La foi du centurion en la parole de Jésus

La foi du centurion en la parole de Jésus

 

 

Une extension sur le Midrash Rabba

La foi du centurion en la parole de Jésus

(Lc 7:1, 3, 6b-9, 10?; Mt 7:28a, 8:5-10, 13?)

 

Une extension sur le Midrash Rabba

Source Q :

7:1     Et il arriva que lorsqu'il ... eut achevé ces paroles, il entra dans Capharnaüm.

7:3     Un centurion vint à lui, le suppliant et disant : Mon Fils (est) malade. Et il lui dit : Moi vais-je venir le guérir ?

7:6b   Et en réponse, le centurion dit : Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit,

7:7     mais ne dis qu'une parole et fais que mon fils soit guéri.

7:8     Car je suis aussi une personne soumise à une autorité, avec des soldats sous mes ordres, et je dis à l'un : Va, et il va; et à l'autre : Viens, et il vient; et à mon esclave : Fais ceci, et il "le" fait.

7:9     En entendant "cela", Jésus s'étonna et dit à ceux qui l'accompagnaient : Je vous "le" dis : même en Israël, je n'ai pas trouvé une si grande foi. (…)

Matthieu 8, 1. 8, 5-10. 8, 13. Luc 7, 1-10.

Quand il eut fini d’adresser au peuple toutes ces paroles, il descendit alors de la montagne et de grandes foules se mirent à le suivre.

Comme il était entré dans Capharnaüm, un centurion vint le trouver en suppliant.

Un centurion avait, malade et près de mourir, un serviteur qui lui était cher. Ayant entendu parler de Jésus, il lui envoya quelques-uns des anciens des Juifs pour le prier de venir sauver son serviteur. « Seigneur, dit-il, mon serviteur gît dans ma maison atteint de paralysie et souffrant atrocement. » Arrivés près de Jésus, ils le suppliaient instamment : « Il mérite, dirent-ils, que tu lui accordes cela ; il aime en effet notre nation et c’est lui qui nous a bâti la synagogue. »

Jésus lui dit : « Je vais aller le guérir. »

Jésus faisait route avec eux et déjà il n’était pas loin de la maison, quand le centurion lui envoya dire par des amis : « Seigneur, ne te dérange pas davantage, car je ne mérite pas que tu entres sous mon toit -- aussi bien ne me suis-je pas jugé digne de venir te trouver -- mais dis seulement un mot et que mon serviteur soit guéri, mon serviteur sera guéri. Car moi, qui n’ai rang que de subalterne, j’ai sous moi des soldats et je dis à l’un : Va ! et il va, et à un autre : Viens ! et il vient, et à mon serviteur : Fais ceci ! et il le fait. »

En entendant ces paroles Jésus fut dans l’admiration, et se retournant il dit à la foule qui le suivait : « En vérité, je vous le dis, chez personne même en Israël je n’ai point trouvé pareille foi. »

Puis il dit au centurion : « Va ! qu’il t’advienne selon ta foi ! » Et le serviteur fut guéri sur l’heure.

Et de retour à la maison, les envoyés trouvèrent le serviteur en parfaite santé."

Très remarquable, très exceptionnelle, configuration de cet épisode de la guérison du serviteur d’un centurion à Capharnaüm à l’issue du Sermon sur la montagne est rapportée de manière presque parallèle et synchronique, par Matthieu grec et Luc, alors que Marc est absent. À la seule différence que Matthieu grec a intercalé aux versets Mt 8, 2-4 la guérison d’un lépreux par Jésus tout de suite en descendant de la montagne,  épisode que l'on peut considérer sans doute emprunté à Marc 1, 40-45 (imité par Luc 5, 12-16).

Autrement dit, dans Matthieu grec et Luc la séquence suivante s’observe indépendamment de Marc :

1). Un octuor de Béatitudes, ou de béatitudes-malédictions, sous deux formes dissemblables.

2). La parabole des deux maisons, l’une bâtie sur le roc et l’autre bâtie sur le sable, qui termine presque le Sermon sur la montagne dans Matthieu (7, 24-27) comme dans Luc (6, 46-49).

3). La guérison d’un serviteur d’un centurion en arrivant à Capharnaüm, retour de la montagne, dans Matthieu et dans Luc.

Cela suppose l’utilisation d’un document commun, différent de Marc, et placé volontairement à cet endroit-là de l’évangile.

On a là, à l’évidence, un autre point de contact direct entre Matthieu grec et Luc indépendant de Marc et même, en quelque sorte, antérieur à lui, ou antérieur à son utilisation commune. Ce document commun est identifié à la source Q. En effet, on définit la source Q : ce qu’il y a de commun dans Matthieu grec et Luc, en dehors de Marc. Or là, c’est typiquement le cas.

Mais en général les éléments empruntés par l’un ou l’autre synoptique (Matthieu ou Luc) à la source Q le sont dans un ordre totalement dispersé. Ici, ils se suivent et sont attachés, comme intentionnellement, au même point d’insertion dans la séquence de Marc. C’est ce qu’il y a de remarquable. Certains exégètes prendraient ce phénomène pour une dénégation de la Théorie des deux sources. Au contraire, j'y vois une confirmation éclatante. Il est évident que Matthieu grec et Luc, avant de rédiger séparément leur évangile respectif, se sont longuement concertés, y compris sur la structure, ou sur la configuration même, de leur ouvrage alors en chantier.   

Mais autre point très remarquable. Il s’agit bien du même miracle raconté par Matthieu et Luc. Les circonstances sont les mêmes. Les personnages sont les mêmes. Les paroles échangées sont identiques. Et cependant, on remarque que les deux récits sont conduits différemment. Chez Matthieu grec, c’est le centurion qui vient trouver lui-même Jésus pour le supplier de venir guérir son serviteur (pais, en grec). Tandis que chez Luc, il n’ose pas se déplacer, et lui envoie, pour présenter sa supplique, quelques-uns des anciens de la nation juive qui prononcent les mêmes paroles à sa place. A-t-on à faire à une tradition orale diversement rapportée ? Luc avait-il seulement enregistré ce miracle en ces lieux et places, dans sa mémoire, et l’a-t-il quelque peu brodé ? Ou encore Matthieu grec l’a-t-il volontairement transposé et transformé, ou même abrégé ?  Par exemple comme (Les deux aveugles de Jéricho, ou encore les deux démoniaques Gadaréniens). On ne saurait le dire avec certitude.

Il faut reconnaître que l’abréviation du récit par Matthieu grec, en supprimant le rôle des intermédiaires, n’aboutit à aucune invraisemblance. C’est Jésus qui s’adresse au même personnage, soit directement soit en la personne de ses mandants. La meilleure preuve, c’est encore la synthèse. En juxtaposant, ou même en fondant les deux relations, on ne s’aperçoit presque pas de la contradiction qui pourrait exister entre les deux démarches. Elle est quasiment insensible. Le résultat obtenu est plausible. C’est simplement une manière un peu gauche, un peu hésitante, de raconter l’histoire, qui peut même avoir son côté plaisant.

Commentons maintenant le miracle lui-même !

Ce passage appelle plusieurs questions : Pourquoi tant de paralytiques dans les Évangiles ? Que vient faire ici un « Centurion » ? Que signifie le discours du Centurion, en Mt 8, 9 ?  Pourquoi Jésus voit-il dans ce discours une grande foi ? (Mt 8, 10).

L’armée romaine restait solidement implantée en Palestine, non seulement depuis que Pompée l’avait conquise en 63 av. J.C., mais encore depuis les révoltes, consécutives de la mort d’Hérode. Caius César en Galilée, et Varus, commandant de ses légions, en Samarie, avaient réprimé durement les troubles. Au moins deux mille rebelles avaient été crucifiés. Les fils d’Hérode eux-mêmes, comme leur père, demeuraient soumis au protectorat pointilleux du gouverneur de Syrie, qui supervisait aussi la Judée et la Samarie, placées sous le contrôle direct d’un procurateur romain. Pas étonnant qu’un détachement de l’armée romaine, sous la responsabilité d’un centurion, se trouvât alors à Capharnaüm. Ce centurion semblait d’ailleurs bien inséré dans la vie locale juive, puisqu’il avait aidé à la construction de la synagogue. Peut-être même était-il un prosélyte, ou au moins un sympathisant de la religion juive, comme il s’en trouvait beaucoup parmi les païens.

Donc ce centurion a un serviteur malade, et sur le point de mourir, auquel il tenait beaucoup. Son ordonnance, en quelque sorte. Lui-même ne s’est pas rendu sur la montagne où Jésus avait donné rendez-vous à tous ses partisans. Mais quand le prophète revient, accompagné d’une foule énorme, dans le bourg de Capharnaüm, il lui envoie une délégation de juifs pour le supplier : Ne te dérange pas de venir chez moi, car je ne suis qu’un païen. Mais dis seulement un mot, à distance, et mon serviteur sera guéri. « Car moi qui n’ai rang que de subalterne, j’ai sous moi des soldats, et je dis à l’un : Va ! et il va, et à un autre : Viens ! et il vient. » (Lc 7, 8).

Il reconnaît implicitement Jésus comme un grand Maître et guérisseur, sur sa réputation déjà immense de thaumaturge. Les foules juives se précipitaient sur Jésus pour se faire guérir de toutes sortes d’infirmités. Le païen, lui, se contentera d’un seul mot prononcé par Jésus de loin pour obtenir la guérison de son familier.

Et Jésus ne peut qu’admirer cette humilité et cette foi. Il le donne en exemple à ses compatriotes plus démonstratifs, mais envahissants.

Ce centurion étranger, le jour même de la proclamation des Béatitudes, devenait le bénéficiaire de l’une d’entre elles : « Bienheureux les affligés, car ils seront consolés. » (Mt 5, 5).

Nous devons pour comprendre ce miracle de Jésus faire appel encore une foi au midrash. (il en est toujours ainsi pour chaque miracle de Jésus).

En grec παραλυτικ?ς « paralutikos », traduit en français par paralytique, atteint de paralysie.... on retrouve aussi en Actes 3,2  le mot χωλ?ς  « chôlos » pour dire infirme mais dans le sens de boiteux. En effet l’adjectif grec chôlos et le verbe grec signifiant boiter, chôlainô, peuvent avoir aussi des emplois figurés pat exemple l’emploi de ce terme appliqué à l’âme par Platon (République, VII, 535 d sq.)

On peut donc tenter de le transcrire dans l’hébreu ??????? (Picceach). En hébreu, la racine du mot boiteux ??? (pisseah) est identique à celle du verbe sauter, enjamber (passah), ce sont les lettres mêmes du mot Pâque  (pessah), qui signifie passage ! Ce terme ??????? (Picceach) intervient par exemple dans le Pentateuque, au voisinage des affaires du temple. Le ??????? (Picceach) (le boiteux, l’impotent) est l’un de ceux qui ne peuvent présenter de sacrifice, ou devenir Grand Prêtre du fait d’une imperfection. Il figure donc une infirmité physique, mais surtout rituelle et religieuse.

Dans les Évangiles, les paralytiques représentent les païens, tout comme les lépreux représentent tout spécialement les Juifs, à cause de leur tendance à la médisance, et à la révolte (voir midrash sur la lèpre de Miriam), et en conséquence, leur isolement, ou leur exil, au sein des Nations. Il y a donc une différence essentielle entre Juifs et païens : les Juifs ont reçu directement la parole de Dieu, mais leur problème c’est qu’ils ne font pas, c’est-à-dire qu’ils ne marchent pas, au sens de la ???? halakha, tandis que les païens qui doivent la recevoir des Juifs n'ont rien reçu et il ne savent même pas encore marcher. Par conséquent, un paralytique est toujours un païen. le selon Matthieu fait déplacer le centurion vers Jésus il n'est donc plus paralytique grâce à sa foi en Jésus il s'affranchit en quelque sorte des Juifs pour intercéder directement avec Jésus, car ce n'est plus un païen. Jésus admire sa foi qu'il a envers lui. Dans le selon Luc le centurion est toujours paralytique donc païen, sa foi il la place dans les Juifs et non dans Jésus. Il a besoin d'intermédiaires. Il les envoie pour intercéder devant Jésus et en plus ceux-ci doivent présenter le centurion comme un personnage méritant. On peut se demander alors pourquoi Jésus trouve la foi du centurion extraordinaire ? Parce que le centurion croit Jésus capable de guérir son serviteur à distance ?

Dans le selon Matthieu le centurion n'est plus un païen, le Messie a reconnu sa foi, et Dieu se révèle aux païens « tout est accompli ». Jésus est le Messie il annonce l'entrée des païens dans la promesse.

Pour qui écrit Luc ?

Luc écrit à des chrétiens d'origine païenne. Il s'adresse à Théophile : il peut s'agir d'un homme que Luc connaît bien, probablement un converti comme lui-même, qui a reçu une annonce orale de l’Évangile.

Au commencement des Actes des Apôtres, Luc résume parfaitement son évangile : «Mon cher Théophile, dans mon premier livre j'ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement jusqu'au jour où il fut enlevé au ciel» (Actes 1, 1). Après le temps de Jésus, les Actes présentent le temps de l’Église (de 32 à 60 environ, autour de deux personnages principaux : Pierre et Paul).

Cet évangile s'adresse manifestement à des chrétiens d'origine païenne, d'Asie mineure ou de Grèce, là où Paul a fondé, il y a 20 ou 30 ans, bien des églises. Depuis 70, Jérusalem est détruite et la rupture entre Juifs et chrétiens est consommée. De plus, l'unité de l’Église est menacée par les oppositions entre chrétiens d'origine juive et ceux d'origine païenne. Luc connaît bien les Écritures du peuple juif. Il a le souci de montrer qu'en Jésus, c'est toute l'histoire de l'Israël biblique qui s'accomplit et s'ouvre à tous les peuples.

A la suite de Paul, la communauté de Luc est totalement ouverte aux païens, la parole de Syméon saluant l'enfant Jésus est claire : il est «le salut que Dieu a préparé à la face de tous les peuples : lumière pour éclairer les nations païennes et gloire d'Israël ton peuple».

Luc met en place après Paul ce qui deviendra l'Église. Le temple est détruit et il n'y a plus de nation juive, son message est clair : comme le centurion, les chrétiens ont besoin de l'Église «religion» pour intercéder avec Dieu, Jésus à tout accompli par sa mort sur la croix et sa résurrection.

Pour qui écrit Matthieu

Matthieu semble avoir écrit à l’attention d’un public juif pour montrer que Jésus accomplit les prophéties de l’Ancien Testament relatives au Messie. En rapportant la vie, les paroles et les actions de Jésus, il fait souvent allusion aux prophéties de l’Ancien Testament et emploie l’expression « afin que s’accomplît » (voir par exemple Matthieu 4:14 ; 8:17 ; 13:35 ; 21:4).

Dans son évangile, Matthieu emploie douze fois le terme « Fils de David » pour témoigner que Jésus est l’héritier légitime du trône du roi David et que les prophéties messianiques sont accomplies. Elles sont accomplies malgré la mort de Jésus sur la croix elles sont accomplies dès sa venue sur Terre  ; Dieu est venu vers les hommes et notamment les Païens comme l'indiquaient les prophéties messianiques. La généalogie qu’il donne de Jésus-Christ remonte à David, Juda et Abraham (voir Matthieu 1:1-3) démontrant ainsi que Jésus a le droit de régner et que son rôle est l’aboutissement des promesses que Dieu a faites à Israël.

Le midrash sur le centurion nous fait naviguer dans Ex 18. Versets dans lesquels Jéthro, beau-père de Moïse, conseille à ce dernier de déléguer un peu, comme on dit de nos jours : « 21 Choisis parmi tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, des hommes intègres, ennemis de la cupidité ; établis-les sur eux comme chefs de mille, chefs de cent, chefs de cinquante et chefs de dix. »

( Un centurion est un chef qui commande cent hommes ).

verset 14 : « Le beau-père de Moïse vit tout ce qu'il faisait pour le peuple, et il dit : Que fais-tu là avec ce peuple? Pourquoi sièges-tu seul, et tout le peuple se tient-il devant toi, depuis le matin jusqu'au soir ? » verset 18 « Tu t'épuiseras toi-même, et tu épuiseras ce peuple qui est avec toi; car la chose est au-dessus de tes forces, tu ne pourras pas y suffire seul. » verset.21 « Choisis parmi tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, des hommes intègres, ennemis de la cupidité; établis-les sur eux comme chefs de mille, chefs de cent, chefs de cinquante et chefs de dix. »

Il provient de là, notre centurion ???? ????? ( sar-méa), (chef de centaines), il figure l’intervention de Jéthro, un païen, qui conseille à Moïse de créer une hiérarchie pour juger le peuple, lui apprendre la ???? (halakha), lui apprendre à marcher, et se décharger ainsi d’un poids excessif.

Le camp des Hébreux, dans le désert, est un peu comme une caserne, on y apprend à « marcher » comme des soldats à la manœuvre. Ce qui travaille notre texte, c’est la question de Jéthro, et du rapport entre Moïse et le peuple. La Bible raconte en effet longuement les difficultés de Moïse à diriger seul le peuple d’Israël, car il est débordé par la foule à qui il doit distribuer la loi (grec de la Septante pour foule : ?χλος, (okhlos) « populace »., mot passé dans l’hébreu tardif, d’où les fréquents jeux de mots avec ?????? (okhel), manger, et les narrations évangéliques qui en découlent : multiplication des pains, banquets et agapes divers, etc..).

Le Midrash Rabba reprend et amplifie les préoccupations du texte biblique. Il revient longuement sur l’intervention de Jéthro, et sur la nomination de Josué comme chef et successeur de Moïse.

Nouveau Moïse, Jésus, monte seul sur la montagne, et en redescend, et il siège seul, littéralement submergé, au milieu des foules.

(Mc 2- 1 & 2) : « Comme il était entré de nouveau à Capharnaüm, après quelque temps on apprit qu’il était dans sa maison. 2 Et beaucoup se rassemblèrent, en sorte qu’il n’y avait plus de place, même devant la porte, et il leur annonçait la Parole ».

Jésus organise donc lui aussi le peuple, comme Moïse l’avait fait sur les conseils de Jéthro :

Mc 6, 39 - « Alors il leur ordonna de les faire tous s'étendre par groupes de convives sur l'herbe verte. Et ils s'allongèrent à terre par carrés de cent et de cinquante ».

Le discours du Centurion

(Mt 8- 8 & 9) :  « 8- Seigneur, reprit le Centurion, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit ; mais dis seulement un mot et mon serviteur sera guéri. 9 - Car moi, qui ne suis qu’un subalterne, j’ai sous moi des soldats, et je dis à l’un : Va ! et il va, et à un autre : Viens ! et il vient, et à mon serviteur : Fais ceci ! et il le fait ».

Pourquoi ce discours étrange ? Cette phrase semble décisive, puisqu’elle provoque l’admiration de Jésus. Malheureusement en grec, c’est du charabia : « car moi je suis sous puissance, j’ai sous moi des soldats, etc. » Le discours du Centurion fait penser à Nb 27, 21 dont il pourrait être une réutilisation, ce texte raconte l’intronisation de Josué.

« Il se tiendra (Josué) devant Éléazar le prêtre, qui consultera pour lui selon la règle des Urim, devant Yahvé. Il dit, et ils sortent ; Il dit, et ils rentrent avec lui…»

Moïse, avant sa mort, juge que la communauté a besoin que son successeur soit nommé. Josué sera ce pasteur qui fait entrer et sortir le peuple, tel un troupeau.

(Nb 27, 15 à 18 ) : « 15 Moïse parla à Yahvé et dit : 16 - « Que Yahvé, Dieu des esprits qui animent toute chair, établisse sur cette communauté un homme.17 - qui sorte et rentre à leur tête, qui les fasse sortir et rentrer, pour que la communauté de Yahvé ne soit pas comme un troupeau sans pasteur. 18 - Yahvé répondit à Moïse : Prends Josué, fils de Nûn, homme en qui demeure l’esprit. Tu lui imposeras la main ».

Dans les Prophètes, le bon pasteur sera celui qui ramène le peuple à Dieu. C’est-à-dire celui qui élimine l'idolâtrie.

Voyons la fin de l’épisode :

(Mt 8.10 à 12) : - « 10 Entendant cela, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « En vérité, je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël. 11 - Eh bien ! Je vous dis que beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux, 12 - tandis que les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures : là seront les pleurs et les grincements de dents. »

Pourquoi le discours du Centurion conduit-il Jésus à dire :

« Chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël ».

C’est le Midrash Rabba (Dt Rabba 1) qui nous met sur la voie. Au moment précis où Deutéronome Rabba parle des chefs que Moïse établit sur les conseils de Jéthro, on trouve ce passage :

???? ?????? ??????? ????????,

??? ?????? ?? ?????? ??????? ??, ??? ?? ??? ??????

???????? ??????? ?????? ?? ?????? ?????.

ke-she-ha-qetanim nishma’im la-gedolim

hem gozrim lifne ha-maqom ve-hu ‘osse,

u-be-sha’a she-ha-gedolim me-holkhin aHar ha-qetanim

noflim le-aHar penehem.

Soit en français :

Lorsque les hommes de troupe obéissent aux chefs, ceux-ci demandent à Dieu et Dieu fait, mais si ce sont les chefs qui obéissent aux simples soldats, ceux-ci tombent en arrière.

Le discours du Centurion devient un peu plus clair : les Juifs sont l’avant-garde des peuples. Ce sont leurs guides et leurs chefs spirituels. Mais ces chefs ne remplissent plus leur office. Les païens qui sont (théologiquement) les « inférieurs » sont maintenant prêts à prendre leur place comme chefs. Les ??????? qatanim, les « petits » vont devenir, dans les Évangiles, un véritable terme technique : « subalternes », mais aussi « juridiquement irresponsables », « exemptés ». Ils risquent de « tomber » car leurs chefs (les Juifs, qui devraient être leurs guides) n’assument plus leur rôle. Paul (paulus = petit) aura pour mission d’aller vers les petits pour les guider.

La version araméenne des Évangiles rend « Centurion » par kentron, qui est aussi utilisé en grec κ?ντρον (kentron) c'est un terme grec trouvé 5 fois dans la Bible. Ce terme peut être traduit en français par aiguillons. On retrouve l’idée-force du midrash, l’idée d’émulation, potentiellement menaçante, vis-à-vis des Juifs, sommés d’être des guides (en matière religieuse), sous peine de perdre leur place éminente. Si les Juifs ne sont pas à la hauteur, Dieu fera « monter » les autres peuples à la dignité de peuple élu. Ce thème revient sans cesse dans les midrashim. Par voie de conséquences il est repris et étendu dans les Évangiles.

(Lc 3, 8) : « et n’allez pas dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham. Car je vous dis que Dieu peut, des pierres que voici faire surgir des enfants à Abraham ».

Symboliques de la Pierre dans la Torah :

La "pierre" possède dans le judaïsme une forte symbolique de transmission de la Tradition de « père en fils ».

Le simple mot ????? (Eben)  pierre porte en lui cette notion.

????  AB (aba): c'est le Père, ???, BN (ben) : c'est le Fils, d'où l'idée de transmission dans le support minéral, qui perdure au fil des générations d'hommes et des millénaires qui passent.

Jésus leur dit que Dieu (le père) peut ce faire d'autres enfants qu'eux (les juifs) et les fair descendance d'Abraham. Autrement dit : les païens peuvent être descendant du père Abraham si le père le veut ainsi.

Notre Centurion, un païen, dit qu’il n’est pas digne, il est en position subalterne, mais ses paroles : Κα? γ?ρ ?γ? ?νθρωπ?ς ε?μι ?π? ?ξουσ?αν [gar egô anthrôpos eimi hupo exousian…],  « Car moi aussi, je suis un homme placé sous autorité, » signifie qu’il saura être un guide et un chef, c’est-à-dire prendre la place des Juifs. Accessoirement, étant lui-même habitué à être « sous autorité », il saura obéir, lui, comme un soldat et accepter le joug des ????? (mitsvot), les « commandements » de Dieu. Et au moment de la Passion, nous retrouvons notre Centurion : il reconnaît en Jésus le fils de Dieu.

On ne sait toujours pas pourquoi le fait de proclamer : « je suis indigne » constitue la preuve de la foi du Centurion ?

La raison en est simple : dans le rituel de la conversion au judaïsme, il fallait décourager le prosélyte en lui parlant des persécutions, des difficultés, etc. (Cf. Yebamot 47a). Mais si le prosélyte disait « je sais et je ne suis pas digne…» ???? ??? (eini kedaï) on l’acceptait immédiatement, car c’était la preuve de sa sincérité.

Le Lévitique insistant sur le fait que diverses catégories d’invalides peuvent néanmoins manger les aliments sacrés, les Évangiles les font, par midrash, participer à des banquets en présence de Jésus, agapes qui figurent bien entendu le banquet eschatologique. D’où le « festin d’Abraham » de notre passage. Car Abraham, selon le midrash juif, « faisait des prosélytes ». On retrouve donc le thème de prédilection des Évangiles : à la fin des temps les Gentils entreront dans l’Alliance d’Abraham.

On a vu que Jéthro est l’un de ceux qui « ont entendu » ; c’est aussi celui qui « autorise » (racine de heter, mutar) et c’est aussi celui qui « ajoute » (au sens d’amener les païens vers le peuple élu). En jouant sur ce sens d’addition (yitro-yoter) le midrash juif accorde à Jéthro d’avoir ajouté, en effet, un chapitre à la Tora : le sien, la parasha ou péricope Yitro. Quelqu’un qui peut « ajouter », n’est pas pour déplaire aux messianisme chrétien qui entendent à la fois « ajouter » leurs livres à la Torah, et surtout alléger la Loi (heter : exception juridique). Sans doute par réaction, le Judaïsme rabbinique précisera qu’on ne peut rien ajouter ou retrancher à la Torah. Porter atteinte à cette intangibilité deviendra même le critère permettant de reconnaître le faux prophète. Or jésus précise qu'en effet  rien ne sera retranché à la Loi, mais il donne des commandements nouveaux apportant que des articles peuvent et doivent même être ajoutés pour l'alléger. Le midrash (Nombres Rabba) indexe Josué comme « celui qui entre » ??????????? (lyikaness) (dans la terre promise) autrement dit, eu égard au fait que, même Moïse n’a pas eu cet honneur, Josué est celui qui a été digne d’entrer et de faire entrer.

Cette lecture midrashique devient ensuite un argument polémique contre les tenants de la loi de Moïse. Voyez le reproche adressé aux Pharisiens : « vous n’entrez pas et vous empêchez les autres (les païens) d’entrer »

On retrouve cet item dans le discours du Centurion : « je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit ». (Il est le païen, dans la maison duquel un juif ne peut pas entrer ; c’est à lui « d’entrer » à l’ombre du Saint béni soit-il, comme dirait le midrash).

Ces jeux de mots produisent de nombreux effets de sens qui passent totalement inaperçus en grec ou en français, tant les expressions semblent anodines. Ainsi, une phrase comme : « Jésus entra dans la synagogue » met en acte un double jeu de sens. Entre «Josué » et « celui qui entre », d’une part ; et entre : ??????????? (likaness) entrer et ???????? (kenesset) (assemblée d’Israël, synagogue) d’autre part. Il faut donc entendre double, chaque fois qu’il est question d’entrer, de faire entrer, ou de sortir. Ainsi, par transitivité, on aboutit à de curieuses équations, comme : entrer = obéir aux commandements divins.

En effet : entrer, c’est entrer dans l’alliance ou l’héritage (à cause de Josué). C’est guérir (Miriam réintégrée dans le camp après sa lèpre). C’est entrer dans la ???????? (kenesset) (assemblée d’Israël, maison de prière), c’est donc se convertir et respecter les commandements.

Lorsque les gens installés sont menacés de se retrouver dehors, ils perdent leur tranquillité. En tout cas, ils perdent quelque chose. Quelque chose est sorti d’eux pour aller chez leurs concurrents. C’est la raison pour laquelle Jésus sent, dans une autre péricope, que « quelque chose est sorti de lui » (Lc 8,46). En Actes 3, 11 les Juifs, pour la même raison, sont fous de rage, ils sont « hors d’eux ».

Immédiatement après la guérison du paralytique, Jésus- Josué fait appel à Lévi-Matthieu.

Mc 2.14 - « En passant, il vit Lévi, le fils d’Alphée, assis au bureau de la douane, et il lui dit : Suis-moi. Et, se levant, il le suivit ».

Pourquoi ce Lévi est-il dit fils de Alphée ? (de la racine hébraïque ????? (ch'alaph) qui signifie changer, intervertir, convertir les monnaies). Matthieu et Fils de changeur, voilà qui nous devrait nous rappeler quelque chose. Des changeurs faisaient partie des marchands du temple. Jésus a chassé les changeurs du Temple. Autrement dit : « il chasse leurs fils, les Lévi, du Temple ». C’est (encore et à nouveau) le leitmotiv de l’interversion eschatologique (Les premiers seront les derniers) qui se cache sous l’apparence d’un verset anodin.

« En passant il vit Lévi, le fils d’Alphée, assis au bureau de la douane » π?ροδος (Parodos) "entrée" signifie aussi « en passant (par un passage) » Alphée, signifie également ici « ne pas voir, voiler les yeux, donc pardonner » (qui est le sens hébreu de ????? (aphar) Alphée en grec, une racine primaire venant de ???? (owr) à travers l'idée de voile sur les yeux). Il s’agit ici de la reprise du midrash cité plus haut : les prosélytes épouseront des cohanim et seront à l’intérieur, alors que les Lévites seront dehors. À la fin des temps (mais cette clause est toujours absente et les verbes au présent) l’élection s’inversera. Les païens « entreront » et vous, les Juifs, vous serez dehors.

Nous pouvons maintenant faire le lien entre cet épisode et la guérison de la belle-mère de Pierre, qui en est la contrepartie. Jésus vient pour guérir Juifs et païens. C’est pourquoi on a souvent des péricopes doubles : guérison des païens, puis guérison des Juifs. Faire en sorte que la belle-mère de Simon-Pierre soit relevée, c’est bien guérir les Juifs, mais c’est surtout, par la simple allusion au livre de Ruth, affirmer que les païens peuvent maintenant “entrer”. Le livre de Ruth traite de la conversion des païens. Reste à expliquer en quoi l’entrée des païens peut être, en tant que telle, une guérison pour les Juifs. C’est que l’entrée des païens inaugure les temps messianiques.

 

Ajouter un commentaire

Anti-spam