Aimez vos ennemis et faire sien le royaume de Dieu. (suite)(suite)

Il est extrêmement difficile de penser que Jésus a vraiment voulu dire cela !

 

(Source Q 6 : 27 à 36) :

27 Aimez vos ennemis 28 et priez pour ceux qui vous persécutent, 29 A celui qui te frappe à la joue, tends-lui aussi l’autre ; et à celui qui veut te traîner en justice et prendre ta chemise, laisse-lui aussi « ton » manteau. Et celui qui t’engagerait à faire un mille fais-en deux avec lui. 30 À celui qui te demande, donne ; et à celui qui emprunte de tes biens, ne réclame rien.

31 Et comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, ainsi vous agissez envers eux. 32 Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les collecteurs d’impôts aussi ne font-ils pas la même chose ? 33……. 34 si vous prêtez à ceux dont vous espérez récupérer, quelle récompense méritez-vous ? Les Gentils aussi ne font-ils pas la même chose ? (35 Faites comme ceci) 35 c'est-à-dire afin que vous deveniez les fils de votre Père, parce qu’il fait lever son soleil sur les méchants et le bon, et qu’il fait pleuvoir sur les justes et les injustes. 36 Soyez miséricordieux comme votre Père… est miséricordieux.

C'est peut-être la parole la plus difficile qu'on ait jamais entendue !

Mais au cas où nous aurions quelques doutes à ce sujet, il a ajouté : " priez pour ceux qui vous persécutent"

b) Au cas où vous voudriez esquiver la vérité, il nous donne des exemples :

" À celui qui te frappe à la joue, tends-lui aussi l’autre ; et à celui qui veut te traîner en justice et prendre ta chemise, laisse-lui aussi « ton » manteau. Et celui qui t’engagerait à faire un mille fais-en deux avec lui. 30 À celui qui te demande, donne ; et à celui qui emprunte de tes biens, ne réclame rien.".

c) Puis il nous donne sa version de La Règle d'Or : "Et comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, ainsi vous agissez envers eux."

d) Sans doute vous dites : "Moi j'aime ceux qui m'aiment." Ce à quoi Jésus répond :

" Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les collecteurs d’impôts aussi ne font-ils pas la même chose ? ".

e) Pour qu'on ne s'y trompe pas, Jésus va répéter sa pensée principale :

" Afin que vous deveniez les fils de votre Père, parce qu’il fait lever son soleil sur les méchants et le bon, et qu’il fait pleuvoir sur les justes et les injustes. 36 Soyez miséricordieux comme votre Père… est miséricordieux."

f) Quand Jésus déclare : " Les Gentils aussi ne font-ils pas la même chose ?" puisque nous sommes sur le sujet du pardon, et qu'il nous est demandé ici d'aimer nos ennemis, cela signifie que vous allez parfois pardonner un pénible, et quand vous l'aurez pardonné, il restera malgré tout pénible. Je dis pénible, pour ne pas employer de mot indigne d'un pasteur ! De même, vous pouvez aimer vos ennemis, et demain ils seront toujours vos ennemis.

Ici encore tout est le résultat d’une prise de conscience.

Attention, aimer, dans cette injonction, ne signifie pas éprouver un sentiment. Éprouver des sentiments, cela ne se commande pas, même si l'on est capable de maîtriser ou de contrôler l'affection ou l'aversion que l'on éprouve pour quelqu'un. L'amour des ennemis ne consiste pas à éprouver un sentiment de sympathie, c'est chercher à stopper la violence. Il s'agit d'éviter d'entrer dans le jeu de l'ennemi. Ce que veut l'ennemi, c'est démolir. Revenir sans cesse à ce qu'il m'a fait, à ce que je vais lui faire en retour, c'est entrer dans un jeu de calculs, et finalement me comporter comme lui. Jésus nous invite, plutôt que de regarder l'ennemi, à regarder Dieu. Alors se produit un déplacement. Quand l'Évangile dit « Aimez vos ennemis », il ne donne pas une liste de choses à faire, il donne un comportement à adopter. À chacun d'inventer sa manière de faire. « Aimer ses ennemis » ne signifie pas « excuser des actes mauvais », mais d'avoir foi en un Dieu et non de rendre coup pour coup, votre Père est aussi le Père des méchants. Le disciple de Jésus est appelé à chercher cette marque divine au fond de toute personne même celle de ses ennemis.

En prenant ces paroles au sérieux, nous allons nous trouver en conflit avec la sagesse habituelle de ce monde. Pourquoi devons-nous vivre selon ce principe ?

« Afin que vous deveniez les fils de votre Père, »

En agissant ainsi, vous allez démontrer que vous êtes un véritable enfant de Dieu. Dieu se plaît à manifester la bonté envers ceux qui sont peu aimables.

Il manifeste sa grâce envers les pécheurs et il voudrait transformer les ennemis en amis.

Quand nous aimons nos ennemis, nous manifestons le caractère de Dieu devant ce monde et nous prouvons que nous faisons partie de la famille de Dieu. Alors le monde voit en vous le Fils, il voit en vous Jésus.

C'est pour ça que Jésus dit : " Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux." "Votre Père EST miséricordieux" Si nous disons que Dieu est notre Père, nous avons l'obligation de démontrer son caractère devant ce monde…

Selon Jésus, la meilleure façon de mettre en évidence notre lien de parenté, c'est en aimant nos ennemis, comme fait notre Père !

Face à une agression, ce n'est pas la passivité que Jésus recommande, mais l'invention d'une réponse autre que celle qui va de soi : la violence symétrique. « Tendre l'autre joue » n'est pas une « recette » à appliquer au pied de la lettre, mais une mise en garde contre toute réponse qui alimenterait la spirale de la violence. Tu me fais violence, je réponds par la non-violence en te laissant responsable dans ta violence. Car toute violence se légitime par une violence antérieure : « C’est lui qui a commencé ! » s'exclament les bambins de la cour d’école, comme les nations se déclarant la guerre

Jésus nous dit ici : la question n'est pas de savoir qui a commencé, mais comment je puis, moi, faire en sorte que ça ne continue pas. On pense au mot de Gandhi : « Œil pour Œil, et le monde finira aveugle ».

Jésus n'a jamais dit « N’ayez pas d'ennemis », mais « Aimez vos ennemis », ce qui suppose que nous en ayons ! Lui-même en a de mortels - ils le tueront - et il annonce à ses disciples qu'eux aussi en auront s'ils sont fidèles à son message. On connaît ce passage, si déroutant : « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais la division. Car désormais cinq dans une maison seront divisés, trois contre deux, et deux contre trois ; le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. » (Source Q 12, 51-53)

Jésus nous enseigne que nous ne devons pas être un ennemi pour nous-même.

Que d’autres nous considèrent comme leur ennemi est une chose, mais nous, nous devons nous considérer comme l’ennemi de personne.

Aimer, c'est d'abord vouloir le bien de l'autre. Toute personne qui fait le mal se fait du mal à elle-même ; c'est donc l'aimer que de chercher à l'en empêcher. À condition que ce soit en la respectant comme personne. Le refus de la violence, la non-violence n'est pas le refus du conflit (car comment faire régner la justice sans entrer en conflit avec les responsables des injustices ?) ni le rêve d'un monde qui ne serait pas traversé par le mal, la haine, la violence. Elle invite à privilégier, dans tous nos combats, les moyens ne portant atteinte ni à la vie physique d'autres êtres humains (tués, blessés, menacés de mort) ni à leur dignité (diffamés, humiliés, etc.).

Comment pouvons-nous dans la pratique, aimer nos ennemis ?

Une façon de les aimer, c'est de les saluer gentiment quand nous les voyons.

Jésus dit : « Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre. »

Souvent, au lieu de lui présenter l'autre joue, nous lui présentons nos talons… Nous lui tournons le dos… Nous ne voulons pas dire bonjour à celui qui nous a blessés. Nous sommes devenus habiles à regarder de l'autre côté. À traverser la rue.

« Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? »

Une façon d'aimer vos ennemis, c'est de les saluer au lieu de les éviter.

C'est exactement ce que vous faites quand vous tendez l'autre joue ou que vous faites un deuxième mille avec lui.

Vous les désarmez en faisant exactement la chose à laquelle ils ne s'attendaient pas.

Après avoir dit, « Aimez vos ennemis, » Jésus dit, « priez pour ceux qui vous persécutent »

Cela revient à dire qu'il vous faut surmonter votre douleur et leur mesquinerie et voir en eux des êtres humains.

Voir en eux des gens faits à l'image de Dieu et comprendre qu'il y a en eux quelque chose de tordu qui les a poussés à agir de la sorte.

« Priez pour eux » » signifie que vous allez faire ce qu'il faut pour les aider à guérir malgré la façon dont ils vous ont traité.

C'est ce que Jésus a voulu dire quand il a déclaré : « bénissez ceux qui vous maudissent… » Cela veut dire que vous refusez d'avoir de mauvaises pensées et que vous refusez de parler mal de ceux qui vous ont fait du mal.

Souvent nous n'arrivons pas à pardonner parce que nous n'arrêtons pas de parler.

Souvenons-nous de notre propre déclaration ration dans notre prière au Père : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ».

Proverbes 18 h 21 : « La mort et la vie sont au pouvoir de la langue ; Quiconque l'aime en mangera les fruits. »

Nous ne trouverons pas la force de pardonner tant que nous ne cessons pas de rappeler combien on nous a fait souffrir. À un certain moment, il faut cesser de parler et commencer à pardonner.

« À celui qui veut te traîner en justice et prendre ta chemise, laisse-lui aussi ton manteau. Et celui qui t’engagerait à faire un mille fais-en deux avec lui. »

Les paroles de Jésus sont fortes et claires, non seulement, il faut aimer son prochain, mais aussi aimer son ennemi. Non seulement, il faut rejeter toute violence de la règle « œil pour œil dent pour dent », mais en plus il ne faut pas résister au méchant et lui donner plus qu’il ne le demande.

Est-il vraiment possible d’appliquer ces recommandations dans notre existence quotidienne ? Est-il vraiment possible de vivre comme Jésus le demande dans notre vie chrétienne ?

Il est clair que Jésus veut seulement combattre la vengeance, et veut que plutôt que de nous venger, nous cédions quelque chose de ce qui nous appartient. Ne résistez point au mal, mais si quelqu'un le frappe à la joue droite, tourne lui aussi l’autre ; Et à celui qui veut plaider ajoute-t-il etc. À moins que nous n'aimions mieux dire que l'intention de Jésus est d'exercer notre patience, et de nous empêcher de plaider pour des choses dont la perte est facile à réparer, comme serait une robe ou s'il le faut, le manteau avec la robe, mais il ne faut pas de-là inférer qu'il n'est pas permis à un Père de défendre en justice, s'il y est contraint, le pain de ses enfants. Autre chose est une robe et un manteau, autre chose ce qui fait tout le bien d'un homme. C'est ainsi que dans le verset suivant, Jésus dit : « si quelqu'un vous veut contraindre de faire mille pas avec lui, faites en aussi deux mille ». Il ne dit pas vingt ou cent mille pas, parce que cela détournerait trop un homme de ses affaires. Mais deux mille, ce qui est peu de chose. Le sens donc de Jésus est, que dans les choses qui ne nous doivent pas apporter beaucoup d'incommodité, ou de dommage, il vaut mieux donner plus qu'on ne demande, que s'obstiner trop à soutenir son droit, et avoir des procès en échange d’un superflu que dans ce cas il vaut mieux donner.

« À celui qui te demande, donne ; et à celui qui emprunte de tes biens, ne réclame rien. »

La non-violence de Jésus n’est pas un acte de rébellion ; elle implique l’obéissance absolue jusqu’à l’extrême ou l’absurde pour sortir du système de l’échange et passer au système du don. « Si quelqu’un te demande, donne ; et à celui qui emprunte de tes biens, ne réclame rien. » Jésus nous appelle à ne pas résister au mal, à travers cette action, nous sommes appelés à dépasser le système de l’échange pour nous tourner vers celui du don.

Dans nos sociétés toutes humaines, la règle de comportement « normal » dans les relations interpersonnelles, c’est le système de la réciprocité et de l’échange qui doit régner. Or Jésus invite ses disciples à voir et à vivre le royaume du Père, et il nous dit que cela n’est pas ainsi que l’on vit avec le Père. Dans notre société humaine, je salue mes amis, car ils me saluent. Mes amis me saluent, donc je les salue, il y a donc échange, et c’est exactement ce que font les païens et les collecteurs d’impôts dits Jésus, autrement dit les gens de ce monde. Mais Jésus propose de dépasser cette réciprocité de l’échange en s’ouvrant à son amour inconditionnel. Il nous invite, ses disciples à le suivre sur ce chemin. « Je suis le chemin et la vie », nous sommes appelés à devenir parfaitement miséricordieux comme Dieu est parfaitement miséricordieux.

Le monde dans lequel nous vivons est lié ? un système économique qui est le capitalisme. L’essence même du capitalisme est l’accroissement du capital, c’est?dire du profit. Jésus veut que ses disciples sortent de ce système de profit que l’on obtient grâce aux échanges. La fable du jardin d’Éden nous dit que dans ce jardin figurant le « monde parfait » dans la société du jardin tous les fruits étaient à la disposition d’Adam et Ève, ils prenaient sans échange, c’était un don du créateur. Sur les deux arbres au centre on peut dire centraux, celui de vie et celui de la connaissance du bien et du mal (il faut ici comprendre : celui de connaître tout) les fruits ne devaient pas être consommés, ce n’était pas des biens de consommation en quelque sorte, on peut penser qu’ils devaient s’acquérir, ou faire partie d’un autre don, ils ne faisaient pas partit du don consommable. L’homme prend le fruit du connaître tout (bien et mal) pour le consommer en échange de connaître et être ainsi comme des dieux. Après cet acte, l’homme est devenu l’homme du profit. Avec la connaissance de tous, l’échange devient la règle et il remplaça le don, et la vie devait être gagnée par échange des travaux. Dans une société d’échange, l’homme est par essence le profiteur : le consommateur profite des soldes, profite des avantages sociaux, tire profit de ses droits au point de devenir parfois procédurier à outrance, tire profit de la société et attend de l’État qu’il satisfasse à ses besoins pour « profiter de la vie » (être comme des dieux) comme il le dit si souvent.

Jésus veut sortir ses disciples de ce système par de don.

Donner, c’est exactement le contraire de profiter. Profiter, c’est quelque part un acte d’extorsion, d’exploitation. Je tire parti de quelque chose ; je cherche un avantage de quelque chose, c’est se mettre à la rechercher de son seul intérêt, c’est au fond se comporter en prédateur avide, dont le seul objet de son désir est la consommation de l’objet de ses désirs, ou la recherche d’un plaisir, voir d’une considération qui flattera son ego. Nous sommes bien là dans le geste de la fable du Jardin d’Éden. Ève donne à Adam ce que Dieu avait jugé bon de ne pas donner, pour que celui-ci profite des biens faits de ce fruit. Or donner, c’est tout le contraire de profiter, parce que dans le don, on n’attend pas de retour. La consommation du fruit est ici faite dans le but d’obtenir quelque chose qui ne vient pas de Dieu. La mère donne son affection ? son enfant, l’entoure de soins, quand elle aime son enfant, ce n’est pas, pour profiter des sentiments et se faire payer en retour, car l’amour est un don de soi, qui se réjouit du seul fait de donner. C’est comme cela que Dieu fonctionne avec les hommes. Jésus enseigne à ses disciples que s’ils veulent voir et vivre le royaume du Père, ils doivent sortir du système d’échange pour entrer dans celui du don, et dans cette optique il ira lui-même jusqu’à donner sa propre vie ! Jésus n’a pas donné sa vie en échange de quoi que ce soit, il n’a pas donné sa vie pour acheter ou racheter quoi que ce soit à son Père, il n’a qu’à le demander et Dieu lui fait ce don. Il l’a d’ailleurs fait avec cette demande « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ». Et le Père a fait ce don. Jésus n’est pas mort en échange du rachat de nos fautes, il a donné sa vie par amour pour vivre pleinement le royaume du Père, vivre dans le royaume du Père, c’était plus important pour lui que sa vie de chair et d’os sur terre dans cet univers, sa résurrection ne fait que nous apporter la preuve qu’il avait raison, et en quelque sorte elle nous ouvre une voie. Donner pour recevoir quelque chose pour soit même ou pour autrui, montre une intention particulière dans l’échange qui, ne peut alors pas être considéré comme une offrande, l’offrande ne doit rien attendre en retour, l’offrande est acte d’amour, si non elle n’est plus offrande mais corruption. La corruption c’est la perversion ou le détournement d'un processus ou d'une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d'obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d'obtenir une rétribution en échange de sa complaisance. Croyez-vous que la grâce peut-être ainsi acquise ? La grâce est un don elle est incorruptible elle ne peut être acquise par un échange. L’échange n’a d’autre intention que de satisfaire l’ego qui cherche à tirer profit de l’échange.

Jésus n’est pas contre le principe de l’échange d’égal à égal, il est contre l’abus, le profit que l’homme tire de ce système au détriment de son prochain dans le seul et unique but de s’enrichir et accumuler « s’approprier » des biens.

Si, cela ne tient qu’à moi, je veux me faire payer de retour pour ce que j’ai donné ; en sorte que la raison même de l’échange n’est pas dans ce que je donne mais dans ce que, moi, j’attends, donc dans une rétribution sur ce qui peut dès lors s'appeler ma contribution ? l’échange. Dans notre société humaine, cette acception de l’échange est très commune, elle se rencontre partout, de la sphère familiale, à la sphère sociale, communautaire et politique. La rétribution se rencontre sur le fond des revendications sociales, elle sous-tend l’exigence que soit respecté ce qui est en fait une sorte de contrat implicite. Que dit l’homme vital dans notre monde ? « Moi, je veux bien travailler 45 heures, et donner encore plus de mon temps, mais je veux être payé pour cela et en heures supplémentaires, sinon, ce ne serait pas juste, ce ne serait pas un échange correct et je me sentirais indûment exploité, exploité parce que j’aurais donné de mon temps, sans rien recevoir en retour ». Je n’apporte ici aucun jugement sur le raisonnement ce n’est qu’un exemple. Donc, je veux bien « donner », mais pour recevoir, pour être payé en retour de mes services. Moi je veux bien donner, mais il faut que mon don soit le plus possible reconnu. J’entre dans l’échange, non pas de manière désintéressée, mais de manière intéressée par le profit que je pourrai en tirer. Ce qui m’importe par-dessus tout dans l’échange économique, c’est en définitive d'accroître ce qui m’appartient, en avoir toujours plus, recevoir d’avantage, arrondir mes fins de mois, me payer une piscine ou un chalet à la montagne, une nouvelle voiture, refaire le carrelage de la salle de bains ou assurer ma retraite. C’est l? que je trouve un intérêt à échanger, en pensant à ce profit que je vais pouvoir en tirer ensuite.

Jésus demande à ses disciples de ne pas raisonner ainsi, ce n’est pas une façon de faire dans le royaume du Père. (Source Q 12, 22-24) : « C'est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus. La vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement. Considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'ont ni cellier ni grenier ; et Dieu les nourrit. Combien ne valez-vous pas plus que les oiseaux ! »

L’échange marchand fonctionne à la manière d’un contrat légal, ce qui implique les prestations mutuelles entre vendeur et acheteur, entre le salarié et son patron, bien que motivé par le profit qui en est tiré. Le don implique un contrat moral dans la dette qu’il instaure, il implique un service en retour. Les conquérants de l’Amérique emportaient des verroteries pour les donner aux indigènes, espérant par l? en retour d’être traité de manière amicale, voire d’obtenir une aide de leur part. Celui qui accepte le don, accepte donc un engagement. Si je refuse un cadeau qui m’est fait en le retournant ? celui qui me l’a donné, je refuse de me sentir engager ? son égard. Je peux de la sorte maintenir la permanence de l’hostilité en ne devant rien ? celui que je regarde comme mon ennemi. Si mon intention est seulement l’inimitié ou la violence, je vois dans le don qui m’est fait un piège et une dépendance que je refuse. Pour ne pas avoir ? rendre, je ne dois pas accepter, je me dois de ne pas recevoir. Mais je supprime par l? tout échange et je renie la relation. Donc accepter un don n’est pas neutre. Un parlementaire qui accepte les cadeaux d’un propriétaire de casino se compromet. Un chef d’État qui accepte d’un potentat connu pour sa cruauté des pierres précieuses se compromet. Un homme ou une femme politique qui reçoit une mallette de billets de la part d’un grand patron se compromet. En ce sens, le don devient corruption car il entre bel et bien dans une idée d’échange et des règles économiques. Jésus nous met en garde, il dit qu’il faut retirer de l’échange et du don le côté économique pour y mettre celui de l’amour. Ainsi le patron ne doit plus employer seulement son personnel entant que capital travail, et produire pour son seul bénéfice, ou celui du profit de ses actionnaires avec qui il échange du capital, mais il doit aussi dans ce contrat y mettre le don à la place de l’échange, celui de fournir à ses ouvriers les moyens d’existence, de vivre décemment eux et leur famille des fruits de leur travail. Ainsi l’échange de don doit être vu comme un contrat « d’amour » dans l’intérêt de l’autre et non de soit. Autrement dit dans le royaume du Père, se faire patron comme Pierre l’était, « patron pêcheur » c’est d’abord vouloir enrichir les autres en leur donnant du travail, et non faire travailler les autres pour s’enrichir. Le don c’est se soucier de l’autre d’abord, l’échange c’est se soucier de soi d’abord.

Dans l’échange capitaliste seul, le salarié repart le soir, il a fait son travail. Cela s’arrête l?, il s’est libéré de l’obligation envers son employeur. En retour il a reçu un salaire. Le vendeur assure ses prestations dans le cadre du contrat. Un point c’est tout. Ce qui se passe après, cela ne le regarde pas. Si le client casse l’aspirateur ou se coupe avec la tondeuse, ce n’est plus son affaire. Une fois que l’objet est payé, le client et le vendeur sont quittes. Le vendeur s’est libéré de la relation et rien ne le lie plus une fois que le client a payé. À l’inverse, dans le don, non seulement la relation est plus subjective, mais le don crée une obligation mutuelle qui maintient durablement la relation. Dans une transaction marchande, parce que la transaction est objective, les partenaires n’ont même pas ? s’occuper des intentions de l’un et de l’autre, seuls comptent les éléments mesurables de la transaction. « On ne sert que Mammon », ils sont quittes une fois que la transaction est faite. Dans le don, l’intention subsiste comme un lien invisible qui attache les deux personnes entre elles : « J’ai une dette envers Pierre, un jour il m’a sorti du pétrin et je lui dois quelque chose ! Sorti du fossé, je lui ai dit « je te revaudrai cela ». « Ce qu’il a fait pour moi, je dois le faire pour lui ». 

Jésus dit qu’il ne faut pas attendre ce don pour le rendre il faut l’anticiper :« Et comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, ainsi vous agissez envers eux. »

Le don laisse derrière lui une relation privilégiée entre deux personnes, voire entre une personne et une communauté. La dette corrélative au don se différencie donc de la dette marchande. La dette marchande, celle du ménage surendetté, est une dette négative et objective qui symbolise un manque. La dette du don est une dette positive qui symbolise une relation particulière de confiance entre personnes.

Jésus demande à ses disciples de renoncer à fonctionner sur l’échange des valeurs matérielles, et seulement dans l’optique utilitarisme, et d’être des hommes ou des femmes qui acceptent de vivre dans une société, basée sur le seul fondement des exigences et satisfaction de l’ego. Dans un système économique strictement utilitariste, tel que le nôtre; fondé sur une interprétation de la valeur en termes d’argent, nous sommes par avance conditionnés ? nous représenter l’échange comme échange marchand. En poursuivant de manière systématique la recherche de leurs satisfactions privées, les hommes ont inventé, ce qui s’avère être la forme la plus efficace de l’échange, l’échange marchand. Ces hommes et ces femmes servent alors ce que Jésus appelait Mammon « l’argent » : Source Q : « 16.13 Nul serviteur ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l'un et aimera l'autre ; ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. »

L’échange marchand, s’est implanté dans le système du travail, le salariat, le tout encadré par le commerce et la monnaie. Dans l’échange marchand, le capitalisme moderne ne fait que généraliser le souci exclusif de l’intérêt privé. Or Jésus veut remettre au cœur des relations humaines le don dans l’échange dans les rapports humains, car c’est ainsi que fonctionne le royaume du Père.

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