Créer un site internet

Soyez des Missionnaires faites des disciples de toutes les nations.

 

Matthieu 28, 16-20.

Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ; leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »

 

Les difficultés de ce texte

Ce passage de Matthieu est connu pour beaucoup de chrétiens pour sa capacité à susciter des émotions… Très diverses. Quelles émotions suscite ce texte ?. Tout d’abord, « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » … Ça, c’est plutôt agréable à lire c’est une émotion positive. Mais : « faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du fils et du Saint-Esprit », Doit-on, comprendre que tous les peuples doivent devenir chrétiens pour être sauvés ? C’est ainsi que ces paroles ont été comprises par les églises depuis deux mil ans. Mais si Dieu aime toutes ses créatures, n’est-il pas essentiel de respecter les croyants des autres religions, ainsi que les non-croyants ? Jésus a parlé à tout le monde, et s’il a parfois donné son enseignement à des foules, il a surtout privilégié les rencontres personnelles. Alors comment comprendre ce passage ? Franchement, ce  passage, me met… mal à l’aise. Il me met mal à l’aise en tant que chrétien au regard de l’histoire du christianisme et il me met mal à l’aise car il me rappelle toutes ces prédications que j’ai entendues, où on me disait qu’il était temps de se secouer les puces, et de bondir de sa chaise à la sortie du culte pour aller casser nos scores d’évangélisation. Il me met mal à l’aise car il me rappelle toutes ces prédications fustigeant les mauvaises églises les mauvais chrétiens, les mauvaises attitudes et les mauvais comportements qui nous éloignent de la Grâce de Dieu. Les prédications angoissantes sur Apocalypse ch3 v16 ou Dieu vomis les tièdes…

Et si ce texte suscite parfois un petit « malaise » subjectif, c’est qu’en réalité, c’est un texte qui a posé problème de manière bien plus générale : un problème sociétal, historique. L’histoire du christianisme est marquée par l’usage dramatique qui a pu être fait de ce texte. Vous avez sans doute la série d’exemples possibles à l’esprit : on pense rapidement à l’implication majeure du christianisme dans l’histoire coloniale, mais on pourrait aussi remonter plus loin, avec l’exemple typique des croisades et des guerres de religion et des conquistadores et de la conquête de l’Ouest Américain. Bref, l’usage qui a été fait de ce texte est un usage violent, conquérant. Le raisonnement est simple : pas d’omelettes sans casser des œufs. Donc pour augmenter ces fameux « scores » d’évangélisation, il faut accepter de se salir les mains, en employant des méthodes moyennement orthodoxes. Ces conversions violentes, elles sont par ailleurs parfois assez insidieuses. Il ne s’agit pas nécessairement de contrainte physique – plus de nos jours ce serait trop facile à repérer; mais il peut aussi toujours s’agir de contraintes psychologiques. Typiquement, amener des individus à la conversion en suscitant en eux la peur de la condamnation, est-ce que ce n’est pas aussi une forme de conversion violence ? Être baptisée par peur… Quelle tristesse. Bref.

Chose curieuse nous assistons actuellement à un phénomène surprenant : l'affirmation de son appartenance religieuse se retrouve sur la scène publique, alors qu'on croyait que la société était entrée définitivement dans la sécularisation. Des musulmanes ont décidé de porter le hidjab, pendant que des parents non pratiquants revendiquent l'enseignement catholique pour leur enfant. Des mégaéglises se forment non seulement aux États-Unis, mais aussi au Guatemala et surtout en Corée du Sud où on peut accueillir 12,000 personnes? Il ne faut pas se leurrer : nous sommes devant du prosélytisme, ce besoin d'affirmer son identité et de recruter des membres, et c’est cette attitude qui explique la présence malheureuse des évangélistes sud-coréens en Afghanistan en 2007, et qui a tourné au tragique. Je me sens mal à l'aise devant ce phénomène, car bien souvent la religion, loin de libérer les gens, les rend plus intransigeants.

Qu'est-ce qui se passe dans notre monde où les tensions ethniques et culturelles se multiplient avant de se radicaliser sous le vernis religieux? Pourquoi des chrétiens croient-ils pouvoir retrouver leur identité en rétablissant le monde de la chrétienté d'autrefois plutôt que d'évoluer vers une nouvelle façon d'être eux-mêmes dans un monde différent?

S’il est intéressant de se pencher sur des textes comme celui-ci, c’est parce qu’il est possible d’y découvrir autre chose, d’y lire autre chose, que ce qui y a été lu pendant des générations et des générations et qui malheureusement peut encore êtres lut ainsi aujourd’hui. Et il y a peut-être une méthode en particulier que nous pouvons employer pour parvenir à changer notre regard sur ce texte. Lorsque nous disons que ce texte est susceptible de susciter un « malaise », nous le faisons à partir de la représentation de l’histoire coloniale du christianisme. Nous le faisons à partir d’évènements, qui n’ont pas encore eu lieu à l’époque de rédaction. Une méthode possible, pour trouver un nouveau sens à ce texte, c’est alors de le « sortir » de ce contexte-là, pour le remettre dans son contexte à lui, son contexte de rédaction – le premier siècle de notre ère – mais aussi pour le lire à partir de notre contexte à nous, aujourd’hui. Ce qu’il peut nous communiquer à nous. Alors mettons-nous dans les sandales d’un juif du premier siècle de notre ère, pour voir quelle est la « puissance » de ce texte, son originalité. Nous verrons que l’originalité de ce texte peut encore résonner sur nos quotidiens, aujourd’hui.

 

Contexte narratif, construction

Reprenons notre texte. Qu’est-ce qu’il s’y passe ? Il s’agit des derniers versets de l’évangile selon Matthieu. Selon cet évangile, le Christ ressuscité se révèle aux femmes qui sont venues embaumer son corps, puis, ici, sur une montagne en Galilée, aux onze disciples. Puisque ce sont les derniers mots du Christ, dans l’évangile selon Matthieu, on imagine que ce sont les mots qu’il profère juste avant son ascension. Cela semble faire sens : avant de s’en aller, il s’assure que son ministère sera poursuivi. Selon d’autres versions de l’histoire, on a cependant des raisons de croire que le Christ ressuscité est resté quelque temps avec les disciples avant de « retourner auprès de son Père ». Le récit de la Pentecôte, notamment, fait partie des évènements qui auraient eu lieu « entre » sa première apparition aux disciples, et son départ. Bref. Voilà pour le contexte.

Regardons au texte lui-même désormais. Il est construit en deux parties : il y a, d’abord, un récit d’apparition :

Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes.

Ce texte précède l'Ascension du Seigneur. Quel lien avec le problème de l'identité? Croyez-le ou non, il en est le cœur. Car qu'essaie-t-on de dire par l'Ascension? Le Jésus tel que l'ont connu ses proches, le Jésus qu'on a pu écouter, toucher et embrasser est passé à une identité nouvelle. C'est la même personne, mais sa présence se fera sentir de manière différente. Et si on parle d'ascension tout comme on parle d'une promotion au travail, c'est que son identité revêt une qualité plus grande. Puis, il y a l’ordre de mission du Christ, qui est suivi par une promesse d’assistance :

Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ; leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. 

Les disciples font un cheminement afin de se rendre en Galilée, mot qui signifie « Cercle des nations », que nous pourrions traduire par « Centre international ». Là se produit quelque chose d'étrange. Les disciples se prosternent devant lui, i.e. dans la foi ils le reconnaissent comme leur maître de vie, mais en même temps ils gardent certains doutes. D'où viennent ces doutes? Si le Jésus dont ils font actuellement l'expérience était exactement le Jésus comme ils l'ont connu autrefois, il n'y aurait pas de problème. Mais justement, il y a quelque chose qui a changé chez lui, son identité a connu une ascension. Quoi exactement? Le Jésus qui a dit un jour : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël », dit plutôt maintenant : « Un mandat universel m'a été confié, allez vers toutes les nations. »

Et regardez la suite : « Baptisez-les au nom du Père, du Fils et de l'Esprit Saint. » L'accent ici n'est pas sur la valeur juridique du baptême ou sur son obligation, mais sur le fait que le croyant reçoit son identité nouvelle non pas d'un prophète quelconque ou du pape, mais de Dieu même. Ne dit-on pas : tels sont les parents, tels sont les enfants. Or, Dieu, source de notre vie, nous est présenté dans la diversité des personnes : le Père, le Fils et l'Esprit. Imaginez! Notre Dieu nous est présenté sous le visage de la diversité. Pouvons-nous être surpris ensuite de la diversité de notre monde? Cette naissance nouvelle est enfin exprimée par l'invitation à assimiler l'enseignement de Jésus, plus particulièrement son sermon sur la montagne où il dit : « Vous êtes le sel de la terre... Vous êtes la lumière du monde. » Comprenez-vous pourquoi se replier sur le passé c'est s'éloigner de notre être et de notre mission ? Notre mission selon Jésus le Christ :

Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ; leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit.

Puisque c’est cette partie-là qui peut nous être la plus compliquée, c’est sur elle que nous allons nous concentrer maintenant.

Je vais m’arrêter sur chacune des trois prescriptions, mais pas tout à fait dans l’ordre. Apprenez-leur à garder ce que je vous ai prescrit… Faites de toutes les nations des disciples puis… « baptisez-les ».

Apprenez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit

Donc, regardons de plus près à ces trois ordres de mission. On va commencer par une première question, une question surmontable, mais qui vient rapidement à l’esprit quand on lit ces versets. C’est la question : « mais au fait, qu’est-ce qu’il a prescrit ? » C’est une question faussement facile parce que Jésus n’était pas forcément du genre à faire la dictée d’ordonnancements clairs et précis. Sa manière de faire, c’était plutôt : petite parabole par-ci, petite parabole par-là, tu n’as pas compris ? Alors, médites ! Donc bon, qu’est-ce que Jésus le Christ a « prescrit » ? Est-ce qu’il a d’ailleurs prescrit « quelque chose » qui soit possible de résumer ? Quelque chose de central, d’uniforme, de propre et bien précis ?

C’est une question qui va nous donner l’occasion d’une première « plongée » dans le contexte historique des évangiles. Et en réalité, quand on dit « prescription » à un Juif du premier siècle, je peux vous assurer que ça lui parle. Le Juif, il sait qu’il y a 613 commandements dans la Torah (Torah, qui veut dire Loi en hébreu). Bon, dans ces cinq livres, il y a 613 commandements, et l’identité juive, c’est d’obéir à ces commandements. Pourquoi l’identité juive c’est d’obéir à ces commandements ? Vous vous rappelez sans doute : le peuple d’Israël fuit l’Égypte, il traverse le désert pendant 40 ans, et se constitue un Royaume en Canaan. C’est le Royaume où règnent successivement Saül, David, et Salomon. Et Salomon est connu notamment parce qu’il aurait construit le Temple. Le Temple de Salomon, Temple de Yhwh, c’est « le » symbole de la religion juive. Il concentre tout ; tout est centralisé autour de lui. Mais voilà, après un long périple, le Temple est détruit par les ennemis : c’est la chute du Temple. Et ça, c’est un énorme déchirement. C’est le symbole de la destruction de ce qui est au centre de la vie identitaire et culturelle d’Israël. C’est là qu’il se passe quelque chose de très important dans le judaïsme, parce qu’on en vient à se dire : au fond, ce n’est pas le Temple qui compte. Ce n’est pas le lieu qui compte, ou ses murs. Non : c’est la Loi. Et en deux mots, c’est comme ça que la loi devient primordiale : la Loi, remise à Moïse, d’abord au Mont Sinaï par exemple, devient le nouveau « cœur » de l’identité religieuse d’Israël.

Jésus, dans le nouveau Testament, fait quelque chose de cette loi. D’abord, il la résume. Au-dessus des 613 commandements, Jésus pose un commandement unique, qui est censé résumer l’ensemble de la Torah, et qui vient en fait de la Torah, parce qu’on peut le trouver en Deutéronome.

« Jésus lui dit : Qu'est-il écrit dans la loi ? Qu'y lis-tu ? Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Luc 10, 26-27.

Mais en plus de résumer la loi… Jésus la déplace. Ou plutôt… ! L’Esprit la déplace. Avant Jésus, la loi, c’est un objet. Ce sont les inscriptions des dix commandements sur les grandes pierres, remises à Moïse en haut du mont Sinaï, qu’on a ensuite a appelées les « tables de la loi ». Ces grandes pierres, on peut aller les lire de temps en temps, mais on peut aussi le ranger dans un coin, dans le coffre de l’Alliance par exemple. Bref : la loi, au fond, c’est une chose. Une chose un peu encombrante, qu’apparemment, on a même réussi à perdre ! On ne sait pas où elles sont. Plus de cailloux : plus de lois. Il ne reste que les rouleaux de parchemins des commentaires écrits par les Rabbins. Mais avec la venue du Christ sur Terre, et avec le don de l’Esprit à la Pentecôte, la loi se déplace : elle se niche dans les cœurs. Elle n’est plus chose extérieure à nous, qu’on traîne soigneusement d’un campement à l’autre : elle s’est glissée dans nos cœurs. C’est comme la « voix du bon berger », qu’on entend dans le silence. Cet Esprit qui remplit nos cœurs, cet Esprit qui est avec nous tous les jours, c’est cela : c’est le rappel de la loi dans nos cœurs.

Faites de toutes les nations des disciples

Mais je vous disais plus tôt que ce texte revêt une profonde originalité… Alors quelle est cette originalité ?

Je vous racontais combien la « loi » est au cœur de l’identité juive du premier siècle de notre ère. Mais ce n’est pas la seule chose qui y est centrale… ! Quelle est l’autre chose qui est au cœur de la pratique juive à l’époque ? C’est l’identité juive elle-même ! Je vous le rappelle : le judaïsme, à l’époque, ce n’est pas vraiment une « religion », c’est plus que ça. C’est une sorte d’identité ethnique, ou nationale. Autrement dit, le judaïsme est la religion d’un peuple, Israël, et l’un et l’autre vont de pair. Il n’y a pas de judaïsme en dehors d’Israël, et il n’y a pas d’Israël sans l’adoration de Yhwh. Et Jésus, dans l’histoire que nous relatent les évangiles, c’est d’abord le Messie c’est le Christ : celui que la tradition juive attend. Le Christ, pour commencer, ne vient pas créer une tradition nouvelle, il vient réformer le judaïsme de l’intérieur. C’est un petit peu comme le protestantisme : à l’origine, l’objectif de Luther n’était pas de créer une nouvelle Église, Son but était de transformer l’Église catholique de l’intérieur. Mais bon. Cela ne s’est pas passé comme prévu. Bref : dans l’ensemble des évangiles, Jésus se présente comme Juif, et de fait, il est Juif de par son ascendance. C’est ce que rappelle sa généalogie au début de l’évangile selon Matthieu. Il est Juif du côté de sa mère, et il est Juif du côté de son père. Et puis il prêche à des juifs, à partir de la loi juive, dans les hauts lieux de la tradition juive, à la synagogue, ou dans le Temple de Jérusalem etc. Et c’est là, dans ce contexte précis, que ce texte est révolutionnaire. Par ces mots-là, Jésus le Christ ressuscité dit : ce n’est pas par votre identité que vous avez l’amour de Dieu, ce n’est pas par votre communautarisme que je vous fais Grâce. Alors faites tomber les murs de la synagogue, et allez au-devant des nations. Israël, ici, est appelé à se mêler dans le sein des autres nations. Au fond, elle n’est plus qu’une nation parmi d’autres.

Qu’Israël soit appelé à se mêler aux nations, cela apparaît déjà dans le texte, par le fait que les Onze disciples sont appelés à faire, à leur tour, « d’autres » disciples. Jésus aurait pu dire : commandants, trouvez-vous des officiers. Il aurait pu dire : villes mères, construisez des villes filles. Non, il dit : disciple, faites d’autres disciples. C’est le même mot qui est choisi. Cela signifie qu’il n’y a pas de « privilège » des Onze relativement à ces autres et futurs « disciples ». Et puis de toute manière, privilège, en quoi ? Quel serait le genre de privilège auquel donnerait accès le fait d’avoir été un témoin oculaire de la Passion et de la résurrection ? En savent-ils vraiment « plus » que les autres ? En grec, le mot qui est utilisé pour dire « disciple », c’est μαθητής « mathetes ». Dans « mathetes », on entend « math », comme dans « mathématiques ». Parce que l’autre sens de « disciple », c’est « celui qui apprend ». Et c’est donc assez amusant que, dans ce texte, les Onze soient aussi « de ceux qui apprennent », au même titre que les disciples des nations. Ils apprennent, ils sont en apprentissage, et donc ils ne savent pas encore. Celui qui apprend n’est pas encore accompli comme « celui qui sait », il n’a pas d’identité en tant que telle. Il a une identité en devenir, une identité mouvante, en transformation, il est étudiant.

Baptisez-les

C’est en cela que ce texte révolutionnaire. Il nous met en face d’un appel auquel on ne s’attend pas forcément, lorsqu’il semble être question de « diffuser » une foi nouvelle. Au fond, je crois que c’est un texte qui appelle à la dissolution de l’identité. Ou plutôt : une dissolution du communautarisme. Vous voyez ce que c’est, le communautarisme. On dit qu’une société est communautariste lorsque les gens qui parlent ensemble sont seulement les gens qui se ressemblent, et si on en vient à parler à une autre communauté que celle à laquelle on appartient, c’est qu’à un moment donné, il faudra « choisir » entre l’une et l’autre. C’est comme le conflit Capulet / Montaigu dans Roméo et Juliette. Il ne s’agit pas de mélanger les genres, de fréquenter ailleurs : sinon ça pose problème. Dans le communautarisme il ne peut-être question d’œcuménisme. D’ailleurs : est-ce qu’on a le droit ou non d’épouser des étrangers, dans l’Ancien Testament, c’est une question qui pose problème. Eh bien un texte comme celui-là, qui dit à une communauté dont l’identité est aussi forte que celle de la communauté juive du premier siècle : « faites de toutes les nations des disciples », c’est un texte qui dissout l’idée selon laquelle « l’identité » communautaire aurait une quelconque valeur. Pour être juif il fallait être né juif, mais personne n’est jamais né disciple il le devient.

À cause de cela, je crois qu’il est possible de dire qu’au fond, c’est un texte qui s’oppose complètement aux usages qu’on a pu en faire, et que je vous décrivais pour commencer. Lorsqu’on cherche à étendre le christianisme de manière prosélyte et parfois agressive, lorsqu’on travaille à la multiplication des conversions, qu’on cherche à étendre les frontières de l’Église, qu’on cherche à repousser les murs de l’Église (pour pouvoir mettre plus de gens dedans), au fond, on cherche à multiplier le nombre de convertis à « notre » cause. Au fond, nous avons une manière identitaire de nous rapporter à la conversion. Et c’est dans ce contexte-là qu’on en vient à dire que les baptêmes, par exemple, ne se valent pas tous les uns les autres. Parfois, les catholiques rebaptisent les protestants pour des raisons identitaires. Certains évangéliques rebaptisent des personnes baptisées enfants pour des raisons identitaires. Mais pourquoi ? Parce que ce baptême est vécu et conçu de manière identitaire : c’est une sorte de rite de passage, qui marque l’entrée dans une communauté religieuse donnée.

Or… Il y a plusieurs manières de comprendre le baptême. Et je crois que ce texte, s’il est un appel à la décrispation identitaire, il nous contraint à penser une autre dimension du baptême. Nous pensons au baptême comme un « rite » qui permet d’arborer une nouvelle identité. Nous pensons aussi au baptême comme un « acte volontaire » par lequel un individu s’engage dans un chemin de foi. D’autres voient le baptême comme une mort et une résurrection en Christ. Mais bien sûr, il n’y a pas que ça. Le baptême, c’est aussi le symbole de l’action de quelqu’un d’autre : non pas l’action de la communauté, non pas l’action de l’individu, mais l’action de Dieu. Dans certaines branches du christianisme, protestant même souvent, baptiser un enfant, c’est ça : c’est mettre au-devant de la scène le geste de Dieu. C’est réaliser cet acte symbolique par lequel on rappelle que Dieu dit à chaque enfant : qui que tu sois, où que tu sois, quoi que tu fasses, je t’aime, je te bénis, et par ma grâce tu es sauvé.

Alors oui : sortons de notre communautarisme et allons faire de toutes les nations des disciples. Accompagnons-les dans un chemin qui est aussi le nôtre : un chemin d’apprentissage. Que nous apprenions à entendre ce que le Seigneur, de tout temps, a inscrit dans nos cœurs. Et baptisons les nations au nom du Père, du fils et du Saint-Esprit : reconnaissons à chacun, à chacune, son appartenance au projet d’amour de Dieu. Afin que nous ne fassions pas obstacle à ce refus de tout carcan identitaire, et afin que nous ne fassions pas obstacle à la radicalité de ce projet d’amour, qui toujours doit nous surprendre et nous déplacer. Parce que désormais, c’est ça, la condition de chrétien, c’est une condition qui disparaît et qui ne s’accorde pas d’importance à elle-même. C’est la condition d’être déplacé.

De toute façon on ne peut venir à Dieu ni par contrainte, ni par force, ni par la peur, le seul chemin est celui de l’Amour. L’Amour de Dieu inconditionnel. Que l’on peut vivre et voir en Jésus c’est ça « le chemin la vérité et la vie », êtres disciple de Jésus-Christ c’est le suivre sur ce chemin-là. Le royaume de Dieu n’a pas besoin de disciples à la Élie ou à la Jean Baptiste…; J’oserais dire de disciples terroristes, ou de disciples dictateurs et c’est pour cette raison que Jésus lui-même nous enseigne en parlant de Jean Baptiste dans (Luc 7, 28) : Je vous le dis, parmi ceux qui sont nés de femmes, il n'y en a point de plus grand que Jean. Cependant, le plus petit dans le royaume de Dieu est plus grand que lui.

J’aimerais dire le plus petit disciple, ou encore le plus petit de mes disciples…

D.R

Ajouter un commentaire

Anti-spam
 
×