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Rapport Maître à disciple


Aveugles guidant des aveugles

Dans nos sociétés sécularisées qui ont quand même besoin de règles de vivre ensemble, ces préceptes judo chrétiens sont restés. L’expression la paille et la poutre est passée dans le langage commun, est devenue proverbiale. Tout le monde connaît le tableau de Breughel, où plusieurs aveugles, se tenant les une aux autres, sont voués à la chute, tout le monde sait ce qu’il veut dire.
 

Un aveugle guidant un aveugle
(Lc 6:39; Mt 15:14)
6:39   Un aveugle peut-il guider un aveugle ? Tous les deux ne tomberont-ils pas dans un trou ?

Le disciple et le maître
(Lc 6:40; Mt 10:24-25a)
6:40   Un disciple n'est pas au-dessus de "son" maître. Il suffit au disciple de devenir comme son maître.

La paille et la poutre
(Lc 6:41-42; Mt 7:3-5)
6:41   Et pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'œil de ton frère, mais la poutre qui est dans ton œil ne le remarques-tu pas ?
6:42   Comment "peux-tu" dire à ton frère : Laisse-moi retirer la paille de ton œil, alors que la poutre est dans ton œil ? Hypocrite, retire d'abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour retirer la paille "qui est dans" l'œil de ton frère.

Les deux premières, l’aveugle guidant un aveugle et la paille et la poutre font référence à l'éthique de réciprocité ou règle d'or. C’est une règle tellement générale, voire universelle que je prends cette définition chez Wikipédia : « Elle désigne une règle morale dont le principe fondamental est énoncé dans presque toutes les grandes religions et cultures : « traite les autres comme tu voudrais être traité » ou « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse ... ». Jésus met en opposition le jugement normal et salutaire qu’il attend de ses disciples et qui suppose le jugement sur soi-même d’abord, au jugement mauvais des pharisiens qui dicté par la loi de Moïse seule, ne souffre pas de préalable. L’aveugle, c’est celui qui se donne le droit de juger, il est aveuglé par son orgueil, par son sentiment de supériorité et il entraîne l’autre dans sa chute. 
Chez Matthieu, le sermon sur la montagne est au tout début de son ministère. Chez Luc on situe le commencement de l’œuvre de Jésus au chapitre 3. Pourquoi Luc a-t-il attendu le chapitre 6 pour faire cet enseignement fondamental ? Pour Godet (p 410), il fallait attendre que les conditions soient réunies pour rassembler des disciples, les organiser et les former pour les préparer à affronter les maîtres de la Loi auxquels il commençait à se frotter et qui n’appréciaient pas sa prédication (Luc 3, 16-30, 31, guérison un jour de Sabbat, Luc 5, 14 et suivant, Luc 6, 1-3 et 6- 11). Maintenant il peut exposer l’incompatibilité entre l’ancien et le nouvel ordre des choses. 
S'agissant d'aveugles qui guident d'autres aveugles, nous ne pouvons que penser aux expressions « guides aveugles » utilisées par Matthieu (23,13-32) dans ses malédictions contre les « scribes et pharisiens », juste avant l'entrée à Jérusalem. La version parallèle de Matthieu (15,14) à cette sentence précise du jour sur les aveugles, le dit d'ailleurs explicitement ; parlant des « pharisiens » : « aveugles, ils sont guides d'aveugles. Or : aveugle guidant aveugle, tous les deux dans un trou vont tomber ! » Luc reste fidèle à la source Q qui ici, ne se situe pas dans cette optique, de condamner des autorités religieuses qui ne font que répéter sans intelligence des formules qu'ils ont apprises, sinon inventées. D'une part parce que les communautés lucaniennes ne se situent pas, au même point que celle de Matthieu, dans cette problématique d'opposition à un judaïsme qui les rejetterait. D'autre part, parce que ce n'est pas le contexte de son discours dans la plaine, qui s'adresse à tout le monde, à la foule. Les aveugles, ici, sont donc un peu tout le monde. Luc veut appuyer ce qu'il vient de dire sur la nécessité de ne pas juger pour ne pas être jugé, ce qu'il va développer encore sous une autre forme avec l'autre parabole du jour, celle de la paille et de la poutre.
Entre ces deux petites paraboles, nous avons cette troisième péricope sur les rapports entre disciples et maître, qui vient, il faut le reconnaître, un peu à contre-emploi. Nous sommes dans le thème général de ne jamais nous croire supérieurs aux autres, et voici une sentence qui évoque cette possibilité que nous devenions un jour des maîtres... ça casse un peu l'ambiance. Ce thème, bien que Matthieu (10, 24-25) ait aussi sa version parallèle de la sentence, n'est d'ailleurs pas un thème des synoptiques, mais plutôt propre à Jean, qui l'expose à deux reprises tel quel (Jean 13, 16) : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé ». Et (Jean 15, 20) : « Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite: Le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi; s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre. », Et chez lequel c'est surtout le principe pédagogique qui sous-tend tout son évangile, en situant sans cesse les disciples dans un rapport à Jésus comparable à la propre situation de Jésus par rapport au Père. Dans les synoptiques, Jésus est souvent appelé « maître », mais on n'envisage guère, d'une manière générale, l'idée de pouvoir devenir un jour comme lui ! D’où le questionnement que pose plus précisément l'évocation d'une telle possibilité ici (et dans le parallèle de Matthieu). Paradoxalement, c'est chez Jean, malgré son schéma à trois étages disciples/Jésus/Père seriné tout du long, qu'on trouve in fine que tel est pourtant le but de l'initiation chrétienne, réalisé par la venue de l'Esprit, quand Jésus dit par exemple qu'à partir de ce moment-là « ce n'est plus moi que vous prierez mais le Père » (Jean 16, 23), ou encore que qui croit en lui fera les mêmes œuvres que lui « et même en fera de plus grandes » (Jean 14, 12).
Une sentence donc quelque peu « erratique », selon le terme consacré pour parler de ces versets plus ou moins bizarres qu'on trouve ici et là dans les Évangiles, avant une des paraboles qui ont le plus marqué les esprits et notre imaginaire collectif, celle de la paille et de la poutre, puisque l'image est utilisée encore de nos jours couramment, y compris par nombre de gens qui n'ont aucune idée d'où elle vient. Rappelons que l'œil, en anthropologie hébraïque, est le symbole de l'intelligence qui permet de discerner entre le bien et le mal, notre conscience, en somme. Avoir une paille ou une poutre « dans l'œil » signifie alors principalement que cet organe ne fonctionne pas correctement, qu'il y a en nous une certaine zone d'ombre, que la lumière de la conscience divine qui est notre conscience n'éclaire pas. Notre conscience est toujours plus ou moins faussée, et même si c'était moi qui avais la paille, et mon vis-à-vis la poutre, je ne serais pas pour autant automatiquement apte à l'aider. Parce que ce qui caractérise ces zones d'ombre, c'est que précisément nous n'en sommes pas conscients ! On ne parle pas ici que de péchés ou de fautes dont nous saurions qu'ils nous affectent, et dont nous nous efforcerions de nous guérir. On ne parle pas non plus de ce que la théologie a appelé le péché originel, expression qui comporte malheureusement tout un arrière-plan culpabilisateur dommageable, que le bouddhisme nomme plutôt ignorance, et qui résulte simplement du fait que nous ne sommes pas le tout mais seulement une partie. On parle donc de notre finitude et de notre individuation, qui, en elles-mêmes, ne nous permettront jamais de nous mettre complètement à la place de l'autre, et, pour cette raison, nous interdit tout jugement définitif. Ceci dit, si ce n'est effectivement pas à nous d'enlever les pailles des yeux de nos prochains.

Formation de formateurs 
Bien que Jésus soit venu non pour abolir la loi, mais pour l’accomplir (Matthieu 5, 17), cela fait un certain temps qu’il a commencé à se frotter aux scribes, aux pharisiens, aux maîtres de la loi. On a l’habitude de situer le commencement de l’œuvre de Jésus dans Luc au chapitre 4 avec sa prédication dans la synagogue de Nazareth. Entre ce commencement et le chapitre 6, le sermon dans la plaine comme l’intitulent certains commentateurs, Jésus s’est accroché de nombreuses fois avec les maîtres de la loi : guérisons le jour du Sabbat, discussion sur le jeûne et les épis arrachés par les disciples toujours le jour du Sabbat, repas à la table des collecteurs d’impôts et les pêcheurs. Il semble que c’est maintenant le moment de poser les fondations du royaume, les valeurs de ceux qui sont les disciples en opposition aux valeurs prêchées par les pharisiens, c'est-à-dire la loi, toute la loi et rien que la loi. Alors, il va commencer par choisir les douze au verset 12, les cadres du parti ? Et ensuite la formation peut commencer par tous ceux qui se trouvent là, « une grande multitude ... (Qui) étaient venus pour l’entendre et pour être guéris de leurs maladies » (v18) . 


Face à l’adversaire puissant (les scribes et les pharisiens), Jésus sait qu’il doit former des cadres. Il choisit les disciples et il accueille tous ceux qui veulent bien l’écouter et il commence à les former. Il ne s’agit pas d’une organisation militaire mais il y a ceux qui sont avec lui tous les jours et qu’il enverra en mission (Luc 9) et la multitude des gens qui viennent ici et là l’écouter et qui feront courir ses paroles comme une trainée de poudre. Mais je vous dis à vous qui m’écoutez...(v 27) 
Le contenu de la formation ce sera la loi nouvelle, la loi du royaume. Quelles sont pour Jésus, les valeurs nouvelles qui caractérisent le Règne de Dieu ? 

 

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