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Les Noces de Cana midrash 2
Les noces de Cana, ou les noces de Ruth et Boaz.
Ruth Rabba et les noces de Cana.
Évangile de JEAN Chapitre 2 (version Nelson Darby) :
1 Et le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée, et la mère de Jésus était là.
2 Et Jésus fut aussi convié à la noce, ainsi que ses disciples.
3 Et le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : Ils n’ont pas de vin.
4 Jésus lui dit : Qu’y a-t-il entre moi et toi, femme ? Mon heure n’est pas encore venue.
5 Sa mère dit aux serviteurs : Faites tout ce qu’il vous dira.
6 Or il y avait là six vaisseaux de pierre, pour tenir de l’eau, placée là selon [l’usage de] la purification des Juifs, pouvant recevoir chacun deux ou trois mesures*.
7 Jésus leur dit : Emplissez d’eau les vaisseaux. Et ils les emplirent jusqu’au haut.
8 Et il leur dit : Puisez maintenant, et portez-en au maître d’hôtel. Et ils lui en portèrent.
9 Mais lorsque le maître d’hôtel eut goûté l’eau qui était devenue du vin, et qu’il ne savait point d’où celui-ci venait* (mais les serviteurs qui avaient puisé l’eau le savaient), le maître d’hôtel appelle l’époux,
10 et lui dit : Tout homme sert le bon vin le premier, et puis le moindre, après qu’on a bien bu ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant.
11 Jésus fit ce commencement de [ses] miracles* à Cana de Galilée, et il manifesta sa gloire ; et ses disciples crurent en lui.
— v. 6 : soit : chacun une centaine de litres environ. — v. 9 : litt. : et. — v. 11 : litt. : signes (ainsi, dans tout l’Évangile de Jean).
Ruth Rabba et les noces de Cana.
Peut-on savoir qui sont les mariés des noces de Cana ?
La fête probablement la plus ignorée du calendrier juif : c’est שבועות Shavouot, pourtant l’une des trois Fêtes de pèlerinage, avec פֶּסַח Pessah et סֻכּוֹת Soukkot. Sa célébration, qui commémore le Don de la Loi au Sinaï et marque le temps des moissons, est prescrite dans la Torah. Shavouot pour les chrétiens c’est la Pentecôte elle constitue une ré-interprétation chrétienne de la perception pharisienne de Chavouot, l’Esprit saint descendant sur les apôtres comme Moïse descend du Sinaï avec les Tables de la Loi.
Une tradition bien établie est de lire, pendant l’office de Shavouot, l’un des « rouleaux » bibliques, le Livre de Ruth. Cette courte histoire est celle de l’arrière-grand-mère du roi David, une pauvre étrangère convertie à la foi d’Israël.
Noémie, sa belle-mère, est elle-même israélite. Elle vit du temps des Juges, avant l’instauration de la monarchie. Suivant son époux, elle s’est expatriée chez les Moabites, c’est-à-dire dans la Jordanie actuelle, où ses fils ont épousé des femmes de leur pays d’accueil. Ruth est l’une d’entre elles. Alors que Noémie se retrouve veuve et que ses fils sont morts prématurément, qu’elle s’apprête à rentrer en Israël, misérable, privée de tout, Ruth refuse de la laisser. Par trois fois elle la dissuade de l’accompagner mais la belle Moabite finit par lui répondre : « N’insiste pas pour que je t’abandonne et m’éloigne de toi. Oui, partout où tu iras, j’irai, où tu demeureras, je demeurerai, ton peuple est mon peuple, ton Dieu est mon Dieu. » Les deux femmes vont ainsi en Israël, où par son audace, Ruth gagne le cœur de Boaz, un cousin éloigné de Noémie, qui peut exercer à l’égard de la convertie une espèce de lévirat : ils finissent par se marier et on apprend à la fin que de leur lignée sera David, roi d’Israël et ancêtre du Messie.
Rien ne justifie jusqu’ici, l'entrée d’un tel livre dans le canon biblique.
Autant ce contenu semble limité, autant celui de Ruth Rabba apparaît pléthorique. Au point qu'on peut se demander si le rapport réel que le midrash sur Ruth entretient avec le livre biblique du même nom, n’est pas quelque peu forcé. Ruth Rabba traite en effet d'un grand nombre de sujets, et ceux-ci s'enchaînent à un rythme étourdissant. Il nous faut nous arrêter un instant sur ce point.
Le midrash sur Ruth
וַיְהִי, בִּימֵי שְׁפֹט הַשֹּׁפְטִים, וַיְהִי רָעָב, בָּאָרֶץ
u·iei b·imi shéphot e·shphtim u·iei rob b·artz
Au temps où gouvernaient les Juges, une famine survint dans le pays
En réalité, le midrash n'a que faire de l'histoire et du temps dans lequel se déroule l’histoire. Le midrash est intemporel, il peut prendre naissance au temps des Juges et réapparaître au temps de Jésus, ou même au XXI siècle. S’il situe l’action à l'époque des Juges, c’est que c’est une époque sans loi, sans Torah. C’est là un raisonnement typique du midrash et pourquoi ou comment l sait-on ? : le mot Torah (loi) ne figure pas dans le livre des Juges. De plus, il est dit qu'à cette époque chacun faisait ce qu'il jugeait bon de faire. Le midrash en déduit que c'est une époque sans Torah. Corollaire : la parole de Dieu était rare. On a là une illustration du principe midrashique מידה כנגד מידה (mida keneged mida) : Dieu agit “mesure pour mesure”. Le peuple se détourne de lui, il se détourne de son peuple. Et c’est de cette façon que pense Jésus : Matthieu 7:2 « Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l'on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez. »
Le principe de מידה כנגד מידה Mida Keneged Mida n'est pas une punition mais une répercussion. Toutes les Bénédictions ou au contraire les Malédictions ne sont que les répercussions naturelles des מצוות Mitsvoth "commandements ». C'est la Nature spirituelle de la Tora qui provoque cela. Le juste retour des choses.
Le midrash figure invariablement ce manque de loi par une famine, on peut rapprocher « le manque de loi » et « le manque de vin » des noces de Cana puisque le vin symbolise la Loi. Pour être purifié aux noces de Cana les convives « les Juifs » non plus la loi « de vin » trop lourde et insatisfaisante, ils n’ont plus que מִקְוָה miqvé l’eau de purification, l’eau des vases de purifications. La famine représente à la fois l’absence de loi, et sa contrepartie : les conséquences de cet état de fait, les conséquences économiques et sociales de l’anomie. L’absence de loi semble propager ses effets comme une épidémie. Elle finit par toucher la sphère de la production, et on aboutit à une famine véritable, et non plus métaphorique. Le désordre vient d’en haut, il se propage aux infrastructures et devient ainsi réel. C’est un mouvement du sommet vers le bas. En somme, pour notre midrash, le livre des Juges pourrait être résumé par ce verset :
בַּיָּמִים הָהֵם, אֵין מֶלֶךְ בְּיִשְׂרָאֵל: אִישׁ הַיָּשָׁר בְּעֵינָיו יַעֲשֶׂה.
b·imim e·em ain melek b·ishrael aish e·ishr b·oini·u ioshe
En ce temps-là il n'y avait pas de roi en Israël et chacun faisait ce qui lui plaisait. (Jg 17, 6)
En hébreu, cette phrase se dit : chacun faisait ce qu’il pensait être droit à ses yeux.
Comment l’anarchie se propage-t-elle? On a vu qu’elle part du sommet. Le premier chapitre de Ruth Rabba insiste donc sur le rôle des dirigeants. En l'occurrence, ces dirigeants sont les Juges, puisque nous ne sommes pas encore à l'époque du Royaume au temps de Jésus les juges sont le Pharisiens. L'idée est simple : si ceux qui guident le peuple fautent, le peuple est condamné à errer. Si ceux qui guide se perdent le peuple est condamné à errer. Selon notre midrash, ce sont les chefs, et notamment les Juges, puis le Pharisiens qui a fauté. Au temps des juges la loi n’était pas appliqué, au temps des pharisiens la loi n’était plus applicable car elle était devenue trop lourde et dégénéré elle n’était plus la loi donc la vraie loi manquée.
L’exemple de Samson en 1,2 est, à cet égard, significatif : Samson a suivi la loi de son désir (en hébreu : de ses yeux). Il sera donc puni par ses yeux. Le midrash va en tirer les conclusions suivantes : il faut substituer au désir des yeux, le désir de la Loi, et substituer aux yeux du désir, les yeux de la loi. En 4,8 ces “yeux de la loi” seront identifiés au Sanhédrin. Tout au long, de Ruth Rabba, on retrouvera en filigrane cette dialectique du désir et de la Loi.
Ce thème des yeux intervient ensuite pour illustrer la difficulté de juger. Être impartial, c’est ne pas se fier à ses yeux. C’est pourquoi la justice est représentée les yeux bandés. Car “regarder” le justiciable, c’est faire acception des personnes, et non juger selon la stricte équité. Avoir égard au rang des justiciables, c’est donc fausser la justice. C’est fausser la balance de la justice, d’où le lien métaphorique avec les poids truqués, qui faussent la balance des commerçants.
De la balance du juge, nous sommes passés à la balance du commerçant. Mouvement descendant. Voilà pourquoi nous sommes conduits à l'idée du fonctionnement du marché. De même que l’on peut fausser la balance du commerce, on peut fausser l’équilibre du marché. Cet équilibre peut être aisément faussé, par la spéculation ou la rétention de l’offre, notamment. Le midrash ne croit donc pas à une main invisible, et encore moins divine, qui établirait par miracle l’équilibre sur le marché. C’est pourquoi notre premier chapitre parle, à un moment, de l’effondrement des cours des fruits, ou de la hausse des prix.
Une hausse des prix peut en effet être due à une pénurie objective, mais aussi à une rétention volontaire de l’offre. Elimelek, selon le midrash, aurait fui pour ne pas partager ses richesses. L’exil est ainsi cause et conséquence de l’égoïsme des grands acteurs de la vie sociale et économique. Les phénomènes économiques sont donc auto entretenue. On part pour ne pas partager, mais, ce faisant, on provoque la pénurie et l’inflation qui poussent les autres à l’exil. D’où, à nouveau, l’importance des chefs. On le voit notre midrash resurgit à toutes les époques humaine et même jusque dans notre XXI siècle.
Première approche.
Au-delà de ces chaînes associatives, existe-t-il un “message”, comme nous disons aujourd'hui, propre à Ruth Rabba ? Existe-t-il un thème propre à ce midrash, ou bien cet ouvrage est-il une simple succession de chaînes associatives ? Dans une première approche, on peut, si l’on veut, dire que Ruth Rabba délivre un message de fond, éclaté en plusieurs fragments. Voici ce message : même au comble du désespoir, Dieu peut sauver celui qui se repent. Et voici quelques fragments dans lesquels le message est délivré : le reste du clan d'Elimelek peut rentrer d'Exil, Ruth peut se laver de son idolâtrie, Noémi peut retrouver son bien, et avoir une descendance, Elisha peut se repentir jusqu'au dernier instant…
Mais n’est-ce pas là une idée qui court dans l’ensemble des midrashim, et qui n’aurait donc rien de spécifique à Ruth Rabba ? On pourrait tout aussi bien dire que Ruth Rabba nous parle du destin d’Israël et de celui des Nations. Le destin d'Israël dépend de ses dirigeants, et de l'attitude des dirigeants face au peuple. Les dirigeants ne doivent pas être arrogants, etc.
Mais ne pourrait-on pas dire aussi que Ruth Rabba traite de la conversion des païens ? Ruth Rabba traite, il est vrai, de l'admission des גרים gerim, des étrangers, dans le Judaïsme. Cette admission dépend des règles de la Torah. Les prosélytes sont acceptés dans la mesure où la Loi le permet, et à condition qu'ils acceptent totalement ses règles. Ces prosélytes deviennent alors égaux aux Juifs et Dieu les apprécie tout particulièrement, etc.
De quoi nous parle donc, vraiment, Ruth Rabba ? Pour répondre à cette question, écoutons les préoccupations du midrash.
Un discours multiple.
Dans le Zohar sur Ruth, un Docteur fait cette proposition : si le but du livre de Ruth est simplement de me fournir des informations sur les origines de David, pourquoi ne pas réduire ce livre à ses cinq derniers versets.
Voici la postérité de Pérèç : Pérèç engendra Heçrôn, etc.
Et d'ajouter : qu'ai-je besoin du reste ? Cette proposition impertinente a pour effet d'attirer notre attention sur cette question : pourquoi cette touchante idylle entre un riche personnage et une pauvre veuve étrangère, a-t-elle été admise dans le Canon biblique, alors que le Livre d’Ézéchiel, ou les Proverbes, ont faillis ne pas y entrer ? Certes, on se doute un peu que cette histoire d’amour, voire de désir, n’est que la surface du texte, et qu’il y a de la double entente dans l’air. Mais quel est alors le double sens de ce mariage romanesque ? Mariage dit noce les noces de Ruth et Boaz auraient-elles quelque chose à voir avec nos noces de Cana ? Nous verrons que tout porte à y croire, et nous verrons que pour le midrash de Jean les noces de Ruth et Boaz sont les noces de Cana aux qu’elle assiste Jésus.
Pour le savoir, il nous faut parcourir les différents textes midrashiques qui portent sur la מְגִלָּה megila (le rouleau) de Ruth. Or ces textes révèlent des préoccupations (et des divergences) sur des sujets d'un tout autre ordre. Les idées qui inspirent les commentaires sont des questions lourdes : unions illicites, idolâtrie, lévirat, conversion, fixation de la Loi, évolution de la halakha. On est loin de la romance. Le livre de Ruth nous "parle" donc simultanément sur plusieurs plans différents.
Le rouleau de Ruth traite du don de la Torah. Donc de שבועות Shavouot donc de la Pentecôte. Pourtant le texte de Ruth n'en parle pas. Mais la tradition juive a lié ce livre à cette fête de Shavouot, qui est celle de la donation de la Loi. Le Zohar sur Ruth est plus direct : "ce rouleau fait allusion à la Torah écrite, à la Torah orale et au monde à venir".
Le rouleau de Ruth traite de la תְּשׁוּבָה, teshuva, « retour » ou « réponse » repentir qui concerne Juifs et païens. Le texte ne traite pas directement de ce thème, mais c'est ce qu'on “entend” à la lecture de ce rouleau : le premier chapitre du livre fait entendre douze fois le mot ???? לשוב (revenir, se repentir)
Le rouleau de Ruth traite des rapports entre Juifs et païens : Ruth et Noémie sont "maintenant" si proches, qu'elles sont indiscernables. Le fils de Ruth est dit être celui de Noémie. Ruth est de Moab, c’est-à-dire phonétiquement "issue du père”. (filles de Loth) Juifs et païens sont les enfants d'un même Père.
Les Moabites sont les descendants de Moab, le fils incestueux de la fille aînée de Lot et les Ammonites sont les descendants de Ben Ammi, le fils incestueux de la fille cadette de Loth. Moab eut quatre fils : Ar, Mayoun, Tarsion et Qanvil ; et Ben-Ammi eut six fils : Gerim, Ishon, Rabbot, Sillon, Aynon et Mayoun. L'auteur biblique du chapitre 30 du livre de la Genèse élabore le cycle de Loth, qui est adventice dans la tradition patriarcale et qui constitue un récit étiologique pour expliquer l'origine des peuples voisins d'Israël, Moabites et Ammonites, par des actes légendaires des ancêtres respectifs.
Le rouleau de Ruth traite de la loi du Lévirat, une loi bien étrange. Que signifient cette loi et sa présence dans le livre de Ruth ?
Le rouleau de Ruth traite du חֶסֶד Hessed, la générosité, la grâce, la charité, comme l'a bien vu Victor Hugo (sa gerbe n'était pas avare...). Il s'agit de la générosité et de l'ouverture des Juifs vis-à-vis des autres peuples. Ruth serait l'anti-Esdras, texte qui prônait la répudiation des épouses non-juives, et qui témoignait d'un mouvement de repli du Judaïsme sur lui-même. Mais le mot חֶסֶד Hessed signifie aussi bien bonté, amour, que “dépasser la mesure”, “être excessif”.
Le rouleau de Ruth traite de la rédemption, sous couvert du rachat du champ de Noémie. Le verbe גל "ga'al" et le nom correspondant גֹּאֶל "go'el", traduits respectivement en français par "racheter" et "rédempteur"..Il ne faut pas confondre cette racine avec un autre gala (גָּאלָה), qui comporte un aleph supplémentaire dans la racine et porte l'idée de sauver, délivrer, libérer, racheter. Geoula (גָּאולָה) est la rédemption. Dans le Livre de Ruth, un premier גֹּאֶל goel refuse d'épouser Ruth et est remplacé par un second goel, Boaz. Le goel est l'acheteur qui fait acte de charité ou de rédemption (גָּאולָה geoula, le rachat) pour aider une veuve dans le besoin. On trouve 23 fois le mot goel dans ce rouleau.
Ruth, une femme d'exception.
Ruth est une Moabite, et pourtant, elle est admise dans la communauté d'Israël. La tradition rabbinique ne pouvait pas ignorer les lois qui interdisent la conversion des Moabites.
L'Ammonite et le Moabite ne seront pas admis à l'assemblée de Yahvé ; même leurs descendants à la dixième génération ne seront pas admis à l'assemblée de Yahvé, et cela à jamais (Dt 23, 4 Ne 13, 1)
Comment concilier l'histoire de Ruth avec les lois du Deutéronome ?
Histoire de la rédaction du Deutéronome
Elle est très complexe et tous les exégètes n’en donnent pas exactement la même lecture. Nous ne retiendrons que l’essentiel. Les rédactions successives s’étalent du 8ème s. au 5ème (après le retour d’exil). La date charnière est 622 : sous le règne de Josias, lors de travaux de rénovation du Temple, dans le cadre d’une volonté de retour au culte authentique après les profanations accomplies sous le règne de Manassé, on découvre un rouleau ignoré : « Livre de la Loi » qui correspond sans doute au noyau primitif du Dt. (cf. 2R 22-23). Josias va faire de ce livre le cœur de sa réforme religieuse. On peut dire que ce livre tombe à pic pour le roi Josias qui veut réformer son peuple et le loi.
A partir de là On peut sans doute distinguer plusieurs grandes phases d’élaboration du texte :
1 – dans le Royaume du Nord (Israël) : entre 750 et 721, un premier noyau assez proche dans sa théologie des prophètes Amos et Osée et dont les éléments ont pu être importés dans le royaume du sud (Juda) par les exilés après la chute de Samarie
2 - élaboration dans le Royaume du sud du noyau primitif (ch. 6-28) : rouleau découvert sous Josias qui fait l’objet d’une récitation publique et d’un véritable renouvellement de l’Alliance. Rouleau peut-être écrit à cette époque sur l'ordre de Josias lui même.
3 - introduction et conclusion (ch 1-5 et 29-34) rédigées après Josias. Le Dt devient le commencement de l’Histoire Deutéronomique qui va jusqu’au second livre des Rois.
4 – dernier état du texte fixé probablement pendant l’Exil à Babylone. Au retour, le Dt dont la figure centrale est Moïse est rattaché aux quatre premiers livres de la Torah (Tétrateuque) attribués eux aussi à Moïse et forme ce que nous appelons maintenant le Pentateuque et que les juifs appellent la Torah.
Et donc cette Torah est devenu lourde.
En effet, seule la venue du messie, pourrait expliquer éventuellement l'abrogation de ces lois "lourdes" et expliquer l'entrée des païens. Le midrash réagit globalement d'une manière curieuse. Certains textes commencent par dire que Ruth s'était déjà convertie au moment de son premier mariage. Cette position est intenable : la déclaration de Ruth à Noémie (ton peuple sera mon peuple…) qui fait toute la beauté du livre, n'aurait plus de sens. Le midrash se replie alors sur une nouvelle position : au moment même de la réunion de Boaz avec le premier goel, un décret du Sanhedrin venait de promulguer une exception (heter) autorisant la conversion des femmes moabites (Yebamot 8, 3). Le Sanhédrin à l’époque des Juges ? Le midrash, prend le risque de paraître de mauvaise foi, pour attirer l’attention du lecteur et provoquer sa réflexion.
On comprend que, grâce au mérite de Ruth, la halakha a été modifiée. En un mot, on admet que Ruth, par son mérite, a forcé la porte et qu'on a modifié la Loi pour elle. On retrouve ce parallèle aux noces de Cana en ce que Marie par son mérite « force Jésus » a modifié l’eau de purification en vin. Dans ce cas, l’histoire de Ruth devrait se terminer ici. Boaz peut épouser Ruth et racheter le champ de Noémie. Fin de l’histoire. Or ce n’est pas le cas. Les choses se compliquent avec l’introduction des idées de rachat et de lévirat. Ici, le midrash n'est pas unanime. C'est que le rouleau de Ruth apporte un élément nouveau : le rachat y est lié au lévirat.
Le rachat est une loi de réversibilité économique. Ruiné, j’ai dû vendre ma terre pour pouvoir subsister, mais je pourrai la racheter au prochain Jubilé. L’aliénation économique n’est pas définitive. Le Lévirat est, en revanche, un commandement qui vise un aspect plus obscur : la relève du “nom du mort”. Cette disposition implique elle aussi un rachat des biens du défunt, pour les remettre plus tard au fils issu du mariage léviratique, mais elle court-circuite l’attente du Jubilé. Le lévirat est une loi d’urgence, relativement au temps. Boaz affirme que rachat des biens, et prise en charge de la veuve, sont liés (Rt 4,5). La confusion entre rachat et lévirat est d'ailleurs présente aussi chez Ruth, dans sa demande à Boaz, et chez le premier goel (Rt 3, 9). Le Targum de Ruth et le Zohar sur Ruth, ont une position claire : le mariage entre Ruth et Boaz est un lévirat. Il est donc urgent. La tradition rabbinique majoritaire et le Talmud, ont une position contraire : ce mariage n'est pas un lévirat, il est contingent, Boaz a simplement usé de charité avec une pauvre veuve. Boaz est un simple goel, non un lévir. Il n’y a pas d’urgence.
Convertir les païens, c’est-à-dire les sauver.
L’affection de Ruth pour sa belle-mère, ainsi que l'idylle avec Boaz, ne seraient pas le véritable objet du livre de Ruth. Le cœur de l’ouvrage serait la transaction entre Boaz et le goel anonyme, puisque c’est sur ce sujet que le midrash se divise. Le problème ne serait pas d’épouser, mais de convertir pour sauver. Le prétendu mariage n’est là, par double entente, que pour évoquer la conversion et l’entrée dans la communauté d’Israël (lehikaness en hébreu tardif a le sens d’entrer, de se marier et de se convertir). Le païen doit être sauvé. C'est une question de vie ou de mort. Le païen est d'ailleurs, d'une certaine manière, déjà mort. Il est stérile, il n'a pas d'avenir (comme Sarra dans le livre de Tobie, ou Tamar). Selon Ruth Rabba, Ruth n’a pas d’organes de reproduction féminins.
Il faut néanmoins sauver les païens. Sans quoi il y aurait en quelque sorte non-assistance à personne en danger. Il ne peut être sauvé que par son proche parent ???? (qarov) monothéiste, détenteur de la Torah. Le קָרוֹב qarov du païen est donc le Juif. Il est son goel naturel. Mais au moment où il apprend qu'il devra sauver une Moabite, un premier goel se récuse. La loi l'empêche, pense-t-il, de sauver le païen. Un autre goel (Boaz) se présente et se substitue à lui. Pour Boaz, le Juif est non seulement le goel du païen, mais son lévir. Il en a la force (bo-az = la force est en lui). Le nouveau goel-lévir prend la place du précédent, au nom d'une autre interprétation de la Loi. Ou d’une autre loi, la loi orale. C'est ce nouveau goel qui “engendre”, ou "fait venir" le messie. Au sens propre comme au sens figuré, car Ruth est l’arrière grand-mère du roi David duquel Jésus est le descendant. On aurait ici un plaidoyer pour l'entrée des païens dans l'Alliance. Le premier goel, qui craint l'union illicite, à l’image d’Esdras, et du Deutéronome, et le mélange qui pourrait altérer sa descendance, ne laissera pas d’autre nom dans l'histoire d'Israël, que celui de “quidam”. Le Zohar sur Ruth interprète les mots פלני אלמני peloni almoni (le "quidam", le premier goel pressenti) comme "veuf et seul". Israël doit donc son avenir et son salut, à sa force, à sa capacité d'intégrer l'étranger, à devenir religion universelle.
L'hésitation du premier goel et le livre d’Esdras.
La position du premier goel, celle du quidam anonyme, est simple : d'accord pour le rachat du champ de Noémie (afin qu'elle puisse payer ses dettes), c'est un acte charitable envers une pauvre veuve, mais qui n'est pas bien pénalisant pour le goel. Mais pas d'accord pour le lévirat, qui implique d'épouser la veuve du fils de Noémie. Comme Esdras voulant bien rebâtir le Temple de Jérusalem mais qu’au seul avantage des Juifs de l’exil pas question de lévirat avec les Samaritains. Selon Ruth Rabba, ce goel craint de mourir, car il pense que les “anciens” (à commencer par les fils de Noémie) sont morts pour avoir épousé des femmes Moabites. Il pense donc que la loi est immuable. Qu’elle est valable jusqu’à la fin des temps. Il méconnaît la loi orale qui permet précisément de vectoriser la loi, de la faire évoluer et d’être un pont entre ce monde et le monde à venir.
Il y a ici un parallèle de situation entre Ruth et Tamar, quant à la confiance de “Juda” (ou des Juifs), envers l’étranger. Juda, fils de Jacob et de Léa, a trois fils : Er, Onân et Shéla. Er, l'aîné, épouse Tamar, mais meurt rapidement sans descendance.
Juda demande à Onân d'épouser Tamar, selon la loi du lévirat. Onân ne veut pas que son frère mort ait, par ses soins, un héritier. Il refuse une "naHala" (une postérité, un héritage) à Tamar, sa belle-sœur. Il est puni de mort. Méfiant, Juda craint que son troisième fils, Shéla, ne meure aussi à la suite de son mariage avec Tamar (même situation dans Tobie avec Sarra qui risque de rester stérile, car ses maris meurent tous, lors de la nuit de noces). Il ne tient pas sa promesse de lui donner ce fils, en vertu des lois du lévirat.
Par manque de courage, Juda et ses fils manquent de confiance envers Tamar. Elle en est réduite à se prostituer (lire : rester dans l'idolâtrie), pour pouvoir avoir une descendance. Juda le reconnaît : tu es plus juste que moi. Tamar, comme Ruth, passe en force. Elle oblige Juda à assumer les contradictions de sa propre loi. Cette loi les condamne comme idolâtres mais les empêche de se convertir. Toutes ces femmes doivent faire preuve de courage pour s’opposer à la Loi "lourde" qui empêche leur entrée. C’est pourquoi le midrash reconnaît leur vaillance. Ruth, selon 7, 2 “ceignit ses reins comme un homme”. Boaz lui parle comme à un homme. Le thème de la générosité et de la confiance en l’avenir, serait donc au centre du livre de Ruth. D'après le midrash, ce n'est pas par crainte de la famine que la famille d'Elimelek quitte Bethléem : c'est en effet la famille la plus riche de la ville, mais c'est pour éviter de devoir partager ses biens avec les victimes du fléau, qu'elle choisit de s'expatrier. Par double entente, il faut comprendre que les Juifs ne veulent pas partager la loi. Les Juifs peuvent donc manquer de générosité. Et les païens peuvent se montrer bienveillants.
Que Yahvé use de bienveillance envers vous, comme vous en avez usé envers ceux qui sont morts" (Rt 1, 8)dit Noémie à ses belles-filles, Ruth et Orpa. Le thème de la bienveillance envers les morts apparaît aussi dans Tobie. Mais ces “morts” sont les païens ou même les Juifs de l’Exil. L’Exil étant, pour le midrash, lié à l’idolâtrie, il y a indifférenciation potentielle entre les deux catégories.
• Le livre de Ruth fait entendre douze fois le mot לֶקֶט "leqet" (récolte), qui est le terme utilisé notamment dans les passages relatifs à la récolte de la manne, et dans ceux traitant des lois sur le glanage des étrangers ; le mot à une assonance avec מַלְכוּת malkut, le Royaume.
• Boaz compare Ruth à Abraham (Rt 2, 11). Mais Abraham a moins de mérite que Ruth, car c’est Dieu qui lui enjoint de faire mouvement לך לך ”lekh-lekha” va ! ; alors que Ruth, décide de son propre chef d’entrer, malgré les mises en garde de Noémie et les circonstances difficiles.
• Le livre de Ruth peut être lu comme un plaidoyer pour la sincérité des païens et leur droit à entrer dans l’Alliance. Cela se traduit dans le vocabulaire utilisé. En réponse aux tentatives de Noémie de la décourager, Ruth répond en utilisant le verbe פּגי pg’ (Rt 1, 16) qui a le sens très fort d’attaquer, de blesser. De même, Boaz demande qu’on ne moleste pas נגי (ng’) Ruth (Rt 2, 16). ng’ connote aussi la lèpre et donc l’isolement. C’est dire que leur refuser l’accès au judaïsme équivaut, pour le midrash, à les abandonner à la mort. On aurait donc une équivalence entre conversion et résurrection et son corollaire : ne pas se convertir = ne pas ressusciter = mourir.
L'eschatologie comme prisme.
Dans les récits à visée eschatologique, comme le livre de Ruth, nous sommes à la fin des temps, dans un contexte de passage à la limite. Certains personnages "tendent" les uns vers les autres. Ruth et Noémie paraissent deux héroïnes distinctes, l'une est juive l'autre est païenne, mais au fond, elles sont structurellement identiques. Les deux femmes sont des veuves, menacées par la famine, la stérilité, la déchéance et le désespoir. Les deux personnages tentent un retour, une תְּשׁוּבָה teshuva. L'une est préoccupée par le rachat de son bien, la tentative de retrouver son rang ; l'autre, par sa sortie hors du paganisme.
Noémie demande un fils.
Malgré son âge et son statut, Noémie demande un fils. Elle ne le demande pas de manière directe. Mais sa demande transparaît lorsqu'elle se laisse aller à déclarer, dans une sorte de dénégation :
Je suis bien trop vieille pour me marier ! Et quand bien même je dirais : Il y a encore pour moi de l'espoir, cette nuit même je vais appartenir à mon mari et j'aurai des fils", attendriez-vous qu'ils soient devenus grands ?
Pourtant, à la fin du livre de Ruth, le chœur des femmes affirme qu'un fils est né à Noémie. Le fils, (ou le salut) de Ruth est devenu celui de Noémie. La convergence s'effectue bien à la fin. Avant que cette convergence ne s'effectue, nous avons une femme, Noémie, pleine d'amertume, qui demande qu’on l'appelle מָרָא Mara c’est-à-dire amertume. Elle représente Israël. C'est Israël révolté (bet meri) et puni par l'exil, repenti et pardonné selon les prophéties, mais décimé et épuisé au retour de cet exil. Il est vidé de sa force vitale. Il a perdu sa force parmi les nations, mais Il a aussi transmis, durant ces années d'exil, sa force aux nations. Ce peuple exténué a-t-il un avenir ? Noémie (comme Sara, âgée) peut-elle encore avoir un fils ?
Qui est Boaz ?
Boaz, qui est présenté comme le bon rédempteur, serait la figure de Dieu. Il a le pouvoir de racheter la terre de Noémie (d'Israël) car il est l'acheteur en dernier ressort. Noémie, nous dit-on, cherche à vendre son champ, elle cherche en fait à sauver son patrimoine, comme le prévoient les lois du Lévitique, en se donnant la possibilité d'un droit de rachat. Elle est certes ruinée, et son champ aliéné, mais l'aliénation n'est jamais définitive. Au moment du Jubilé, celui qui a aliéné son bien, peut le racheter. Par passage à la limite, la fin des temps est aussi un Jubilé. Le Jubilé est un marqueur de la fin des temps, dont il permet de parler.
Lv 25, 23 La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la terre m'appartient et vous n'êtes pour moi que des étrangers et des hôtes. 25, 24 - Pour toute propriété foncière vous laisserez un droit de rachat sur le fonds. 25, 25 - Si ton frère tombe dans la gêne et doit vendre de son patrimoine, son plus proche parent viendra chez lui exercer ses droits familiaux sur ce que vend son frère. 25, 26 - Celui qui n'a personne pour exercer ce droit pourra, lorsqu'il aura trouvé de quoi faire le rachat, 25, 27 - calculer les années que devrait durer l'aliénation, restituer à l'acheteur le montant pour le temps encore à courir, et rentrer dans son patrimoine. 25, 28 - S'il ne trouve pas de quoi opérer cette restitution, le fonds vendu restera à l'acquéreur jusqu'à l'année jubilaire. C'est au jubilé que celui-ci en sortira pour rentrer dans son propre patrimoine.
Boaz a aussi le pouvoir de nourrir Ruth la païenne, c’est-à-dire, en vertu de la métaphore abrahamique, de la convertir (donner la nourriture = donner la Loi = convertir). Lorsque Ruth raconte qu'elle a glané dans le champ de Boaz, Noémie lui dit que cet homme est קָרוֹב לָנוּ "qarov lanu". “Proche” est ici un marqueur temporel de l'eschatologie. Dieu ne va pas tarder à se manifester. Le midrash insiste sur l’idée que Dieu est “proche” de son peuple. Noémie parle certes de Boaz comme d'un homme, "ish", mais ish désigne aussi un seigneur ; et Dieu est défini en Ex 15, 3 comme אִישׁ מִלְחָמָה "ish milHama", un homme de guerre. Ici Boaz est אִישׁ גִבּוֹר חַיִל ish gibor Hayil, un brave, un guerrier, expression proche. Ce n’est pas une simple hypothèse, on trouve souvent dans le midrash ce type de séquence :
"Si un homme. . ", Cette expression désigne le Saint béni soit-Il, ainsi qu'il est écrit : "Le Seigneur est un homme de guerre" (Ex. 15, 3)
Il est מִֽגֹּאֲלֵנוּ "migoalenu", non pas : l'un de ceux qui doivent nous racheter, mais מִֽ-גֹּאֲלֵנוּ mi-goalenu : celui qui nous sauvera.
וַתֹּאמֶר נָעֳמִי לְכַלָּתָהּ, בָּרוּךְ הוּא לַיהוָה, אֲשֶׁר לֹא-עָזַב חַסְדּוֹ, אֶת-הַחַיִּים וְאֶת-הַמֵּתִים; וַתֹּאמֶר לָהּ נָעֳמִי, קָרוֹב לָנוּ הָאִישׁ--מִגֹּאֲלֵנוּ, הוּא.
Vatomer naomi lehalatah baruh hu lašem, ašer lo azav hasdov, et hahaijim ve-et hametim vatomer lah naomi karov lanu haiš, migoalenu hu.
20 Alors Noémi dit à sa bru: "Béni soit-il par l'Eternel, puisqu'il n'a cessé d'être bon pour les vivants et pour les Morts!" Noémi lui dit encore: "Cet homme nous touche de près: il est de nos parents."
Urgences.
Le livre de Ruth est marqué par l'urgence. Ruth doit aller glaner (chercher un peu de nourriture = la Loi) sans attendre. Noémie affirme que Boaz va agir aujourd'hui même. On ne peut plus attendre. Noémie dit à ses brus :
...Attendriez-vous qu'ils soient devenus grands ? Renonceriez-vous à vous marier ?
Elle semble ainsi les encourager חזק (Hazaq) à ne pas attendre vainement (comme Tamar qui avait attendu en vain que le fils de Juda grandisse). Ruth entendra ce conseil. Elle n'attendra pas, et mènera, la nuit venue, une action audacieuse auprès de Boaz. Cette urgence est aussi un index temporel, dans un contexte de passage à la limite. Les temps sont comptés. Le livre de Ruth se déroule pendant la période du ‘omer où l’on compte les jours qui séparent de shavuot. Comment mieux dire que le nombre de jours tend vers zéro ?
Naissance miraculeuse à Bethléem.
De même que, dès l'origine, il avait fallu qu'Agar apporte une matrice de substitution à Sara, il faudra, à nouveau, que Ruth apporte une matrice subsidiaire à Noémie. La fin sera comme le début.
Noémie accepte de rentrer à Bethléem, car elle a entendu que Dieu a décidé de “visiter” son peuple (c’est donc la fin des temps) pour lui “donner du pain” (la loi). Or la donation de la loi a déjà eu lieu. Il s’agit donc d’une seconde donation. Universelle, cette fois. C'est pourquoi Boaz donne six mesures d'orge à Noémie (via Ruth). Comme il y a aux noces de Cana six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs. La plénitude sera commune à Ruth et à Noémie. Reste la question du fils, qui n'est pas encore résolue. Une naissance miraculeuse va survenir à Bethléem. Le fils, donc, vient de l’étranger. L’étrangère donne un fils (yiben), elle construit donc la communauté d’Israël. C’est pourquoi Ruth est comparée à Rachel et Léa, qui ont édifié (banu) par leurs fils (banim) la maison d’Israël.
Le rédempteur plus proche.
Boaz évoque un rédempteur plus proche que lui. Comment est-ce possible, dès lors que Boaz représenterait, dans le livre de Ruth, Dieu lui-même ? Qui est ce rédempteur plus proche ? Ruth Rabba rappelle le principe selon lequel le dernier rédempteur d'Israël, sera comme son premier rédempteur, c'est-à-dire Moïse. Moïse est certes le premier rédempteur de l'exode, mais il a surtout libéré Israël par la Torah, par la Loi. C'est la Loi de Moïse qui est ici le premier rédempteur d'Israël. La promesse faite à Ruth en Rt 3, 13
Passe la nuit ici et, au matin, s'il veut exercer son droit à ton égard, c'est bien, qu'il te rachète ; mais s'il ne veut pas te racheter, alors, par Yahvé vivant, c'est moi qui te rachèterai. Reste couché jusqu'au matin. Signifierait ceci : “Si la Loi le permet, alors tu seras acceptée dans le judaïsme et sauvée, et sinon, c'est moi-même, Dieu, qui te rachèterai”. Mais cette promesse est fortement encadrée par cette invitation : “reste couchée jusqu'au matin” qui est une allusion aux temps messianiques. De même Juda avait prudemment promis à Tamar en Gn 38, 11 :
Retourne comme veuve chez ton père, en attendant que grandisse mon fils Shéla.
Il lui demande en somme d’attendre un hypothétique שֵׁלָה shela. Curieusement en Gn 49, 10, il est question de la venue, dans un lointain futur, d’un certain שִׁילֹה shilo, terme orthographié parfois comme shela.
La loi écrite ne permet sans doute pas de réaliser, tout de suite, le vœu de Ruth. À la fin des temps, Dieu interviendra donc lui-même pour racheter les païens. En attendant, il prépare cette échéance en créant les conditions des temps messianiques. Ce thème du dépassement eschatologique de la loi écrite, expliquerait pourquoi Ruth Rabba nous rapporte longuement l'histoire d'Elisha ben Abuya.
Cet hérétique mystérieux est “interdit de teshuva”, de retour. Il a entendu une בת קול bat-qol, une voix céleste, qui disait “revenez vers moi, sauf Elisha”. Elisha est donc, comme les païens, interdit d’entrée.
Son disciple, Rabbi Méir, agit avec Elisha, comme Boaz avec Ruth. Il introduit un horizon de dépassement face à la rigueur de la loi : si la loi ne permet pas ton retour, moi je te pardonne.
La Loi n’est plus au ciel.
Ruth Rabba lit le c'est bien de la phrase : "s'il veut exercer son droit à ton égard, c'est bien, " comme : si “le bon" veut exercer son droit de rachat, qu'il te rachète. “Le bon” טוב (tov) signifiant “la loi”, selon le midrash. Le midrash semble penser qu'au fond, si la loi actuelle ne permet pas l'entrée des païens, cela est peut-être justifié par les "faiblesses" morales d’Israël. Les filles de Moab étaient connues pour leur luxure, (lire : idolâtrie), peut-être fallait-il protéger Israël de leur contact ? La loi, c’est bien connu, est faite pour protéger les faibles. Ruth Rabba précise que Boaz, en conseillant à Ruth, la Moabite audacieuse, de dormir jusqu’au matin, a fait preuve de résistance à ses "mauvais penchants". Il s’agit là, bien entendu, de l’homme Boaz, qui est d’ailleurs comparé par le midrash, au chaste Joseph. Mais Boaz n’est pas seulement un homme. Il est aussi, par double entente, Dieu, lui-même. Ces “mauvais penchants” auraient alors le sens suivant : si Dieu avait fait entrer Ruth immédiatement, il serait intervenu en lieu et place de la Loi, il aurait également mis fin au privilège détenu par Israël quant à la détention de cette Loi, enfin, et accessoirement, il aurait hâté la fin des temps.
Ruth a-t-elle épousé Boaz ?
La question peut paraître absurde, étant donné que cela est clairement indiqué au chapitre 4 du livre de Ruth. Mais le mode de pensée midrashique est étrange. Dans le rouleau de Ruth, tout se joue la nuit ou elle va se coucher aux pieds de Boaz. Or, on sait que cette nuit-là, il ne s’est rien passé, comme disent les jeunes filles de bonne famille. Boaz lui a fait une promesse eschatologique, et lui a en quelque sorte demandé d’attendre le messie (vous commencez à comprendre n’est-ce pas !) : “Dors jusqu’au matin”. Ruth a arraché une promesse, exactement comme Rahab et Tamar. C’est seulement le lendemain que le mariage de Boaz est mentionné. Tout le chapitre 4, dans lequel Boaz rachète Ruth et la prend pour épouse, se situe bien “au matin”. C’est dire qu’il est repoussé à la fin des temps, aux temps messianiques. L’union de Ruth et Boaz “tend” vers sa réalisation, mais asymptotiquement. Selon le midrash, Josué a épousé Rahab, Joseph a épousé Asenet. Mais n’oublions pas la double entente : se marier, c’est לְהִיכָּנֵס lehikaness, “faire entrer” dans la כנסת knesset d’Israël, dans l’assemblée, soit convertir. Ce “mariage” entre Juifs et païens est donc inévitable, mais il est indéfiniment différé. Si l’idée que Boaz n’a pas encore épousé Ruth, nous choque, en tant que lecteurs, c’est que l’effet du midrash est réussi. La forme “récit” est hautement performative. Nous avons tous fini par croire à l’historicité de ce récit. Nous avons oublié, l’espace d’un instant, ce qu’est un midrash : une petite histoire toute simple, inventée spécialement pour nous parler d’eschatologie. C’est donc le premier miracle que doit faire le Messie assister aux noces de Ruth et de Boaz il le fera aux noces de Cana, en donnant une nouvelle alliance avec les païens « toutes les nations ».
Le fils de Dieu.
Boaz représente midrashiquement Dieu, et il est l'ancêtre du Messie, le messie peut donc, pour le midrash, être un “fils de Dieu”. Ruth Rabba connaît donc en filigrane cette notion, jamais explicite, de fils de Dieu. D’où vient cette formation purement midrashique ?
La métaphore royale est omniprésente dans le midrash. Dieu est comparé à un roi dont les sujets se conduisent parfois de manière insultante à son égard. Lorsqu’il est las de ces révoltes, le roi envoie son envoyé le plus proche pour rétablir l’ordre. Ce mandataire (shaliaH) est souvent, et tout naturellement, son fils. Dieu étant aussi un roi, le midrash peut passer aisément à l’idée de fils de Dieu.
Mais ce n’est pas la seule source de cette formation. Il existe dans la Bible un thème permanent : bien des femmes y demandent un fils. Et ce fils, en général, est destiné à sauver son peuple. Il y a ici un effet massif de double entente. Une femme qui demande un fils, et un peuple qui demande un sauveur, c’est la même chose. L’équation de départ est donc fils = sauveur.
Or, à chaque fois que le midrash lit (en hébreu) ben (fils) il lit “messie” (mashiaH). Pas moyen de faire autrement dans une langue qui n'a pas de chiffres, et qui est obligée de se servir de ses lettres pour donner une graphie à des nombres.
D.R
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