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Symbolique de la multiplication des pains chez Jean.
Multiplication des pains dans l'évangile de Jean
1 |
Μετ? τα?τα ?π?λθεν ? ?ησο?ς π?ραν τ?ς θαλ?σσης τ?ς Γαλιλα?ας, τ?ς Τιβερι?δος. |
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Après ces choses, Jésus s'en alla au-delà de la mer de Galilée, ou de Tibériade. |
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Κα? (N Κα? ?κολο?θει → ?κολο?θει δ?) ?κολο?θει α?τ? ?χλος πολ?ς, ?τι ??ρων (N ??ρων α?το? → ?θε?ρουν) α?το? τ? σημε?α ? ?πο?ει ?π? τ?ν ?σθενο?ντων. |
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Et une grande foule le suivait, parce qu'ils voyaient les miracles qu'il opérait sur les malades. |
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3 |
?ν?λθεν δ? ε?ς τ? ?ρος ? (N ? → –) ?ησο?ς, κα? ?κε? ?κ?θητο μετ? τ?ν μαθητ?ν α?το?. |
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Mais Jésus monta sur la montagne, et là, il était assis avec ses disciples. |
3 |
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?ν δ? ?γγ?ς τ? Π?σχα, ? ?ορτ? τ?ν ?ουδα?ων. |
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Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche. |
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?π?ρας ο?ν ? (N ? ?ησο?ς το?ς ?φθαλμο?ς → το?ς ?φθαλμο?ς ? ?ησο?ς) ?ησο?ς το?ς ?φθαλμο?ς, κα? θεασ?μενος ?τι πολ?ς ?χλος ?ρχεται πρ?ς α?τ?ν, λ?γει πρ?ς τ?ν (N τ?ν → –) Φ?λιππον, Π?θεν ?γορ?σομεν (N ?γορ?σομεν → ?γορ?σωμεν) ?ρτους, ?να φ?γωσιν ο?τοι; |
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Jésus ayant donc levé les yeux, et ayant vu qu'une grande foule venait à lui, dit à Philippe : Où achèterons-nous des pains, afin que ceux-ci aient à manger ? |
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Το?το δ? ?λεγεν πειρ?ζων α?τ?ν: α?τ?ς γ?ρ ?δει τ? ?μελλεν ποιε?ν. |
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Or, il disait cela pour l'éprouver, car il savait, lui, ce qu'il allait faire. |
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7 |
?πεκρ?θη α?τ? Φ?λιππος, (N Φ?λιππος → [?] Φ?λιππος) Διακοσ?ων δηναρ?ων ?ρτοι ο?κ ?ρκο?σιν α?το?ς, ?να ?καστος α?τ?ν (N α?τ?ν βραχ? τι → βραχ? [τι]) βραχ? τι λ?β?. |
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Philippe lui répondit : Deux cents deniers de pain ne leur suffisent pas pour que chacun en reçoive quelque peu. |
7 |
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Λ?γει α?τ? ε?ς ?κ τ?ν μαθητ?ν α?το?, ?νδρ?ας ? ?δελφ?ς Σ?μωνος Π?τρου, |
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Un de ses disciples, André, frère de Simon-Pierre, lui dit : |
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?στιν παιδ?ριον ?ν (N ?ν ?δε ? → ?δε ?ς) ?δε, ? ?χει π?ντε ?ρτους κριθ?νους κα? δ?ο ?ψ?ρια: ?λλ? τα?τα τ? ?στιν ε?ς τοσο?τους; |
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Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d'orge et deux poissons ; mais qu'est-ce que cela pour tant de gens ? |
9 |
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Ε?πεν δ? (N δ? ? → ?) ? ?ησο?ς, Ποι?σατε το?ς ?νθρ?πους ?ναπεσε?ν. ?ν δ? χ?ρτος πολ?ς ?ν τ? τ?π?. ?ν?πεσον (Β ?ν?πεσον → ?ν?πεσαν) (N ?ν?πεσον → ?ν?πεσαν) ο?ν ο? ?νδρες τ?ν ?ριθμ?ν ?σε? (N ?σε? → ?ς) πεντακισχ?λιοι. |
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Jésus dit : Faites asseoir les gens. Or il y avait beaucoup d'herbe dans ce lieu. Les hommes s'assirent donc, au nombre d'environ cinq mille. |
10 |
11 |
?λαβεν δ? (N δ? το?ς → ο?ν το?ς) το?ς ?ρτους ? ?ησο?ς, κα? ε?χαριστ?σας δι?δωκεν το?ς μαθητα?ς, (N το?ς μαθητα?ς ο? δ? μαθητα? → –) ο? δ? μαθητα? το?ς ?νακειμ?νοις: ?μο?ως κα? ?κ τ?ν ?ψαρ?ων ?σον ?θελον. |
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Jésus prit donc les pains, et ayant rendu grâce, il les distribua à ceux qui étaient assis ; de même aussi des poissons, autant qu'ils en voulurent. |
11 |
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?ς δ? ?νεπλ?σθησαν, λ?γει το?ς μαθητα?ς α?το?, Συναγ?γετε τ? περισσε?σαντα κλ?σματα, ?να μ? τι ?π?ληται. |
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Et quand ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Ramassez les morceaux qui sont restés, afin que rien ne se perde. |
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Συν?γαγον ο?ν, κα? ?γ?μισαν δ?δεκα κοφ?νους κλασμ?των ?κ τ?ν π?ντε ?ρτων τ?ν κριθ?νων, ? ?περ?σσευσεν (N ?περ?σσευσεν → ?περ?σσευσαν) το?ς βεβρωκ?σιν. |
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Ils les ramassèrent donc, et ils remplirent douze paniers des morceaux provenant des cinq pains d'orge qui étaient restés à ceux qui avaient mangé. |
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Ο? ο?ν ?νθρωποι ?δ?ντες ? ?πο?ησεν σημε?ον ? (N ? ?ησο?ς → –) ?ησο?ς, ?λεγον ?τι Ο?τ?ς ?στιν ?ληθ?ς ? προφ?της ? ?ρχ?μενος ε?ς τ?ν κ?σμον. |
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Les gens donc ayant vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est véritablement le prophète qui vient dans le monde. |
14 |
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?ησο?ς ο?ν γνο?ς ?τι μ?λλουσιν ?ρχεσθαι κα? ?ρπ?ζειν α?τ?ν, ?να ποι?σωσιν (N ποι?σωσιν α?τ?ν → ποι?σωσιν) α?τ?ν βασιλ?α, ?νεχ?ρησεν (N ?νεχ?ρησεν → ?νεχ?ρησεν π?λιν) ε?ς τ? ?ρος α?τ?ς μ?νος. |
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Jésus donc ayant connu qu'ils allaient venir l'enlever, afin de le faire roi, se retira de nouveau sur la montagne, lui seul. |
15 |
Le récit de la multiplication des pains dans l’Évangile de Jean présente de nombreuses similitudes avec les trois évangiles synoptiques (Matth. 14, 13-21), (Marc 6, 32-44), (Luc 9, 10- 17). En premier lieu chacun des quatre récits, rapportant que les provisions disponibles pour nourrir une foule de 5.000 hommes consistent en tout et pour tout à 5 pains et 2 poissons*.
Une foi la foule nourrie et rassasiée, on emplit avec les restes 12 corbeilles. Ces chiffres (5.000 hommes, 5 pains, 2 poissons, 12 corbeilles) sont identiques dans les quatre récits évangéliques. Autre trait commun, on retrouve dans chacun un entretien entre Jésus et les disciples, dans les synoptiques, entre Jésus et un disciple dans celui de Jean. Notons encore dans les quatre récits la mention que Jésus rend grâce avant la distribution.
Entre les trois synoptiques, il y a finalement que peu de différences. Marc seul (6, 40) précise qu'on fait asseoir les gens par rangs de cent et de cinquante (par rangs de cinquante chez Luc 9, 14). Alors que Matthieu n'en fait pas mention.
* Matthieu (15, 32-39) et Marc (8, 1-10) sont seuls à parler d'une seconde multiplication des pains où il est question de 7 pains et de quelques petits poissons pour nourrir 4.000 hommes. Nous verrons plus loin quel nous paraît être le sens de ce second épisode.
C'est avec l’Évangile de Marc que le récit de Jean présente le plus de similitudes. Marc parle en effet d’une question émise par les disciples : « Irions-nous acheter du pain pour 200 deniers et leur donnerions-nous à manger ? » (Marc 6, 37). Jean fait mention de ce même détail et cite la même somme, mais son récit est plus précis et plus vivant. L'entretien a lieu, non entre Jésus et les disciples, mais entre Jésus et Philippe. C'est Jésus qui demande à Philippe pour l'éprouver : « Où achèterons-nous des pains ? » Et Philippe répond naïvement : « Deux cents deniers de pains ne suffiraient pas » (Jean 6, 5-7). Le verset 4 nous apprend que : « la Pâque, la fête des Juifs, était proche. »
L’Évangile de Jean cependant se distingue par les points suivants :
1. II est plus détaillé et moins superficiel que celui des synoptiques. En effet Jésus interroge Philippe puis un autre de ses disciples, André, frère de Simon-Pierre, lui annonce qu'un jeune garçon parmi la foule a avec lui 5 pains et 2 poissons.
2. Jean apporte au début de son récit une précision chronologique importante : « La Pâque, la fête des Juifs était proche ».
3. Jean est seul à faire mention d'une phrase prononcée par Jésus après le miracle : « Rassemblez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde » (Jean 6, 12).
4. Jean ne mentionne pas une parole du Christ que les trois autres évangélistes rapportent dans des termes identiques : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». On saisit aisément la raison pour laquelle Jean n'a pas retenu cette parole du Christ. Pour Jean, le récit de la multiplication des pains est une préfiguration de la Sainte Cène. La suppression de cette phrase donne une orientation toute différente au récit. Dans la Sainte Cène, c'est le Christ lui-même qui donne à manger, plus exactement qui se donne symboliquement lui-même comme nourriture spirituelle puisqu'il est le pain de vie (Jean 6, 35). Donc pour Jean cette « première Pâque » est une préfiguration de la seconde.
5. Dans les trois synoptiques, ce sont les disciples qui distribuent les pains à la foule alors que dans Jean, c'est Jésus lui-même (Jean 6, 11).
Au-delà de ce qui viens d’être dit, nous pouvons entrer plus avant dans la compréhension du récit johannique de la multiplication des pains en examinent sa structure symbolique.
Premièrement il est question de 5 pains. Or le mot grec ?ρτος artos, pain, est répété 5 fois dans la péricope Jean 6, 1-13 (versets 5. 7. 9. 11. 13). Le nom de Jésus est de même répété 5 fois (versets 1. 3. 5. 10. 11). Il est question de 2 poissons, et le mot ?ψ?ριον opsarion, poisson, apparaît 2 fois (versets 9. 11).
D'autre part, les noms de trois disciples, Philippe, André, Simon-Pierre sont prononcés 3 fois au cours du récit (versets 5. 8. 8) et le mot μαθητ?ς mathetes, disciple, apparaît trois fois (versets 3. 8. 12). ( Tous les comptages ci-dessus sont faits à partir du texte grec). Il faut noter en plus qu'en ce qui concerne les mots grecs que nous venons de citer, aucune variante possible ne peut porter de doute.
Ces remarques ne constituent nullement dans le quatrième évangile un cas exceptionnel. Il s'agit au contraire d'une règle générale. Lorsque au chapitre I de l'Évangile, les deux premiers disciples rencontrent Jésus (Jean Il, 35-39), le mot « disciple » apparaît deux fois. La femme samaritaine a eu cinq maris : Or le mot « mari » apparaît cinq fois. Je pourrais citer beaucoup d'autres exemples, et il est clair qu'il s'agit là d'un procédé constamment employé par Jean. Il est manifestement impossible de croire que nous sommes en présence de coïncidences. Il nous faut donc bien admettre que cette disposition symbolique a un sens, et que nous devons en tenir compte pour dégager le sens du texte.
J’ai inclus les versets 14 et 15 dans le récit de la multiplication des pains contrairement à ce qui est fait d’habitude bien que ces deux derniers versets racontent ce qui s'est passé après la multiplication des pains, et non les circonstances mêmes du miracle, auxquelles ont trait les versets 1 à 13, car la scission n'est qu'apparente, car c'est d'un bout à l'autre de l'Évangile que le langage symbolique des nombres vient compléter le sens littéral de chaque récit et en rendre les limites parfaitement évidentes. Car l’on sait que la division actuelle en chapitres et en versets fut introduite au XIIIe siècle par l'archevêque de Canterbury, Stephen Langton. Elle n’est donc qu’arbitraire et sans valeur réelle. L’étude numérique doit nous permettre de vérifier s’il y a correspondance ou non avec la structure conçue par l'auteur de l'Évangile. C'est ainsi par exemple que le nombre des mentions du nom de Jésus dans l'ensemble des chapitres 18 et 19 de l'Évangile montre que le récit allant de 18,1 jusqu'à la fin du chapitre 19 constitue bien un tout, et non deux chapitres différents car Jésus y étant nommé 40 fois. Le nombre 40 a le même symbolisme que 4, symbole de la croix.
Ce langage symbolique est particulier à Jean on ne le retrouve pas chez les autres évangélistes. Le tableau ci-dessous nous montre les résultats de la comparaison pour un certain nombre de mots figurant dans le récit de la multiplication des pains :
Fort est de constater qu'on ne retrouve chez aucun des trois autres évangiles les particularités que l’on relève dans Jean. Tout au plus peut-on remarquer que chez Marc, le mot « pain » revient à 5 reprises, soulignant le fait qu'il y avait 5 pains. Mais il n'y a pas concordance entre le nombre des mentions du nom de Jésus et celui des pains.
Cette concordance chez Jean apparaît au contraire comme le centre du symbolisme : par l'identité du nombre de mentions, Jean veut exprimer le fait que Jésus est lui-même le pain. Le discours sur le pain de vie qui suit (Jean 6, 26-58) ne fait que développer cette idée déjà exprimée sous une forme symbolique dans le récit de la multiplication des pains.
Le nombre 5 dans l'Ancien Testament.
Dans l'Ancien Testament le nombre cinq se rapporte à ce qui est consacré, mis à part pour Dieu. Les 5 pains que David et ses compagnons obtiennent à Nob du prêtre Ahimelek (I Samuel 21, 2-7) étaient des pains consacrés, c'est-à-dire destinés à être offerts sur l'autel.
Dans le récit de multiplication des pains que contient l'Ancien Testament (2 Rois 4, 42-44), le prophète Elisée nourrit cent personnes avec 20 pains d'orge. Ici la contradiction n'est qu'apparente, car précisément le nombre cinq apparaît dans le rapport entre le nombre de personnes (100) et le nombre de pains (20).
De plus Elisée le prophète succède ou suit le prophète Elie, et nous avons vu que Jean-Baptiste et une figure d’Elie, Jésus arrive après Jean-Baptiste comme Elisée après Elie.
Dans le langage symbolique du quatrième évangile, le nombre 5 a la même signification que dans l'Ancien Testament. Il s'applique à ce qui est saint, consacré (c'est-à-dire mis à part pour Dieu). Nous relevons parmi les mots les plus caractéristiques employés cinq fois dans tout le quatrième évangile :
— ?γιος agios, : saint
— ?νωθεν anothen, : d’en haut
— Βασιλε?α basileia, : royaume.
Il n'est pas douteux que Jean dans l'épisode de la multiplication des pains, nous fait un Signe. d'ailleurs Jean n'emploie jamais le mot grec τ?ρας terata qui signifie « miracle, haut-fait, prodige » pour parler des miracles accomplis par Jésus. Il les nomme des σημε?ον semeion, mot qui signifie Signe, et qu'il emploie 17 fois dans tout l'évangile, comme l'expression « Vie éternelle ».
D'ailleurs, immédiatement après le récit de la Multiplication des pains figure le mot « signe ». « Ces gens, ayant vu le signe que Jésus avait fait, disaient : celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde» (Jean 6, 14).
Attachons-nous maintenant à pénétrer le sens des « deux poissons ». Le mot ?ψ?ριον opsarion, poisson, que Jean emploie deux fois dans le récit de la multiplication des pains, apparaît cinq fois dans tout l'évangile. Jean emploie par ailleurs 3 fois le mot ?χθ?ς ichthus, qui signifie également poisson. Le nombre total de ces deux mots réunis est de huit. Il correspond certainement au symbolisme baptismal. Les poissons ?ψ?ριον (opsarion), par leur symbolisme total de cinq, appartiennent comme les pains de la multiplication au domaine de ce qui est mis à part pour Dieu.
Mais pourquoi y a-t-il deux poissons ? Le nombre deux est celui de la division. Il symbolise la rupture de l'unité. Il faut reconnaître toutefois que, dans le quatrième évangile, un grand nombre de mots dont le sens est très divers sont employés deux fois et que de ce fait, il est difficile de dégager les mots-clefs. On retiendra cependant que dans tout l'Évangile, Jésus est désigné deux fois comme le Messie, et deux fois comme l'Agneau de Dieu (Jean 1, 29 et 36). Jésus, à la fois Messie et Agneau, par son incarnation, assume la faiblesse humaine. Il accepte d'appartenir au monde de la division pour rétablir l'unité « afin que tous soient Un, Moi en eux et Toi en Moi » (Jean 17, 23). L'Agneau de Dieu nous oriente vers le symbolisme de la Sainte Cène de la nouvelle Pâque, dont la Pâque de l'Ancien Testament était la figure, le signe. C'est une idée centrale du quatrième évangile que Jésus est lui-même l'agneau de la Pâque : il meurt sur la croix à l'heure où les Juifs mangent la Pâque. Car le récit du repas du chapitre 13 de l'Évangile de Jean n'est pas le repas pascal ; il se situe avant la Pâque (Jean 13,1).
Le symbolisme numérique qui s'applique à la Pâque dans le quatrième évangile est celui du nombre dix. La fête juive de la Pâque commémore en effet la dixième plaie, qui eut lieu la nuit où Yahvé frappa tous les premiers-nés dans le pays d'Égypte. L'ange exterminateur épargna les maisons des enfants d'Israël, dont le seuil était marqué du sang de l'agneau pascal (Exode 2, 1-14). Cette fête se célèbre le dixième jour du premier mois de l'année (Ex. 12, 2-3).
Le symbolisme de la Pâque étant celui du nombre 10, il contient le symbolisme des nombres 5 et 2 qui sont ses facteurs premiers. Les pains assumant le symbolisme de 5, il était donc nécessaire que les poissons expriment le symbolisme de 2. C'est une règle générale, déjà observable dans l'Ancien Testament que le symbolisme d'un nombre est celui de ses facteurs. En matière de symbolisme numérique, les nombres se multiplient et ne s'additionnent pas, sauf s'il s'agit du symbolisme de deux mots différents, synonymes ou voisins, qui dans ce cas s'ajoutent. Ce dernier cas est fréquent chez Jean.
Nous devons écarter ici la possibilité du hasard qui touche à l'essence même du signe ou symbole. L’auteur de l'Évangile a conçu son récit comme une allégorie, il a choisi les nombres de 5 pains et de 2 poissons afin de souligner le rapport entre la multiplication des pains et la Pâque, correspondant au nombre 10.
Il en est ainsi, par exemple, le jour où les deux premiers disciples rencontrent Jésus, que Jean-Baptiste désigne en disant : « Voici l'agneau de Dieu ». Jean remarque que ceci se passe à la dixième heure du jour, et il déduit de ce signe que cette phrase s'applique à l'agneau de la Pâque (Jean 1, 35-39). La première déclaration de Jean-Baptiste « Voici l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jean Il, 29) se rapporte au Serviteur souffrant des prophètes, à « l'agneau conduit à la boucherie » de Esaïe 53, 7. La seconde déclaration de Jean-Baptiste, à l'agneau de la Pâque, ce que souligne le symbolisme de la dixième heure. L'évangéliste se propose de montrer que Jésus est à la fois le Serviteur de Yahvé annoncé par les prophètes, et en même temps l'agneau de la Pâque.
Ainsi, si nous revenons au déchiffrement des signes mentionnés dans le récit johannique de la multiplication des pains, il apparaît avec évidence que la mention de la Pâque au verset 4 du récit n'a pas seulement une portée chronologique, mais qu'elle est destinée avant tout à souligner le rapport entre la multiplication des pains et la Pâque. Pour Jean, la multiplication des pains est un repas pascal, le premier repas pascal. Si le nombre de participants est de 5 000 hommes, c'est qu'ils constituent la figure de ceux qui sont mis à part pour Dieu, « les saints », suivant le langage des premiers chrétiens, c'est-à-dire l'Église.
Le fait que Jean situe la multiplication des pains sur la montagne (6,3), alors que les autres évangélistes font mention seulement d'un lieu désert, n'est pas à négliger. La montagne ?ρος (oros) n'est mentionnée ici qu'une seule fois, mais le mot ?ρος apparaît en tout cinq fois dans l'Évangile. Le caractère sacré des sommets appartient à un symbolisme très ancien. Il est naturel que Jean l'ait conservé et ait tenu à rappeler que ce premier repas de la Pâque nouvelle a eu lieu sur une montagne.
Reste enfin à expliquer le symbolisme des morceaux de pains κλ?σματα klasmala qu'on rassemble après le repas et celui des 12 corbeilles. Ces morceaux sont nommés deux fois (Jean 6, 12-13) et ce sont les deux seules apparitions de ce mot dans l'Évangile. Le nombre deux est le symbole de la division, et il s'agit de rassembler ces morceaux.
La traduction « Ramassez les morceaux » est impropre. Le verbe συν?γω sunago, rassembler a une très haute signification symbolique. Il apparaît en tout sept fois dans l'Évangile et figure en particulier dans le verset Jean 11, 52 « afin de rassembler en un les enfants de Dieu dispersés ». Je rappelle également ici les deux mentions de l'agneau de Dieu (Jean 1, 29 et 36) qui figurent au début de l'Évangile. L'agneau est le centre de la Pâque, et la mort du Sauveur est le lien entre tous les « morceaux » qui constituent l'Église.
Tout symbole est ambivalent, et de même que les deux poissons peuvent se rapporter au Christ lui-même ou aussi bien aux chrétiens baptisés, ainsi que le dit Tertullien, de même les morceaux qui restent après la multiplication des pains peuvent se rapporter au Christ lui-même, l'Agneau de Dieu, ou à ceux qui vivent en Lui, son Église, et en qui II vit.
Jean est seul parmi les quatre évangélistes à rapporter cette parole du Christ (Jean 6,12) : « Rassemblez les morceaux afin que rien ne se perde ». Le sens en est très évidemment symbolique. Ces morceaux de pain, qui ne doivent pas se perdre sont le symbole de la vie éternelle, la vie en Christ, que communique le repas de la Sainte Cène à ses participants. « La volonté de Celui qui m'a envoyé est que je ne perde rien de ce qu'il m'a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour » (Jean 6,39).
« Mes brebis entendent ma voix, je les connais et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle. Elles ne périront jamais » (Jean 10, 28). Le verbe ?π?λλυμι apolui qui est traduit ici par « périr » est employé également en Jean 6,12 à propos des morceaux de pain qui ne doivent pas se perdre. Il est aussi celui qui figure en Jean 6,39.
Par la Sainte-Cène, il y a transmission non seulement d'un message, mais d'une présence, la présence du Seigneur, plus encore d'une vie. Il y a une transmutation entre le Christ et son Église. Par la Sainte Cène, le Christ vient demeurer en nous.
Et que sont les douze corbeilles ? A priori, il semble évident qu'il s'agit des douze apôtres. Les apôtres sont mentionnés au début du récit de Marc et ils accompagnent Jésus dans le lieu désert où va avoir lieu la multiplication des pains. Marc note même qu'ils n'avaient pas encore eu le temps de manger (6, 30-31).
Dans le récit de Luc, les Douze s'approchent de Jésus pour lui suggérer de renvoyer la foule afin qu'elle aille s'acheter des vivres (Luc 9,12). Cette mention des douze apôtres en tête du récit et des 12 corbeilles à la fin κ?φινος δ?δεκα (kophinoi dodeka) Luc 12, 17 paraît bien confirmer que, pour Luc comme pour Marc, les 12 corbeilles symbolisaient les 12 apôtres.
Dans le récit de Jean, les 12 corbeilles sont nommées par le même mot que chez les trois autres évangélistes. Ce sont des « couffins » κ?φινος (kophinoi), mais aucune mention n'est faite des Douze dans ce récit.
Dans l'ensemble de l'Évangile, Jean emploie le mot δ?δεκα dodeka, douze, 6 fois, dont 4 fois pour parler des Apôtres. Le fait d'employer le mot douze, six fois dans l'Évangile est bien conforme à une règle générale du symbolisme, qui fait très souvent employer indifféremment un nombre ou sa moitié pour exprimer la même signification symbolique.
Le fait que les Douze sont nommés quatre fois dans l'Évangile n'est pas en désaccord avec le symbolisme de 12, nombre qui est le produit de 3 et de 4. Toutefois le nombre 4 est également dans l'Évangile celui des mentions du mot « Israël ». Or, dans l'Ancien. Testament, le nombre 12 s'applique avant tout aux douze tribus d'Israël. Dans le quatrième évangile, le mot « Jérusalem », ainsi que le mot γρ?φος, gráphos, écriture, sont employés 12 fois. Il est remarquable que, dans le quatrième évangile, Philippe est également nommé 12 fois, alors que d'après son nom qui est d'origine grecque, il s'agit d'un disciple qui n'est pas un israélite.
Si Jean ne mentionne que rarement les Douze, il dénomme le plus fréquemment ceux qui accompagnent Jésus « les disciples ». Le mot grec μαθητ?ς mathetes, disciple apparaît 78 fois dans le quatrième évangile. Il paraît certain que ce nombre n'a pas été choisi au hasard, car le verbe δ?δωμι sodomie, donner est également employé 78 fois, de même que le mot κ?σμος kosmos, monde. « Tout ce que le Père me donne viendra à moi » (Jean 6, 37). D'autre part le nombre 78 est le nombre triangulaire construit sur le nombre 12, c'est-à-dire que : 1 + 2 + 3 + + 12 = 78.
L'emploi des nombres triangulaires est assez fréquent chez Jean. L'exemple le plus connu est celui des 153 poissons de la pêche miraculeuse (Jean 21, 11). 153 est la somme de tous les nombres de 1 à 17. Le nombre 17 étant lui-même celui des mentions de la Vie éternelle ζω? αι?νια (zoé aionios) dans l'Évangile, le nombre 153 symbolise l'ensemble de tous ceux qui seront appelés à la vie éternelle, comme l'explique Saint Augustin dans plusieurs de ses Sermons.
De même, le nombre 78 symbolise l'ensemble de tous ceux qui deviendront des disciples, en y comprenant tous ceux qui sont nommés dans la prière sacerdotale au verset 17, 20 : « Ce n'est pas pour eux seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole ».
Le nombre 78 ayant même sens que le nombre 12, à la remarque près qu'il englobe tous les disciples indistinctement, présents et futurs, il n'est pas douteux que les 12 corbeilles symbolisent tous les disciples présents et futurs de Jésus, dont la mission est de rassembler les morceaux.
Que signifie le symbolisme de la seconde multiplication des pains, rapportée seulement par Matthieu et Marc Matth. 15, 32-38 et Marc 8 ; 1-9 ? Il est question cette fois de 7 pains, de quelques petits poissons, de 4 000 hommes et de 7 corbeilles de restes.
J’inclinerais à croire qu'il s'agit d'une seconde tradition du même événement, les nombres ayant été modifiés pour faire apparaître un symbolisme qui soit plus éloigné de celui de l'Ancien Testament. C'est du moins l'opinion qu'expriment les Pères de l'Église, en particulier Hilaire, Jérôme et Bède (Il). Les 5 pains et les 12 corbeilles sont devenus 7 pains et 7 corbeilles pour faire apparaître le nombre 7, celui des 7 églises, qui est aussi celui du Saint-Esprit. Ceci nous éloigne des 12 corbeilles qui semblaient se rapporter exclusivement au peuple élu. Les 4 000 hommes représentent tous les peuples de la terre, venus des quatre parties du monde (Saint Hilaire). Il s'agirait donc d'une réaction au judéo-christianisme, cette seconde tradition ayant pour but de faire apparaître un symbolisme de la Cène plus universel.
Quoi qu'il en soit de cette interprétation qui ne s’appuie que sur les Pères de l'Église (il s'agit d'un symbolisme qui n'est pas soutenu scripturairement comme dans le cas du quatrième évangile par toute une structure symbolique cohérente), il est remarquable que Matthieu 16, 9 et Marc 8, 17 mettent dans la bouche du Christ une parole se rapportant au sens de la multiplication des pains : « Êtes-vous sans intelligence et ne comprenez-vous pas ? » Il n'est pas question seulement de l'événement, mais aussi de sa signification. Il apparaît donc probable qu'il y a eu un enseignement donné par Jésus, relatif au sens de la multiplication des pains. Pourquoi cet enseignement ne serait-il pas celui que rapporte le quatrième évangile dans le récit de Jean 6, 26-58 ?
Résumons cet exposé. Il apparaît que le discours que Jean met dans la bouche du Christ au chapitre VI de son Évangile était déjà contenu en essence dans le récit de la multiplication des pains.
Que devons-nous en conclure, nous chrétiens du XXIe siècle, chez qui une pensée rationaliste, héritée des siècles précédents, a fait perdre le sens du symbole ? Tout d'abord que la célébration de la Sainte Cène est un « Signe », du dernier repas tout autant que de la multiplication des pains, c’est un symbole ou un Signe sacré donc un Sacrement et celui-ci se communique à nous. Étant nous-mêmes changés en Christ — « ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi » — Elle ne doit être prise « partagé » entre « éveillés » devenus membres du corps du Christ, qui est l'Église spirituelle (non ici de l’Église terrestre). Nous sommes un fragment du Christ unique, un de ces morceaux de pain qui ne doivent pas se perdre, et en qui mystérieusement réside l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde.
Il me semble ensuite qu'après le déchiffrement qui nous a permis de dégager le sens plénier du récit, la valeur historique et théologique du quatrième évangile nous apparaît à sa vraie lumière et dans toute sa profondeur. Jean n'a pas inventé les symboles des cinq pains et des deux poissons. Les Évangiles synoptiques avant lui les avaient déjà rapportés. Il les a seulement interprétés et leur a donné toute leur signification en faisant apparaître leur relation avec la Pâque nouvelle, dont le Christ est l'agneau, et dont la Pâque de l'ancienne Alliance était la figure.
À notre époque où les églises chrétiennes mettent au premier plan de leurs préoccupations une tendance œcuménique nouvelle, nous pouvons avoir la certitude que bien des malentendus théologiques qui ont créé des fossés profonds, pourraient disparaître par une étude approfondie de l'Évangile de Jean.
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