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Jésus et les noces de Cana ou l'eau changé en vin
Les Noces de Cana
Évangile de JEAN Chapitre 2 (version Nelson Darby) :
1 Et le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée, et la mère de Jésus était là.
2 Et Jésus fut aussi convié à la noce, ainsi que ses disciples.
3 Et le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : Ils n’ont pas de vin.
4 Jésus lui dit : Qu’y a-t-il entre moi et toi, femme ? Mon heure n’est pas encore venue.
5 Sa mère dit aux serviteurs : Faites tout ce qu’il vous dira.
6 Or il y avait là six vaisseaux de pierre, pour tenir de l’eau, placée là selon [l’usage de] la purification des Juifs, pouvant recevoir chacun deux ou trois mesures*.
7 Jésus leur dit : Emplissez d’eau les vaisseaux. Et ils les emplirent jusqu’au haut.
8 Et il leur dit : Puisez maintenant, et portez-en au maître d’hôtel. Et ils lui en portèrent.
9 Mais lorsque le maître d’hôtel eut goûté l’eau qui était devenue du vin, et qu’il ne savait point d’où celui-ci venait* (mais les serviteurs qui avaient puisé l’eau le savaient), le maître d’hôtel appelle l’époux,
10 et lui dit : Tout homme sert le bon vin le premier, et puis le moindre, après qu’on a bien bu ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant.
11 Jésus fit ce commencement de [ses] miracles* à Cana de Galilée, et il manifesta sa gloire ; et ses disciples crurent en lui.
— v. 6 : soit : chacun une centaine de litres environ. — v. 9 : litt. : est. — v. 11 : litt. : signes (ainsi, dans tout l’Évangile de Jean).
Pour interpréter cette péricope il faut plonger au cœur de la culture hébraïque, et du midrash, c’est pourquoi les sources des pères de l’Église qui ne s’intéressaient aucunement à la culture juive ne nous sont pas d’un grand secours. C’est pourquoi ce passage des Noces de Cana est une péricope difficile qui résiste semble-t-il à l’interprétation.
L’épisode des Noces de Cana est une belle histoire, et en général nous l’aimons bien, elle nous sert souvent de réplique à certains chrétiens ascétiques qui peuvent nous reprocher et nous juger qu’en nous aimons joindre à notre repas du vin. L’épisode ouvre l’Évangile de Jean, et est une bonne nouvelle : voici en effet que le début de l’activité de Jésus est de participer à une fête, un banquet. C’est bien de le rappeler : la base de la bonne nouvelle de l’Évangile, ce n’est pas l’austérité, mais la joie et la fête, non seulement Jésus n’a rien contre ces choses-là, même quand elles sont terrestres, mais encore il y participe.
Au-delà de sa réalité historique et des capacités surnaturelles qu’il implique, ce miracle est rapporté à cause de sa portée symbolique et religieuse. En effet, si ce premier miracle révèle la générosité et la délicatesse d’un Dieu attentif aux joies humaines et familiales, il annonce surtout la manière dont Jésus va signer un nouveau contrat d’alliance entre Dieu et les hommes.
On peut en effet dresser un parallèle entre un mariage et l’alliance apportée par Jésus, et c’est ce parallèle que vient souligner le miracle des noces de Cana : de même que le mariage est une alliance entre un homme et une femme, la religion est une alliance entre le Créateur (Dieu) et sa créature (l’homme). Mais pour que cette union, symbolisée par le repas de fête, soit effective, il faut encore qu’un témoin signe le contrat d’alliance. Dans le cadre du mariage, ce contrat est signé au terme d’une célébration officielle selon des rites propres à chaque époque. Dans le cadre religieux, Jésus signera ce contrat avec son sang en mourant sur la croix et ce sang est ici symbolisé par l’eau transformée en vin.
La symbolique du vin comme signe d’alliance sera de même reprise par Jésus lors de son repas d’adieu. Dans ce repas d’adieu, Jésus déclare vouloir remplacer l’ancienne alliance religieuse scellée entre Dieu et Moïse avec son système de sacrifice et d’ablutions rituelles par une nouvelle alliance qu’il va sceller dans son sang avec Dieu.
Cette péricope sur les noces de Cana est encore un midrash mais plus axé cette foi sur Exode chapitre 4, versets : 1à 9 que sur le livre de la Genèse, le contexte est celui de la scène dite du buisson-ardent. Les versets qui précèdent ce passage racontent comment Moïse, peu désireux d’aller rencontrer Pharaon, cherche des prétextes pour se dérober à la mission que Dieu veut lui confier.
Avant d’aller plus loin prenons ce texte biblique sur lequel porte le commentaire?
Nous prendrons ici comme base la traduction de Nelson Darby.
Tout d’abord les versets d’Exode ch3, v18 ; puis ceux du ch 4, v 1 à 9.
Ch3, v18 : Et ils écouteront ta voix, et tu entreras, toi et les anciens d’Israël, vers le roi d’Égypte, et vous lui direz : L’Éternel, le Dieu des Hébreux, s’est rencontré avec nous ; et maintenant, nous te prions, laisse-nous aller le chemin de trois jours dans le désert, afin que nous sacrifiions à l’Éternel, notre Dieu.
Chapitre 4 :
1 Et Moïse répondit, et dit : Mais voici, ils ne me croiront pas, et n’écouteront pas ma voix ; car ils diront : L’Éternel ne t’est point apparu.
2 Et l’Éternel lui dit : Qu’est-ce [que tu as] dans ta main ? Et il dit : Une verge. (un Bâton)
3 Et il dit : Jette-la à terre. Et il la jeta à terre, et elle devint un serpent ; et Moïse fuyait devant lui.
4 Et l’Éternel dit à Moïse : Étends ta main, et saisis-le par la queue (et il étendit sa main, et le saisit, et il devint une verge dans sa main),
5 afin qu’ils croient que l’Éternel, le Dieu de leurs pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob, t’est apparu.
6 Et l’Éternel lui dit encore : Mets maintenant ta main dans ton sein. Et il mit sa main dans son sein ; et il la retira, et voici, sa main était lépreuse, [blanche] comme neige.
7 Et il dit : Remets ta main dans ton sein. Et il remit sa main dans son sein ; et il la retira de son sein, et voici, elle était redevenue comme sa chair.
8 Et il arrivera que, s’ils ne te croient pas et n’écoutent pas la voix du premier signe, ils croiront la voix de l’autre signe.
9 Et il arrivera que, s’ils ne croient pas même à ces deux signes, et n’écoutent pas ta voix, tu prendras de l’eau du fleuve et tu la verseras sur le sec ; et l’eau que tu auras prise du fleuve deviendra du sang sur le sec.
Citons maintenant le midrash sur ce passage,
Exode Rabba 3,12-13. :
Moïse répondit : « Ils ne me croiront pas [et ils n’entendront pas ma voix] » (Ex 4,1). À ce moment-là, Moïse parla d’une manière inadmissible. Le Saint, Béni soit-il, lui avait dit : « Ils entendront ta voix » (Ex 3,18), et il dit : « Ils ne me croiront pas [et ils n’entendront pas ma voix] ». Aussitôt, le Saint, Béni soit-il, lui fit une réponse appropriée et lui donna des signes selon ce qu’il avait dit. Vois ce qui est écrit ensuite : « Qu’y a-t-il (??? mazeh = desséché,) dans ta main ? Il répondit : « un bâton » (??? mat-teh' = bâton, branche, verge (d’Aaron), flèche, branche (de vigne), tribu compagnie conduite par un chef muni d’un bâton, d’un sceptre)?. » (Ex 4,2). C’est-à-dire : de ce que ??????? midcheh ou mizzeh = occasion de trébucher, moyens de faux pas (à cette époque le texte hébreu n’était pas encore pointé et donc l’écrit ne comportait pas de voyelles, on pouvait donc lire le mot de deux manières. C’est un procédé dont le midrash utilise assez fréquemment.)
(Qu’y a-t-il « de sec » dans ta main ? Il répondit une verge ou (branche de vigne desséchée).
De ce que tu as en main, tu seras frappé, car tu calomnies mes fils. Mes fils sont croyants, comme il est dit : « Le peuple crut » (Ex 4,31) ; ils sont fils de croyants, comme il est dit : « Il crut dans le Seigneur » (Gn 15,6). Il commit le méfait du serpent qui avait calomnié son créateur, comme il est dit : « Car Dieu sait que le jour où vous en mangerez… » (Gn 3,5). De même que le serpent avait été frappé, ainsi celui-là sera frappé. Vois ce qui est écrit : « Il lui dit : ‘Jette-le à terre’; il le jeta à terre et il se transforma en serpent » (Ex 4,3). Puisqu’il avait commis le méfait du serpent, Dieu lui montra le signe du serpent, c’est-à-dire : tu as commis le méfait de celui-là […]
« Dieu dit à Moïse : ‘Étends la main et prends-le par la queue…’ Et il redevint bâton dans sa main » (Ex 4,4).
Nous avons expliqué en quoi [consistait le signe] pour Moïse, mais en quoi y avait-il là un signe pour Israël ? Rabbi Eliézer dit : « Il fut transformé en serpent : cela correspond à Pharaon qui est appelé serpent : [‘Pharaon, roi d’Égypte], le grand dragon’» (Ez 29,3), et [l’Écriture] dit : « Contre Léviatan, le serpent tortueux, il tuera le dragon de la mer » (Ésaïe 27,1), qui mordait Israël. Le Saint, Béni soit-il, lui dit : « Tu as vu Pharaon qui est comme un serpent, tu le frapperas avec le bâton, et il finira par devenir comme un morceau de bois : de même que le bâton ne mord pas, de même Pharaon ne mordra plus, comme il est écrit : ‘Étends la main et prends-le par la queue’» […]
« Et le Seigneur lui dit encore : ‘Mets ta main dans ton sein’» (Ex 4,6)
Rabbi Yéhoshua de Sikhnin dit au nom de Rabbi Lévi : « Apprends de là que quiconque soupçonne son prochain à tort est frappé dans son corps ».
« Et il dit : ‘Remets ta main dans ton sein’» (Ex 4,7). En quoi y avait-il là un signe pour Israël ? Il lui dit : « Va et dis-leur : ‘De même que le lépreux (metsor’a) rend impur, ainsi les Égyptiens (mitsriim) vous rendent impurs ; et de même que le lépreux est purifié, ainsi, le Saint, Béni soit-il, vous purifiera’» […]
« Tu prendras de l’eau du fleuve [et tu la répandras à terre… et elle se transformera en sang] ». Il lui fit comprendre que, pour ce qu’il dirait plus tard sur Israël, les eaux se changeraient en sang, et qu’il serait frappé par elles, car il est écrit : « Écoutez, rebelles ! [Ferons-nous sortir pour vous de l’eau de ce rocher ?] » (Nb 20,10). Il frappa le rocher et il en fit sortir du sang, comme il est dit : « Il frappa le rocher et les eaux s’écoulèrent?(? ??? ?????
Vayazuvu) et les torrents se répandirent » (Ps 78,20). Et yazuvu (s’écoulèrent) est à comprendre comme désignant le sang, comme il dit : « Une femme qui a un flux (zuv) de sang… » (Lv 15,25).
Aussi, il frappa le rocher deux fois ; il en sortit d’abord du sang et ensuite de l’eau.
On remarquera qu’un bâton qui se change en serpent est un prodige de nature à effrayer Moïse plutôt qu’à l’encourager, et le texte le souligne d’ailleurs : « Le bâton devint un serpent, et Moïse s’enfuit devant lui ». Le midrash trouve une explication à ce paradoxe en relevant une contradiction entre deux versets du passage. Au chapitre précédent, Dieu avait dit à Moïse : « Va et rassemble les anciens d’Israël » (3,16), puis il avait ajouté : « Ils écouteront ta voix » (Ex 3,18). Au début de notre passage, Moïse réplique : « Ils n’écouteront pas ma voix ». Moïse ose donc contredire Dieu, donc il fait de lui un menteur, comme le serpent est un menteur. Il commet ainsi le péché du serpent de la Genèse, qui avait accusé Dieu de mensonge?(Gn 3,4). C’est pourquoi Dieu lui montre le signe du serpent et lui dit : « Tu as commis le méfait de celui-là ». Les choses n’en restent pas là : Moïse doit ensuite prendre en main le serpent « par la queue, » précise le texte, et le midrash commente aussi cette précision pour en conclure que la leçon du signe sera donnée à la fin. Dans la main de Moïse, le serpent redevient bâton. De même, poursuit le commentaire, Pharaon, que le livre d’Ézéchiel compare au serpent ou au dragon, deviendra aussi inoffensif qu’un simple bâton. La deuxième partie du signe, le serpent redevenu bâton, annonce ainsi le châtiment de Pharaon et le salut d’Israël.
Ce premier signe, interprété par le midrash, a, une organisation et une théologie complexes. Il est ambivalent, c’est le moins que l’on puisse dire, parce qu’il tente à démontrer à la fois le châtiment qui doit frapper Moïse et Pharaon, et d’autre part le salut donné à Israël. De façon étonnante, Moïse est rangé au côté de Pharaon et doit être puni pour ses accusations injustes, tandis qu’Israël sera sauvé gratuitement et sans condition.
Le second signe est aussi étrange et ambivalent que le premier. Moïse est d’abord invité à mettre sa main dans son sein. Quand il la retire, la main est devenue lépreuse (sec comme un Bâton). Or, nous savons par l’histoire de Myriam que la lèpre est le châtiment de la calomnie (Nb 12). Moïse est donc puni pour avoir calomnié, et il a calomnié doublement. Il a calomnié Israël en affirmant : « Ils n’écouteront pas ma voix » ; or, la suite montrera que cette affirmation est mensongère, puisque la fin du chapitre dira : « Le peuple crut » (Ex 4,31). Le midrash ajoute donc : « Tu as calomnié mes fils alors qu’ils sont croyants et fils de croyants. Croyants, comme il est dit : ‘Le peuple crut’(Ex 4,31) ; fils de croyants, comme il est dit : ‘Il crut dans le Seigneur et il le lui compta comme justice’(Gn 15,6) ». En accusant d’incrédulité les fils d’Israël, Moïse s’inscrit en faux contre l’affirmation de l’Écriture, qui atteste la foi des fils d’Abraham. Ce faisant, il calomnie aussi le créateur en faisant de lui un menteur, puisque Dieu lui-même venait de lui dire : « Ils entendront ta voix ».
Le signe de la lèpre est aussi une allusion au châtiment qui doit frapper Pharaon. La démonstration repose sur la ressemblance des mots ????? metsora, personne atteinte de ???? tzara’at, généralement mais abusivement rendu par « lèpre » est un mal pouvant affecter la chair, les vêtements et les murs d’une personne, la désignant comme impure aux yeux de la communauté d’Israël et survenant à la suite d’une transgression. La personne touchée par la tzaraat est appelée metzora, mot qui ressemble à ????????? (Mitsrayim) qui signifie, Égypte.
Après cela, Moïse doit une nouvelle foi remettre sa main dans son sein, et quand il la retire, elle est redevenue saine : signe représente la grâce que fait Dieu à Israël, qui a été rendu ????? metsora, (impur) par son séjour en ????????? (Mitsrayim) Égypte et qui va maintenant être purifié. Et ici encore, Moïse et Pharaon sont frappés par le châtiment, tandis qu’Israël bénéficie de la grâce du salut.
Le troisième signe
« Et s’ils ne croient pas même à ces deux signes, et n’écoutent pas ta voix, tu prendras de l’eau du fleuve, et tu la répandras sur le sol, et l’eau que tu auras prise du fleuve deviendra du sang sur le sol ». (Ex 4,9)
Ce troisième signe n’est pas à confondre avec la première des dix plaies d’Égypte, où c’est toute l’eau du Nil qui est changée en sang., il s’agit bien d’un signe différent, car il est seulement demandé à Moïse de prendre de l’eau du fleuve et de la répandre sur le sol.
Comparé aux deux premiers signes, celui-ci ne se produit pas lorsque Moïse se trouve devant le buisson, mais il est seulement annoncé, et il ne comporte pas une seconde phase dans laquelle les éléments reprendraient leur forme première : Tandis que le serpent était redevenu bâton et que la main lépreuse était redevenue saine, il n’est pas annoncé que l’eau changée en sang redeviendrait de l’eau. Moïse ne pourra pas faire cela. Le midrash explique cette particularité en disant que, dans le cas du troisième signe, les choses ne revinrent pas à leur état premier parce que Dieu ne voulut pas pardonner à Moïse « le péché de l’eau ».
« Le péché de l’eau » mais de quoi s’agit-il ?
Allusion est faite ici à l’épisode des eaux de Mériba, où Moïse frappe le rocher pour en faire jaillir l’eau. Pour la tradition juive, le troisième signe, (peut être comparé au troisième jour) celui de l’eau changée en sang, est par lui-même incomplet. Sa signification reste en suspens et n’apparaîtra que plus tard. C’est seulement lors de l’épisode des eaux de Mériba qu’il manifestera toute sa portée.
Cette dernière scène biblique est bien connue. Elle est racontée au chapitre 20 du livre des Nombres.
1 Et les fils d’Israël, toute l’assemblée, vinrent au désert de Tsin, le premier mois ; et le peuple habita à Kadès ; et Marie mourut là, et y fut enterrée.
2 Et il n’y avait pas d’eau pour l’assemblée ; et ils s’attroupèrent contre Moïse et contre Aaron.
3 Et le peuple contesta avec Moïse, et ils parlèrent, disant : Que n’avons-nous péri, quand nos frères périrent devant l’Éternel !
4 Et pourquoi avez-vous amené la congrégation de l’Éternel dans ce désert, pour y mourir, nous et nos bêtes ?
5 Et pourquoi nous avez-vous fait monter d’Égypte, pour nous amener dans ce mauvais lieu ? Ce n’est pas un lieu où l’on puisse semer ; [on n’y trouve] ni figuiers, ni vignes, ni grenadiers, et il n’y a pas d’eau pour boire.
6 Et Moïse et Aaron vinrent de devant la congrégation à l’entrée de la tente d’assignation, et tombèrent sur leurs faces ; et la gloire de l’Éternel leur apparut.
7 Et l’Éternel parla à Moïse, disant :
8 Prends la verge, et réunis l’assemblée, toi et Aaron, ton frère, et vous parlerez devant leurs yeux au rocher, et il donnera ses eaux ; et tu leur feras sortir de l’eau du rocher, et tu donneras à boire à l’assemblée et à leurs bêtes.
9 Et Moïse prit la verge de devant l’Éternel, comme il lui avait commandé.
10 Et Moïse et Aaron réunirent la congrégation devant le rocher, et il leur dit : Écoutez, rebelles ! Vous ferons-nous sortir de l’eau de ce rocher ?
11 Et Moïse leva sa main, et frappa le rocher de sa verge, deux fois ; et il en sortit des eaux en abondance, et l’assemblée but, et leurs bêtes.
12 Et l’Éternel dit à Moïse et à Aaron : Parce que vous ne m’avez pas cru, pour me sanctifier aux yeux des fils d’Israël, à cause de cela vous n’introduirez pas cette congrégation dans le pays que je leur donne.
13 Ce sont là les eaux de Meriba, ou les fils d’Israël contestèrent avec l’Éternel ; et il se sanctifia en eux.
Donc le peuple manque d’eau dans le désert et murmure contre Moïse et Aaron. Moïse consulte Dieu qui répond : « Prends ton bâton et convoque l’assemblée, toi et ton frère Aaron ; vous parlerez au rocher en leur présence afin qu’il donne ses eaux ».
En réalité, Moïse ne va pas se conformer à l’ordre de Dieu, et le midrash ne manque pas de le relever. Au lieu de parler au rocher comme Dieu le lui avait demandé, Moïse commence par parler au peuple, puis il frappe le rocher deux fois. Et lorsqu’il s’adresse aux fils d’Israël, c’est une nouvelle fois pour mettre en doute leur aptitude à croire : « Écoutez donc, rebelles ! Ferons-nous jaillir de l’eau de ce rocher ? » De la part de Moïse, il s’agit d’une récidive, puisqu’il accuse de nouveau les fils d’Abraham d’être incapables de croire. C’est pourquoi le signe de son propre châtiment va lui être donné aussitôt. Si l’on s’en tient au texte biblique, lorsque Moïse frappe le rocher, il en sort de l’eau en abondance. Par un de ces procédés midrashiques caractéristiques de l’exégèse juive ancienne, le commentaire rabbinique, s’appuyant sur le fait que Moïse a frappé deux fois le rocher, dit qu’il en sortit du sang, puis de l’eau. Le sang, qui signifie le châtiment de Moïse, et l’eau, signe de la grâce accordée à Israël. Le midrash voit dans la suite du texte biblique une confirmation explicite de cette interprétation : « Parce que vous n’avez pas cru en moi, pour me sanctifier aux yeux des enfants d’Israël, vous ne ferez point entrer cette assemblée dans le pays que je lui donne ». C’est Moïse qui a manqué de foi, tout en faisant porter sur les fils d’Israël, une fois de plus, sa propre inaptitude à croire.
En lisant ces textes une remarque nous vient à l’esprit : il est possible de faire un rapprochement entre ce midrash et l’Évangile de Jean.
Les commentateurs du quatrième évangile ont relevé depuis longtemps une série de correspondances entre le premier signe accompli par Jésus, celui de l’eau changée en vin à Cana, et la scène de la crucifixion, au chapitre 19, dans laquelle l’eau et le sang jaillissent du côté de Jésus : « Un des soldats, d’un coup de lance, le frappa?au côté et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau » (Jn ch19, v34).
Or, le midrash nous dit que le signe donné à Moïse, celui de l’eau changée en sang, ne livrera toute sa signification que lorsque l’eau et le sang jailliront du rocher. Il est donc possible que Jean reprend ici, pour l’appliquer à Jésus, un schéma connu de la tradition juive ancienne et appliqué à Moïse, pour suggérer que le premier signe, celui de Cana, ne dévoilera toute sa signification que lorsque le sang et l’eau jailliront du côté de Jésus ? Dieu dans la Bible est aussi symbolisé par un rocher comme en 2 Samuel 22 :
« Il dit : L’Éternel est mon rocher, ma forteresse, mon libérateur. 3 Dieu est mon rocher, où je trouve un abri, Mon bouclier et la force qui me sauve, Ma haute retraite et mon refuge. Ô mon Sauveur ! Tu me garantis de la violence. 4Je m’écrie : Loué soit l’Éternel ! Et je suis délivré de mes ennemis… » et l’apôtre Paul nous dit en 1 Corinthiens 10 :
« Et qu’ils ont tous bu le même breuvage spirituel, car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était Christ. »
Aussi Moïse devait parler au rocher qui symbolise spirituellement Dieu pour que celui-ci abreuve le peuple, mais Moïse le frappe deux fois, comme par deux fois Moïse accuse Israël d’être incroyant.
Le rapprochement doit être fait certes avec prudence et les récits de Jean sur les noces de Cana et la croix ne sont pas des décalques des aggadot sur le buisson-ardent et les eaux de Mériba. Dans les noces de Cana, l’eau est changée en vin et non en sang, mais Jésus lors de la scène nous donne le second signe disant que le vin contenu dans la coupe est son sang : « Pendant qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain et après avoir rendu grâce, il le rompit et le donna aux disciples en disant : Ceci est mon corps, prenez et mangez en tous. Il prit ensuite une coupe et la remplit avec du vin et après avoir rendu grâce, il la leur donna en disant : Buvez en tous car ceci est mon sang…. »
Ce rituel était relaté dans l’Évangile de Jean (Jean 6:51 à 6: 55) qui disait :
« Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et même, le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. "
Les Juifs alors se mirent à discuter fort entre eux ; ils disaient : " Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? "
Alors Jésus leur dit : " En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous.
Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour.
Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson.
Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. »
Mais dans la scène des eaux de Mériba, c’est Moïse qui frappe le rocher (qui est le symbole de Dieu nous l’avons vu) ; à la crucifixion, Jésus ne joue aucun rôle actif, puisque c’est lui qui est frappé comme le rocher, Jean nous affirmerait donc que Jésus sur la croix est symboliquement Dieu comme le rocher de Mériba était symboliquement Dieu. Et qui frappe Jésus sur la croix ? Un soldat (symbole de l’autorité) plus précisément un soldat romain, symbole de l’autorité Romaine. Même si la prudence reste de mise, le rapprochement entre ces traditions et l’Évangile de Jean semble pourtant légitime.?Il peut apporter une confirmation supplémentaire à l’idée, classique, d’une corrélation entre le signe de Cana et la crucifixion de Jésus : de même que le signe confié à Moïse au début de sa mission ne révélera tout son sens que lorsque l’eau et le sang jailliront du rocher, le signe de Cana ne révélera toute sa portée que lorsque sera venue « l’heure » de Jésus, heure dont il dit lui-même qu’elle n’est pas encore arrivée lorsqu’il change l’eau en vin et que, de son côté frappé par la lance, jailliront le sang et l’eau. Pour l’auteur du quatrième évangile, le miracle de Cana, avec sa profusion de vin, est bien le signe de la venue des temps messianiques ; mais le salut ne sera effectivement donné que lorsque Jésus sera frappé du châtiment destiné au pécheur, ouvrant ainsi la source de la grâce.
Cela dit, et ce n’est pas le moins étrange, le rapprochement avec l’Évangile de Jean semble pouvoir se faire aussi en sens inverse, c’est-à-dire sous la forme d’une opposition.
L’enjeu de ce commentaire midrashique, on le sent bien, dépasse largement son objectif apparent, celui de rendre compte d’une contradiction à l’intérieur du texte biblique dans le récit du buisson-ardent. Le midrash est une actualisation. Tout ce texte, en réalité, est une plaidoirie en faveur des fils d’Israël, accusés injustement d’incrédulité : « Tu calomnies mes fils ! ». À l’époque où naît cette tradition, qui peut accuser Israël d’incrédulité ? Contre quels accusateurs les Sages veulent-ils se défendre ?
Pour mettre en évidence l’injustice de cette accusation, le midrash s’en prend au personnage de Moïse en des termes d’une sévérité qui tranche avec la manière dont la tradition juive considère habituellement le libérateur d’Israël. Avec insistance, il porte contre lui une double accusation de calomnie. Moïse calomnie les fils d’Israël en les déclarant incroyants et incapables de croire, alors qu’ils sont héritiers de la foi d’Abraham. Ce faisant, il calomnie Dieu lui-même et fait de lui un menteur, en osant le contredire en face lorsqu’il rend lui-même témoignage à la foi de ses fils. Ne peut-on percevoir dans le contenu et la tonalité de ces accusations un écho des polémiques du quatrième évangile ? C’est bien le Jésus de Jean qui lance à de nombreuses reprises contre « les Juifs » l’accusation de ne pas croire? (Jn 4,48 ; 5,38.47 ; 6,36.64 ; 7,5 ; 8,24.45.46 ; 10,25.26.38 ;…)
Quant à l’accusation de mensonge portée contre Dieu, c’est dans le corpus johannique que l’on trouve la formule « faire de Dieu un menteur » : « Qui ne croit pas en Dieu fait de lui un menteur, parce qu’il n’a pas foi dans le témoignage que Dieu a rendu en faveur de son fils » (1 Jn 5,10). Pour notre midrash, Moïse fait de Dieu un menteur en récusant le témoignage rendu par Dieu en faveur de ses fils. Jésus lui-même, tel qu’il est perçu à travers l’Évangile de Jean, serait-il visé, à mots couverts, à travers Moïse ?
Cette question nous conduit à examiner un autre élément du commentaire rabbinique : ce qui concerne le serpent. Que Moïse puisse être comparé au serpent de la Genèse est une accusation aussi grave qu’inattendue, compte tenu de ce que signifie cette image dans la tradition.
Pour la tradition juive, le serpent est d’abord celui qui calomnie Dieu. Quand le serpent aborda Ève, il se « répandit en calomnies » contre le créateur : « Cet arbre, il en a mangé et a créé le monde ! Et à vous, il dit : vous n’en mangerez pas pour vous empêcher de créer d’autres mondes, car tout artisan déteste celui qui exerce le même art que lui »?Pour pouvoir porter contre Moïse la même accusation, celle de calomnier Dieu, le midrash, on l’a vu, doit faire un détour : c’est en accusant Israël que Moïse calomnie le créateur. En accusant Israël d’incrédulité, il fait de la parole de Dieu un mensonge, puisque c’est Dieu lui-même qui se porte garant de la foi de ses fils.
Le serpent est aussi le séducteur, celui qui égare et qui dévoie. Cette qualification, est largement répandue dans la littérature juive, et même dans le Nouveau Testament. Jésus a-t-il pu être comparé au serpent ? Avant de tenter de répondre à cette question, il faut rappeler que les mentions de Jésus, dans la littérature rabbinique ancienne, sont assez rares et le plus souvent allusives, et qu’elles portent parfois la marque de la censure.
Dans les formules employées pour qualifier le serpent, on retrouve l’accusation lancée contre Jésus, aussi bien d’après le Talmud que selon les Évangiles. Pour le Talmud, Jésus « égarait Israël » (Sanhedrin 43a et 107b.)
Le terme est d’autant plus remarquable que le Talmud, qui n’évoque le souvenir de Jésus que d’une manière approximative, reprend ici l’expression attestée déjà par l’Évangile de Jean, selon lequel Jésus était accusé d’« égarer la foule »? (Jn 7,12. Cf. Mt 27,63,) Dans l’atmosphère qui est celle des premiers siècles du christianisme et des polémiques entre juifs et chrétiens, il est permis de voir à travers ces qualificatifs des allusions au serpent, et donc de voir une assimilation polémique de Jésus au serpent. On peut d’ailleurs remarquer que l’accusation portée contre Jésus en (Jn 7,12) « Et il y avait une grande rumeur à son sujet parmi les foules. Les uns disaient : Il est homme de bien. D’autres disaient : Non, mais il séduit la foule. » est appliquée à « l’antique serpent » en (Ap 12,9 et 20,3) « Et le grand dragon fut précipité, le serpent ancien, celui qui est appelé diable et Satan, celui qui séduit la terre habitée tout entière, » : celle d’égarer (planaô)? Ou de « séduire ». Ajoutons enfin à ces données fragmentaires qu’un des rares passages du Talmud qui parlent explicitement de Jésus?(Sanhedrin 107b.) le range dans la même catégorie que Jéroboam, dont l’Écriture et la tradition ne cessent de répéter qu’il a « fait pécher Israël » (1R 15,26.30.34 ; 16,26 ; 22,53 ; 2 R 3,3 ; 10,29.31 ;…) Si cette hypothèse est juste, elle peut fournir une explication au fait que Jésus, dans l’Évangile de Jean (3,14), « Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi il faut que le fils de l’homme soit élevé, » se compare lui-même au serpent. Dans la bouche de Jésus, cette comparaison est tout à fait inattendue, le serpent étant toujours, dans l’Écriture et la tradition juive, un être maléfique. Les commentateurs du quatrième Évangile se limitent généralement à souligner la similitude des situations (Jésus, comme le serpent, doit être élevé), mais ne s’arrêtent pas sur la comparaison entre les deux objets de cette élévation, Jésus et le serpent. L’hypothèse ici proposée pourrait expliquer cette comparaison étrange : Jésus aurait d’abord été comparé par « les Juifs » au serpent, le calomniateur et le séducteur, celui qui égare et qui fourvoie. Jean reprendrait cette comparaison en la retournant : celui qui est considéré comme un animal maudit devient source de vie une fois « élevé ».
Un indice, ténu certes, pourrait confirmer cette hypothèse. Il s’agit de l’usage ambigu du démonstratif ??? zeh, (celui-là), dans le midrash qui vient d’être présenté. Ce démonstratif apparaît deux fois dans le texte. Le midrash dit d’abord : « De même que le serpent avait été frappé, ainsi celui-là (zeh) sera frappé ». Puis Dieu dit à Moïse : « Tu as commis le méfait de celui-là (zeh) ». On peut trouver surprenants ces deux emplois successifs d’un même pronom pour désigner deux sujets différents, ce qui donne à l’ensemble une tonalité étrangement allusive, alors que la logique aurait commandé de dire plus simplement « Moïse » dans le premier cas et « le serpent » dans le second. Or, une lecture attentive du texte montre que ??? zeh « celui-là » est distinct du serpent dans le premier cas et distinct de Moïse dans le second. Ce zeh se référerait-il, au-delà de Moïse et du serpent, à quelqu’un d’autre qu’on éviterait de nommer, celui que la tradition juive postérieure désignera par l’appellation « cet homme »?(Jn 11,47) Nous voici ramenés une fois de plus au corpus johannique.
La première épître de Jean désigne généralement Jésus par le pronom démonstratif « celui-là » (ekeinos)? (1 Jn 2,6 ; 3,3.5.7.16 ; 4,17.) Dans le quatrième Évangile, le pronom ekeinos est employé sans aucune bienveillance par les adversaires de Jésus : « Au cours de la fête, les Juifs le cherchaient et on disait : ‘Où est donc celui-là ?’ » (Jn 7,11). « Ils lui dirent : ‘Où est celui-là’? » (Jn 9,12). « Toi, tu es disciple de celui-là ! Nous, nous sommes disciples de Moïse » (Jn 9,28)?. « N’écris pas ‘Roi des Juifs’, mais ‘Celui-là a dit : je suis le roi des Juifs’» (Jn 19,21)?. Il est donc permis de penser que Jean, loin d’utiliser ce pronom d’une manière « emphatique », reprend ici encore, en le retournant, un terme employé d’abord avec malveillance par les adversaires de Jésus.
On trouve un second midrash.
Jean nous dit que les Noces de Cana se déroulent un troisième jour. Les jours de la semaine n’ont pas de nom particulier, à l’exception du Sabbat, qui s’appelle le jour du repos : Sabbat. Pour les reconnaître, on leur assigne un ordre : le premier, le deuxième, le troisième, etc.
Le troisième jour, le mardi, était et reste encore le jour traditionnel des noces chez les Juifs, car il est « Kephel ki tov «, le jour où le verset « cela était bon » est répété deux fois dans la Genèse, au moment du récit de la création. Bien que le Talmud demande que le mercredi soit le jour des noces (b. Ket. 2a), les gens simples, (les gens de la campagne en Galilée) préféraient le mardi, le troisième jour.
Si ce jour-là, « Kephel ki tov «, (« et cela était bon ») est répété deux fois, on pensait devoir en destiner un à l’époux et l’autre à I’épouse. De la sorte, les nouveaux mariés se réjouissaient doublement de leur bonheur.
Beaucoup d’exégètes ont trouvé ces trois jours fort mystérieux, parce qu’ils ne connaissaient pas la réalité toute simple de ces noces paysannes juives de Galilée.
La mère de Jésus assistait aux noces. Elle était déjà veuve, car ce n’était pas la coutume, pour une femme mariée, de participer seule à une noce, sans son mari. Jésus et ses disciples furent aussi invités, indépendamment de Marie. La mère de Jésus sait apprécier l’honneur fait à son fils car, déjà, on invite ce dernier, accompagné de ses disciples, « comme on le ferait pour un Rabbi ». Or dans ce maassé bereshit, le troisième jour est celui du travail sur l’eau, melakhat ha-mayim (Gn 4, 9-13).
« 9 Et Dieu dit : Que les eaux [qui sont] au-dessous des cieux se rassemblent en un lieu, et que le sec paraisse. Et il fut ainsi.
10 Et Dieu appela le sec Terre, et le rassemblement des eaux, il l’appela Mers. Et Dieu vit que cela était bon. (ki tov)
11 Et Dieu dit : Que la terre produise l’herbe, la plante portant de la semence, l’arbre fruitier produisant du fruit selon son espèce, ayant sa semence en soi sur la terre. Et il fut ainsi.
12 Et la terre produisit l’herbe, la plante portant de la semence selon son espèce, et l’arbre produisant du fruit ayant sa semence en soi selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon. (Ki tov)
13 Et il y eut soir, et il y eut matin : — troisième jour. »
Le Midrash Rabba pose cette question : « Pourquoi après le second jour il n’est pas dit "ki tov" comme c’est le cas pour les autres jours ? (Dieu vit que c’était bon). Il Répond : « car ce second jour fut créé la Géhenne. » Comment le sait-on, demande le midrash ? « À cause du verset d’Ésaïe ch30, v33. « Car Topheth est préparé depuis longtemps » Topheth ?????? désigne un lieu proche de Jérusalem où selon la Bible les Cananéens sacrifiaient des enfants au dieu Moloch en les brûlant vifs. Ce lieu était situé dans la vallée de la Géhenne (hébreu : ???? ???-?????? ??y ben-hinn?m, vallée de ben Hinnom). La pratique des sacrifices d’enfants ayant été interdite par le roi Josias, l’endroit devint celui où l’on incinérait les carcasses d’animaux et les cadavres des condamnés dans des feux brûlant en permanence d’où « le feu de la Géhenne ».
En revanche, le troisième jour, nous l’avons dit il est dit deux fois "ki tov". Une fois pour la fin du travail de l’eau (la séparation des deux types d’eaux : il y a donc l’eau/loi d’en bas et l’eau/loi d’en haut) et l’autre pour la création des fruits et donc aussi d’un fruit un peu particulier : la vigne. En ce troisième jour le miqvé hamayim, ??????? ???? est appelé mer. D’où l’eau des purifications des Noces. Le miqvé ??????? est en effet le bain rituel. Le terme miqvé ??????? ressemble au mot ???????? tiqva ou tiqvé qui est l’espérance spécifiquement messianique puisque tiqva possède la valence messianique. Le messie commencera donc sa mission par un bain. (Noter que l’expression ????? ??? ??? ???? « Distinguer entre les eaux » vaut 358 valeur messianique).
Nous avons vu dans l’article relatif à Nathanaël que certaines choses existaient avant même la création du monde, les unes "effectivement" (la Tora, le Trône divin,…) alors que d’autres existaient de toute éternité mais en "pensée" seulement (en "projet" : les Patriarches, le Nom du messie). Le messie avait de toute éternité été caché. Dieu lui-même ne peut donc plus revenir sur l’existence du messie. Comme le messie a été engendré (puisque non créé) il est donc, par midrash, le "fils de Dieu". Dieu ne peut donc manquer un jour de l’envoyer.
Le traité talmudique Sanhédrin 99a fait une distinction entre les jours du messie et le monde à venir. Rabbi Hiya fils de Abba a dit, au nom de Rabbi YoHanan : « Tous les prophètes n’ont prophétisé que pour les jours du Messie, mais pour ce qui est du monde à venir, aucun œil, ô Dieu, n’a vu, excepté toi, ce qu’il accomplira pour celui qui l’attend. » Rabbi Yehoshu’a ben Lévi dit : « ce qui n’est pas donné à voir c’est le vin préservé dans les grappes des six jours de la création. »
(Notons en passant les noms des personnages qui interviennent ici : Hiyya "fils du père", un R. YoHanan suivi d’un R. Yéhoshu’a... A rapprocher de l’hypothèse suivante : ce midrash « chrétien » établie par le pseudo Jean, élabore jusqu’au nom des rabbins qui transmettent les dits midrashiques. Par exemple, dans Ruth Rabba c’est un R. Shim’on qui transmet le dit sur Rahab, la pécheresse pardonnée se trouvera donc dans la maison d’un dénommé Simon)
Il existe dans le champ du midrash un festin très particulier: le festin eschatologique. Cette festivité aura lieu à la fin des temps. À cette époque, Dieu fêtera son union avec l’humanité par un immense banquet (hébreu: simHa, joie ou mishté) auquel toutes les nations afflueront. Le Midrash Rabba est plein de ces paraboles dans lesquelles un roi organise un banquet. Par exemple en Esther 1, 5
« Et quand ces jours furent accomplis, le roi fit à tout le peuple qui se trouvait à Suse, la capitale, depuis le grand jusqu’au petit, un festin de sept jours, dans la cour du jardin du palais du roi : »
Nous retrouvons donc ce type de banquet (mishté) dans le Nouveau Testament. Dans les midrashim, la question est de savoir qui est invité à ces banquets, qui y sont "appelés", comment s’y comporter et qui possède les moyens d’y faire bonne figure. Le vin offert au banquet figure la Torah, la Loi. Le Banquet est le moment de la donation de la Loi. Or le récit dit qu’elle vient à manquer. Nous rapprochons ici la péricope de Nathanaël de celle des Noces de Cana et de celle des Outres. En effet les deux dernières péricopes traitent de la conservation du vin, de plus Nathanaël est de Cana. Les Noces de Cana traitent d’un événement important : le vin en vient à être manquant. Le maître du repas est rosh ha-mesekh. Cette racine mesekh se retrouve en Pr 9, 5 « Venez, mangez de mon pain, buvez du vin que j’ai tempéré ! (mesekh) » mesekh et un mélange d’eau et de vin.
Verset souvent cité par le Midrash Rabba. On a ici l’idée de tempérance, de vin adouci, préparé, cuisiné. Le bon vin est un vin doux, léger, facile à boire. La bonne Loi est donc comme le bon vin : légère, douce, facile à accomplir. Le « signe » accompli par Jésus consiste en ce que, grâce à la venue du messie, qui est le miracle ici midrashiquement accompli, on glorifie le Hatan, (l’époux, Dieu) d’avoir gardé (prévu) une Loi légère pour la fin des Temps. Nous sommes en effet à la fin des temps de la Loi dure la Torah.
À Cana Jésus refait et parfait midrashiquement la création. Il change l’eau en vin. Il n’y a donc plus de distinction entre l’eau-loi d’en haut (le vin, la loi bonne et légère gardée pour la fin des temps) et l’eau-loi d’en bas. Séparation qui avait été faite le second jour dans la Genèse. Si la séparation des eaux symbolise la division des dimensions, donc des consciences, de celle d’en haut donc divine et de celles d’en bas humaines, Jésus rend les relations possibles entre la conscience des hommes que l’on peut nommé « local » et de la conscience divine « non locale », relation qui avait été rompue par Adam et Ève et leurs descendants (les premiers hommes) lors de la création symbolisée par le jardin d’Éden.
Dieu est loué par Le maître de cérémonie rosh ha-mekhes : « tu as gardé le bon vin jusqu’à ce jour ». À Cana, il n’est pas question de Vin Nouveau. Bien au contraire, c’est un vin aussi vieux que le monde dont il est question. Ce vin nouveau apparaît dans la péricope des vieilles outres (Mat, ch9 v17) : « On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement les outres se rompent, et le vin se répand, et les outres sont perdues ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et tous les deux se conservent. ». Que signifie ce vin nouveau ? Les commentaires sur ce passage comprennent, en général, que le vin nouveau est la parole de Jésus. « Le vin nouveau qu’offre Jésus… » lit-on un peu partout. Jésus représente forcément quelque chose de neuf. Il faut ensuite quelques contorsions pour expliquer en Lc ch5, v39 : « Et il n’y a personne qui ait bu du vieux, qui veuille aussitôt du nouveau ; car il dit : Le vieux est meilleur. ».
Il est en effet possible de soutenir la position inverse. Jésus propose de revenir au vieux vin à la relation spirituelle avec le Père, et condamne le vin nouveau ; l’idéologie de la religion et ses lois. Le vin vieux, le bon vin, agréable au goût, est, on le sait, la loi facile à appliquer la spiritualité. Et, ce bon vin serait l’ancienne loi. Ancienne, car c’est, la loi du jardin d’Eden avant la chute, mais en tout cas pas la loi rabbinique. Le vin nouveau, serait la loi difficile, rabbinique. Elle ne convient pas aux outres vieilles, qu’elle fait "enfler" et risque de faire « périr » (abad). Après avoir connu la vieille loi et légère, personne ne veut de la loi nouvelle, lourde, complexe, en un mot : rabbinique. Le jeûne fréquent dans la loi rabbinique, est un exemple de loi lourde et de l’enflure (inutile donc de jeûner pour espérer dégonfler). Jésus vient alléger la loi. Ses disciples sont donc dispensés de jeûner. S’il devait s’en aller, la loi lourde s’imposerait de nouveau.
Matthieu ch 9, : « 14 Alors les disciples de Jean viennent à lui, disant : Pourquoi, nous et les pharisiens, jeûnons-nous souvent, et tes disciples ne jeûnent pas ?
15 Et Jésus leur dit : Les fils de la chambre nuptiale peuvent-ils mener deuil tant que l’époux est avec eux ? Mais des jours viendront, lorsque l’époux leur aura été ôté ; et alors ils jeûneront.
16 Et personne ne met un morceau de drap neuf à un vieil habit, car la pièce emporte [une partie] de l’habit, et la déchirure en devient plus mauvaise.
17 On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement les outres se rompent, et le vin se répand, et les outres sont perdues ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et tous les deux se conservent. »
Quel rapport, dans ce texte de Matthieu, entre les premiers versets, qui parlent de jeûne, et les derniers versets, qui parlent de vieilles outres, de conservation du vin et de vieux vêtements ? La coprésence des thèmes de l’époux et du vin incite à penser que notre péricope est proche de celle des Noces de Cana.
Le vocabulaire de la péricope des outres, tourne autour d’une opposition entre le lourd et le léger, le grave et la peccadille, le majeur et le mineur. Ce jeu d’oppositions n’apparaît ni en grec, ni même en hébreu biblique, mais dans le registre propre au midrash qui passe souvent à l’Araméen sans prévenir. "Yayin" ?????? c’est le vin ; « qal » ??? signifie léger. On est dans une discussion sur le léger et le consistant, ce qui se dit en hébreu Kal va’homer (« léger et consistant »)
Le Kal Vah’omer (ou Qal va’Homer) est l’équivalent du principe scolastique d’a fortiori (à plus forte raison). Il déduit une loi non connue dans une situation importante, à partir d’un principe énoncé dans une situation de moindre importance. Il peut s’appliquer pour restreindre comme pour élargir la portée de ce principe.
C’est le nom d’un raisonnement bien connu dans le midrash, le raisonnement a fortiori. « Homer » ???? est une mesure des anciens Hébreux équivalant à dix ephahs ou dix baths. Ce jeu d’oppositions entre léger et lourd, parcourt l’ensemble des Évangiles. Il produit du texte, des épisodes comme la marche sur les eaux. Jésus montre une halakha ???? « Voie », Halokhe selon la prononciation ashkénaze, plur. halakhot) regroupe l’ensemble des prescriptions, coutumes et traditions collectivement dénommées « Loi juive ». Devenue si légère qu’elle flotte. Ce qui est lourd deviendra léger. Les éloges à propos des simples, seraient-ils, eux aussi, à double entente ? ??? "Kabed" Grand, fort, pesant, puissant, lourd, chargé, quantité, fatigué, s’appesantir, nombreux, embarrassé, endurci, inintelligible, épais, au-dessus,... À pour racine Kabad qui signifie Riche, énorme, considéré, être appesanti, charger, endurcir, faire éclater la gloire, honorer, être glorifié, glorieux, traiter avec honneurs, hommages,...
Du vêtement.
Si le vin et le pain évoquent la loi selon l’axe de la métaphore, le vêtement évoque également la loi selon l’axe de la métonymie, du fait de la contiguïté entre le vêtement et la prière. Le talit ???? « habit », est un vêtement à quatre coins, propre au judaïsme, dont chaque coin est, en vertu de la prescription biblique, pourvu de franges. Le talit est un vêtement de prière qui doit rappeler la Loi. De plus, nous avons vu que le Deutéronome évoque le Ger, ??? gerim au pluriel est un résidant étranger, celui qui séjourne en les conjoignant au pain et au vêtement.
« Et il aime l’étranger, auquel il donne pain et vêtement. » (Dt 10,18)
D’où des versets curieux comme : « Mais ayant la nourriture et de quoi nous couvrir, nous serons satisfaits » (1Thimothée 6,8). Ajouter sans cesse de nouvelles lois à la loi ancienne (au vieux vêtement) c’est donc risquer une déchirure. Or la déchirure des vêtements est, dans le Judaïsme, une image fortement évocatrice : vente de Joseph, deuil, destruction du temple (à cause d’un second lien entre vêtement et temple) arracher ses vêtements. Dans les textes chrétiens, comme en Matthieu ch 6 :
« 28 Et pourquoi êtes-vous en souci du vêtement ? Étudiez les lis des champs, comment ils croissent : ils ne travaillent ni ne filent ;
29 cependant je vous dis que, même Salomon dans toute sa gloire, n’était pas vêtu comme l’un d’eux.
30 Et si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs qui est aujourd’hui, et qui demain est jetée dans le four, ne vous [vêtira-t-il] pas beaucoup plutôt, gens de petite foi ?
31 Ne soyez donc pas en souci, disant : Que mangerons-nous ? Ou que boirons-nous ? Ou de quoi serons-nous vêtus ?
32 car les nations recherchent toutes ces choses ; car votre Père céleste sait que vous avez besoin de toutes ces choses ;
33 mais cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus. »
Ces paroles des Jésus prennent tout leur sens alors si le vêtement symbolise la religion et la nourriture et la boisson les lois de cette religion.
Fin de la loi et fin des vêtements.
Dans le Midrash juif, le messie était supposé survenir dans une époque d’abandon général de la loi. En Marc, l’arrivée du messie est donc logiquement marquée par un abandon quasi-général des vêtements:
« Et jetant loin son vêtement, il se leva en hâte et s’en vint à Jésus. » (Mc 10,50)
« Et ils amenèrent l’ânon à Jésus et mirent leurs vêtements sur l’ânon, et il s’assit dessus. » (Mc 11,7)
« Et plusieurs étendaient leurs vêtements sur le chemin, et d’autres coupaient des rameaux des arbres, et les répandaient sur le chemin» (Mc 11,8)
« Et un certain jeune homme le suivit, enveloppé d’une toile de fin lin sur le corps nu ; et ils le saisissent ;
52 et, abandonnant la toile de fin lin, il leur échappa tout nu. » (Mc 14,51-52)
Notons que ce dernier verset "accomplit" Amos 2, 16: « et celui qui a le cœur plein de courage parmi les hommes vaillants s’enfuira nu en ce jour-là, dit l’Éternel. »
Autre midrash juif: à la fin des temps la loi sera allégée, la loi présente ne sera plus valide. Autre bonne raison de se débarrasser alors de ses vêtements. Pas de midrash sans surdétermination, sans saturation. Il n'est pas inutile de revisiter tous les passages du Nouveau Testament dans lesquels il est question de “vêtement” de “manteau” (ou de termes connexes: lin, tunique…). Ainsi lorsque Paul garde les vêtements abandonnés par les meurtriers d’Etienne, il ne s’agit sans doute pas d’un simple détail pittoresque. De même, en Lc 9,?3 on conseille à ceux qui sont envoyés aux païens: n'ayez pas non plus chacun deux tuniques. Ou Lc 3, 11: Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a pas. Notons enfin qu’en Josué 9,3 les Gabaonites, des idolâtres, utilisent une ruse pour forcer leur intégration au sein du peuple d’Israël. Or cette ruse consiste à faire croire qu’ils viennent “de loin” en exhibant de vieux vêtements et de “vieilles outres à vin crevées”. Alors qu’en réalité, ces païens étaient “tout proches”.
« 3 Et les habitants de Gabaon entendirent ce que Josué avait fait à Jéricho et à Aï ;
4 et ils usèrent de ruse, eux aussi ; et ils se mirent en route, préparés comme pour un voyage, et prirent de vieux sacs sur leurs ânes, et de vieilles outres à vin crevassées et recousues,
5 et de vieilles sandales rapiécées à leurs pieds, et de vieux habits sur eux ; et tout le pain de leur provision était sec [et] s’était moisi»
Commentaires
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1 Daniel Le 08/09/2020
Bonjour,
Votre texte est une belle analyse, je trouve.
Il va sans dire que le vin occupait une place très importante dans la culture juive de la bible et même actuelle. Celle belle histoire des noces de cana est en la preuve irréfutable. On peut donc affirmer avec certitude qu'il existait bel et bien des producteurs de vins à cette époque et que la consommation du vin était.
Cordialement,
Daniel
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