Étude sur Malachie

Quels sont les thèmes majeurs de Malachie 3,22-24 ?

 

Étude sur Malachie

Puisque selon les auteurs des évangiles le Messie répond à la prophétie de Malachie au sujet de l'envoi d'Élie et que cet envoi devait précéder la venue de Yahvé « du Jour de Yahvé » prophétie qui repose essentiellement sur les trois derniers versets de ce livret, une étude de cette finale de Malachie m'a semblé plus que nécessaire avant d'aborder ce qui ouvre le ministère de Jésus et mieux comprendre la signification de cette rencontre entre Jean Baptiste et Jésus.

Quels sont les thèmes majeurs de Malachie 3,22-24 ?

Critique textuelle :

Dans la Septante, la fin de Malachie, (les versets : 19 à 24 du chapitre 3 dans nos bibles traditionnelles), forme un quatrième chapitre de six versets. Ainsi, les trois versets qui terminent le livre de Malachie correspondent à Mal 4,4-6 dans la Septante. Outre cette différence de numérotation, des divergences de fond éloignent l’un de l’autre la Septante et le texte Massorétique.

Le texte massorétique rappelons-le : est le texte biblique hébreu produit par les érudits juifs de l'Antiquité et du haut Moyen Âge appelés massorètes. À la fin du premier siècle av. J.-C., un texte dit « proto massorétique » est fixé. Dès le début de l'ère chrétienne, il sert de base à de nombreuses traductions. Les massorètes sont donc les transmetteurs de la Massorah, la tradition de transmission fidèle de la forme textuelle de la Bible hébraïque, ainsi que de ses nuances de prononciation et de vocalisation, alors que les idiomes dans lesquels elle est rédigée sont langues mortes depuis longtemps....

Il était courant de considérer jusqu'au XXe siècle le texte massorétique comme la tradition pharisienne elle-même, c'est-à-dire une copie de bonne qualité des écritures considérées comme Textus receptus par les Juifs, qu'elles aient été reçues sur le mont Sinaï comme le voulaient ceux-ci, ou composées à partir de plusieurs sources indépendantes, selon la critique biblique. Mais la découverte des manuscrits de Qumrân a considérablement modifié cette perception. En effet les manuscrits datent pour l'essentiel du second siècle av. J.-C. jusqu'au milieu du premier siècle apr. J.-C.. Quelques-uns, dont des textes bibliques, sont plus anciens et datent du troisième siècle av. J.-C. L'analyse des manuscrits de Qumrâm, aussi appelées manuscrits de la Mer Morte, montre que les textes de cette période ne présentent pas la scrupuleuse uniformité textuelle qui fut exigée aux siècles suivants. D'une part, les rouleaux montrent des variantes orthographiques mineures, tant par rapport aux textes massorétiques ultérieurs qu'entre eux-mêmes. D'autre part, on découvre des versions hébraïques de variantes entre le texte massorétique et la Septante, qui étaient auparavant considérées comme des amplifications et déviations textuelles lors de la traduction de la Bible en grec. Les chercheurs en concluent à l'existence d'un ou de plusieurs textes prémassorétiques. Cependant il est évident, -- d'après les notes de correction et les variantes alternatives -- que les scribes esséniens se permettaient de choisir librement la version qu'ils jugeaient la meilleure parmi les diverses lectures.

Les différences :
1. L’ordre des versets n’est pas identique : dans la Septante, le verset concernant la Torah de Moïse est placé après ceux qui annoncent le retour d’Élie ; il clôture donc le livret et les Douze petits prophètes.

Ils sont appelés ainsi, non parce qu'ils ont moins d'autorité que les grands prophètes, mais à cause de la taille du livre. Les livres des grands prophètes étant plus longs que ceux des petits prophètes.

À l'exception du Livre de Joël, dont les exégètes font remonter la rédaction à une période comprise entre les Ve et IIIe siècles, av. J.-C., les livres des petits prophètes relatent les faits de leur temps. Les prophètes y décrivent l'histoire du peuple d'Israël, qui tantôt se détourne de Dieu, tantôt s'en rapproche. La transgression des lois divines et la défaillance des souverains entraînent des colères de la part de Dieu et ces colères engendrent des châtiments prenant la forme de catastrophes naturelles ou de déroutes militaires. On est donc bien en présence d’un dieu vengeur et jaloux. À l'inverse, les prophètes y décrivent les événements au cours desquels ce dieu choisit de protéger le peuple élu en lui accordant des victoires contre ses ennemis. Donc rien de plus classique. Bien que les petits prophètes relatent les faits de leur temps, il est concevable que leurs descriptions s'appliquent également à l'avenir d'une façon plus large, la nation d'Israël devenant alors un symbole, c'est le cas de beaucoup de prophéties de la Bible. Les petits prophètes ont donc tendance à adopter plus une forme apocalyptique.


2. Le verset qui annonce la venue d’Élie commence dans le texte grec par καὶ ἰδοὺ (kai idou) (voici que) pour rendre l’hébreu הִנֵּה ( hiné ) (voilà, voici) : la Septante a donc ajouté une conjonction (que). En outre, cette version grecque parle d’« Élie le Teshbite » : καὶ ἰδοὺ ἐγὼ ἀποστέλλω ὑμι̃ν Ηλιαν τὸν Θεσβίτην (kai idou egố apóstéllō hūmîn Héliav to Tesbitiiv) là où le Texte Massorétique parle d’« Élie le prophète » אֵלִיָּה הַנָּבִיא :

הִנֵּה אָנֹכִי שֹׁלֵחַ לָכֶם, אֵת אֵלִיָּה הַנָּבִיא

(hiné anoxi cholèakh lachém att Elia navi)
3. נוֹרָא (norá) (terrible, impressionnant) est rendu en grec par ἐπιφανη̃ (épiphanie) (apparaître) du point de vue étymologique, on passe du verbe : ירא (yaré) (avoir peur, craindre, frémir) à ראה (ra'á ) (voir, être vu, apparaître).

4. La mission d’Élie est énoncée dans une proposition relative, là où le Texte Massorétique emploie une proposition indépendante. Mais, c’est la différence de fond qui frappe le plus : dans la Bible d’Alexandrie, Élie est présenté comme suit : « celui qui retournera le cœur du père vers le fils et le cœur de l’homme vers son prochain ». Alors que, d’après le Texte Massorétique, Élie « fera revenir le cœur des pères aux fils et le cœur des fils vers les pères ».

5. ἄρδην (árdên) = (entièrement, totalement) est une atténuation du חֵרֶם (kèrèm) boycottage, exclusion, (que la Septante rend habituellement par le terme ἀνἀθεμα. anáthema, en français anathème signifiant « une offrande » ou « quelque chose de dédier », lui-même dérivé du verbe ἀνατίθημι, anatíthēmi, signifiant « offrir ». Dans l'Ancien Testament, il se référait à la fois aux objets consacrés à l'usage divin et à ceux dédiés à la destruction au nom du Seigneur, tels que les ennemis et leurs armes pendant les guerres de Josué par exemple. Puisque les armes de l'ennemi étaient considérées comme profanes, le sens devenait « tout ce qui était voué au mal » ou « une malédiction ».

Qui, du Texte Massorétique ou de la septante, peut prétendre être le témoin le plus proche de l’original ? La réponse à cette question nécessite de considérer les différents témoins textuels du livret de Malachie.

Considérations générales sur le texte de Malachie

En fait, il y a derrière tout cela un évident problème d’étymologie, ראה (ra'á ) (voir) au lieu de ירא ( yaré ) (craindre). Le texte de la Septante soulève aussi un problème théologique : Dieu peut-il être vu ? Dieu peut-il être dit έπιφανής (épiphanie) ? (« manifestation » ou « apparition » du verbe φαίνω (phaínō), « se manifester, apparaître, être évident ».) Selon une tradition, nul ne peut voir Dieu sans mourir. Pourtant et malgré cette croyance bien implantée chez les Juifs, Philippe demande à Jésus (Jean 14,8) : " Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit". La réponse de Jésus : " Celui qui m'a vu a vu le Père ". Jésus affirme donc être l'image du Père, en cela sa réponse correspond plus à (NB 14,14) où : Dieu et son peuple se voient :"Les nations de cette terre ont déjà même appris que vous êtes le Seigneur de ce peuple, que vous vous êtes montré à découvert à leurs yeux, " ; cette conception apparaît aussi chez les Deutéronomistes (Dt 5,24). :"Vous dites : Voilà que le Seigneur notre Dieu nous a montré sa gloire, et nous avons entendu sa voix du milieu du feu ; nous savons aujourd'hui que le Seigneur Dieu peut parler à un homme, et celui-ci vivre encore."

En fait, le traducteur des Douze petits prophètes joue sur la proximité entre ראה (ra'à) (voir) et ירא (yaré) (craindre) ; il choisit à bon escient έπιφανής (épiphanie) dans le sens du grec : quelqu’un se manifeste de façon soudaine, « éclatante », parfois pour secourir, souvent pour provoquer l’effroi, comme c’est le cas pour l’arrivée des envahisseurs puissants en Ha 1,6, comme celle du Jour de Yahvé. Le traducteur grec des Douze petits prophètes penche vers l’idée que voir Dieu signifie l’avènement de son Jour, et ne peut que correspondre à la mort et au jugement puisque selon la tradition Gn 32,31, Ex 19,21 ; 24,11 ; 33,20 ; NB 4,20 et la rédaction deutéronomiste (Jg 6,22-23 ; 13,22), nul ne peut voir Dieu sans mourir. Une interprétation théologique de נוֹרָא (norá) (terrible, affreux, impressionnant) semble donc être à l’origine de la leçon suggérée par la Septante. Mais, si nous comprenons bien, il semble que la Septante veut éliminer de la fin de Malachie et des Douze petits prophètes, toute menace formulée en termes tranchés. Pour preuve, le mot חֵרֶם (khèrèm) (anathème, boycottage, exclusion, interdit) n’est pas rendu littéralement, et le V. 24 n’occupe plus la fin du corpus.

La mission du nouvel Élie.

La mission du nouvel Élie a été interprétée déjà par la Bible elle-même. Les différentes relectures de notre passage sont d’une importance réelle parce qu’elles peuvent indiquer le texte que les responsables de ces relectures ont eu sous leurs yeux. Voici comment est présentée la mission du nouvel Élie par le texte de Malachie et ses principales versions anciennes mission qui je le rappelle devait être censément celle de Jean Baptiste selon la tradition chrétienne puisque celle-ci fait dire à Jésus lui-même (Matthieu 11) :

" 13 Car tous les prophètes et la loi ont prophétisé jusqu'à Jean ; 14 et, si vous voulez le comprendre, c'est lui qui est l'Élie qui devait venir."

Qu’elle était la mission de ce prophète :

Selon la Septante :

ὃς ἀποκαταστήσει καρδίαν πατρὸς πρὸς υἱὸν καὶ καρδίαν ἀνθρώπου πρὸς τὸν πλησίον αὐτου̃ μὴ ἔλθω καὶ πατάξω τὴν γη̃ν ἄρδην

Il rétablira les liens d'amour, le cœur du père pour le fils et le cœur de l'homme pour son prochain, et je ne viendrai pas frapper la terre fondamentalement.

Selon le Texte Massorétique :

והשיב לב אבות על בנים ולב בנים על אבותם

Et il rendit les cœurs des pères aux enfants, et le cœur des enfants à leurs pères.

Reconnaissons qu'il est difficile de voir ici l'œuvre de Jean Baptiste tel qu'elle nous est connue au travers les Évangiles dans cette mission ! Pour ce qui est de la Septante, elle correspond plus au ministère de Jésus.

Mais reconnaissons aussi que la formule du Texte Massorétique est énigmatique, et qu'il n'y a aucune menace de frapper la terre ; mais la réciprocité qu’elle envisage entre les pères et les fils est bien peu claire. C’est probablement pour cette raison que les autres témoins adoptent d’autres formulations. D’ailleurs, il y a de nombreuses manières dont ce texte a été relu ; dans la Bible, nous retenons :

Marc 9, 12 : Ἡλίίας μὲν ἐλθὼν πρῶτον ἀποκαθιστάάνει πάάντα

Elian dei elthein pröton apokatastësei panta

Il convient à Élie de venir en premier et restaurera toutes choses.

Matthieu 17, 11 : ὁ δὲ ἀποκριθεὶς εἶπεν Ἡλίίας μὲν ἔρχεται καὶ ἀποκαταστήσει πάντα

Ho de apokritheis eipen Elias men erchetaï kai apokatastësei panta

Et répondant, il a dit, Élie vient en effet et restaurera toutes choses

Luc 1, 17 : ἐπιστρέψαι καρδίας πατέρων ἐπὶ τέκνα καὶ ἀπειθεῖς ἐν φρονήσει δικαίων

Epistrepasai kardias paterön épi tekna kai apeitheis en phonësei dikaiön

Tourner les cœurs des pères à (les) enfants, et (le) désobéissant à la sagesse des justes.

Tandis que le Texte Massorétique souligne la réciprocité entre pères et fils, la Septante n’envisage qu’un mouvement à sens unique allant du père vers le fils ; en plus, il n’est plus question que de père et fils au singulier. Et puis, il y a une généralisation de la réciprocité, car désormais chacun a affaire avec son prochain. Le sens est déjà plus clair.

Dans son éloge des Pères (chap. 44-50), Ben Sira (érudit juif du II siècle avant notre ère, vers -180, il écrivit un des livres poétiques de l'Ancien Testament, le Siracide, appelé aussi Ecclésiastique) consacre au prophète Élie une notice de 11 versets : Si 48,1-11. L’auteur écrit vers l’an 200 av. J.-C. Dans son texte, le v. 10 nous intéressent au plus haut point, car il s’agit clairement d’une relecture de la finale de Malachie. (Livre de Ben Sira le Sage) Ch 48 :

" 10 toi qui fus préparé pour la fin des temps, ainsi qu’il est écrit, afin d’apaiser la colère avant qu’elle n’éclate, afin de ramener le cœur des pères vers les fils et de rétablir les tribus de Jacob…"

Pour Ben Sira, la mission fondamentale du nouvel Élie sera d’apaiser la colère avant la fureur. Deux autres tâches lui sont assignées ; la première est ainsi libellée : Il ramènera le cœur du père vers le fils et il rétablira les tribus de Jacob.

Dans le manuscrit hébreu de Siracide, conservé dans la Geniza du Caire, on a : "pour ramener le cœur des pères vers les fils et restaurer les tribus d’Israël". Dans ce texte, deux différences mineures sont à signaler par rapport au Texte Massorétique.

1) Le Siracide parle, au singulier, du père et du fils ; par là, il suit la septante (Mal 4,5) et non le texte hébreu qui emploie ces mots au pluriel. On voit comment a pu évoluer l’énoncé de la mission d’Élie : le Texte Massorétique soulignait la réciprocité des pères et des fils dans la tâche de rapprochement assignée au prophète du Jour de Yahvé ; dans la septante, il n’est plus question d’une conversion des fils ; de même Ben Sira ne parle que de la conversion du père, qui apparaît dans un meilleur relief. Ben Sira lisait donc un texte plutôt proche de la tradition conservée dans la septante.

2) Et puis, dans le texte hébreu de Si 48,10, : il est question des tribus de d’Israël : il est donc proche du Siracide grec qui parle des tribus de Jacob. La formule vient du second poème du Serviteur, et plus précisément d’Is 49,6, " Et il dit : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël, " et elle exprime une idée manifestement additionnelle par rapport aux textes hébreu et grec de Malachie. Le Siracide aurait réécrit en harmonisant la mission du nouvel Élie avec celle du Serviteur de Yahvé du prophète Isaïe. Il y a manifestement une volonté d’expliciter la formule jugée trop obscure du Texte Massorétique de Mal 3,23 dans le sens d'une restauration d'Israël et du peuple Juifs. (C’est ce qu’attendaient les Juifs au temps de Jésus de la par du Messie suivant ainsi le texte de Siracide)

כג הִנֵּה אָנֹכִי שֹׁלֵחַ לָכֶם, אֵת אֵלִיָּה

הַנָּבִיא--לִפְנֵי, בּוֹא יוֹם יְהוָה,הַגָּדוֹל, וְהַנּוֹרָא.

23 Voici, je vous envoie le prophète Élie avant la venue du grand et terrible jour de Yahvé.

La volonté d’être plus explicite est trahie jusque dans la manière dont Ben Sira rend le verbe שׁוב (chouv) (retour). Il emploie έπιστρέψαι (epistrepsai) infinitif aoriste actif du verbe έπιστρέφειν (epistrephó) (tourner, convertir, repentir) - au lieu de άποκαταστήσετ (apokatastísete) (restaurer), indicatif futur actif du verbe άποκαθιστήμι (ápokathistími) (rapatriement), employé par la Septante. Par là, le Siracide donne l’impression de s’éloigner de la Septante pour se rapprocher du Texte Massorétique. Pourtant, à voir de plus près, on constate que là où l’hébreu n’utilise que שׁוב, (chouv) (retour) la Septante et les autres témoins, y compris le Siracide, emploient deux verbes : έπιστρέφειν (epistrephó) (tourner, convertir, repentir) et (άπο)καθιστήμι (ápokathistími) (rapatriement).

Il y a donc ici en image le rapatriement ou le retour des âmes à Dieu comme il y eut le rapatriement ou le retour des Juifs en terre d’Israël après l’exil.
Parmi les textes du Nouveau Testament, celui de Luc est le plus proche de Malachie. Cependant, il ne cite pas directement Mal 4,5 (= Mal 3,24 Texte Massorétique), mais le texte de Siracide 48,10.

Marc et Matthieu emploient άποκαθιστήμΐ (ápokathistími) dans le sens de réhabilitation, à la suite de la Septante, tandis que Siracide 48,10 utilise καθιστήμι (kahistêmi) (établir, rétablir) mot composé de κατά, katá (« contre, en bas ») et de ἵστημι, (hístêmi) (« placer ») s’éloignant déjà un peu de la Septante. Notons que l’objet des verbes n’est plus le même : dans la Septante, il était question de restaurer le cœur du père vers le fils et l’homme vers son prochain ; le Siracide précise le cadre d’action d’Élie et le sens concret de sa mission : il devra rétablir les tribus de Jacob. Dans le Nouveau Testament, en particulier chez Marc et Matthieu, on envisage un horizon universel mais aussi plus vague : Élie rétablira tout. Ces relectures sont donc venues rendre de plus en plus significatif la formule juger obscure du Texte Massorétique, mais n’ont-ils pas fini dans un sens par travestir le rôle d'Élie, et en cela la perception que l'on doit avoir du rôle du « successeur d’Élie » Élisée ?

De notre critique textuelle, retenons l’essentiel :

Dans la Septante, on trouve un souci évidant, d’éviter que le texte ne se termine par une menace, cela explique l’ordre des versets et que נוֹרָא (nora) (terrible, affreux, impressionnant) soit rendu par ἐπιφανη̃ (épiphanie) (apparaître, faire voir) pour traduire et expliquer le caractère à la fois éclatant et terrible du Jour de Yahvé. Quant à la mission du nouvel Élie, elle gagne en clarté à mesure que les relectures se succèdent : la formule du Texte Massorétique est obscure et peut-être interprété de diverses façons ; la Septante est plus claire lorsqu’elle envisage une réconciliation tant familiale que générale mais elle nous éloigne de la perception évangélique du rôle du Baptiste nouvel Élie pour nous rapprocher du ministère de Jésus. À son tour, pour expliciter la mission du nouvel Élie, le Siracide quant à lui fait appel à la mission du Serviteur deutéro-isaien, rapprochant plus du Baptiste par le rôle de la repentance en vue de la restauration de la souveraineté d'Israël. Enfin, le Nouveau Testament élargit le cadre de cette mission vers un horizon universel puisque Élie viendra tout restaurer. Par ailleurs, à la place du seul verbe נוֹרָא (nora)(terrible) du Texte Massorétique, il y en aura deux, voire trois dans la septante : la conversion envisagée se traduit en des notions plus concrètes. Le principe de la lectio difficilior nous pousse à penser que le Texte Massorétiques de la finale de Malachie garde une meilleure chance d’être primitive. C’est pourquoi, le texte que nous allons étudier est tel que nous le trouvons dans la BHS (Biblia Hebraica Stuttgartensia) qui est une édition du texte massorétique de la Bible hébraïque tel qu'il est préservé dans le Codex de Léningrad, augmenté de notes massorétiques. Il est publié par la société biblique allemande à Stuttgart.

כב זִכְרוּ, תּוֹרַת מֹשֶׁה עַבְדִּי, אֲשֶׁר צִוִּיתִי אוֹתוֹ בְחֹרֵב עַל-כָּל-יִשְׂרָאֵל, חֻקִּים וּמִשְׁפָּטִים. 

22 Souvenez-vous de la Loi de Moïse, mon serviteur, à qui j'ai signifié, sur le Horeb, des statuts et des ordonnances pour tout Israël.

כג הִנֵּה אָנֹכִי שֹׁלֵחַ לָכֶם, אֵת אֵלִיָּה הַנָּבִיא--לִפְנֵי, בּוֹא יוֹם יְהוָה, הַגָּדוֹל, וְהַנּוֹרָא. 

23 Or, je vous enverrai Élie, le prophète, avant qu'arrive le jour de Yahvé, jour grand et redoutable!

כד וְהֵשִׁיב לֵב-אָבוֹת עַל-בָּנִים, וְלֵב בָּנִים עַל-אֲבוֹתָם--פֶּן-אָבוֹא, וְהִכֵּיתִי אֶת-הָאָרֶץ חֵרֶם. 

24 Lui ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, de peur que je n'intervienne et ne frappe ce pays d'anathème.

Notons que ce texte est très proche de la traduction de la Segond 21.

Pour la quasi-totalité des exégètes, les trois derniers versets (3, 22-24)(Massorétique) constituent une même section. Or, certaines études se sont penchées sur les derniers versets de Malachie et limitent l’objet de leurs analyses aux versets 23 et 24, laissant de côté le verset 22. Quel est alors le début de la finale de Malachie ? Faut-il tenir compte des deux appendices ou seulement du second ? En d’autres termes, a-t-on, en Mal 3,22-24, une même unité littéraire ? Pour répondre à ces questions, nous considérerons les données de la critique littéraire sur l’ensemble du livre et sur les trois versets de Mal 3,22-24.

Mal 3,22-24 dans le processus de la formation du livret.

L’opinion commune des exégètes situe la composition du livret de Malachie à la période perse (-538 à -330), vraisemblablement avant la réforme d’Esdras et de Néhémie.

1° Le peuple juif vit encore sous la domination perse, comme le laisse supposer la mention de פֶּחָה (pechah), en Mal 1,8, qui signifie « gouverneur » encore désigné par Néhémie (Ne 2,7.9 ; 3,7 ; 5,14.18 ; 12,26) et Aggée (1,1.14 ; 2,2.21).

2° Le temple, reconstruit, fonctionne selon le rituel du Lévitique (Mal 1,10 ; 3,1.10 ; cf. Esd. 6,10). Un certain laps de temps doit séparer l’époque de Malachie de celle de la reprise (en 515 av. J. C.), pour expliquer la lassitude et les abus des prêtres et des fidèles (Mal 1,7-10.14 ; 2,3 ; 3,6-12 ).

3° Nous sommes après Zorobabel, parce que le culte a déjà repris depuis un certain temps, mais pas encore au moment de la réforme d’Esdras et de Néhémie puisque Malachie a encore besoin d’adresser à la communauté des reproches de même nature que ceux formulés par Esdras et Néhémie, au sujet de la dîme (Mal 3,6-12 ; cf. Ne 10,33-40), les mariages mixtes (Mal 2,10-16 ; cf. Esd 9-10 ; Ne 13,1-3.23-27) et l’oppression des pauvres (Mal 3,5 ; cf. Ne 5,1-9). Quoique les avis soient partagés en ce qui concerne les dates des deux réformateurs et celle de Malachie par rapport à eux, la grande majorité des critiques situe la composition de Malachie à la moitié du cinquième siècle av. J.- C., avec 445 comme terminus ad quem, date probable de l’arrivée de Néhémie à Jérusalem.

Ce livret donne à certains l’impression de manquer de cohérence dans l’enchaînement des oracles. Œuvre anonyme, il s’agit d’une composition en plusieurs étapes. Certes, l’unité de vocabulaire et des procédés de composition n’est pas à mettre en doute ; mais il y a des passages qui paraissent ne pas être en cohérence avec leur contexte. Ils sont même habituellement considérés comme étant additionnels. D’après le degré de certitude décroissante du consensus critique, sont jugés comme secondaires les passages suivants :
1) L’épilogue du livret (3,22-24) : en effet il tranche avec le reste du livret par un style et un vocabulaire tout à fait deutéronomiques, un propos original et une structure qui ne suit pas du tout celle qu’on rencontre ailleurs.
2) La polémique concernant les mariages mixtes (2,11-12) a été souvent prise pour une incise dans un oracle consacré au divorce. Toutefois, une étude de structures basée sur l’observation des indices formels démontre le contraire.
3) Mal 1,11 parle du culte des nations ; ce verset paraît ajouté, en raison de la tension créée entre son universalisme et le reste du livret où il ne s’agit que du culte du Temple.
4) Des additions ou des retouches ont été repérées en plusieurs endroits : Mal 1,1 ; 3,1.3-4, et surtout 3,15.

Pour expliquer de telles divergences, on a suggéré de voir en ce livret le fruit d’une compilation des rédactions soit d’un seul auteur, soit de plusieurs rédacteurs. Cette dernière position est celle qui prévaut aujourd’hui. A en croire E. Bosshard et R. G. Kratz, (« Maleachi im Zwölfprophetenbuch », in BN 52 (1990), pp. 27-46 ; cf. J. NOGALSKI, "Redactional Processes", p. 182, note 1.) la composition du livre de Malachie serait le produit de trois rédactions successives. L’écrit de base (Grundschrift ou Mal I), composé pour faire suite à Za 1-8, aurait été composé de Mal 1,2-13 ; 1,14b-2,9 ; 2,13-16 et 3,6-12. Une seconde édition (Mal II), aurait ajouté les textes de Mal 2,17-3,5 et 3,13-21. L’ensemble ainsi obtenu aurait servi de conclusion au livre des Douze petits prophètes. La dernière édition (Mal III) aurait apporté plusieurs petites insertions qu’on identifie à Mal 1,1.14a ; 2,10-12 ; 3,22-24. Le dernier rédacteur aurait placé le livre des Douze petits prophètes dans le cadre canonique des nebî’îm. D’après O. H. Steck, Mal I date de l’époque perse, Mal II de la fin de l’époque grecque, entre : -311 et -302 (301 ?), et Mal III serait à situer entre -220 et -201 ou entre -198 et -190 av. J.-C. D’après cette reconstitution, la finale de Malachie daterait d’une époque plus tardive par rapport aux oracles du livret.

En tout cas, l’histoire de la formation du livret nous apprend que les trois derniers versets de ce livre proviennent d’une strate de composition qui est postérieure à l’essentiel des oracles attribués au prophète anonyme auquel la tradition a donné le nom de Malachie. Du point de vue de la forme littéraire, la finale de Malachie est tout à fait différente du reste du livret.

En somme, l’étude du genre littéraire de Malachie permet de distinguer dans le livret de Malachie une série d’oracles qui sont composés sous forme de controverses. Mais en dehors de ces dernières, il y a l’intitulé du livret d’une part, et les trois versets de la fin d’autre part. Ce qui nous permet de considérer ces derniers comme un ensemble différent, qu’il nous faut à présent analyser.

Le vocabulaire et la cohésion littéraire de Mal 3,22-24.

Il est évident que les derniers versets de Malachie qui pour les deux derniers tout au moins, concerne la prophétie reliant le rôle joué par le nouvel Élie ne sont certes pas du même genre littéraire que le reste du livret, est-ce pour autant dire qu’ils forment une unité littéraire ? En tout cas, la question se pose. La réponse n’est possible qu’en analysant le texte.

Verset 22 :`

כב זִכְרוּ, תּוֹרַת מֹשֶׁה עַבְדִּי, אֲשֶׁר צִוִּיתִי אוֹתוֹ בְחֹרֵב עַל-כָּל-יִשְׂרָאֵל, חֻקִּים וּמִשְׁפָּטִים. 

22 : Souvenez-vous de la Loi de Moïse, mon serviteur, à qui j'ai signifié, sur le Horeb, des statuts et des ordonnances pour  tout Israël.

Mal 3,22 est composé de deux propositions, l’une principale et l’autre relative. La proposition principale s’ouvre par זִכְרוּ (zéjarü) impératif masculin pluriel du verbe זכר (zajar) « se rappeler, se souvenir de ». Le mode impératif exprime un ordre ; il s’emploie surtout pour une action immédiate. Celui qui donne l’ordre de « se souvenir » parle de Moïse comme étant son serviteur. C’est donc de Yahvé lui-même qu'il s'agit. Ceux qui sont invités à se souvenir sont les Israélites, avec lesquels Yahvé est en controverse dans tout le livret.

En général, Israël est appelé à se souvenir des merveilles dont il a bénéficié de la part de Yahvé à travers l’histoire (cf. Ps 105,5 ; Is 44,21 ; 46,8.9 ; etc.) ; à son tour, Israël ou l'orateur demande à son dieu de se souvenir de certaines réalités comme les promesses de son alliance (Ps 111,5), le bien réalisé par son serviteur (cf. Ne 5,19), les souffrances subies par David (Ps 132,1), et même les méfaits des impies en vue de leur jugement (Ps 74,22). Dans notre texte,  זִכְרוּ (zéjarü) a pour complément תּוֹרַת מֹשֶׁה עַבְדִּ (la Torah de Moïse mon serviteur). Dans une perspective semblable, on rencontre le verbe זכר (zajar) (souvenir) avec מִצְוֺת יְהוָה (mitzvot Yahvé) (commandements de Yahvé) (Nb 15,39), מִשְׁפָּטֶיךָ (swahili) (jugements) et פִקֻּדָיו (fikouda) (alliance) : (Ps 103,18). Dans ces différents textes où il est appliqué aux réalités de la Loi, זכר (zajar) (se rappeler) est parallèle au verbe עשׂה ('ăśâh) (faire, pratiquer) : (Nb 15,39 ; Ps 103,18). Telle est donc la perspective visée par l’exhortation de Mal 3,22 à se souvenir de la Loi. Celle-ci est désignée de diverses manières dans la Bible : « Loi de Yahvé » תּוֹרַח יִִהוָה Ex 13,9 ; Is 30,9 ; Am 2,4 ; Ps 19,8 ; etc.), « Loi du Seigneur Yahvé » תּוֹרַח יִִהוָה אֳלהֵיהֶם  (-2R 10,31 ; Ne 9,3), « Loi du dieu des armées » תּוֹרַח יִִהוָה צְבָאוֹח : (Is 5,24). Il y a aussi plusieurs endroits où il est question de la Loi de Moïse תּוֹרַח מֹשֶׁה : (Jos 23,6 ; 1R 2,3 ; 2R 14,6 ; 23,25), parfois attachée au titre de « serviteur » (עֶבֶד (évèd) comme en (Jos 8,31.32 ; Dn 9,11). Très proche de Mal 3,22 est aussi (Jos 1,13) : זָכוֹר, אֶת-הַדָּבָר, אֲשֶׁר צִוָּה אֶתְכֶם מֹשֶׁהלֵאמֹר "Rappelez-vous, la Parole, qui vous a commandé de le faire". À l’époque post-exilique, on rencontre l’expression « livre de la Loi de Moïse » (Ne 8,1 ; 9,3 ; 2Ch 17,9 ; 34,14). Cette formule fait-elle allusion à un processus de canonisation des Écritures, comme on l’a parfois suggéré ?

Retenons que Mal 3,22 est formulé dans un style parénétique, pareil à celui de Ne 8.

Une proposition relative définit la Loi de Moïse. Chez les prophètes, le nom de Moïse ne se rencontre qu’en Is 63,11-12 ; Jér 51,1 ; Mi 6,4 et Mal 3,22. Moïse est considéré comme serviteur עֶבֶד (évèd). (Si Jean Baptiste est le nouvel Élie, nous verrons dans un midrash de Jean que Jésus et le nouveau Moïse). Ce qui fait de Jésus le nouveau Moïse est une construction midrashique de même ce qui fait de Jean Baptiste le nouvel Élie doit être une construction midrashique pour passer d'un état à l'autre (ou d'un midrash à l'autre) il faut se souvenir de la Loi de Moïse cette dernière doit donc en être la clef. Dans les Douze petits prophètes, sont dits serviteurs de Yahvé les prophètes (Am 3,7 // Za 1,6), Zorobabel (Ag 2,23), et Moïse (Mal 3,22). L’association des mots נָבִיא + עֶבֶר + צוה + חֹק qu’on a dans la finale de Malachie se retrouve en Za 1,6. Le radical עבר (avad) (servir) est employé en Mal 1,6 ; 3,14.17 : d’après ces textes, les serviteurs de Dieu sont ceux qui le craignent et qui gardent ses commandements. Dieu les considère comme ses fils pour qui il a de la compassion au jour du jugement.

La proposition relative débute naturellement par le pronom אֲשֶׁר (achèr) (que, qui). Quand il faut déterminer son antécédent, les opinions se divisent en deux tendances. Pour certains, le pronom relatif rappelle אוֹתוֹ (akha) (lui) c’est-à-dire « Moïse mon serviteur... » ; d’autres, majoritaires, suivent la Vulgate où l’antécédent du pronom est « la Loi de Moïse ». Dans le premier cas, le texte est à rendre par la Loi de Moïse... (celui) à qui j’ai ordonné à lui à l’Horeb des lois et des coutumes ; dans l’autre cas, qui est l’opinion la plus courante, on traduit par « la loi... que j’ai ordonnée à lui à l’Horeb », des prescriptions et des sentences. Ces interprétations sont toutes les deux grammaticalement possibles. Pour départager ces deux opinions, il importe de considérer la suite du texte.

La loi de Moïse rappelée en Mal 3,22 est celle qui lui a été donnée à l’Horeb. Ce nom est employé par l’Elohiste et le Deutéronomiste, tandis que le Yahviste et le Sacerdotal parlent du Sinaï. Les deux noms ne sont pas employés dans les écrits prophétiques, hormis l’appendice de Mal 3,22. Avec douze occurrences de « Horeb » dans le Pentateuque, dont trois dans le livre d’Exode (Ex 3,1; 17,6; 33,6) et neuf dans le Deutéronome (1,2.6.19 ; 4,10.15 ; 5,2 ; 9,8 ; 18,16 ; 29,1), le caractère deutéronomiste de Mal 3,22 devient ainsi plus évidente. La finale de Malachie joue sur ce nom pour établir un rapport à deux niveaux : dans les faits, Horeb est le lieu de la rencontre entre la Torah de Moïse et tout Israël ; il est aussi et cela est important le lieu où Élie fera l’expérience de la rencontre avec Dieu (1R 19,5b-21 ; spécialement le v. 8) où Dieu lui demande : "que fais-tu ici Élie". De ce fait, au niveau littéraire, ce nom assure le lien entre le v. 22 qui parle de Moïse et le v. 23 où il est question d’Élie.

Le V. 22 constitue donc une unité littéraire bien construite. Son vocabulaire presque entièrement deutéronomiste. La mention du mont Horeb sert de lien entre les vv. 22 et  Verset :23 :

כג הִנֵּה אָנֹכִי שֹׁלֵחַ לָכֶם, אֵת אֵלִיָּה הַנָּבִיא--לִפְנֵי, בּוֹא יוֹם יְהוָה, הַגָּדוֹל, וְהַנּוֹרָא. 

23 Or, je vous enverrai Élie, le prophète, avant qu'arrive le jour de Yahvé, jour grand et redoutable !

En l’absence de tout lien grammatical entre les vv. 22 et 23, la mention de Horeb établit le pont. De ce v. 23, le premier membre annonce l’envoi d’Élie le prophète. La particule  הִנֵּה  (hiné) (voilà) introduit une proposition nominale, avec le pronom personnel אָנֹכִי (anoxi) (je) comme sujet et  שֹׁלֵחַ (chalakh) (envoyer expédier) servant de prédicat. Plus loin, nous reviendrons sur le parallélisme entre les deux annonces de Mal 3,1 et 3,23. Le pronom אָנֹכִי  (anoxi) (je) n’appartient pas au langage habituel des oracles de Malachie ; celui-ci préfère אֲנִי  (ani) (cf. 1,4.6.6.14 ; 2,9 ; 3,6.17.21). Ce fait a été considéré comme un indice du caractère secondaire de Mal 3,22-24.

Le qal participe actif masc. sing. du verbe est  שֹׁלֵחַ (chalakh) (envoyer). Son complément est « Élie le prophète ». La sphère temporelle de ce participe est à déterminer parce que, en hébreu, le participe peut être employé pour signifier le présent, le futur, et le passé. Le prophète qui est nommé en Mal 3,23 évoque plutôt un passé lointain d’Israël. Mais, puisque le Jour de Yahvé dont dépend son envoi est un concept eschatologique et donc futur, il n’y a pas de doute que  שֹׁלֵחַ (chalakh) a un sens futur ou intemporel. Et puis, Mal 3,23 est parallèle à 3,1 où il est évident que le messager est l’objet d’une promesse. Enfin, la particule הִנֵּה (hiné) (voilà) accompagne souvent le participe en vue d’exprimer une nuance du présent et du futur proche, comme c’est le cas par exemple en Gn 6,17.18 ; 2R 20,17 (= Is 39,6). L’action future est alors entendue comme s’accomplissant déjà et ses manifestations imminentes. Mal 3,23 promet l’envoi de  אֵלִיָּה הַנָּבִיא (Élie le prophète) avant le Jour de Yahvé. Le nom אֵלִיָּה (Élie) apparaît seulement ici et en 2R 1,3s.8.12 ; ailleurs, le même personnage est appelé אֵלִיָּהוּ (cf. 1R 17,1 ; 18,1 ; 19,1 ; 2R 1,10 ; 2,1). L’expression  הַנָּבִיא (mévia) (le prophète) en Mal 3,23 est apposée au nom d’Élie et sert à préciser de quel Élie il s’agit, car le monde biblique a connu plusieurs personnages ayant porté ce nom. Seul Mal 3,23 emploie le mot נָבִיא (mévi) dans tout le livret ; l’article défini qui l’accompagne montre que celui qui va être envoyé n’est pas un quelconque prophète, mais le personnage populaire dont parlent les livres des Rois (1R 17-21 ; 2R 1-2). Le texte grec de Mal 4,5 lève tout équivoque en précisant qu’il s’agit du Teshbite. Effectivement, dans le cycle d’Élie et dans d’autres récits qui lui sont consacrés, on rencontre les mêmes expressions « Élie le prophète » ( אֵלִיָּה הַנָּבִיא : 1 R 18,36 ; cf. 2Ch 21,12), « son serviteur » ( עַבְדּוֹ , 2, R 9,36), Élie le Teshbite » אֵלִיָּהוּ הַחִּשְׁבִּי : 1 : R 21,17 ; Mal 4,5 Septante).
La seconde partie du v. 23 indique le moment où va être envoyé ce prophète :

לִפְנֵי, בּוֹא יוֹם יְהוָה, הַגָּדוֹל, וְהַנּוֹרָא

( Avant la venue du grand et terrible jour de Yahvé.). 

On doit alors se poser la question suivante : après la venue de Jean Baptiste qui est sensé figurer ce retour d'Élie, qu'est-il arrivé de grand et terrible pour Israël et cela lors d'une journée ? Rien en soi ! Il faut attendre la venue de Jésus qui selon la tradition chrétienne juste après la crucifixion de Jésus et donc de sa mort, le voile du Temple s'est déchiré signifiant que Yahvé (Dieu) abandonnait cette demeure au sein de son peuple et donc ceux qui y servaient et qui y rende un culte. Le voile du temple est aussi ce qui séparait Dieu de son peuple il le couvrait comme un manteau ; Or les textes bibliques mentionnent plusieurs situations dans lesquelles des personnes ont déchiré leurs vêtements. Pour le lecteur moderne, un tel geste peut sembler étrange. Mais chez les Juifs d’autrefois, il était l’expression d’une forte émotion causée par le désespoir, le chagrin, l’humiliation, la colère ou le deuil.

La fin de cette phrase sur la venue du jour de Yahvé se trouve mot pour mot en Joël 3,4, un doublet à considérer pour la lecture de la finale de Malachie. Proposition circonstancielle de temps, elle est introduite par la locution conjonctive לִפְנֵי (lifté ) (avant que). En Mal 3,1, on a לְפָנָי (lifné) (devant moi).

Le Jour de Yahvé est qualifié de גָּדוֹל וְהַ נּוֹרָא (grand et terrifiant). L'adjectif  גָּדוֹל (gadó), signifie « grand » ; chez Malachie, la grandeur est un attribut de Dieu : Yahvé est grand par-delà le territoire d’Israël (1,5), il est un « grand roi (1,14b). Mal 1,14 associe la grandeur du roi et le caractère redoutable de son Nom. De la même façon, dans la finale du livre, גָּדוֹל  (gadó) est accompagné de נּוֹרָא (norá) (terrible) faisant du Jour de Yahvé celui de la manifestation de sa royauté et de son Nom (cf. Za 14,10). נּוֹרָא (norá) est le participe niphal masc. sing. absolu du verbe ירא (jre) (avoir peur, frémir) qui, au qal, signifie « craindre » dans le double sens d’« avoir peur de » et « respecter, honorer ». Le niphal de ירא (jre) signifie, ou bien être terrifiant, ou bien être craint, redoutable, honoré. Ce second sens est réservé à Dieu (Ps 76,13), à son nom (Mal 1,14), à son jour (Jl 2,11). Ainsi en est-il ainsi pour le Jour de Yahvé en Mal 3,23. La Septante rend ce terme par έπιφανής, (épiphanie) (montrer) indiquant par là le caractère théophanique du Jour de Yahvé. L’ampleur de son caractère redoutable, est signifiée par הַגָּדוֹל וְהַ נּוֹרָא (grand et terrifiant). Cette expression occupe, à la fin du verset, la même position emphatique donnée à חֻקִּים וּמִשְׁפָּטִים (tout Israël) en 3,22. Cela ne suggère-t-il pas le rapport évident entre l’observance de la Loi et l’aspect que prend le Jour de Yahvé ?

Aussi faut-il comprendre que "ce "grand" jour est à craindre".

Le verset 24 :

כד וְהֵשִׁיב לֵב-אָבוֹת עַל-בָּנִים, וְלֵב בָּנִים עַל-אֲבוֹתָם--פֶּן-אָבוֹא, וְהִכֵּיתִי אֶת-הָאָרֶץ חֵרֶם 

24 Lui ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, de peur que je n'intervienne et ne frappe ce pays d'anathème.

Le v. 24 définit la mission du nouvel Élie (donc de Jean Baptiste selon la tradition chrétienne).  הֵשִׁיב (hèchiv) (ramènera) est le hi'fil parfait consécutif 3ème pers. du sing. du verbe שִׁיב (shiv) « retourner, rentrer, revenir ». Au hi'fil, ce verbe veut dire « faire retourner, tourner, ramener », mais aussi « convertir ». Le complément du verbe est double : le cœur des pères, et le cœur des fils. Ainsi peut-être traduit aussi par : "lui convertira le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, de peur que je n'intervienne et ne frappe ce pays de boycott"

Le mot : לֵב (lèv) (cœur) et son synonyme לֵבָב (lèvav) (juste) sont très fréquents dans la Bible et se rencontrent plusieurs fois dans les écrits des derniers prophètes. Évidemment, dans la finale de Malachie לֵב (lèv) est employée dans son sens anthropologique : le cœur est le siège de la pensée, de la volonté, du jugement, des sentiments moraux, etc. Dans ce livret, le mot cœur est encore employé en Mal 2,2.4 : les prêtres doivent « prendre à cœur » (שָׂמִים עַל-לֵב. littéralement « mettre sur cœur ») l’avertissement que le prophète leur transmet. Mal 3,24 parle du cœur des pères et des fils. Il ne sera donc pas du tout déplacé d’envisager l’hypothèse que les pères et les fils de la finale de Malachie soient des membres de la classe sacerdotale.

Le terme אָב (av.) peut signifier père, aïeul, ancêtre. Il se rencontre plusieurs fois dans les livres d’Aggée, Zacharie et Malachie, avec ses divers sens : dans certains cas, il s’agit du père biologique (Za 1,3 et Mal 1,6) ; en Mal 2,10, Dieu est compris comme le « père » d’Israël, voire de tout être humain, parce qu’il est le Créateur. Ailleurs, le mot désigne les patriarches d’Israël ou ses ancêtres.

La préposition עַל (èl) peut signifier « vers », mais aussi « contre », ou parfois « avec ». En Mal 3,24, il s’agit de ramener « vers » ou (à). Le contexte le recommande. Et c’est ce sens qu’ont d’ailleurs choisi les anciennes versions qui ont considéré la préposition עַל (èl) de Mal 3,24 comme synonyme de אֶל (al) (à) qu'on a traduit par πρός ('pros) dans la Septante comme dans Jean 1 v 1 : καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν  " (kai o logos iv pros touv téhon) traduit généralement par "Et la parole était (avec ou à côté) de Dieu" mais la préposition πρός ('pros) peut aussi designer l’appartenance, tout comme le mot hébreu אֶל (al) (à), qui est aussi traduit par πρός, dans la Septante exemple, comme c’est le cas en Romains ch15, v 17 : Ἔχω οὖν καύχησιν ἐν χριστῷ Ἰησοῦ τὰ πρὸς τὸν θεόν ." J’ai donc sujet de me glorifier en Jésus-Christ, pour ce qui est à Dieu". Autrement dit, on peut traduire ce premier verset de Jean tout autrement et tout naturellement et sans faire d’erreur de traduction par :

"Au commencement était la parole, et la parole était à Dieu (celle de) et la parole était Dieu". (Sans devoir aller la mettre à côté de Lui).

C’est alors un peu plus clair : Dieu est identifié à sa parole, la Parole de Dieu est Dieu lui-même, c'est la même chose. Ce qui est à la base de tout c’est une parole, qui exprime une volonté, mais pas n’importe quelle parole, n’importe quelle volonté, la parole de Dieu, la volonté de Dieu, c’est-à-dire la volonté créatrice.

Et la parole était à Dieu, comme ici dans Malachie la mission d'Élie est de ramener à Yahvé, suivant une lecture tout à fait habituelle de l’expression  שׁוב צַל (ramener à) (cf. Jr 11,10 ; Pr 26,11 ; Jb 34,15 ; Sir 12,7 ; 2 Ch 30,9). Le mouvement réciproque exprimé par שׁוב צַל est déjà envisagé en Za 1,3 et en Mal 3,7 ; il concerne le retour du peuple à son dieu et de Yahvé à Israël. Cela pourrait éclairer le sens des mots pères et fils dans ce verset.

L’expression שׁוב צַל (ramener à) définit la mission d’Élie comme destiné à « faire revenir » (hi'fil de שׁוב). שׁוב צַל (ramener à) est synonyme de (convertir à). Le chiasme de la formule met en évidence et souligne un rapprochement mutuel des pères et des fils. La répétition du verbe peut insinuer en même temps l’ampleur de la tâche conférée à Élie, les couples « pères-fils » et « fils-pères » constituant une double expression polaire pour parler de la nation tout entière (cf. 3,7a.9). Effectivement, étant donné la mention de הָאָרֶץ ('érets) (terre) en 24c, la double expression polaire susmentionnée pourrait signifier que toute la population du pays – jeunes et anciens, tout Israël (v. 22) – sera le destinataire de la mission du prophète.

Le dernier membre du verset 24 (פֶּן-אָבוֹא, וְהִכֵּיתִי) exprime la visée de la mission d’Élie. La conjonction פֶּן (pèèn) (ou, afin,) qu’introduit la finalité négative, objet d’un doute ou d’une crainte. Elle se traduit par « afin que… ne pas », « de peur que, il soit à craindre que », et se place soit au commencement de la phrase exprimant la défense, la crainte ou la menace, soit après l’action qui doit empêcher, détourner ce que l’on craint, ce que l’on veut éviter. Dans le cas de Mal 3,24c, פֶּן (pèèn) est suivi de deux verbes coordonnés. Or lorsque פֶּן (pèèn) étend son effet à un second verbe coordonné, la première proposition peut logiquement être une subordonnée (temporelle, conditionnelle). Ce serait donc une erreur de comprendre le but de la mission d’Élie comme destinée à prévenir à la fois la venue de Yahvé et l’envoi de l’anathème. La venue de Yahvé est irrévocable, et Yahvé viendra en personne vers le cœur des fils, et il ne s'agit aucunement de l'envoi d'un messager, le messager préparant la venue de Yahvé est le nouvel Élie et il précède la venue de Yahvé dans le cœur des fils.

Alors on se doit de se poser la question suivante : Jean Baptiste a-t-il rempli ce rôle ?

Personnellement je ne le pense pas, mais il me semble bien que c’est Jésus qui a rempli cette mission. La promesse en a été faite de façon décisive en Mal 3,1. Or la volonté de faire de Jésus Dieu oblige à faire de Jean Baptiste le nouvel Élie. Voilà pourquoi nos quatre évangélistes se sont employés dans leurs récits à nous présenter Jean Baptiste comme le nouvel Élie ce que la source Q ne fait nullement. Pour le peuple Juif qui attendait un Messie, celui-ci devait être Élie le prophète, Son retour était attendu avant la venue de Yahvé. Or pour eux, celui qui ressemblait le plus à Élie était sans aucun doute Jean-Baptiste qui tenait un discours à la Élie, et non pas Jésus qui ne prêchait un discours de miséricorde. Par ce que Yahvé ne pouvait être vu ou regardé par les pêcheurs les impies, sans mourir, la venue du jour de Yahvé était synonyme de catastrophe de terrible pour eux. Alors pour éviter que ce jour de Yahvé soit une catastrophe pour Israël il fallait qu'Élie puisse remplir, mener à bien sa mission : ramener les cœurs des fils au Père, non pas afin d'éviter la venue de Yahvé mais afin d'éviter que ce jour ne se transforme en une forme d’hécatombe pour le peuple Juif. Mais pour les prêtres et pour le peuple juif le nouvel Élie et le Messie étaient une seule et même personne. Le drame dans tout cela est que le peuple attendait donc un Messie à la Élie, qui devait rétablir le royaume d'Israël en chassant les Romains et rétablissant le trône de David et juger chaque Juif individuellement, ensuite viendrait Yahvé « le jour de Yahvé » et le jugement. Ils n’ont pas compris la prophétie comme Jésus l’avait comprise, dans le sens que Dieu viendrait comme un Père dans chaque cœur de chaque fils revenant vers lui, et qu’il entretiendrait des relations d’Amour avec chacun de ses enfants repentant. Pour les chrétiens après l’apôtre Paul, qui veulent faire de Jean Baptiste le nouvel Élie, cela implique de diviniser Jésus. En fait ils sont cohérents avec leur propre analyse de la prophétie. Seulement s’il est facile de voir en Jean Baptiste un prophète à la Élie, (comme ils l’ont présenté) il est difficile de voir en Jean Baptiste le rôle que doit remplir par celui-ci selon la prophétie. Je rappelle que la source Q, ne présente nullement Jean Baptiste comme le nouvel Élie. La source Q présente Jésus comme celui qui répond le mieux par son enseignement à la mission de « retour au Père » en ce sens oui, Jésus est le Messie, celui qui annonce et surtout qui enseigne le comment peut se faire le retour des fils au Père et celle du Père vers ses enfants. Ayant fait lui-même ce rapprochement il peut ce dire « fils de Dieu » et dire de Dieu « mon Père », sans pour cela faire du Messie une divinité.

Conclusion.

Au niveau du style et de la syntaxe, Mal 3,22-24 est composé de deux parties bien distinctes. Le v. 22 invite à se souvenir de la Loi de Moïse. Son vocabulaire est complètement deutéronomique et son style parénétique. Quant aux vv. 23-24, ils annoncent l’envoi d’Élie le prophète avant le Jour de Yahvé. La formulation de la promesse emprunte à Mal 3,1 ; elle rappelle aussi Joël 3,4.

S’il n’y a aucun lien grammatical entre les deux parties de Mal 3,22-24, cela ne signifie pas qu’il y a une rupture entre elles. Outre l’absence du style dialogué dans ce passage, il est le seul dans tout l’Ancien Testament à associer Moïse et Élie ; ces deux personnages ont, chacun, un rapport particulier avec Horeb, et par là, avec la Loi qui y est révélée. La mention de cette montagne, lieu de rencontre avec Yahvé pour Moïse et pour Élie, assure sans aucun doute le lien entre les deux appendices. Par ailleurs, c’est l’attitude envers la Loi de Moïse qui justifie l’envoie d’Élie le prophète dans la perspective du Jour de Yahvé.

La focalisation de Mal 3,22-24 sur le « Jour de Yahvé ».

La focalisation ne se détermine que par une série d’accumulation des signes. Y aurait-il un phénomène pareil dans notre passage. Il semble qu’on pourrait répondre par l’affirmative. L’analyse a montré la présence de quelques verbes. Parmi eux, seul צִוִּיתִי (tsâvâh) (prescrire, charger, commander) du v. 22 porte sur le passé, les autres concernent le présent ou l’avenir. En recourant au langage des narratologues, nous parlerons d’analepse, de prolepse : l’analepse est un rappel du passé, contrairement à la prolepse qui est un bond en avant. Suivant ces catégories, nous pouvons suggérer de notre texte la structure temporelle suivante :

À part צִוִּיתִי (tsâvâh) qui fait un bref rappel du passé, tous les autres verbes visent le présent, le futur proche ou l’avenir. Notre texte débute par une invitation parénétique à se souvenir de la Loi. C’est un engagement qui est visé, aussi bien pour le présent que pour le futur. Moïse qui représente le passé n’est cité qu’en fonction de la Loi ; or le livre de Malachie présente celle-ci comme la voie (Mal 2,8-9 : torah // derek), c'est-à-dire un chemin à suivre ou une orientation à poursuivre. Quand Jésus invite à le suivre il nous invite à suivre la loi qu'il incarne qui est le chemin à suivre en cela il est le nouveau Moïse.

La proposition relative de Mal 3,22 joue le rôle d’analepse : tout en définissant la Loi de Moïse, elle rappelle qu’il s’agit de cette Loi qui a été révélée à l’Horeb pour tout Israël. La suite du discours ne vise que le futur, et tout tourne autour du Jour de Yahvé : la venue du nouvel Élie est prévue avant ce Jour ; celui-ci est spécifié comme étant « grand et redoutable » et s’accompagne d’une menace de herem. Mais avant l’exécution de celle-ci, la mission de ce nouvel Élie est de donner une issue heureuse à Israël qui doit affronter le Jour de Yahvé. Notre texte est donc focalisé sur le Jour de Yahvé et les aspects qui vont marquer sa venue. Ayant indiqué l’expression qui est au cœur de la finale de Malachie, il restera à identifier le corpus auquel l’auteur de Mal 3,23 l’emprunte.

Le « Jour de Yahvé, un concept prépondérant dans les Douze petits prophètes.

Le thème du Jour de Yahvé est fréquent chez les prophètes de l’Ancien Testament. Il est exprimé avant tout par la formule יוֹם יְהוָה (yôm YHWH) qui apparaît expressis verbis 16 fois dans l’Ancien Testament, dans des oracles contre Israël (Am 5,18a.18b.20 ; So 1,7 ;14a.14b ; Mal 3,23 et Ez 13,5) et contre les nations (Is 13,6.9 : Babylone en particulier ; Ab 15 : Edom en particulier). Joël l’emploie cinq fois d’abord contre Israël (1,15 ; 2,1.11) et ensuite contre les nations (3,4 ; 4,14).  Ces mentions du Texte Massorétiques s’ajoutent la Septante d’Ez 7,10 :  ίδού ήμέρα κυρίου, (ídoú íméra kyríou)

Il faut retenir plusieurs variantes de la formule : יוֹם יְהוָה (le jour de Yahvé)

- Jour de la colère de Yahvé (So 1,15a.18 ; Ez 7,19

- jour de l’ardeur de sa colère (Lm 1,12).
- jour de vengeance de Yahvé  (Is 34,8 ; Jr 46,10 ; Is 61,2).
- jour du sacrifice de Yahvé (So 1,8).
- jour de ténèbres et d’obscurité ((So 1,15b).
- jour de détresse et d’angoisse, de dévastation et de désolation, de ténèbres et d’obscurité, ( So 1,15b ; les trois derniers mots caractérisant ce jour se retrouvent en Jl 2,2).
- jour de détresse (Na 1,7.9 ; Ha 3,16)
- jour de sonneries de cor et de clameur ( So 1,16a).
- le jour dont j’ai parlé (Ez 39,8).

- au jour que je prépare (Mal 3,17.21).

- jour de la venue de Yahvé  (Za 14,1), jour de son combat au jour de bataille ( Za 14,3).

Parmi ces textes, cinq se trouvent dans des oracles contre les nations (l’Egypte : Is 61,2 et Ez 30,3 ; Edom : Jr 46,10 ; Is 34,8 ; Gog : Ez 39,8). Huit autres textes font partie des menaces prophétiques contre Israël (Is 2,12 ; So 1,8.15a.15b.18 ; 2,2.3 et Ez 7,19). Za 14,1.3 de même que Jl 2,1-11 ; 4,9-17, ainsi que So 1,15s, Is 13,34 et Ez 30 montrent que la conception du Jour de Yahvé provient des traditions de la guerre sainte, puis enrichi par des motifs des descriptions théophaniques. La conception de ce jour aurait subi une évolution à travers les textes bibliques. Am 5,18-20 est sans doute le texte de la première annonce biblique du Jour de Yahvé. À l’origine, la doctrine serait politique : en période de crise, d’injustice sociale et d’insécurité, le peuple place tout son espoir dans un avenir plus heureux : se souvenant des jours anciens où Yahvé intervenait en sa faveur contre l’ennemi, devant les nouvelles menaces Israël attend que Yahvé agisse. À cette conception populaire du Jour de Yahvé exerçant sa vengeance en une guerre sainte, les prophètes opposent une nouvelle conception du jour de Yahvé comme punition des fautes commises par Israël. Ainsi, les quatre passages de Lm ainsi qu’Ez 34,12 font écho à la destruction de Jérusalem (587 av. J.- C.). Finalement, à part Joël, le texte de Za 14,1-3 est le seul où le Jour de Yahvé est adressé à la fois contre Israël et les nations.

En somme, les textes bibliques qui parlent expressis verbis de "yôm Yahvé" ne sont donc pas très nombreux : on en compte seulement seize, dont treize sont dans le corpus des Douze Prophètes (Am 5,18 [2x].20; So 1,7.14 [2x]; Jl 1,15; 2,1.11; 3,4; 4,14; Ab 15 et Mal 3,23) et trois seulement chez les grands prophètes (Is 13,6.9 et Ez 13,5) bien que le volume respectif de ces derniers est de loin plus étendu que celui des Douze réunis. Retenons donc ceci : le thème du Jour de Yahvé est typiquement prophétique ; ou mieux encore, il se trouve majoritairement dans le livre des Douze Prophètes, et là Sophonie et Joël ont visiblement une place importante.

Nous avons étudié la composition de la finale de Malachie. Après analyse, il s’avère que c’est le thème du Jour de Yahvé qui est le point focal de ce texte. Les autres thèmes sont annoncés en fonction de ce Jour : la Loi dont il faut se souvenir, l’envoi d’Élie le prophète, la mission de ce dernier et la menace d’anathème. Puisque ce thème du Jour de Yahvé est prophétique et qu’il est essentiellement présent dans le corpus des Douze que clôture la finale de Malachie, il est légitime de se demander si cette dernière conclut non seulement le livret de Malachie mais aussi les Douze.

Il nous reste donc à définir ce qu’il faut comprendre ou attendre du « Jour de Yahvé »  nous utilisons pour cela la tradition Juive et le Midrash, et cela fera l’objet du chapitre suivant.

 

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