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La parabole de l’homme riche et Lazare

Prédication du 21 octobre 2018

 

Luc chapitre 16 v 19 à 31

« 19Il y avait un homme riche, qui était vêtu de pourpre et de fin lin, et qui chaque jour menait joyeuse et brillante vie. 20Un pauvre, nommé Lazare, était couché à sa porte, couvert d'ulcères, 21et désireux de se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche; et même les chiens venaient encore lécher ses ulcères. 22Le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli. 23Dans le séjour des morts, il leva les yeux; et, tandis qu'il était en proie aux tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein. 24Il s'écria: Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu'il trempe le bout de son doigt dans l'eau et me rafraîchisse la langue; car je souffre cruellement dans cette flamme. 25Abraham répondit: Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et que Lazare a eu les maux pendant la sienne; maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres. 26D'ailleurs, il y a entre nous et vous un grand abîme, afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous, ou de là vers nous, ne puissent le faire. 27Le riche dit: Je te prie donc, père Abraham, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père; 28car j'ai cinq frères. C'est pour qu'il leur atteste ces choses, afin qu'ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourments. 29Abraham répondit: Ils ont Moïse et les prophètes; qu'ils les écoutent. 30Et il dit: Non, père Abraham, mais si quelqu'un des morts va vers eux, ils se repentiront. 31Et Abraham lui dit: S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu'un des morts ressusciterait. »

Ce texte : « La parabole de l’homme riche et Lazare », bien qu’il figure dans l’Évangile de Luc mis dans la bouche de Jésus, n’est pas de Jésus lui-même, car il est inspiré d’un conte égyptien ; mais ce conte égyptien était alors très populaire et bien connu des contemporains de Jésus, aussi est-ce certainement la raison pour laquelle Jésus utilise ce texte qui ne doit donc pas être pris de façon littérale bien entendu. Dans ce récit, un riche et un pauvre se retrouvent dans le royaume des morts et il est question de faire la balance respective de chacun, le pauvre est vertueux et le riche est alourdi de ses pêchés. L’un et l’autre seront jugés – et même pesés car il s’agit d’une balance - en fonction des bonnes et des mauvaises actions. Ce récit est destiné aux pharisiens et il transforme ce conte égyptien en une parabole, ainsi ses auditeurs disposent déjà d’une représentation en image ou en tête si vous préférez. Nous sommes en présence d’un renversement des valeurs, c’est une histoire qui marque par son exemple. Reconnaissons qu’au premier abord la leçon semble plutôt ordinaire voire banale : qu’une punition attend celui qui accumule ses richesses sans se préoccuper d’autrui. Qu’il y a un abîme qui sépare les riches et les pauvres. Mais ici dans la bouche de Jésus la parabole va prendre un sens beaucoup plus profond.

Examinons plus attentivement cet homme qui est dit riche, dont nous ne connaissons d’ailleurs pas le nom ni sa fonction ; et c’est le seul d’ailleurs dont le nom n’est pas nommé dans cette parabole, aussi chacun peut être identifié à ce riche. On nous dit qu’il était vêtu de pourpre et de fin lin, se traitant chaque jour magnifiquement. Donc cet homme était somptueusement vêtu. Le texte nous renvoie à Ézéchiel ch27 v7 où il est dit : « Le fin lin d’Égypte avec des broderies Te servait de voiles et de pavillon ; Des étoffes teintes en bleu et en pourpre des îles d’Elischa Formaient tes tentures. »

Dans cette prophétie d’Ézéchiel ces paroles s’adressent à une ville celle de Tyr, riche et luxueuse et dans ce texte d’Ézéchiel tout le monde commerçait avec elle, c’était une ville très riche. Ensuite la prophétie s’adresse au prince de la ville ch 28 v : « 2 Fils d’homme, tu diras au prince de la ville de Tyr : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Ton cœur s’est exalté et tu as dit : “Je suis un dieu, j’habite une résidence divine, au cœur des mers.” Pourtant, tu es un homme et non un dieu, toi qui prends tes pensées pour des pensées divines. 3 Tu serais donc plus sage que Daniel, il n’y aurait pas de secret trop profond pour toi ? 4 Par ta sagesse et ton intelligence tu as fait fortune, tu as accumulé l’or et l’argent dans tes trésors. 5 Par ton génie du commerce, tu as multiplié ta fortune, et à cause de cette fortune ton cœur s’est exalté. 6 C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Dieu : Parce que tu prends tes pensées pour des pensées divines, 7 je fais venir contre toi des barbares, une nation redoutable. Ils tireront l’épée contre ta belle sagesse, ils profaneront ta splendeur. 8 Ils te feront descendre dans la fosse et tu mourras au cœur des mers, d’une mort violente. 9 Oseras-tu dire encore devant tes meurtriers : “Je suis dieu” ? Sous la main de ceux qui te transperceront, tu seras un homme et non un dieu. 10 Tu mourras de la mort des païens incirconcis, par la main des barbares. Oui, moi, j’ai parlé, – oracle du Seigneur Dieu. »

Donc dans cette parabole pour Jésus cet homme riche est comparé au prince de Tyr dans la prophétie d’Ézéchiel, et la parabole nous enseigne que tout homme avide de richesse est à l’image du Prince de Tyr et subira le sort de ce prince qui dans la prophétie d’Ézéchiel est aussi roi de Tyr. Alors, que nous dit Ézéchiel au sujet de cet homme ?

 

L'e sujet est le prince de Tyr et on peut facilement remarquer que le chapitre précédent parle des environs de Tyr également. (Il n'est fait aucune mention de satan dans ce passage non plus). Je dis cela car ce passage d’Ézéchiel fait polémique à ce sujet, en effet certains ont vu dans ce prince de Tyr une prophétie sur Satan ou Lucifer. Or il est clairement marqué qu’il s’agit d’un homme qui, dans son orgueil, qui a pris sa volonté pour la volonté de Dieu. Tout homme peut faire cela, et c’est pourquoi Jésus fait un lien habile entre sa parabole et la prophétie d’Ézéchiel. Cela démontre donc bien que ce prince de Tyr est bien un homme et non pas Satan ou Lucifer dans la bouche d'Ézéchiel.

Il est parlé d’orgueil, pas de rébellion ! Il est parlé de mort et pas de chute sur la terre ! Le roi de Tyr est mort, selon la parole de l’Éternel.

Dans la suite du chapitre, Sériel prophétise à nouveau selon la parole de l’Éternel : une complainte sur celui qui, de prince est maintenant appelé roi de Tyr.

Ézéchiel 28 : 11-19 : « La parole de l'Éternel me fut adressée, en ces mots : 12 Fils de l'homme, prononce une complainte sur le roi de Tyr ! Tu lui diras : Ainsi parle le Seigneur, l'Éternel : Tu mettais le sceau à la perfection, tu étais plein de sagesse, parfait en beauté. 13 Tu étais en Eden, le jardin de Dieu ; tu étais couvert de toute espèce de pierres précieuses, de sardoine, de topaze, de diamant, de chrysolithe, d'onyx, de jaspe, de saphir, d'escarboucle, d'émeraude, et d'or ; tes tambourins et tes flûtes étaient à ton service, préparés pour le jour où tu fus créé. 14 Tu étais un chérubin protecteur, aux ailes déployées ; je t'avais placé et tu étais sur la sainte montagne de Dieu ; tu marchais au milieu des pierres étincelantes. 15 Tu as été intègre dans tes voies, depuis le jour où tu fus créé jusqu'à celui où l'iniquité a été trouvée chez toi. 16 Par la grandeur de ton commerce, tu as été rempli de violence, et tu as péché ; je te précipite de la montagne de Dieu, et je te fais disparaître, chérubin protecteur, du milieu des pierres étincelantes. 17 Ton cœur s'est élevé à cause de ta beauté, tu as corrompu ta sagesse par ton éclat ; je te jette par terre, je te livre en spectacle aux rois. 18 Par la multitude de tes iniquités, par l'injustice de ton commerce, tu as profané tes sanctuaires ; je fais sortir du milieu de toi un feu qui te dévore, je te réduis en cendre sur la terre, aux yeux de tous ceux qui te regardent. 19 Tous ceux qui te connaissent parmi les peuples sont dans la stupeur à cause de toi ; tu es réduit au néant, tu ne seras plus à jamais !

L’endroit géographique objet de cette prophétie est la riche ville de Tyr et non pas le ciel. La période est le 6ème siècle avant JC et pas la période où l'histoire humaine a commencé.

Le souverain de Tyr était devenu fier et se considérait comme un dieu mais même sa richesse et sa sagesse ne pourront pas le sauver de sa disparition ultime et la destruction :

Ézéchiel 28:18-19 = « Tous ceux qui te connaissent parmi les peuples sont dans la stupeur à cause de toi; tu es réduit au néant, tu ne seras plus à jamais ! »

Il ne s’agit donc pas d’une prétendue chute du diable avant la venue d’Adam sur terre : le roi de Tyr ne sera plus jamais.

La «sagesse» dont il est parlé était la connaissance pour savoir comment se faire de l'argent, des richesses et des trésors (Ézéchiel 28:4-5). Par son «trafic» ou sa négociation commerciale ses richesses ont été augmentées. Rien ne peut être attribué avec certitude au diable ici non plus.

Or concernant le roi de Tyr il est dit qu’au début il était «intègre dans ses voies » :

Ézéchiel 28:15 : « Tu as été intègre dans tes voies, depuis le jour où tu fus créé jusqu'à celui où l'iniquité a été trouvée chez toi. »

Il a été parfait dans ses voies comme un chef et comme roi, jusqu'à ce que l'iniquité ait été trouvée en lui. L’«iniquité» du roi de Tyr est née lors du trafic et de la négociation malhonnête dans les pratiques de vente :

Ézéchiel 28:18 : « Par la multitude de tes iniquités, par l'injustice de ton commerce, tu as profané tes sanctuaires »

Ce n'est pas l'iniquité du diable dont il est parlé ici mais bien celle d’un homme !  Pareillement la définition de chérubin protecteur ne signifie pas qu’il était un ange chargé de protéger quelque chose mais cela fait allusion à la tache du roi : celui qui conduit, celui qui était le protecteur du peuple de Tyr, celui qui avait été placé par Dieu pour cette tache.

Ézéchiel 28:16 : « Par la grandeur de ton commerce, tu as été rempli de violence, et tu as péché ; je te précipite de la montagne de Dieu, et je te fais disparaître, chérubin protecteur, du milieu des pierres étincelantes.

Il était sur la montagne de Dieu car c’est Dieu qui l’avait placé comme roi et la gloire qu’il avait lui venait d’en haut et pas de sa volonté et des actions. Il avait tout, les richesses, la gloire, c’est comme s’il vivait dans le jardin de Dieu, le jardin des délices mais il s’est enorgueilli et il a oublié d’où lui venait ce qu’il avait.

Ézéchiel 28:2 : « Fils de l'homme, dis au prince de Tyr : Ainsi parle le Seigneur, l'Éternel : Ton cœur s'est élevé, et tu as dit : Je suis Dieu, je suis assis sur le siège de Dieu, au sein des mers ! Toi, tu es homme et non Dieu, et tu prends ta volonté pour la volonté de Dieu. »

C’est Dieu qui élève et qui abaisse, c’est Dieu qui donne la gloire et qui l’enlève. Jamais il n’est parlé de satan ni il n’est donné à penser qu’il s’agisse de lui. Il est plutôt fait du sarcasme envers celui qui, en tant qu’homme, avait voulu se faire comme Dieu :

« Tu as dit : Je suis Dieu, je suis assis sur le siège de Dieu (verset 2), tu es plus sage que Daniel (verset 3), rien de secret n'est caché pour toi (verset 3), Tu étais en Eden, le jardin de Dieu (verset 13), tu étais un chérubin protecteur (verset 14), tu étais sur la sainte montagne de Dieu (verset 14). »

Il est évident que le vrai sens est l’opposé : il n'est pas Dieu, il n'est pas plus sage que Daniel, les secrets peuvent lui être cachés, il n'était pas dans le jardin d'Eden avec Adam, il n'était pas un chérubin, il n’était pas sur la sainte montagne de Dieu !

En utilisant le ridicule ou le sarcasme on veut dire le contraire des mots utilisés. À l'époque où Élie se moque des prophètes de Baal, «Criez à haute voix, puisqu'il est dieu; il pense à quelque chose, ou il est occupé, ou il est en voyage; peut-être qu'il dort, et il se réveillera. » (1 Rois 18:27), il ne veut pas dire que Baal était un dieu. Il n'a pas non plus pensé que les appeler produirait un résultat : il était sarcastique !

Si l’on veut prendre à la lettre et dire que le roi de Tyr était réellement dans le jardin d’Eden, il n'est pas impossible de considérer que le roi de Tyr aurait pu effectivement visiter Eden lui-même en 600 avant JC lors de ses opérations commerciales.

Ézéchiel 27:23 : « Charan, Canné et Eden, les marchands de Séba, d'Assyrie, de Kilmad, trafiquaient avec toi »

Cela n'a rien à voir avec le diable avant la période d’Adam et Eve. Dans toute cette prophétie d’Ezéchiel il n’y a aucune déclaration faisant référence à satan. Faire une association est seulement une spéculation provenant de la tradition des hommes.

Ceci dit Jésus nous présente cet homme comme semblable au roi de Tyr, et nous rencontrons encore aujourd’hui beaucoup de personnes qui se comportent exactement comme le roi de Tyr, et apparemment c’était le cas de cet homme de la parabole de Jésus. Si Ézéchiel nous parle de sa chute et de sa mort, Jésus semble ici reprendre de récit d’Ézéchiel pour raconter l’histoire « après sa mort ». Il continue en quelque sorte la prophétie d’Ézéchiel en la généralisant à tous les hommes pouvant ressembler au roi de Tyr.

Il demeure dans une grande maison avec un portail au pied duquel Lazare a été jeté plein d’ulcères. Donc on peut dire que cet homme est un exemple assez intemporel d’un homme riche et puissant. Il s’agit d’un maître qui a l’habitude de commander, car une fois arrivé dans le monde des morts, il ne trouve pas mieux à faire que de donner des ordres : ses ordres sont d’ailleurs déguisés en prières : voici qu’il demande d’abord à Abraham de lui envoyer Lazare pour lui servir de l’eau, ensuite il souhaite que Lazare avertisse ses frères du malheur qui les attend. Il est assez antipathique dans sa manière de commander et de vouloir sauver les siens, ses proches, les déjà privilégiés. Il trouve le moyen de négocier même dans le feu. Enfin dans sa troisième requête, il demande à Abraham d’envoyer quelqu’un de chez les morts prévenir ses proches, qu’il est urgent de changer de comportement. Dans sa dernière prière il dévoile ce qu’il a compris dans Hadès,. Dans la mythologie grecque, Hadès (en grec ancien ?δης ou ?ιδης / Háidês) est une divinité chthonienne, frère aîné de Zeus et de Poséidon. Comme Zeus gouverne le Ciel et Poséidon la Mer, Hadès règne sous la terre et pour cette raison il est souvent considéré comme le « maître des Enfers ». Au terme de la guerre contre les Titans, Hadès reçoit en partage les « ombres brumeuses » et réside avec elles dans les Enfers. Roi des morts, sa principale mission est d'empêcher ceux-ci de quitter les Enfers, car leur vue remplirait d'horreur les hommes comme les dieux.

La parabole a gardé le nom d’un monde des morts qui figure dans la légende duquel elle s’inspire car pour les Juifs les morts vont non pas dans l’Hadès mais au Sheol (????), qui est un terme hébraïque intraduisible, désignant le « séjour des morts », la « tombe commune de l'humanité », le puits, sans vraiment pouvoir statuer s'il s'agit ou non d'un au-delà. La Bible hébraïque le décrit comme une place sans confort, où tous, justes et criminels, rois et esclaves, pieux et impies se retrouvent après leur mort pour y demeurer dans le silence et redevenir poussière. Toutefois, il ne s'agit pas là d'un sort définitif, et certains textes mentionnent ceux qui « en sont sauvés » (Psaumes 86:13, entre autres).

On voit donc que ce récit et selon Jésus lui-même ne doit pas être pris au pied de la lettre de façon latérale si non, Jésus aurait parlé du Sheol et non de l’Hadès.

 

L’homme dans l’Hadès comprend enfin ce qu’il n’a pas compris dans sa vie. Il ne faut pas attendre des miracles, mais œuvrer ici et maintenant pour l’avènement du royaume de Dieu. La parabole prévient ainsi que pour tous ces hommes riches, un comportement plus juste est nécessaire. Qu’un changement vers une vie véritablement bonne à partager est possible.

Cela rappelle la prédication de Jean Baptiste au bord du Jourdain, qui demande un partage équitable des biens. Dans le début de l’Évangile de Luc (3:7 -17) il évoque cette image forte, que nous sommes des arbres qui portent des fruits, que l’arbre qui n’en produit pas est coupé et jeté au feu. Quand la foule demande à Jean Baptiste d’expliquer en quoi ces fruits consistent : « Que devons-nous donc faire ?» Jean Baptiste répond : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. »

L’Évangile introduit des exemples de justice très concrets, qui encouragent à instaurer l’entraide. Si le protestantisme met l’accent sur la grâce et la foi pour être sauvé, ici Jésus souligne que la grâce et la foi sont insuffisantes si celles-ci ne sont pas accompagnées par des œuvres, bien sûr il n’est nullement question de dire ici que nous sommes justifiés devant Dieu que par nos actes. Ce qui serait contraire aux idées de Luther et de sa lecture de l’apôtre Paul. Même si Paul, quand il prône la justification par la foi seule, il n’oublie pas le thème de la rétribution (Rom 14 : 10-12 et 2 Co 5 :10).

En fait quand Jésus situe la rencontre entre Lazare et l’homme riche dans le monde figuré des morts, ce n’est pas pour nous enseigner sur ce qui se passe après la mort mais avant. Ce conte Égyptien transformé par Jésus en parabole n’est qu’un prétexte pour enseigner autre chose. Contrairement à ce que certains prêches et croient, (ce que j’ai déjà entendu prêché chez des évangélistes) la parabole ne parle pas de ce qui nous attend après la mort, mais de la vie, ici et maintenant.

Après le premier tiers du récit, se déroule l’échange entre l’homme riche et Abraham. Lazare ne prend jamais la parole, il est passif et seulement le sujet du dialogue. Il y a une progression dans l’attitude de l’homme riche. Dans sa première demande il ne pense qu’à lui, à se rafraîchir. Il est confronté à lui-même, et aussi à son impuissance : Il y a d’ailleurs un jeu de mots dans le texte grec, quand celui qui demande d’avoir pitié de lui (en grec pitié se dit eleos) celui-ci ne semble jamais avoir donné l’aumône à Lazare (en grec l’aumône se dit ele?mosyn?). Avoir pitié se dit eleison en grec. C’est l’expression que nous trouvons dans le Kýrie eléison, qui se traduit : Seigneur, aie pitié.

Autre détail du texte, quand les chiens s’approchent de Lazare, cela signifie dans les catégories de l’époque qu’il devient impur et qu’un bon pharisien se retient de l’approcher. Car les chiens n’étaient pas les animaux de compagnie que nous imaginons aujourd’hui. Mais plutôt des bêtes sauvages.

Dernier détail, le fait que le nom d’Abraham soit cité pas moins de sept fois a aussi une signification. En dehors d’être le grand patriarche qui inaugure l’histoire du peuple d’Israël, Abraham est exemplaire par son sens de l’accueil et son hospitalité. Genèse 18 raconte, en effet, comment Abraham donne l’hospitalité à trois mystérieux étrangers, comment il laisse choisir son neveu Loth la terre qu’il a en préférence (Genèse ch 13). La vraie leçon de notre parabole est mise dans sa bouche : Moïse et les prophètes suffisent à avertir les vivants. Il suffit d’écouter, la foi ne peut être placée ou fondé par la crainte de l’avenir mais sur l’Amour de l’autre au présent. Le thème de l’écoute est très important dans l’Évangile de Luc. L’écoute entraîne la foi ou il précède la foi et la repentance. Et plus particulièrement dans les Actes des Apôtres l’écoute est valorisée comme une réponse à Dieu (Actes 15, 7-11). Il y a des exemples ou l’écoute s’oppose aux possessions (Luc 5 :11, 28). Dans ce sens la repentance consisterait à prendre l’injustice au sérieux, celle qui sépare l’homme riche et Lazare.

L’injustice est flagrante et c’est peut-être aussi ici ce que la parabole nous enseigne que : « personne ne va revenir des morts pour nous avertir ». Ce dernier privilège que l’homme riche demande à Abraham lui est donc refusé. Le message est que la foi ouvre sur la repentance et sur la grâce que cette démarche doit avoir lieu durant notre vie mais que cela ouvre aussi sur le fait que cette ouverture sur la conscience fait que nous devons changer certaines choses et rendre le monde plus juste. L’altruisme est dans nos moyens. Les frères dont parle Abraham c’est nous. C’est nous qui devons tirer une leçon du récit, d’abord sur le partage des biens matériels et ensuite sur le rapport entre les Écritures et nos existences. À nous d’être des témoins de l’Évangile, c’est notre rôle en tant qu’assemblée de chrétiens, ce qui est la signification du mot église.

L’Évangile de Luc fut probablement écrit une ou deux générations après la vie de Jésus. À un moment où ceux qui attendaient que le Messie renverse le pouvoir romain étaient déçus. Ce qui n’empêchait pas de plus en plus de chrétiens de sentir un renversement et un retour du Seigneur en puissance et gloire dans leur vie. La parousie veut dire la présence. Et attendre la parousie du Christ veut dire attendre sa présence, or selon ses propres dires sa présence n’implique pas sa présence physique (Matthieu, chapitre 28, versets 16 à 20 ) : « Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

Les communautés chrétiennes se développaient rapidement, ne cessaient de franchir des frontières. Ces communautés assuraient des cultes, l’hébergement des missionnaires, l’accueil des pauvres et les repas partagés. Luc est souvent appelé le premier historien du christianisme. Il est le seul à avoir écrit une suite à l’Évangile dans les Actes des Apôtres, où le sujet est justement la naissance et croissance de l’assemblée des chrétiens dans l’Esprit Saint. Il fallait bien s’inscrire dans la durée. Une coexistence de peuples et de croyances devenait indispensable. Des questions très concrètes se pressaient à l’époque, comme : quelle étendue de textes bibliques il fallait lire au culte, et comment financer la mission et l’accueil des gens de diverses strates de la société.

Voilà pourquoi Luc se préoccupe des questions éthiques. La parabole est un avertissement à ne pas se tromper de combat. Ce n’est pas un exposé théologique sur le salut ni sur l’enfer comme certains l’ont prêché. Comment les frères de l’homme riche peuvent-ils se laisser convaincre sans miracle ? Cette question nous concerne aussi. Comment pouvons-nous dans ce monde trouver un réconfort ou une libération ? La parabole ne s’apitoie pas sur Lazare, qui n’est pas mis en avant comme une victime. Son nom veut dire « Dieu aide » et le personnage est compris comme don de Dieu. Ainsi dans ce récit l’homme riche durant sa vie n’accorde aucune importance à Lazare c’est-à-dire, à l’aide ou au don de Dieu.

L’Évangile de Luc transmet trois récits qui dénoncent la cupidité et le sens qu’a la possession pour le sort des hommes. Ce sont des récits qui marchent par leur exemple :

Le premier et le plus connu est celui du bon Samaritain (Luc 10, 29-36), ensuite il y a la parabole du riche déraisonnable (Luc 12, 16-21) qui met tous ses biens en réserve pour pouvoir se reposer, manger, boire et faire la fête, mais il n’est pas riche pour Dieu, et il meurt soudainement sans avoir su partager. Le troisième récit est la parabole sur laquelle nous méditons aujourd’hui. Ces trois exemples mettent en contraste la possession et le don sous le thème suivant :

Ce que tu donnes t’appartient, ce que tu gardes pour toi est perdu à jamais.

Les personnes qui précèdent le bon Samaritain sur le chemin se prennent pour supérieurs et trop importants pour aider l’homme blessé. Le Samaritain au contraire donne sans compter, et ce qu’il donne lui appartient – il devient la générosité incarnée. On ne peut pas lui arracher son don.

Le riche déraisonnable garde et jouit seul de ses récoltes, mais gâte sa santé et sa vie. L’occasion de partager est perdue à jamais.

Le moment manqué par le riche est celui où il aurait pu aider Lazare à se relever (comme le fait le bon Samaritain). N’avoir jamais donné une attention particulière à Lazare et cette occasion est perdu à jamais. Plus rien ne lui appartient, même pas l’autorité pour envoyer quelqu’un prévenir ses frères.

 

Un deuxième enjeu se reflète dans cette parabole : guider les chrétiens dans leur approche des Écritures. Comment éviter de se comporter comme un pharisien trop rigide dans le conformisme de ses lectures ? L’homme riche échoue à lire les Écritures à la lumière de son existence. Il a manqué une cible essentielle dans sa vie, la compassion et le soin du plus fragile. Il est passé au-dessus du malheur, mais il est aussi passé à côté d’un sens plus profond de la vie.

Qui ose dire aujourd’hui que la cupidité est un vice ?

Le rapport 2018 d’Oxfam fourmille d’informations chocs et sidérantes, notamment la vitesse effrénée à laquelle les milliardaires sortent de terre : il en a poussé 1 tous les 2 jours ces 12 derniers mois, alors que 50 % de la population mondiale n’a pas bénéficié de la moindre augmentation de richesse. Les 182 milliardaires apparus cette année-là rejoignent le club très fermé des 1 % les plus aisés de la planète, bénéficiaires de 82 % de la richesse globale générée en 2017.

« La concentration d’une extrême richesse au sommet n’est pas le signe d’une économie stimulée, mais le symptôme d’un système qui profite de millions de travailleurs payés une misère à faire pousser notre nourriture et fabriquer nos vêtements. » 

La fortune des milliardaires s’est en moyenne accrue de 13 % par an entre 2006 et 2015. Une jolie cagnotte de 762 milliards de dollars qui, à elle seule, aurait permis d’éradiquer 7 fois l’extrême pauvreté qui ronge l’humanité. Choquant ? En 2009, alors que le monde sombrait dans la tourmente financière, 380 personnes détenaient autant que la moitié la plus pauvre du globe. Six années de crise économique plus tard, ils étaient 61. Choquant ? Sur les 2 043 milliardaires répartis aux quatre coins du globe, seuls 10 % sont des femmes. Choquant ?

MARK GOLDRING, OXFAM GRANDE-BRETAGNE

 

Derrière la polémique de notre parabole il y a une autre leçon, qui voudrait répondre à une question existentielle. La réponse d’Abraham est négative : si les frères ne savent pas changer de comportement par la parole de Dieu qui leur est donnée dans les Écritures, ils ne sauront jamais. Nous cherchons pourtant une réponse positive, que la vie bonne soit possible dans nos existences, nos relations, nos institutions. Avant la parabole, Jésus explique (dans Luc 16 :16) le rapport entre les Écritures et le royaume de Dieu : « Jusqu’à Jean, c’était la Loi et les Prophètes ; depuis, le royaume de Dieu est annoncé comme une bonne nouvelle, et chacun use de violence pour y entrer. » La vraie leçon est celle comprise trop tard par l’homme riche, que ses frères ont déjà accès à une résurrection dans leurs vies. Que simplement en écoutant bien, ils peuvent participer au royaume de Dieu.

L’enjeu est de convaincre que « Moïse et les prophètes » sont l’héritage essentiel, pas du tout dépassé. Rappelons-nous que c’est une appellation de l’époque pour nommer ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament. Ces livres que les juifs appellent leur Bible. Mais l’homme riche n’a pas su le lire, et surtout n’a pas su l’entendre. Comment alors se mettre à une bonne écoute ? La clé de lecture, il faut la chercher ensemble. Le Christ n’a cessé d’offrir cette clé. Il n’y a pas tellement d’excuses quand des hommes des femmes et des enfants comme Lazare sont devant notre porte. Si notre cœur reste dur et si nous n’écoutons pas les deux commandements fondamentaux : d’aimer Dieu de tout son cœur et d’aimer son prochain comme soi-même.

Un rappel sur le chemin d’Emmaüs, voilà qu’ici le Christ explique comment lire les Écritures. Ce n’est qu’en marchant, en progressant sur le chemin de la vie, le chemin des pertes et des désillusions. Il ne suffit pas de les lire justement seul dans son coin. Il est bon de se mettre en marche à deux ou plusieurs, discerner dans le texte un changement possible. Que le plus puissant se mette au service du plus faible. Alors que dans notre parabole le plus puissant, celui à qui la vie a toujours souri, s’est laissé admirer, peut-être même idolâtrer. Il a séduit par sa réussite et s’est laissé approcher un peu comme un demi-dieu. Nous trouvons un avertissement à ce genre de situation dans Ésaïe 42 dans les chants du serviteur, et une réponse à la question : comment servir Dieu ?

L’Ancien Testament évoque souvent l’accueil des étrangers, et le soutient de l’orphelin et de la veuve, c’est qu’il y a une longue tradition qui appelle à changer de cœur. Le psaume 146 met en garde « Ne vous confiez pas aux nobles, A un être humain, à qui n’appartient pas le salut. Son souffle s’en va, il retourne à sa poussière, Et ce même jour ses intentions périssent. Heureux celui qui a pour secours le Dieu de Jacob. Qui met son espoir en l’Éternel, son Dieu. » Les frères de l’homme riche n’ont pas compris que les Écritures indiquent comment servir Dieu. Notre réponse est dans l’écoute, l’obéissance et la confiance. L’inattendu ou la provocation dans la parabole est l’idée que Moïse et les prophètes ne peuvent remplacer notre obéissance (voire notre écoute) et notre amour du prochain. Nous sommes encouragés à répondre à l’appel de Dieu. Avant notre parabole Jésus critique les pharisiens d’être amis de l’argent, d’être hypocrites. Ils se font passer pour justes devant les gens, mais derrière cette façade se cache la qualité de leur cœur que seulement Dieu connaît.

La parabole encourage à écouter, vraiment les Écritures, c’est-à-dire, lire le texte et le faire travailler en nous. L’interroger aussi et proposer des interprétations. Il peut y avoir des conflits d’interprétation, mais nous ne pouvons pas nous en passer, il faut passer par différentes lectures, et suivre celui qui nous met en mouvement et permet de changer de cœur. Comprendre et interpréter un texte va de pair. Et peut-être que le changement (voire la conversion) se produit pendant nos lectures. Un changement de comportement n’est pas ponctuel, mais plutôt un chemin à poursuivre. Ce qui rappelle encore une fois les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs. Ils marchent avec le Christ ressuscité à leur côté et ne s’en aperçoivent qu’une fois que leur cœur est touché par ses lectures et interprétations des Écritures, et quand enfin il rompt le pain à l’heure du repas à leur arrivée. C’est dans les Écritures que Dieu est nommé et que se trouve la clé de la connaissance du salut de l’humain.

Ce qui nous rapproche c’est que nous sommes à la place des frères de l’homme riche. Il ne s’agit pas de nier tout le mal qui est évoqué au sujet de Lazare, la misère, la pauvreté, la négligence et la maladie. Cela doit au contraire nous encourager à agir. Nous avons en main les données du problème et nous pouvons participer au royaume de Dieu ici et maintenant. L’enseignement serait que la loi est seulement réalisée quand nous assumons d’être le prochain de celui que nous croisons sur notre chemin. Cette parabole parle de l’entraide et de l’enseignement de l’Évangile à la lumière des Écritures. Elle rappelle aussi une dimension spirituelle : Mettons-nous à l’écoute.

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