récit thématise à l’origine la destruction d’une seule ville; seuls les vv. 24 et 28 parlent de Sodome et de Gomorrhe et le v. 25 des villes en général. Il est également possible que les versets 24 (destruction par le feu) et 25 («renversement») ne se situent pas au même niveau littéraire et que le v. 25 ait été ajouté pour faire un lien avec la tradition très répandue qui parle du renversement de Sodome et de Gomorrhe. Concernant les trois versets qui mentionnent Abraham, 19,27-29, il existe un certain consensus pour attribuer le v. 29, qui explique le sauvetage de Lot par les mérites d’Abraham, au document sacerdotal («P»). Ce verset fait en effet double emploi avec l’histoire qui précède. L'expression «Dieu se souvint d’Abraham» est typique de «P». «Les villes dans lesquelles Lot avait habité» au v. 29 renvoie à Gn 13,12a où il est rapporté que Lot s’installe dans des villes (texte également attribué à P). Il est possible que l’épisode de la fuite de Lot à Tsoar en 18-22 et 23b et 30a soit également une insertion dans le récit ancien; cet épisode se trouve en tension avec les versets 30-38 selon lesquels Lot habite dans une caverne à la montagne. D’ailleurs, sur le plan narratif, la longue discussion entre Lot et la divinité n’est pas très heureuse puisqu’elle intervient à un moment où la destruction de la ville est imminente. De même, la transformation de la femme de Lot en statue de sel vient-elle tard dans le texte actuel. Cet épisode se trouverait à une meilleure place tout de suite après l’interdiction de se retourner (v. 17) et la destruction de la ville par le feu (vv. 23a.24). On peut donc comprendre l’épisode de Tsoar comme une étiologie insérée après coup qui veut expliquer pourquoi il y a un endroit dans la région de la mer morte qui est habitable (le nom de Tsoar apparaît encore dans la Bible hébraïque dans la description du pays que voit Moïse en Dt 34,3, ainsi qu’en Es 15,5 et Jr 48,34, ce qui montre que cette ville existait au VI° siècle avant notre ère et même plus tard). On a également postulé que les versets 4-11 qui décrivent l’assaut des habitants de Sodome seraient une insertion rédactionnelle. On peut, en effet, lire l’annonce de la destruction aux vv. 12-13 à la suite du v. 3, mais il manque alors toute l’explication concernant la destruction de la ville et la narration perd sa tension. Il est plus logique d’attribuer l’épisode de l’agression des habitants de Sodome au récit primitif que l’on peut reconstruire grosso modo:
vv. 1-l6. 23a.24. 26. 30—38. (peut-être d’abord un récit indépendant du cycle d’Abraham).
Ensuite différents rédacteurs ont inséré:
— le v. 25 qui intègre la tradition du renversement et élargit la destruction d’une ville à celle de «Sodome et Gomorrhe» ;
— les vv. 18-22.23a.30 (début) pour intégrer une étiologie de Tsoar;
— les vv. 27-28 afin de renforcer le lien entre la destruction de Sodome et 1e cycle d’Abraham;
— le v. 29 est un commentaire de «P» à la suite de 13,12a.
Comme Gn 18,l-l5, le chapitre 19 emprunte plusieurs thèmes à la mythologie proche-orientale et grecque.
Les hommes et les anges
La mention des deux anges/messagers au v.1 est peut-être due à une harmonisation à cause de la discussion entre Abraham et Yahvé en 18,16 ss. Ici, on interprète les trois «hommes» de Gn 18,1-15 comme désignant Yahvé accompagné de deux messagers. À l'exception du verset 15, qui utilise également le terne de messager, Gn 19 parle seulement des «hommes».
L’hospitalité de Lot est décrite de manière parallèle à celle d’Abraham. Les différences s’expliquent par l’habitat: de la tente on passe à la ville. Lot habite une maison (en 13,l2b il était encore question de ses tentes) contrairement à Abraham. Lot, contrairement à Abraham, met l’accent sur la boisson, puisqu’il offre un banquet qui sert avant tout à boire (s’agit-il d’une critique discrète de la vie citadine ?). À noter également que Lot sert à ses invités des מַצּוֹת massat "galettes"(contrairement à Abraham en 18: עֻגוֹת ‘ugot "gâteaux"), des pains sans levain. Le mot מַצּוֹת massat correspond au grec μἀζα (orge, pain d’orge). Dans 1a plus part des cas, il apparaît dans des contextes cultuels: dans le livre du Lévitique, les מַצּוֹת massat font partie des sacrifices, dans Ex 12 et ailleurs la fête des pains sans levain est combinée à celle de la Pâque. La préparation des מַצּוֹת massat convient à la hâte avec laquelle il faut préparer le repas pour les invités, mais on peut aussi se demander si la mention des massat en Gn 19 n’est pas un choix délibéré de l’auteur lié au caractère supra-humain des visiteurs. Ou bien l’auteur cherche-t-il à construire une allusion à «l'exode» de Lot (à plusieurs reprises les hommes «feront sortir» Lot et sa famille de la ville vouée à la destruction)? La destruction de la ville qui est élargie à une sorte de déluge par le feu met en scène une divinité qui intervient depuis le ciel et deux acolytes qui agissent sur terre. C’est ainsi qu’il faut sans doute comprendre l’alternance entre le singulier se référant à la divinité au ciel et le pluriel qui concerne les messagers divins qui secourent Lot. La triade divine fonctionne donc différemment de celle de Gn l8,1-15. Une explication pour ce scénario réside dans la reprise d’un mythe ancien selon lequel la destruction des villes autour de la mer Morte est l’œuvre d’une divinité solaire. Selon O. Keel, il est fort possible que la divinité principale de Jérusalem ait été au début du premier millénaire une divinité solaire auquel on a associé Yahvé cela est indiqué par la version grecque de la dédicace du temple en III Regn 8,53 LXX à partir de laquelle on peut reconstruire le texte primitif comme suit: «Le Soleil (Shamash) l’a fait connaître depuis le ciel: Yahvé a dit qu’il voulait habiter dans l’obscurité». Plus tard Yahvé a repris les fonctions de juge du dieu Soleil. Un sceau trouvé à Jérusalem dans un tombeau du VII° siècle montre le dieu solaire assis comme juge et flanqué de deux dieux mineurs «Droit» et «Justice ».
La conception d'un dieu solaire justicier se trouve dans la Bible dans un certain nombre de psaumes où Yahvé est également mis en relation avec
«droit» מַלְכֵּי־צֶדֶק (malkî-ṣedeq) et «justice » צדק (tsedek) : Ps 89,15 et 97,2 où צדק tsedek, et משפט Mishpat; sont les bases du trône de Yahvé comme dans 1e sceau reproduit (voir encore Qo 3,2 où le soleil est associé au droit et à la justice). En Es 1,2l (voir aussi v. 26), Jérusalem apparaît comme la ville où résidaient le droit et la justice מַלְכֵּי־צֶדֶק (malkî-ṣedeq): « Comment La cité fidèle est devenue une prostituée ! Elle était remplie de droit משפט Mishpat, la justice צדק (tsedek) y passait la nuit (lyn). .. » Il est donc assez tentant de voir derrière la destruction des villes de la mer Morte en Gn 19 la reprise « yahwisée» d’un mythe ancien associé au dieu solaire. La destruction a en effet lieu au moment où le soleil se lève (19,23) et s’effectue par le feu et le souffre. Ainsi, en Gn 19, la triade divine serait à comprendre comme constituée par Yahvé-Shamash représenté sur terre par « Droit» et «Justice».
À l’intérieur du récit de la destruction, un certain nombre d’éléments préparent le fait que Lot, à la fin, reste seul avec ses deux filles. D’abord ses gendres sont exclus du groupe sauvé, puisqu’ils considèrent les propos de Lot comme une plaisanterie (צַחֵק.
vv. 12-14). La femme de Lot, qui, elle, fait partie des rescapés, est exclue par sa transgression de l’interdiction de se retourner, de façon à ne pas voir la divinité à l’œuvre. Il peut s’agir d’un résidu d’une tradition plus ancienne, selon laquelle Yahvé descend lui-même à Sodome et la détruit. Une exhortation à ne pas se retourner pour observer le jugement divin est un motif largement répandu, par exemple dans Orphée et Eurydice: la femme d’Orphée, Eurydice, mordue par un serpent, meurt et descend aux Enfers. Son mari réussit, grâce à sa musique, à émouvoir Hadès, et celui-ci le laisse repartir avec sa femme à condition qu’il ne se retourne pas tant qu’ils n’auront pas quitté son royaume. Mais au moment de sortir des Enfers, Orphée, inquiet du silence d’Eurydice, se retourne et celle-ci lui est enlevée définitivement. Un destin comparable arrive à la femme de Lot qui (par curiosité ou par remords ?) se retourne et est transformée en une colonne de sel. Dans la Bible hébraïque, Gn 19,17 est 1e seul texte relatant une telle métamorphose. Ici, 1e motif est lié à une étiologie qui s’imposait face aux formations salines aux abords de la mer Morte. On trouve en effet des formations de sel ressemblant à des hommes, notamment dans la région appelée en arabe djebel usdum (montagne de Sodome au sud-ouest de la mer Morte). Dans le contexte de la précédente discussion entre Yahvé et Abraham (18,23-33) le destin de la femme de Lot confirme la théorie de la responsabilité individuelle; elle est punie pour sa propre faute, et non pour celle d’une communauté. L’histoire de la destruction de Sodome, élargie à l’ensemble de la région autour de la mer Morte peut donc se lire comme une mise en synergie d’un certain nombre de motifs mythologiques: le jugement du dieu solaire, l’interdit de se retourner et la métamorphose d’un être humain.
La dernière «triade »: Lot et ses deux filles.
Gn 19,30-38 explique l’origine des Moabites et des Ammonites en la présentant comme la transgression du tabou de l’inceste. Cette histoire fait écho à Gn 19,1-11, où Lot, pour respecter le devoir de l’hospitalité, est prêt à sacrifier ses filles aux agresseurs. Dans le dernier tableau de Gn 18-19, ce sont les filles qui se servent de leur père afin de s’assurer une descendance. Le récit comporte un certain nombre de parallèles avec le mythe biblique du déluge. I1 pose la question de l’avenir de l’humanité après la catastrophe. L’exclamation du V. 31 peut se comprendre de deux manières: «il n’y a pas d’homme dans le pays », ou «il n’y a plus d’homme sur la terre». Si on adopte la dernière possibilité, on aurait ici le souvenir d’un déluge par le feu où Lot et ses filles auraient été les seuls survivants 22. Un deuxième parallèle réside dans le thème du vin et de l’ivresse.
En Gn 9,20-27, Noé, ivre, devient d’une manière ou d’une autre victime de son fils qui «voit la nudité de son père» (9,21), ce qui peut se comprendre comme un euphémisme pour un viol. En Gn 19, Lot, ivre, devient la victime de ses filles, qui transgressant le tabou de l’inceste, ce qui n’est pas condamné (au moins pas de manière explicite) par le narrateur. La perpétuité de la vie et des descendances est apparemment un bien plus important. Le séjour de Lot et de ses filles dans une caverne crée un contraste avec l’installation de Lot dans un pays paradisiaque au chapitre 13 et suggère également une certaine perte de la civilisation. La combinaison entre le vin et la grotte se trouve en Grèce dans un des mythes de Dionysos, fils de Zeus et d’une femme humaine. Pour fuir la colère de Héra, Dionysos se cache dans une grotte, il plante la première vigne et fait goûter son vin à ses nourrices, des nymphes. Ce mythe explique l’origine des dionysiaques qui sont, entre autres, marquées par des transgressions d’ordre sexuel.
Le récit de la naissance de Moab et Ben-Ammi, le père des Ammonites, ne reçoit pas d’appréciation positive ni négative de la part de l’auteur. Il montre d’abord que son auteur se sent lié à ces peuples qui vont naître de l’action des sœurs. La parenté entre «Israël» et ses voisins à l’est est commentée de manière positive en Dt 2,9.l9 et de manière négative en Dt 23,3.5 ; ce sont peut-être des textes, comme ce dernier, qui ont contribué à une lecture négative de notre histoire par des commentateurs ultérieurs. Pourtant le livre de Ruth met au centre le mariage d’un Judéen avec une femme moabite, qui sera l’ancêtre du roi David et, dans le Nouveau Testament, de Jésus de Nazareth (Mt 1,5).
En conclusion
Ce parcours de Gn 18-19 a fait apparaître à la fois une cohésion narrative et une grande complexité au niveau de la formation littéraire comme au niveau des thèmes et traditions repris et modifié par les différents rédacteurs. Ce diptyque Abraham-Lot fait appel à un grand nombre de thèmes mythologiques qui témoignent de la rencontre entre la Grèce et le Levant dès le VI° siècle avant notre ère, époque possible de la (première) rédaction de notre texte. On y trouve notamment le thème des triades divines, de la visite incognito des dieux chez les humains, de la descendance comme récompense divine pour une hospitalité exemplaire, du jugement du dieu Soleil accompagné de ces deux acolytes, de la métamorphose d’un être humain en une matière inanimée et de l’invention du vin dans un contexte «primordial». Les différents parallèles que nous avons évoqués ne sont pas exhaustifs et tous n’ont pas la même pertinence pour l’intelligence de Gn l8—l9. Cependant, pour honorer un savant qui s’est toujours prononcé en faveur des comparaisons, fussent-elles « sauvages», nous avons osé collationner ce florigine mythologique.
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